Texte intégral
France Inter : Dans quel état le prochain président du RPR trouvera-t-il le mouvement gaulliste ? Affaire Tiberi/Dugoin : mise en cause directe de Jean Tiberi et, sur ce dossier de la mairie de Paris, l'ombre de Jacques Chirac dont l'un des proches, Jacques Toubon, ancien ministre de la justice, a vu son appartement ainsi que celui de sa belle-fille perquisitionnés hier.
Patrick Devedjian, candidat à la présidence du RPR, député des Hauts-de-Seine, maire d'Antony et auteur aux éditions Plon d'un essai : « Penser la droite ». Il faut avoir de larges épaules pour aller à la présidence du RPR aujourd'hui.
Patrick Devedjian : Ou alors il faut que ce soit vraiment nécessaire et qu'on ait de gros problèmes.
France Inter : Car ils sont gros ?
Patrick Devedjian : Oui, bien sûr. Le RPR ne va pas bien. C'est pour ça que je me suis laissé aller à y aller.
France Inter : Vous utilisez des mots qui ont un sens important : vous dites que le mouvement est « pénalisé ». C'est plus que ça maintenant. Ça devient très lourd.
Patrick Devedjian : Il ne faut pas exagérer non plus. Nous avons un certain nombre d'affaires à purger qui sont des affaires du passé. Aujourd'hui, le RPR ne pratique plus ce qu'ont pratiqué tous les partis politiques. Le Parti communiste va voir son secrétaire général jugé très prochainement pour des faits de financement illicites, comme le RPR aussi a participé à des faits illicites de financement, comme toute la vie politique française, comme la vie syndicale – on n'en parle jamais – en bénéficie aujourd'hui. Vous savez, vous avez 5 000 fonctionnaires de l'éducation nationale qui sont dans des associations où c'est parfaitement discutable. Le jour où on se penchera là-dessus, vous verrez que c'est un autre scandale que celui du financement illicite des partis politiques.
France Inter : La moralisation de la vie politique est sûrement un noble et ambitieux projet. Mais comment se traduit-il dans la vie quotidienne ? Est-ce que vous, est-ce que les caciques du RPR sont en train de lâcher Jean Tiberi ?
Patrick Devedjian : Je crois que le problème de Jean Tiberi – moi, je le dis depuis plusieurs mois –, c'est un problème politique pour nous. Il n'est pas en mesure, me semble-t-il – je peux me tromper –, de gagner les prochaines élections municipales à Paris. Donc, notre devoir de militant, c'est d'assurer la victoire du RPR à Paris et donc d'avoir une tête de liste qui soit crédible. Celle-là ne l'est pas. Donc, nous devons désigner un candidat dans les meilleurs délais.
France Inter : Vous pensez qu'il doit démissionner ? L'un de ceux qui est également candidat à la présidence du RPR, M. Fillon, parle, lui d'une sorte de comité d'éthique qui devrait trancher la question de la mairie de Paris.
Patrick Devedjian : Je rappelle quand même que Jean Tiberi n'est pas condamné. Il n'est même pas traduit devant un tribunal. Et dans l'affaire qui occupe l'actualité aujourd'hui, c'est sa femme qui est poursuivie, lui ne l'est pas.
France Inter : Mais, il est mis en cause gravement par M. Dugoin qui dit en gros : « J'ai donné un emploi fictif à Mme Tiberi parce que son époux me l'avait demandé. »
Patrick Devedjian : Certes. Mais enfin, ce ne sont que les propos d'un des accusés. Enfin, la présomption d'innocence, ça vaut pour tout le monde et pour lui aussi. Donc, moi, je ne veux pas entrer dans le débat judiciaire. C'est la justice qui passe. C'est son rôle. Elle fera la vérité des choses et des responsabilités. Mais pour nous, c'est un problème politique. Et c'est le problème politique que nous devons résoudre, c'est-à-dire celui des élections municipales à Paris. On ne les gagnera sans doute pas avec Jean Tiberi. Donc, il faut qu'on désigne rapidement un autre candidat.
France Inter : Mais quand on a cette volonté d'affronter les questions difficiles, est-ce qu'on les affronte jusqu'au bout ? Parce que, si on pose la question de la mairie de Paris, alors il faut poser la question de Jacques Chirac ?
Patrick Devedjian : Je ne vois pas ce qui permet de dire que Jacques Chirac est impliqué dans ces affaires.
France Inter : Quand on dit « les systèmes croisés », vous savez, les emplois fictifs ! Là aussi, c'est M. Dugoin qui parle. Il a occupé des postes importants au RPR.
Patrick Devedjian : Oui, j'ai entendu ça. Et il est vrai que le RPR est mêlé à des affaires de financement illicite. Mais en l'occurrence, il est innocent, le RPR. De quoi s'agit-il ? Un certain nombre de personnes ont bénéficié d'emplois fictifs, soit qu'elles appartenaient au conseil général des Hauts-de-Seine, soit qu'elles appartenaient à la mairie de Paris, soit qu'elles appartenaient au conseil général de l'Essonne. En aucun cas, ces personnes n'ont occupé des fonctions au RPR, n'ont travaillé pour le RPR. Donc, le RPR n'a pas bénéficié de cela. Ces personnes en ont bénéficié à titre personnel. C'est une affaire de financement privé d'une certaine manière. Ce n'est pas une affaire de financement politique en l'occurrence.
France Inter : Mais on objectera que la mairie de Paris a été la base de conquête du pouvoir pour le président de la République, que Jacques Chirac, maire de Paris, est devenu président parce qu'il y avait la mairie de Paris et le principe de fonctionnement de la mairie de Paris.
Patrick Devedjian : Je crois que la mairie de Paris a donné des facilités au RPR parce que c'était une mairie qui fonctionnait avec une majorité politique RPR. Je veux vous dire que c'était le cas dans toute la France. Moi, quand j'ai été élu à la mairie d'Antony, j'ai trouvé deux permanents du Parti communiste sur les registres du personnel payés par la mairie d'Antony et qui, par la suite, n'occupaient aucun rôle. Ils étaient responsables à Gennevilliers. Je les ai faits revenir d'ailleurs. Je les ai obligés à venir travailler. C'était un système généralisé. La mairie de Paris l'a fait plutôt moins que d'autres, plutôt moins que, par exemple, certains ministères. Le nombre d'emploi où des gens sont détachés dans des conditions parfaitement illicites à des fonctions para-politiques ou para-sociales est considérable. Il y a des milliers de gens aujourd'hui encore qui sont dans cette situation. On s'est attaché à purger ce qui se passait pour les partis politiques, et notamment en assurant un financement public. C'est très bien, mais ce n'est qu'une partie du travail.
France Inter : Comment la suite peut-elle se dessiner puisque l'enjeu politique est tellement important pour vous ? Il s'agit encore une fois de la bataille de Paris et de la mairie de Paris.
Patrick Devedjian : Il s'agit de plus que ça.
France Inter : Bien sûr, bien entendu !
Patrick Devedjian : Il s'agit de plus que de notre intérêt partisan. Moi, je pense…
France Inter : Il s'agit aussi de l'image du mouvement. La question Tiberi reste posée. Va-t-il rester ? Va-t-on temporiser ? Va-t-il rester maire jusqu'à la fin de son mandat ?
Patrick Devedjian : Je dirais que, pour un parti politique, ce n'est pas son problème. Son problème, c'est de se mettre en situation de gagner les prochaines élections à Paris. Si nous ne gagnons pas les élections municipales à Paris, nous aurons beaucoup de mal à gagner les élections législatives.
France Inter : Telle qu'est la situation, vous savez très bien que vous ne pouvez pas gagner.
Patrick Devedjian : Ça me paraît très difficile. Et c'est pour ça que je veux que, dans les meilleurs délais, nous désignions un candidat crédible. Si nous ne gagnons pas les municipales à Paris, nous aurons du mal à gagner les législatives. Et si nous ne gagnons pas les législatives, nous aurons du mal à gagner les présidentielles. Donc, tout ça est lié. La situation personnelle des individus ne m'intéresse pas. Moi, ce que je vois, c'est que nous vivons en France dans un pays où nous avons des socialistes qui sont parmi les moins modernes d'Europe, les plus archaïques. À côté de Tony Blair ou même des socialistes allemands, les socialistes français sont vraiment « archéo ». Aujourd'hui, on se plaint du communisme chinois, mais les communistes, nous en avons au gouvernement et ils n'ont pas changé leur personnel. Ils n'ont pas changé leur idéologie. Et comment se fait-il que la France, ayant la gauche la plus archaïque d'Europe, eh bien cette gauche paraisse pouvoir rester durablement au pouvoir ? C'est parce que l'opposition est nulle. Et donc, elle a une grande responsabilité là-dedans.
France Inter : On revient dans le discours politique.
Patrick Devedjian : Eh bien, moi, je veux la rénover.
France Inter : Qu'est-ce qui va se passer lundi ? Est-ce que M. Tiberi va être mis en minorité sur le budget de la capitale, ce qui placerait la ville dans une situation très complexe ?
Patrick Devedjian : Bien sûr. En plus, ça ne résoudrait rien sur le plan de l'administration de la Ville de Paris puisque les questions budgétaires, toutes les questions financières peuvent être réglées par le préfet s'il n'y a pas de majorité municipale qui se dégage. Je ne sais pas ce qui va se passer au conseil municipal de Paris. Je dirais que ce n'est pas vraiment le problème du RPR. C'est le problème de la majorité municipale. Ce sont des élus. C'est à eux de prendre leurs responsabilités et de savoir s'ils ont une crédibilité suffisante pour faire la politique que les Parisiens attendent.
France Inter : C'est à la une des quotidiens : voilà maintenant M. Toubon concerné, perquisitionné : double perquisition, lui et sa belle-fille.
Patrick Devedjian : Il n'est pas encore poursuivi.
France Inter : Ça fait bizarre quand même, parce que c'est un proche de Jacques Chirac quand même, ancien ministre de la justice.
Patrick Devedjian : C'est sûr qu'on s'en passerait.
France Inter : Spécialiste des hélicoptères…
Patrick Devedjian : Allez, n'exagérez…
France Inter : Ah non, mais si, attendez, si on parle de Tiberi, il faut parler de l'hélico !
Patrick Devedjian : Et alors, si on parle de l'hélico, qu'est-ce que vous en déduisez ?
France Inter : Je trouve que c'est une histoire qui a marqué son époque, non ?
Patrick Devedjian : C'est une histoire symbolique mais, en même temps, vous avez vu que les poursuites ont eu lieu, y compris quand Jacques Toubon était garde des Sceaux. Après tout, le procureur de la République prend des vacances sur un endroit éloigné. Il n'a pas exprimé sa volonté de manière claire. C'est quand même important de savoir ce que doit dire le procureur. Alors évidemment, l'hélicoptère est très symbolique et ça fait désordre en termes d'image. Je le conçois volontiers. Mais ce procureur qui est parti sans régler ces dossiers, il a créé un vrai problème.
France Inter : On va finir quand même sur la vision que vous avez. Après tout, vous êtes candidat pour la présidence du RPR. Quand vous écrivez « Penser la droite » – on va revenir au discours politique –, vous disiez : les socialistes sont complètement « archéo ». Alors la droite, qu'est-ce que c'est ? C'est la droite libérale qui doit s'assumer comme telle ?
Patrick Devedjian : Je crois que la droite peut se rénover et je pense qu'aujourd'hui on devrait voir l'émergence d'une deuxième droite, comme il y a eu à un moment donné une deuxième gauche, c'est-à-dire une droite qui soit beaucoup plus en phase avec la société. La France a considérablement changé. Souvent, on a des réflexes qui sont des réflexes de l'ancien temps. La droite, ça ne doit pas être le refus du socialisme. Ça doit être ses valeurs propres. Qu'est-ce que c'est, ses valeurs propres ? C'est l'émergence des droits de l'individu. Nous vivons dans une société où chaque individu réclame davantage de liberté, davantage de droits. Et qu'est que nous voyons ? Nous voyons davantage de réglementations, davantage de contraintes. Aujourd'hui, on va régler la pause casse-croûte dans toutes les usines de France, c'est fou. Le choix sexuel des individus, il va falloir qu'il soit enregistré avec le PACS. Ça veut dire quoi ? Ça veut dire que la liberté des individus, leur espace d'autonomie est de plus en plus réduit. Eh bien, là, il y a un champ politique extraordinaire pour la droite.
France Inter : Mais il y a peut-être justement un vrai débat républicain possible. Mais, s'il vous plaît, faites de l'ordre, que tout le monde fasse de l'ordre partout, mais vous aussi !
Patrick Devedjian : Eh bien, c'est ce qu'on est en train de faire. C'est pour ça qu'on a fait des élections démocratiques à l'intérieur du RPR. Ça aussi, c'est une nouveauté ; ça aussi, c'est une preuve de renouvellement et c'est comme ça qu'on va changer.