Texte intégral
S. Paoli : Qui est le chef du RPR ? La réponse a été donnée hier aux assises du mouvement gaulliste : le chef du RPR reste celui qui l’a créé et lui a donné son sigle qu’il conserve, RPR donc et non RPF. J. Chirac, dont un message a été élu aux militants par P. Séguin, a été acclamé pendant 10 minutes. Cette ovation, marquant la fin de la période de deuil après la dissolution, introduit-elle une nouvelle époque ? Un passage du gaullisme historique au chiraquisme, c’est-à-dire à une démarche politique associant à sa rénovation le libéralisme économique de N. Sarkozy, revenu en grâce, et même celui d’A. Madelin ?
Cela a dû être une journée difficile pour P. Séguin, hier ?
J.-L. Debré : Je ne crois pas. Cela a été une journée très dense, qui a montré que tous les efforts qu’il avait entrepris depuis plusieurs mois, alors que tout le monde disait qu’il allait échouer, que la rénovation n’était pas possible, qu’il allait trop vite. Face à tous ces faux prophètes, il a montré qu’il avait su, en l’espace de quelques mois, modifier notre formation, lui redonner la pèche et la préparer pour les combats à venir.
S. Paoli : Mais il a bien vu, hier, qu’il était sous tutelle quand même ?
J.-L. Debré : Ce n’est pas sous tutelle, parce que vous avez une méconnaissance totale de l’essence du mouvement gaulliste. Le mouvement gaulliste est une formation, une tradition qui s’incarne dans un chef. Elle s’est incarnée avec le général de Gaulle, elle s’est incarnée avec G. Pompidou, et aujourd’hui, elle se reconnaît dans le chef, qui est J. Chirac. Le mouvement gaulliste est un mouvement légitime et non un mouvement orléaniste.
S. Paoli : Mieux que quiconque, vous savez à quel point, franchement, que le chef, il n’était pas très lisible, il n’y a pas si longtemps. Quand vous-même avez été nommé à la présidence du groupe à l’Assemblée, cela a été une rude bataille ? vous en aviez quelques-uns, des chefs, contre vous, à ce moment-là des chefs potentiels ?
J.-L. Debré : Naturellement, mais c’est normal. C’est cela, le combat politique. Il y avait pleins de chefs qui voulaient prendre la place du grand chef J. Chirac. Et J. Chirac a laissé faire, a bien voulu que la démocratie s’exprime au sein de notre mouvement. Séguin l’a voulu. Et qu’est-ce qui s’est passé ? Les militants ont montré à tous les chefs qu’ils étaient chefs, mais qu’il y avait un autre inspirateur, un grand chef – pour prendre votre vocabulaire -, et ce grand chef, c’était J. Chirac. Et tout le monde a eu raison, car qu’est-ce qui nous rassemble, qu’est-ce ce qui nous unit ? C’est à la fois une tradition, la tradition gaulliste, c’est aussi une volonté de modernisation, mais ce qui nous rassemble par-dessous tout, celui qui est notre inspirateur, notre ciment, c’est J. Chirac. Il a fait du mouvement gaulliste ce qu’il est aujourd’hui, et par conséquent, celles et ceux qui sont dans les rangs de ce mouvement, quelle que soit leur ambition, savent parfaitement qu’il n’y a pas d’avenir pour eux en dehors de J. Chirac.
S. Paoli : Alors « gaulliste » : s’est-il passé quelque chose, hier, par rapport à cela ? Quand je m’interrogeais sur : « Est-on passé du gaullisme au chiraquisme ? », je précise encore : dans cette volonté d’organiser différemment un grand mouvement de la droite, qui rassemblerait aussi bien les libéraux – type Sarkozy et Madelin – que les gaullistes qui, avec les J. Chirac, voulaient combattre la fracture sociale ?
J.-L. Debré : Là encore, il faut se retourner vers l’histoire de notre mouvement. Il ne s’est rien passé de ce que vous dites. Moi, je me souviens jadis des combats entre les Wallons, les Capitans, les combats qui n’ont cessé de marquer notre vie interne, parce que le mouvement gaulliste est un rassemblement, rassemblement d’hommes et de femmes qui sont d’origines différentes et souvent de convictions qui ne sont pas identiques. Et le gaullisme fait la synthèse de tout cela, Et hier, nous nous sommes situés parfaitement dans notre tradition gaulliste. Nous avons, contrairement à ce que vous dites, rejeté le libéralisme intégral. Mais nous ne voulons pas non plus de l’étatisme absolu ? Et ce que vous prenez comme étant une évolution du mouvement gaulliste, du choix entre le gaullisme ou le chiraquisme, c’est simplement la conviction que nous avons que les grandes formations politiques aujourd’hui doivent fonctionner radicalement de la façon dont elles fonctionnaient il y a encore 5 à 6 ans. Eh bien nous avons enregistré, dans notre mouvement gaulliste – c’est cela, la rupture avec la tradition -, une évolution qui donne la parole aux cadres, aux militants, et qui fait que tout le pouvoir vient d’en bas, il remonte à travers nos fédérations.
S. Paoli : La démocratisation, très bien. Mais tout de même, cette synthèse, dont vous dites qu’elle est en cours. Regardez l’éditorial d’A. Peyrefitte à la Une du Figaro, ce matin, qui parle du « primat de la nation », tel qu’il a été évoqué hier. En même temps, il y a l’Europe à faire. Là aussi, la synthèse chiraquienne ou gaullienne n’est pas immédiatement lisible ?
J.-L. Debré : J’ai toujours entendu dire, le général de Gaulle et tous ses compagnons, que nous voulions l’Europe et l’Europe des nations. Et plus l’Europe se construit, plus elle doit s’appuyer sur des réalités. Quelles sont les réalités aujourd’hui ? Ce sont les nations, les États qui les représentent. Construire un État supranational, c’est aller à l’encontre de ce que souhaitent nos concitoyens qui souhaitent un pouvoir proche d’eux. Et par conséquent, j’ai vu hier soir de façon éclatante, en écoutant les militants, en écoutant un discours, trois idées qui sont fortes dans le mouvement gaulliste. Idée de la France : il n’y a pas d’avenir sans une France forte et fière, c’est ce que de Gaulle appelait, à la première page de ses Mémoires, « une certaine idée de la France ». Et puis j’ai retrouvé cette notion d’État : alors que les socialistes veulent moins d’État ou mettre l’État là où il ne faudrait pas le mettre, eh bien nous, nous disons que l’État ne doit pas s’occuper de tout, mais il doit être recentré sur ses missions traditionnelles. Et puis j’ai entendu très fortement tinter à mes oreilles de gaulliste la tradition gaullienne de la fraternité, l’intéressement, la participation – oui transformons les rapports sociaux…
S. Paoli : On n’abandonne pas la lutte contre la fracture sociale, là ? Même si l’on prend en compte les thèses de Sarkozy ou de Madelin ?
J.-L. Debré : Mais pas du tout. J’ai retrouvé à la fois la tradition gaulliste telle que je l’avais connue quand j’étais jeune, avec le général de Gaulle, et j’ai retrouvé la campagne présidentielle, la volonté de tendre la main aux Français, de les écouter, de les comprendre ; et ce qu’a fait très bien P. Séguin, c’est qu’il a bien montré que nous avions, à un moment, peut être, dévié de cette ligne, et nous avons perdu les élections.
S. Paoli : Alors cette synthèse que vous évoquez, pour un grand parti de droite. Pour qui le grand parti ?
J.-L. Debré : Eh bien pour les Français !
S. Paoli : Mais attendez, là, c’est un discours politique ! On pense bien sûr aux prochaines élections présidentielles. Alors pour qui, ce parti-là ?
J.-L. Debré : Pour défendre un certain nombre d’idées qui sont nos idées et qui s’incarneront, le moment venu, dans le candidat, que cela soit J. Chirac pour que cela soit un autre.
S. Paoli : Mais l’autre : Séguin ?
J.-L. Debré : Comment voulez-vous que je vous réponde alors que nous sommes à quatre ans d’un scrutin, et vous voulez déjà que je vous dise qui seront les candidats. Je ne suis pas Madame Soleil.
S. Paoli : Dans la posture qu’il a prise hier, P. Séguin se tenait, en effet, comme ce que vous définissez tout à l’heure comme étant une forme légitimisme, qui peut-être lui permettrait d’être un candidat…
J.-L. Debré : Mais il y a, dans le mouvement gaulliste, de nombreux hommes politiques qui sont dans cette tradition légitimiste. Et je crois que Séguin est l’un des compagnons qui, le moment venu, peuvent avoir des ambitions. Tout dépendra de la façon dont cela se présentera dans quelques années, mais je crois aujourd’hui – et moi, je le souhaite profondément – que Chirac se représente lors des prochaines élections présidentielles.
S. Paoli : J’ai lu dans la presse qu’il paraît qu’il faisait la sieste, quand on lisait son message aux militants. Cela vous paraît possible ou pas ? Et est-ce que cela serait une preuve de sa distance, sinon de son…
J.-L. Debré : Je ne sais pas ce qu’il faisait, mais je suis persuadé qu’il a été très heureux d’entendre que les militants lui adressaient un salut amical et fraternel.