Interview de M. Jean-Louis Debré, président du groupe parlementaire RPR à l'Assemblée nationale, à RTL le 4 novembre 1999, sur la polémique engagée par M. Jospin contre M. Chirac dans le cadre de l'affaire de la MNEF et sur le financement du PS.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

Q - Le Président de la République a-t-il eu raison de répliquer personnellement aux déclarations de L. Jospin ?

- « Je ne comprends pas, je n'apprécie pas ce climat d'agressivité, de haine, de suspicion qui règne à l'Assemblée nationale. Ça n'est pas de bon augure. Cela dit, je comprends parfaitement L. Jospin. Mais cette inquiétude ne justifie pas perte de sang-froid et invectives. C'est le jeu normal des questions d'actualité. Elles sont peut-être un peu agressives parfois. Lorsqu'on est le Chef du Gouvernement, lorsqu'on est le Premier Ministre, on répond avec de la hauteur, et on ne fait pas ce qu'il a fait. Dans ces conditions, et comme ce n'est pas au Chef du Gouvernement de mettre en cause le Chef de l'Etat… »

Q - L'a-t-il fait, hier ?

- « C'est évident. Et il l'a fait avec des mots qui n'étaient même pas voilés. Dans ces conditions donc, il me semble normal qu'il y ait une mise au point car on ne pourra pas continuer ainsi pendant deux ans dans un tel climat. L'inquiétude des socialistes est légitime tout autant que celle de monsieur Jospin. Les socialistes, et parmi eux un bon nombre de camarades de monsieur Jospin, sont rattrapés par une affaire. Et finalement, monsieur Jospin a réussi ce qu'il cherchait : il a fait une défausse. Il a attaqué le Chef de l'Etat sur la cohabitation pour qu'on évite de parler de la Mnef, parce que cette affaire l'inquiète et le préoccupe. »

Q - Etait-il habile de le mettre en cause personnellement, de mettre en cause son intégrité, son rôle, dans cette affaire ?

- « Si vous reprenez la question qui a été posée par un excellent député, qui est P. Ollier, de quoi s'agissait-il ? Monsieur Jospin ayant été premier secrétaire du Parti socialiste, et ce à deux reprises, ainsi que ministre de l'Education nationale, était-il au courant, oui ou non, de la liaison, par l'intermédiaire du syndicalisme étudiant, entre le Parti socialiste et la Mnef ? Qui a dit que la Mnef était “la pouponnière du Parti socialiste” ? Ça n'est pas nous. C'est le député socialiste de Paris, monsieur Le Guen. Qui a dit qu'il y avait dans l'affaire de la Mnef des emplois fictifs au profit du parti socialiste ? Ça n'est pas nous. C'est un député communiste. Il était donc normal, et c'est important pour la suite, que celui qui a été deux fois et pendant longtemps premier secrétaire du Parti socialiste, celui qui a géré le ministère de l'Education nationale, réponde sur le fond. »

Q - Il vous a répondu en disant qu'il n'y a pas de financement du Parti socialiste par la Mnef. En répondant de cette façon, il a pris un engagement politique ?

- « Mais s'il n'y a pas de financement, comme il l'a dit, il n'en reste pas moins que c'est à la justice de savoir s'il y a un système qui a été mis en place. Certains disent même un système “mafieux”. Je n'aime pas beaucoup ce mot. Mais s'il n'y a pas de système de financement du Parti socialiste, il y a en revanche pour les socialistes qui sont mis en cause des enrichissements personnels. Et ça, c'est également très grave, parce que cela veut dire qu'un certain nombre de personnalités socialistes ont profité d'un organisme qui gère l'argent des étudiants, et ce dans le cadre de l'assurance maladie, pour détourner cet argent pour des profits personnels. »

Q - Mais l'argument de L. Jospin, c'est, en gros, de répliquer de la même façon dont il est attaqué personnellement. En plus, des députés RPR se vantent dans les couloirs d'être en liaison constante avec l'Elysée, et d'y trouver leur inspiration.

- « Tout cela est absurde. Il n'y a pas de liaison avec l'Elysée, mais il y en a bien une entre Matignon et des députés socialistes. Là, personne ne dit rien. Mais c'est mal connaître les députés, leur caractère d'indépendance, que de dire qu'ils font “relire leurs questions”. Le Président de la République se tient au-dessus de cette affaire. Quant aux questions qui ont été posées hier par les députés RPR, elles ont été délibérées, rédigées - c'est moi qui présidais la réunion - par l'ensemble des députés présents à cette dite réunion. Monsieur Jospin a donc eu raison de faire ce qu'il a fait parce qu'encore une fois, et toute la presse ce matin est là pour en témoigner, on parle de la cohabitation, de ses relations avec le Président de la République, mais on a passé sous silence le problème de la Mnef. »

Q - P. Lellouche, député RPR de Paris, disait dimanche qu'il était effrayé par la proportion que prennent ces affaires, d'autant que tous les partis sont concernés.

- « Je suis effectivement très préoccupé par cela, parce que l'image de l'Etat est perturbée et voilée par ces affaires. Mais je ne suis pas pour une amnistie. »

Q - Pourriez-vous dire ce matin, comment L. Jospin hier sur le PS et la Mnef, que le RPR n'a jamais été financé par la mairie de Paris ?

- « C'est à la justice d'établir les charges dans les différentes affaires dont elle est saisie. Ce n'est pas à moi de le dire. Moi qui suis ancien magistrat, je ne me substituerai certainement pas au juge ni au procureur. Je demande simplement que la justice fasse son travail, et qu'elle le fasse sereinement, sans que l'on cherche à l'influencer, ni en déplaçant un certain nombre de magistrats qui avaient voulu prendre des réquisitions, ou qui les ont prises. »

Q - Qu'attendez-vous, maintenant ? Que L. Jospin fasse des excuses ?

- « Non, je n'attends pas d'excuses. J'attends qu'il se calme. Il est le Premier Ministre de la France, et non le chef d'une bande hurlante. Nous allons continuer à poser des questions, parce que le rôle de l'opposition est d'interroger le Gouvernement sur un certain nombre d'affaires. »

Q - Vous disiez tout à l'heure que cela ne pourra pas durer deux ans comme cela. Le Chef de l'Etat pourrait-il demander aux électeurs de trancher le différend ?

- « Non. Je dis simplement que si monsieur Jospin veut assumer pleinement son rôle, il faut qu'il se calme et qu'il retrouve son sang-froid. »

Q - En répondant de quelle manière ?

- « En laissant la justice répondre, au lieu de faire ce qu'il a fait hier, c'est à dire se défausser, ne pas répondre aux questions posées… »

Q - Mais il vous a répondu : « Il n'y a pas de financement du PS ».

- « Non, il n'a pas répondu. Relisez le Journal officiel, vous verrez qu'il n'y a pas de réponse sur le fond. “Avez-vous oui ou non été mis au courant ?” “Est-ce qu'un certain nombre de vos amis sont impliqués ?” “Reprenez le rapport parlementaire et vous verrez bien tous les développements qu'il va y avoir. Il y aura d'autres mises en examen. Je crois que le Premier Ministre devrait répondre tranquillement, sereinement à nos questions, et ne pas se réfugier dans l'agressivité”. »

Q - L'arme de la dissolution est-elle toujours là, entre les mains du Président de la République ?

- « Non, non. Je crois que monsieur Jospin va se rendre compte de ses erreurs, et qu'il va se calmer. »