Interview de M. Jack Lang, député européen PS, à TF1 le 8 janvier 1997, sur le livre d'Alain Duhamel et la personnalité de François Mitterrand.

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Circonstance : Anniversaire de la mort de François Mitterrand, ancien président de la République, le 8 janvier 1997

Média : Site web TF1 - Le Monde - Télévision - TF1

Texte intégral

Patrick Poivre d’Arvor : Est-ce que vous parleriez, comme le fait A. Duhamel, d’un artiste ?

Jack Lang : C’est d’ailleurs un bon livre, sérieux, et bien documenté. Oui, je dirais un homme créateur, un homme visionnaire, il a été un anticipateur. Il a été, comme tous les grands chefs d’État, bâtisseur, constructeur. Il a été capable de préfigurer l’avenir. Et je dirais – c’est certainement une des raisons de la ferveur populaire autour de lui – qu’il a été capable de transformer nos rêves, nos espoirs en une grande aventure collective.

Patrick Poivre d’Arvor : Avec un mélange de fascination-répulsion ?

Jack Lang : Avec un mélange en effet de séduction, de charme et naturellement c’est la loi du genre, de rejet et de refus.

Patrick Poivre d’Arvor : L. Jospin disait : « Certains l’aimaient au point de vouloir lui être fidèles en tout, d’autres, comme moi, l’estimaient assez pour pouvoir dire ce qu’ils n’approuvaient pas. » Et L. Jospin de parler de « bilan contrasté ». Reprenez-vous cette appréciation ?

Jack Lang : Oui, ce matin au bureau national, L. Jospin a lu ce texte, les mots sont justes et émouvants. J’y ai apporté moi-même une nuance : je crois que l’amitié – qui est une des choses les plus belles et les plus fragiles, que ce soit avec une personne privée ou un homme public – réclame une exigence de tous les jours. Cette exigence est à la fois la capacité à être solidaire face à toutes les difficultés et toutes les tempêtes. Mais c’est aussi la capacité à pouvoir dire, droit dans les yeux, face à face, ses réserves lorsqu’on les ressent, ou ses propositions critiques. Je crois que ça a été le comportement de beaucoup d’entre nous. Mais en même temps, je pense que lorsqu’on évoque un bilan contrasté – c’est d’ailleurs le lot de toute œuvre humaine – elle est toujours contrastée, cela marque une époque au cours de laquelle de belles pages de l’Histoire ont été écrites. Au cours de cette période, le pays a bougé, F. Mitterrand a été un lutteur qui a porté plus haut et plus loin notre ambition collective. Et je nous souhaite, pour le futur, d’être capables d’écrire d’aussi belles pages. Ce qui me paraît important aujourd’hui, ce n’est pas, en cette journée de commémoration, de mettre F. Mitterrand une deuxième fois au tombeau, c’est au contraire de le rendre plus vivant que jamais. Et mon sentiment personnel, ce n’est pas simplement l’amitié et le respect et l’amour que je lui porte avec beaucoup d’autres qui me le font dire, c’est parce que je suis sûr que c’est ainsi que les choses se passeront : nous réussirons dans le futur, si nous sommes habités par la même foi, la même capacité à entraîner le pays, à sortir chaque Français de sa carapace et à permettre à chacun d’entre nous de donner le meilleur de lui-même.

Patrick Poivre d’Arvor : On écrit beaucoup de pages. Il y a A. Duhamel, G.-M. Benhamou qui dit que F. Mitterrand aurait fait passer un message à J. Chirac en lui demandant de se présenter. P. Bergé a confirmé en grande partie qu’il avait été ce messager.

Jack Lang : Je ne veux pas rentrer dans les polémiques avec tel ou tel, certains sont des amis et comme je vous l’ai dit, je respecte l’amitié plus que tout autre chose. Beaucoup de livres s’écrivent. Il ne faut pas confondre la grande Histoire, celle des actes publics réels accomplis par les hommes, et les historiettes ou les anecdotes plus ou moins romancées. On écrit parfois un peu tout et n’importe quoi. Vous me parlez de cette question touchant J. Chirac.

Patrick Poivre d’Arvor : P. Bergé a confirmé avoir été le messager indirect d’une parole du président Mitterrand.

Jack Lang : Je me suis abstenu d’écrire, avec beaucoup d’autres, sur ces sujets et je ne m’exprimerai que beaucoup plus tard. Je crois qu’il faut confronter les thèses des uns et des autres. Nous ne sommes jamais des témoins complètement objectifs. Mais sur ce point précis, je dirais que c’est une histoire à dormir debout. Et personnellement, je peux démentir formellement que le moindre émissaire ait été envoyé par F. Mitterrand à J. Chirac. Il n’en avait pas besoin pour se déterminer, il était candidat depuis fort longtemps et il savait parfaitement ce qu’il voulait faire. Cessons d’inventer des histoires. Ça peut être la source d’un roman talentueux mais ça n’est en tout cas pas l’Histoire telle que je la conçois. De même, je n’accepte pas que l’on puisse présenter de F. Mitterrand, au cours de ces deux dernières années, le spectacle de quelqu’un qui n’aurait pas été en mesure d’assurer dignement sa fonction. Je l’ai rencontré deux fois par semaine et j’ai vu avec quelle dignité, quelle maîtrise intellectuelle – beaucoup pourraient lui envier – il a su conduire le pays.

Patrick Poivre d’Arvor : Mais faisiez-vous partie des ministres qui savaient qu’il était malade ?

Jack Lang : Absolument pas, et je n’ai appris que F. Mitterrand avait cette maladie qu’en 1992 au cours de la campagne de Maastricht. Et je dois dire que tout au long des années, là est l’essentiel, j’ai vu un F. Mitterrand – en 82, 83, en 88 – qui avait de l’énergie à revendre, qui faisait envie par sa combativité, sa pugnacité. Il a été d’un bout à l’autre un entraîneur, un lutteur, un bagarreur, un homme fidèle à ses convictions. Et je crois que ce qui, au-delà de toutes ces historiettes, touche les Français, c’est l’essentiel. Regardez la ferveur populaire, voyez le mouvement encore aujourd’hui autour de lui. Ce n’est pas à cause de ces petites histoires que l’on porte ici ou là, c’est parce que le peuple français très profondément sent en F. Mitterrand la noblesse d’esprit, l’intelligence des choses et, par-dessus tout, le don d’aimer et d’être aimé.