Texte intégral
Radio Orient - 9 mars 1997
Radio Orient : La France a souvent déclaré que son rôle au Proche Orient était complémentaire à celui des États-Unis. Comment percevez-vous et comment expliquez-vous le veto européen quant au projet européen au Conseil de sécurité ?
Hervé de Charrette : Je le regrette. Mais la vérité oblige à dire que ce n’est pas nouveau. Les États-Unis ont toujours bloqués toutes les résolutions du Conseil de sécurité qui pourraient mettre en cause Israël. Ce n’est pas une grande nouveauté, mais c’est vrai qu’en la circonstance, il eût été souhaitable que la communauté internationale se trouve sur la même ligne.
Radio Orient : Quelle démarche comptez-vous entreprendre ?
Hervé de Charrette : Le débat a Conseil de sécurité est terminé. Il n’y a pas lieu de faire qui que ce soit. C’est vrai que la situation au Proche-Orient a beaucoup changé en un an. Depuis la crise israélo-libanaise, puis les élections législatives en Israël et le changement de majorité, je crois que la situation s’est beaucoup dégradée. Il y a un an, tout le monde pensait que le processus de paix était sur les rails, que très vite, nous aurions la négociation définitive entre Israël et les Palestiniens. Nous pensions que la négociation, qui était ouverte entre la Syrie et Israël, allait déboucher sur une formule. Tout le monde était optimiste.
Aujourd’hui, je dirais que certes, il y a le signe très positif de l’Accord d’Hébron, qui a ouvert la voie à la reprise des discussions entre les Palestiniens et Israéliens. Mais il y a aussi un certain nombre de signes négatifs et, ce qui me frappe le plus, c’est la perte de confiance des acteurs entre eux, les Israéliens avec les Palestiniens et réciproquement, et les Syriens à l’égard des Israéliens et réciproquement. Cette perte de confiance est, je crois, le handicap majeur pour la poursuite du processus dans de bonnes conditions.
Radio Orient : Cette perte de confiance n’est-elle pas due essentiellement aux positions du gouvernement israélien qui ne veut pas avancer dans le processus de paix ?
Hervé de Charrette : Oui, sans doute, quelle que soit la case. C’est la nouvelle donne. Elle est inquiétante. Quand vous regarder la situation au Sud-Liban, elle a été en quelque sorte maîtrisée à la suite de la crise du printemps dernier grâce notamment à l’intervention de la France et à la création de ce Comité de surveillance qui permet d’éviter qu’il y ait des dérapages et que les hostilités touchent es civils et sortent du secteur de la zone Sud Liban. Mis, il est vrai que lorsque nous avons constitué ce Comité de surveillance, il y avait les Américains, les Français. Nous étions conscients que c’était bien pour accompagner le processus de paix. C’était bien de façon temporaire, ce n’est pas une solution durable, ni un substitut à un accord de paix, c’est ce qui permet d’attendre la finalisation d’une négociation. S’il n’y a pas de négociation, c’est autre chose. Il n’y a pas de perspective ouverte et il est à craindre que les tensions deviennent plus fortes. C’est donc le vrai sujet de préoccupation pour la France et pour tous ceux qui s’intéressent à la paix dans cette partie du monde.
Radio Orient : Vous revenez aujourd’hui avec une image beaucoup plus pessimiste après votre tournée, surtout concernant les deux volets syrien et libanais ?
Hervé de Charrette : Vous savez, je ne suis jamais pessimiste. Je note les difficultés : ce que je vous ai dit sur la question de la perte de confiance, ce que je vous dis sur le Sud-Liban. Mais je suis un optimiste et un optimiste actif. Il faut s’attendre à ce que la France apporte sa contribution pour tenter de trouver une issue et de faciliter, à notre place naturellement, la reprise des négociations car il n’y a pas d’autres solutions que la reprise du processus de paix.
Radio Orient : Les risques d’explosions ne sont-ils pas plus nombreux aujourd’hui ?
Hervé de Charrette : Il y a plus de risques aujourd’hui qu’hier, mais l’explosion, comme vous le dites, serait un drame et ne serait bon pour personne. Ce serait mauvais pour la paix, et cela ne donnerait satisfaction qu’à ceux qui sont hostiles au processus de paix.
Radio Orient : Les récentes décisions du gouvernement israélien concernant la colonisation ne risquent-elles pas de remettre en cause tout le processus de paix si cela continue ?
Hervé de Charrette : Cela fait partie des obstacles sur la voie de paix. Ce sont des décisions malheureuses parce qu’elles sont contraires aux Accords d’Oslo, à leur lettre et à leur esprit et il faut souhaiter qu’on e revienne à l’esprit et à la lettre des textes initiaux et que la négociation reprenne et continue.
Radio Orient : M. Moratinos était ce soir à Damas, il a déclaré qu’il avait de nouvelles idées pour les volets syriens et libanais.
Hervé de Charrette : Je ne peux que m’en féliciter. M. Moratinos est, comme chacun sait, l’envoyé spécial de l’Union européenne, dont la désignation a été demandée par la France. Cela a été l’une des grandes décisions du Sommet de Dublin des chefs d’États et de gouvernement et décembre dernier. M. Moratinos est un très bon diplomate. Il a évidemment toute notre confiance et s’il a des idées, c’est une bonne nouvelle.
« Tribune Juive », 12 mars 1997
Tribune Juive : Vous venez d’effectuer une grande tournée au Moyen-Orient commencée en Israël. Quel était le sens de cette visite ?
Hervé de Charrette : Ce que je veux faire passer comme message, c’est que la France est l’amie traditionnelle d’Israël. Le deuxième message est que la France pratique une politique du juste milieu. Elle n’est pas d’un côté, sous-entendu pro-arabe et donc anti-israélienne. Son objectif est d’être l’alliée des uns et des autres, d’être le pays le mieux capable de prendre en considération les préoccupations de tous et évidemment celles, légitimes, concernant la sécurité d’Israël. J’ai l’impression qu’il y avait, non seulement chez les dirigeants, mais aussi dans la population israélienne, l’idée que la France avait choisi un camp. Je ne conteste pas que la France ait des amitiés arabes mais nous croyons compatibles avec les réels et très chaleureux liens qui nous unissent à l’État d’Israël.
Tribune Juive : Vous semblez avoir banni le mot « pression » du langage diplomatique français vis-à-vis d’Israël…
Hervé de Charrette : Les Israéliens sont très sensibles à l’idée que l’on peut faire pression sur eux. Et je crois en effet que quand on veut dialoguer, il faut d’abord comprendre. On agit davantage par la persuasion que par la pression. Nous ne voulons pas heurter la susceptibilité des Israéliens mais il faut aussi qu’ils comprennent que nous ne cherchons pas à agir contre leur sécurité, à la sacrifier. Nous savons que le pays a un territoire très limité, les distances sont très courtes, surtout à l’époque des guerres modernes, ce qui crée une impression d’insécurité
Tribune Juive : Avez-vous sondé les intentions profondes des dirigeant israéliens face au processus de paix ?
Hervé de Charrette : De la même façon qu’on ne peut pas diriger la France en étant hostile à l’Europe, on ne peut pas diriger Israël si on est hostiles à la paix. Il s’y ajoute désormais un débat sur la sécurité. Y a-t-il plusieurs paix possibles : une paix qui comporterait moins de sécurité et donc plus dangereuse ou une paix avec plus de sécurité et plus rassurante ? Ce débat n’est pas clos et une réponse simplificatrice serait décalée par rapport à la réalité.
Tribune Juive : C’est-à-dire ?
Hervé de Charrette : On s’apercevrait qu’on ne peut pas privilégier la paix par rapport à la sécurité ou inversement. D’ailleurs, je vois bien que ce gouvernement évolue. M. Netanyahou, après avoir dit ne pas pouvoir discuter avec M. Arafat, a fini par lui serrer la main, par traiter et signer avec lui.
Tribune Juive : Certains hésitent encore sur la personnalité de M. Netanyahou. Pragmatique ou idéologue ? Vous le voyez comment ?
Hervé de Charrette : Jusqu’à présent nous avons eu avec M. Netanyahou un dialogue franc direct et dont je constate qu’il progresse efficacement.
Tribune Juive : Bizarrement, on a l’impression que la France a plus de facilité à jouer un rôle dans cette région avec ce gouvernement-là que le précédent.
Hervé de Charrette : En un peu plus d’un an, le progrès est évident. L’an dernier, à pareille époque, personne n’aurait pu imaginer que je puisse faire la tournée que je viens d’effectuer en Israël, en Syrie et au Liban et que je sois accueilli partout comme un partenaire normal en ce qui concerne les discussions pour la paix.
Qu’est ce qui est à l’origine de cette évolution ? Je crois que c’est moins l’élection de Netanyahou en Israël que les événements, et en particulier la crise au Liban, qui a servi de révélateur et qui a montré le rôle positif que la France peut jouer en faveur de la paix.
Tribune Juive : On a le sentiment dorénavant que la France s’intéresse prioritairement au volet israélo-syro-libanais…
Hervé de Charrette : En ce qui concerne les rapports entre Israël et Les Palestiniens, nous sommes actif car c’est l’Europe, notamment la France, qui, de très loin, joue le premier rôle dans l’aide économique aux Palestiniens. Mais il est vrai aussi qu’Israéliens et Palestiniens sont d’accord pour conduire cette discussion entre eux. Comme si c’était une affaire qu’ils veulent régler eux-mêmes. Il ne s’agit pas simplement d’une coexistence pacifique mais d’une vie commune à laquelle ils ne pourront pas échapper. Ensuite, s’agissant du volet syro-libanais, les liens profonds unissant la France et le Liban, mais aussi ceux très riches que nous avons avec la Syrie, nous donnent un rôle de tout premier plan. Les Israéliens s’aperçoivent maintenant que les bonnes relations de la France avec la Syrie peuvent contribuer à la recherche d’une paix juste et globale.
Tribune Juive : La philosophie de vos relations avec Israël peut se résumer ainsi : chaleur mais franchise. Avez-vous la même attitude avec la Syrie ?
Hervé de Charrette : Il faut comprendre que la Syrie est une des plus vieilles nations du Proche-Orient. Et ce qu’elle redoute le plus aujourd’hui, c’est d’être sous-estimée, marginalisée. Ce qu’elle attend du processus de paix, c’est n seulement de récupérer des territoires, mais aussi de voir préserver son rôle régional. Cela dit, quand je rencontre les dirigeant syriens, j’use de la même sincérité. Je ne crois pas à la diplomatie du double langage.
Tribune Juive : Même sur la manière dont la Syrie se comporte au Liban ? Vous dites, clairement, ce que pense la France ?
Hervé de Charrette : J’ai toujours dit aux Syriens ce que pensais la France. Il n’y a jamais eu d’ambiguïté vis-à-vis des uns et des autres et nous avons, à maintes reprises, réaffirmé notre attachement en faveur de l’indépendance et de la souveraineté du Liban. Reportez-vous aux discours de Jacques Chirac au Caire et à Beyrouth, tous deux datés d’avril 1996, qui sont les discours fondateurs de la nouvelle politique de la France au Proche-Orient.
Tribune Juive : Assad veut récupérer ses territoires. Il veut qu’on reconnaisse à la Syrie son rôle régional. Il veut aussi assurer la sécurité de son pays. Et en échange de cela, il souhaite une paix froide avec Israël. Ce « deal » vous semble-t-il réaliste ?
Hervé de Charrette : Peut-être faut-il faire le partage entre l’instant et la durée. Donner du temps au temps. Je suis sûr qu’on peut parvenir à une paix réglant les problèmes de sécurité, de territoires, bref remplacer la confrontation par la coexistence pacifique entre Israël et la Syrie.
Tribune Juive : La paix n’est-elle pas une idée généreuse, ambitieuse ?
Hervé de Charrette : Ce qui préoccupe plusieurs partenaire d’Israël, c’est que dans le monde de la paix, il y ait une super puissance sur le plan économique et militaire. Certains pays peuvent s’en accommoder mais il est clair que la Syrie veut être reconnue comme une puissance régionale.
Tribune Juive : Sur cette affaire syro-israélo-libanaise, vous avez évoqué notamment les tensions qui pourraient dégénérer en conflit. Aujourd’hui, après avoir vu tous les protagonistes, pensez-vous que l’on est plus près de la paix ou de la guerre ?
Hervé de Charrette : De la paix. J’ai simplement voulu alerter les dirigeants régionaux sur risques d’une paralysie durable du processus de paix. Car la situation actuelle, où le processus est bloqué avec la Syrie et le Liban, est par définition une situation instable. Ou on va de l’avant, ou on ne fait rien et on verra un durcissement des positions.
Tribune Juive : Le comité de surveillance créé à l’initiative de la France après l’opération « Raisins de la colère » risque-t-il de ne pas suffire dans les temps futurs ?
Hervé de Charrette : C’est une instance très utile car c’est le seul endroit où autour d’une même table, il y a des représentant de la Syrie, du Liban, d’Israël, des États-Unis et de la France. Il est de toute première importance mais il a été créer comme dispositif permettant de résoudre les difficultés et d’empêcher l’escalade de la violence et de perturber le processus de paix. Il ne peut pas se substituer au processus et j’ajoute qu’il ne pourra se maintenir de façon définitive. Nous en assurons la présidence jusqu’en mai 1997 et nous en prenons le plus grand soin. Mais en même temps, nous appelons aussi à la reprise des négociations.
Tribune Juive : Il se passe toujours quelque chose en Israël et durant votre visite, il y eu l’annonce de la fermeture de bureaux de l’Autorité palestinienne à Jérusalem. Vous avez dû réagir ?
Hervé de Charrette : En la regrettant…
Tribune Juive : Quelle est la position de la France aujourd’hui sur l’épineuse question de Jérusalem ?
Hervé de Charrette : Ce qui a été convenu entre le gouvernement israélien et l’Autorité palestinienne lors des accords d’Oslo et de Taba. Le statut de Jérusalem sera fixé dans le cadre de la négociation finale entre Israéliens et Palestiniens. Il y a aussi les aspects religieux qui intéressent les trois confessions. Mais c’est autre chose que le statut de la vile. Il s’agira du statut des Lieux saint qui relèvera d’un arrangement entre les trois religions. Quand on aura établi un statut de la ville et un statut des Lieux saints, on aura enfin trouvé une issue à ce problème.
Tribune Juive : Donc, selon vous, le statut politique de la ville est à gérer entre les Israéliens et Palestiniens. En revanche, le statut religieux des Lieux saints résultera d’une négociation internationale…
Hervé de Charrette : Oui, c’est cela.
Tribune Juive : D’une certaine manière, il y a eu aussi, dans votre voyage, un message en direction de la communauté juive de France qui est très attaché à Israël. Contrairement à Jacques Chirac, vous avez su trouver le ton juste.
Hervé de Charrette : Je l’espère mais s’il y a bien quelqu’un qui est attentif à la communauté juive de France, c’est Jacques Chirac. Son voyage en Israël avait préparé de façon très méticuleuse et j’avais été un peu choqué par l’incident qui s’est produit à Jérusalem. Le président était pris dans une situation de fait qu’il n’avait pas voulu. Il avait simplement défendu la dignité de la France. Quand le président de la République française va à l’étranger, il a raison de se faire respecter car il ne s’agit pas de lui mais de notre dignité, notre drapeau. Je pense que s’il y a eu malentendu, il a été dissipé et il est tout à fait essentiel que la communauté juive se reconnaisse dans la politique de la France au Moyen-Orient. On ne peut pas conduire une politique internationale si on n’a pas le soutien de l’opinion publique. Dans cette région du monde, notre pays a des intérêts qui doivent prendre en compte les préoccupations de la communauté juive en France.
Tribune Juive : Est-ce possible ? Aucun des prédécesseurs de Jacques Chirac n’a réussi cette prouesse…
Hervé de Charrette : Je le souhaite et j’espère que la politique que nous définissons est bien comprise par les Français et est aussi en harmonie avec la sensibilité juive que nous avons évidemment à l’esprit.
Tribune Juive : Le président Jacques Chirac a fait le choix de prononcer un grand discours sur l’intégration, suite au débat sur le projet de loi Debré, devant la communauté juive à l’occasion du 190e anniversaire du Grand Sanhédrin. C’était u choix judicieux ?
Hervé de Charrette : C’était un discours de très haute volée. Je crois que c’était une excellente initiative d’avoir choisi ce lieu et ce moment.