Interview de M. Jean-Pierre Chevènement, président du Mouvement des citoyens, à RTL le 10 mars 1997, sur le conflit de Renault à Vilvorde, l'Union économique et monétaire et la préparation des prochaines élections législatives.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

O. Mazerolle : Est-ce que l’affaire Renault est de nature, pour vous, à marquer le départ d’une nouvelle lutte, plus forte encore, contre le traité de Maastricht ?

Jean-Pierre Chevènement : Oui. En ce sens, elle a un peu la même signification que le mouvement social de novembre et décembre 1995. Elle peut avoir cette signification car elle démontre l’imposture qu’est en réalité ce que l’on appelle l’Europe sociale.

O. Mazerolle : Mais expliquez-nous-en quoi, sans monnaie unique, la situation de Renault serait meilleure ?

Jean-Pierre Chevènement : Il est clair que la monnaie unique, le souci de maintenir à tout prix la parité franc-mark, ont conduit le Gouvernement français – il en va de même en Belgique – à maintenir des taux d’intérêt extrêmement élevés de 1991 à 1995. D’autre part, Monsieur Juppé met en œuvre des plans de rigueur qui, depuis 1995, ont cassé la petite reprise qui se manifestait en 1994. Nous sommes dans une période de stagnation profond depuis plus de cinq ans, comme la France n’en avait pas connue depuis 1930. Et cela, c’est le résultat de la marche forcée à la monnaie unique. Notre croissance est de 1 % par an.

O. Mazerolle : Mais ce n’est pas cela qui a tué la compétitivité de Renault. Si la compétitivité de Renault est moins forte, c’est tout simplement parce qu’il y a des constructeurs qui peuvent produire à moindre coût ?

Jean-Pierre Chevènement : Mais malheureusement, la crise de l’automobile est générale. Et moi, j’attends avec inquiétude ce qui va se passer chez Peugeot. J’ajoute que l’Europe signifie également libre-échangisme, qu’elle signifie également dérégulation. Et l’on ne peut pas, quand même, ne pas se poser quelques questions quand on entend M. Van Miert, commissaire à la concurrence, et grand héraut, si je puis dire, de la dérégulation et de la déréglementation des services publics, tancer M. Schweitzer, le patron de Renault, au nom des directives sociales. Chacun sait très bien que l’Europe sociale, c’est du pipeau ! Il y a eu trois chartes…

O. Mazerolle : Est-ce que le repli, sans Maastricht, ne pourrait pas au contraire favoriser des réactions du genre de celle de Renault qui fait fermer une usine en Belgique, c’est-à-dire le chacun pour soi ?

Jean-Pierre Chevènement : Mais il ne s’agit pas du tout de cela ! Il s’agit en effet de redresser la construction européenne, de faire en sorte que l’on reporte l’euro, comme des voix de plus en plus nombreuses se font entendre pour le demander, de l’autre côté du Rhin en particulier, des dirigeants syndicaux, parmi les plus importants, au sein du SPD, des leaders comme Schroeder et même, moins bruyamment, le président du SPD, O. Lafontaine. On se rend bien compte que, dans toute l’Europe, ce sont des plans d’austérité qui sont mis en œuvre de manière simultanée.

O. Mazerolle : Tout de même, si en Allemagne, effectivement, il y a ce mouvement de recul, c’est aussi souvent parce que l’on se méfie de la France et, finalement, dire non à Maastricht, c’est un peu encourager le repli sur soi de chacune des nations qui composent l’Europe ?

Jean-Pierre Chevènement : Incroyable imposture ! Nous avons accepté le modèle allemand, le libéralisme à tous crins, l’indépendance de la Banque centrale – et c’est justement ce modèle allemand qui met l’Europe en crise – et on accuse aujourd’hui la France d’être responsable de ce qui se passe Outre-Rhin, du fait qu’il y a 4 650 000 chômeurs. Il ne faut quand même pas rigoler ! Tout cela fait partie de l’intoxication habituelle. Je crois que Maastricht a reposé sur une erreur : pour ligoter l’Allemagne, on a accepté le modèle allemand et, au total, on a ligoté la France et plongé l’Europe dans la récession. Il faut changer l’Europe sinon on ne changera pas, en France, de politique.

O. Mazerolle : Vous dites qu’il y a une crise automobile. Comment peut-on relancer Renault alors que l’on voit par ailleurs que Volkswagen – un groupe européen également –, se porte bien ?

Jean-Pierre Chevènement : Mais Volkswagen a délocalisé dans le monde entier alors que Renault est resté un groupe essentiellement européen. Regardez où sont les usines de Renault : elles sont en France et en Belgique. Et naturellement, Renault ferme en Belgique et va supprimer 3 000 emplois en France pour délocaliser sa production hors de la zone euro. Si l’euro est aussi fort que le mark, comme le demandent les Allemands, évidemment la désindustrialisation va se poursuivre. C’est un encouragement aux délocalisations et cela va faire exploser le chômage.

O. Mazerolle : On peut endiguer la fermeture des usines chez Renault ?

Jean-Pierre Chevènement : Mais bien entendu qu’on le peut !

O. Mazerolle : Comment ?

Jean-Pierre Chevènement : Eh bien, en décrochant le franc du mark et en ayant une politique beaucoup plus active sur le plan économique. En se servant de l’Europe aussi comme moteur pour la croissance et pas seulement comme frein. On peut redresser la construction européenne, mais à condition de s’affranchir.

O. Mazerolle : Mais avec quels partenaires ?

Jean-Pierre Chevènement : En s’affranchissant des contraintes de Maastricht. Via notre rencontre, ma voix peut paraître un peu isolée aujourd’hui mais je sais que j’ai raison, je sais que l’événement me donnera raison. Et nous sommes maintenant le nez dessus ; car le fameux passage à la monnaie unique, c’est le grand événement de 1998, cela doit se décider en avril et il va bien falloir que l’on en parle !

O. Mazerolle : Vous êtes à gauche en France, précisément. Or, la majorité de la gauche persiste à être favorable à la monnaie unique et dit au contraire que l’enseignement qu’il faut tirer de Renault, c’est qu’il faut donner une dynamique encore plus forte à l’Europe en lui donnant cet aspect social qu’elle n’a pas aujourd’hui.

Jean-Pierre Chevènement : C’est une plaisanterie ! C’est comme en URSS quand ça n’allait pas : tout retard était imputable à l’insuffisance du socialisme. Là, toute catastrophe sociale est imputable à l’insuffisance de l’Europe. Mais il faut quand même que ces gens-là se rendent compte que la marche à l’euro est un moyen de casser le modèle social européen. Qu’ils lisent la presse économique allemande !

O. Mazerolle : Ces gens-là, c’est Lionel Jospin, Laurent Fabius : ce n’est pas n’importe qui, tout de même !

Jean-Pierre Chevènement : Eux-mêmes se rendent compte de l’impasse dans laquelle ils sont, puisqu’ils commencent à mettre des conditions, se tortillent, annoncent – ce qui est une première – qu’enfin, le Parlement français pourrait se prononcer sur le passage à la monnaie unique. Mais ce que nous leur demandons, non pas seulement le Mouvement des citoyens mais aussi le Parti communiste français et d’autres voix de la politique française – l’autre jour, M. Schumann s’est exprimé très clairement sur ce sujet.

O. Mazerolle : Et Charles Pasqua.

Jean-Pierre Chevènement : Oui.

O. Mazerolle : On vous reproche d’ailleurs d’être avec Charles Pasqua dans ce combat.

Jean-Pierre Chevènement : Écoutez, j’ai des différences avec Charles Pasqua, mais il y a un point sur lequel nous sommes d’accord : la souveraineté populaire, c’est le peuple français qui est souverain, c’est lui qui doit décider. Par conséquent, tous les bradeurs de souveraineté, tous ceux qui se sont dessaisis de toutes les conséquences, comme par inadvertance, pour se mettre sous la coupe des marchés financiers n’ont pas de leçons à nous donner.

O. Mazerolle : Cette question va-t-elle continuer à diviser la gauche ?

Jean-Pierre Chevènement : C’est une question essentielle : il faut en parler, il faut mettre la gauche à la hauteur de ses responsabilités.

O. Mazerolle : Peut-elle empêcher un accord à gauche à un an des législatives, moment où on déterminera les pays admis à la monnaie unique ?

Jean-Pierre Chevènement : Il y a deux clivages dans la vie politique française : il y a le clivage droite-gauche et le clivage de Maastricht. Il est possible qu’au premier tour, nous allions sous des bannières différentes, c’est fort possible. Mais au deuxième tour, je pense que, naturellement, il y aura ce qu’on appelle la discipline républicaine : il est important que ceux qui veulent prendre les moyens d’une vraie réussite soient présents dans la future Assemblée nationale.

O. Mazerolle : Combien de candidats aurez-vous ?

Jean-Pierre Chevènement : Nous aurons à peu près 200 candidats. Nous aurons beaucoup plus de députés dans la prochaine Assemblée nationale que dans l’actuelle – je parle pour le Mouvement des citoyens. Sinon, si la gauche devait revenir au pouvoir pour faire la même politique que M. Juppé ou la même politique que celle qu’elle a faite avant 1993, ce serait un boulevard pour le Front national. Il faut donc créer les conditions d’une véritable réussite, car nous n’avons pas le droit d’échouer. Telle est notre responsabilité.