Extraits de l'interview de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, à Canal Plus le 7 mars 1998, sur la situation en Algérie, au Kosovo et en Irak.

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Média : Canal Plus - Télévision

Texte intégral

Canal Plus : Monsieur le ministre, en ce qui concerne l’Algérie, pourquoi est-ce que la France ne peut pas agir et ne peut pas parler ?

Hubert Védrine : Il y a peu de sujets dont on parle autant. La France, les autres Européens, l’Italie, l’Espagne, les autres pays arabes, les pays africains, l’ONU, le Haut-Commissaire aux réfugiés, toutes sortes d’autorités ont demandé aux Algériens ce qu’on pouvait faire pour les aider, car nous sommes déchirés et bouleversés. C’est vraiment atroce de voir la répétition de ces tragédies. Les Algériens répondent, à peu près tous, qu’ils sont un grand pays, un pays indépendant qui a conquis son indépendance dans des conditions difficiles. Pour eux, leur souveraineté est fondamentale même si entre eux ils sont en désaccord sur toute une série de choses. Ils se sentent capables de venir au bout de cette horreur, de cette tragédie, de cette guerre civile qui est immense avec les conséquences que l’on voit. Ils font d’autres demandes. L’un d’entre eux y faisait allusion en disant : « puisque vous voulez nous aider, eh bien, luttez plus contre les réseaux terroristes qui sont installés dans beaucoup de pays d’Europe ». Pas en France d’ailleurs, la France n’est pas montrée du doigt sur ce point. Ils nous disent d’augmenter les visas, pas uniquement pour des gens qui sont politiquement engagés mais simplement pour des Algériens qui veulent venir, maintenir des liens. C’est un des éléments fondamentaux de notre politique aujourd’hui : quelle que soit la durée aujourd’hui de cette tragédie, nous sommes absolument convaincus que l’Algérie la surmontera au bout du compte. Quelles qu’aient été les souffrances, les douleurs, c’est un pays qui en sortira, c’est un grand pays. Ce sera toujours notre voisin proche au Sud, un grand pays du Maghreb. Il faut tout faire aujourd’hui pour que les liens entre la France et l’Algérie ne soient pas rompus par cette tragédie. La politique de visas, le chiffre qu’on a cité, c’est le chiffre que l’actuel gouvernement a trouvé en arrivant.

Canal Plus : On est bien tombé de huit cent mille visas par an à cinquante mille ?

Hubert Védrine : En gros. Ce n’est pas exactement les chiffres.

Canal Plus : À cause des mesures de sécurité ?

Hubert Védrine : Oui, parce que, tout de même, pendant les années passées – vous vous rappelez des attentats, y compris en France –, il y a eu des mesures de sécurité absolument drastiques qui sont tombées un peu comme une herse. À partir de là, nous avons avec M. Chevènement, le ministre de l’intérieur, entrepris ces derniers mois de ré-assouplir, de desserrer petit à petit les mesures, en faisant en sorte de le faire dans des conditions de sécurité, c’est-à-dire qui ne créent pas de risque : pas de risque migratoire non contrôlé puisque l’ensemble de ce pays est d’accord sur le fait que les flux migratoires doivent être contrôlés, et pas de risque de sécurité proprement dit. Mais on ne travaille pas que là-dessus. Il y a énormément de liens entre la France et l’Algérie, de liens entre des associations, des syndicats, des partis, des collectivités locales, des organismes professionnels. On fait tout pour les consolider, pour qu’ils restent vivaces, vivants, pour que par rapport à l’Algérie de demain, la France soit toujours là.

Les Algériens sont assez unanimes à dire, sauf un ou deux partis politiques, que c’est une tragédie mais que c’est leur problème et qu’ils sont assez forts pour le surmonter.

Canal Plus : Même ceux qui trouvent que le pouvoir en place n’est pas assez démocratique ?

 Hubert Védrine : Oui, parce qu’il faut distinguer le fait que les forces politiques se combattent : entre le pouvoir et d’autres partis, qui sont d’ailleurs dans la plupart des cas représentés dans la nouvelle assemblée algérienne. Ils se combattent là-dessus, mais ils ont quand même une réaction de souveraineté et de fierté algérienne.

(...)

Canal Plus : Si j’ai bien compris, le gouvernement français et vous, en particulier, Monsieur Védrine, vous vous plaigniez la semaine dernière que les hommes d’affaires français, les entreprises françaises ne veulent plus aller en Algérie ?

Hubert Védrine : Non, je ne me plaignais pas. Nous ne nous plaignons pas. Nous les encourageons à y revenir plus nombreux.

Canal Plus : Cela revient au même...

Hubert Védrine : C’est différent. Nous les aiderons à y aller.

Canal Plus : Cela veut dire qu’ils n’y vont pas.

Hubert Védrine : Ce que vous dites est négatif. Nous, nous le mettons au positif...

(...)

Canal Plus : Depuis quelques années, malheureusement, la France a contribué à isoler l’Algérie, alors qu’il fallait isoler les intégristes. Donc aujourd’hui, il y a un cap radicalement nouveau qu’il faut prendre. Moi, j’entends ce qui se passe, ce que dit le gouvernement. La direction qu’il prend, je pense que c’est la bonne. Mais il faut aller peut-être plus vite, plus fort et prendre des mesures concrètes. Est-ce que vous pouvez prendre des engagements, aujourd’hui, sur les visas, sur les relations bilatérales ?

Hubert Védrine : C’est simple, je veux dire par là que nous ne sommes pas coupés de l’Algérie. Vos termes vont trop loin. La France n’a jamais cherché à isoler l’Algérie en aucune façon. Simplement, la France s’est protégée à un moment donné. C’est tout de même aussi le devoir de tout gouvernement : elle s’est protégée. Alors peut-être que c’était trop systématique, trop brutal. Mais malgré les difficultés considérables, les programmes de coopération culturelle, scientifique, technique, sur lesquels on peut faire ce à quoi vous faisiez allusion, n’ont jamais été coupés. Jamais. Ils ont été maintenus dans des conditions compliquées, il a fallu fermer des consulats parce qu’il y a des gens qui avaient été assassinés parmi le personnel français. Cela n’a pas été fait ainsi. Nous avons maintenu et puis nous allons progresser maintenant par étape.

Canal Plus : Quand la communauté internationale propose d’envoyer des observateurs ou des missions en Algérie et que le gouvernement impose un non catégorique, est-ce que, pour qu’elle puisse paraître assez crédible, vous ne pourriez pas penser à aider des personnalités ou à tenter d’imposer une sorte d’embargo sur les devises qui entrent en France, en Algérie...

Hubert Védrine : On parle de plusieurs aspects du problème algérien en même temps. Il y a plusieurs élections en Algérie dans lesquelles il y a eu des observateurs de différentes organisations internationales. Par exemple, le président Zeroual est le premier président dans l’histoire de l’Algérie indépendante qui a été élu au suffrage universel dans des élections qui ont été contrôlées par des observateurs internationaux.

Canal Plus : Et aussi contestées un peu...

Hubert Védrine : Pas celles-là, quasiment pas.

Les élections présidentielles n’ont pas été contestées. Celles qui ont été contestées, ce sont les élections à l’Assemblée, et puis d’autre part aux municipales. Mais l’élection présidentielle est la première du genre. D’autre part, les élections à l’Assemblée ont été contestées, mais c’est la première fois qu’il y a une assemblée dans ce pays avec sept ou huit partis différents, qui se disputent sur toutes les sortes de sujets comme le font les partis politiques. Donc, il n’y a pas un refus absolu de tout. D’ailleurs, on voit bien que depuis quelques semaines, les Algériens acceptent des missions, notamment de parlementaires. La discussion se noue. Elle se noue de façon un peu électrique, mais elle se noue quand même. Donc, les choses bougent.

Canal Plus : Vous savez très bien que le gouvernement français est « pro » pouvoir militaire. Depuis 1962, il y a les généraux qui ont mené l’Algérie dans le chaos. Depuis 1962, vous n’avez jamais réagi. Et depuis 1992, le peuple algérien a voulu une démocratie avec le FIS, vous n’avez pas accepté. Pourquoi ? Parce que vous avez des intérêts dans le domaine du pétrole et du gaz. Pourquoi n’intervenez-vous jamais sur les familles du FIS, des adhérents du FIS, qui sont emprisonnés depuis 1992 ? Vous n’en parlez jamais... Vous ne parlez jamais des « dictateurs généraux ». Vous ne parlez jamais de la dictature dans les commissariats algériens.

Hubert Védrine : Évidemment, c’est une analyse de la politique française dans laquelle je ne me retrouve pas. Je n’ai pas le sentiment qu’on mène cette politique et je n’ai pas le sentiment qu’elle soit inspirée par ces objectifs. Par exemple, si vous regardez l’évolution des contrats de l’Algérie en matière pétrolière ces dernières années, ils ont particulièrement peu profite à la France.

Il faut que j’ajoute un mot. C’est une intervention que je respecte naturellement même si je ne pense pas du tout ainsi, mais qui donne l’impression que c’est la France qui manigance tout. Ce n’est pas comme cela que cela se passe.

Canal Plus : Il se trouve que l’actualité est tout à fait internationale. Le Kosovo, c’est peut-être une nouvelle Bosnie ?

Hubert Védrine : La situation au Kosovo est très grave. Elle est tout à fait dangereuse parce que c’est une province de la Serbie – enfin officiellement République fédérale de la Yougoslavie une province de la Serbie, qui est considérée par les Serbes comme la province historique de la Serbie. En même temps, au fil des siècles, c’est une province qui aujourd’hui est peuplée à 90 % d’Albanais. À l’intérieur de la Yougoslavie, elle avait été autrefois très autonome de 1974 à 1989, et cette autonomie a été supprimée en 1989.

Canal Plus : Par Milosevic.

Hubert Védrine : Par Milosevic à l’époque, et depuis la tension ne cesse de monter parce que les Albanais ne se reconnaissent pas dans ce système, veulent pouvoir parler leur langue, avoir un enseignement, une culture dans laquelle ils se retrouvent. Ils sont partagés entre ceux qui vont jusqu’à demander l’indépendance et ceux qui demandent une autonomie très substantielle portant sur différents sujets. C’est une crise déjà de fond qui dure depuis des années, et aujourd’hui, elle prend un tour aigu parce que du côté serbe, il y a une répression qui est de plus en plus violente et, du côté albanais, chez certains éléments, une fuite en avant dans le terrorisme.

Canal Plus : Est-ce que l’Europe et les États-Unis sont capables, cette fois-ci, tout de suite d’intervenir pour empêcher une nouvelle Bosnie ?

Hubert Védrine : Je ne vais pas revenir sur le passé, sinon on ne s’en sort pas. Je vais simplement résumer ce que nous faisons en ce moment. Quand je dis « nous », c’est la France naturellement, mais aussi la Grande-Bretagne, l’Allemagne, l’Italie, la Russie, les États-Unis. Il n’y a aucune différence entre ces pays à l’heure actuelle, contrairement à ce qui s’est passé au début de la désintégration de la Yougoslavie où certains disaient : « il faut désintégrer, il faut éclater en petits États, c’est parfait, c’est la victoire de la liberté et des peuples » et d’autres disaient : « attention, parce que si ce n’est pas géré, si on n’a pas réglé à l’avance les problèmes de frontières et de minorités, cela va provoquer des horreurs pendant des années ».

Aujourd’hui, tout le monde a réfléchi sur ce qui s’était passé et on sait qu’il ne faut pas prendre sur ces sujets de position exagérée. C’est une opération très compliquée. Alors que faisons-nous ? Il s’agit d’abord de faire pression sur Milosevic à Belgrade, parce que c’est le point essentiel naturellement, en lui disant : si vous maintenez le statu quo, avec en plus, de la répression, vous allez ruiner tous les efforts que vous avez faits depuis deux ou trois ans pour essayer de réintégrer la Yougoslavie dans la vie internationale. Finalement, vous avez soutenu les Accords de Dayton, c’est une bonne chose, vous avez provoqué une évolution positive dans la partie serbe de la Bosnie, ce qu’on appela la Républika Srpska. Ce sont des progrès qui commencent à être notés, être reconnus comme tels. Si vous restez sur votre position au Kosovo, vous refusez toute autonomie alors qu’elle existait dans le passé, de 1974 à 1989. Si, en plus, vous vous lancez dans la répression que l’on voit, vous ruinez tout cela et vous allez connaître des conséquences extrêmement graves pour votre pays. En revanche, si vous réglez le problème du Kosovo politiquement, à ce moment-là, il faut discuter, parce que tous les Albanais n’ont pas la même revendication. Il faut discuter, mais il faut une vraie discussion politique, il faut un vrai respect mutuel de part et d’autre. Il faut chercher une solution. À ce moment-là, vous rouvrez des perspectives pour que la Yougoslavie soit réintégrée dans la communauté internationale.

Et j’insiste sur ce point : Il n’y a pas de divergence entre tous les grands pays que j’ai cités. En même temps, tous les pays en question essaient d’appeler – mais je reconnais que c’est très difficile dans les conditions dans lesquelles ils sont – les différents Albanais au maximum de retenue possible. Il y a les Albanais du Kosovo, il y a l’Albanie, il y a les Albanais de Macédoine, parce que l’on voit bien que si cette crise échappe à tout contrôle, il y a un phénomène d’engrenage régional qu’aujourd’hui tout le monde veut également éviter.

Canal Plus : Mais vous croyez que cela peut être très grave si Milosevic n’écoute pas.

Hubert Védrine : Attendez, si ce n’était pas grave, on ne serait pas tous mobilisés là-dessus. Il n’y aurait pas de réunion du Groupe de contact...

Canal Plus : Non, mais je ne suis pas sûr que les jeunes mesurent bien le degré de gravité.

Hubert Védrine : Il n’y aurait pas une réunion lundi matin. Oui, c’est extrêmement grave, parce que si l’engrenage de la répression, de la violence de part et d’autre, si cela se répand, cela aura des conséquences sur l’Albanie, sur la Macédoine, sur une série d’autres pays voisins, avec les conséquences humaines qui seront immédiatement atroces. Donc, c’est pour cela qu’aujourd’hui il y a une mobilisation concentrée. Il n’y a pas de divergence théorique entre les grands pays sur la façon dont il faut traiter le sujet. Est-ce qu’on va y arriver d’urgence ? Je n’en sais rien. C’est comme si vous demandiez à un pompier, au moment où il s’en va, s’il est sûr de tout contrôler.

Canal Plus : Mais la volonté y est...

Hubert Védrine : On fait le mieux possible. On va faire le plus vite possible, le plus possible.

Canal Plus : Mais, Monsieur le ministre, pourquoi ne s’est-on pas occupé de ces choses-là plus tôt, c’est-à-dire depuis 1989 ?

Hubert Védrine : Cela fait des années que, dans toutes les discussions avec Milosevic – pas dans le cadre des Accords de Dayton dont ce n’était pas l’objet, objet qui était d’essayer de trouver un cessez-le-feu, une solution en Bosnie –, que ce problème est traite avec les dirigeants serbes. Il s’agit de trouver le levier de pression qui va permettre d’avoir le résultat. Mais on ne découvre pas le problème uniquement maintenant, parce qu’il y a une émission sur le sujet.

Canal Plus : Vous parlez de mettre la pression sur Milosevic. Quelle sorte de pression, quelle mesure doit-on prendre pour qu’une paix durable soit établie ?

Hubert Védrine : Vous savez très bien, sur chacun des points qu’on a abordés – l’Algérie tout à l’heure et d’autres sujets ensuite – qu’il faudrait passer deux heures ensemble, méthodiquement, pour que vous soyez informés de tout ce qui s’est déjà fait, du contenu de toutes sortes d’articles que vous n’avez pas eu le temps de lire... Il se fait beaucoup de choses en réalité. J’ai indiqué tout à l’heure les cadres sur lesquels on va travailler. Le levier principal, c’est que les dirigeants de Belgrade, d’une façon globale – sauf sur cette question du Kosovo, ou il y a une sorte de réaction hypernationaliste dans l’ensemble de la Serbie, dans tous les partis politiques – ont pour priorité principale de réintégrer la Yougoslavie dans la vie mondiale : relations avec l’Europe, aide économique etc. Donc, il faut se servir de cela. Cela dépend de ce qu’ils veulent faire de leur pays demain. Est-ce qu’ils veulent en faire un pays isolé, sanctionné parce qu’il aurait tout aggravé au Kosovo au lieu de régler les problèmes, ou est-ce qu’ils veulent, petit à petit ramener leur pays dans la communauté européenne ? C’est un levier très important. C’est pour cela que tous les pays que j’ai cités sont tous en train de se servir de ce levier.

Canal Plus : Je voudrais demander à Monsieur le ministre s’il n’est pas temps de réactiver l’article 43 de la Charte des Nations unies ?

Hubert Védrine : Madame, si vous pensez à une intervention par la force, c’est pour imposer quelle solution ?

Canal Plus : C’est pour avoir un outil derrière soi dans la négociation diplomatique. Quelle solution ? Mon voisin en a proposées, je ne suis pas albanaise, ni impliquée dans ce conflit, il faut chercher une solution sur la base de deux mots simples : démocratie et Droits de l’Homme.

Hubert Védrine : Je dis qu’utiliser la force internationale que prévoit la Charte des Nations unies, c’est un acte d’une extraordinaire gravité...

Canal Plus : Pas forcément l’utiliser, Monsieur le ministre...

Hubert Védrine : Attendez, attendez...

Canal Plus : L’avoir à sa disposition...

Hubert Védrine : Oui, d’accord. Non, je ne suis pas contre, mais je veux dire par là que pour manier ce type de menace, ou l’avoir à sa disposition, il faut savoir ce que l’on veut imposer comme solution. Donc, quelle est la solution ? C’est cela que nous cherchons.

Canal Plus : Monsieur le ministre, on a vu la pression de l’armée américaine sur l’Irak et les Français et les Russes qui ont soutenu l’accord diplomatique. Mais est-ce vous croyez que c’est une bonne solution ? On sait qu’on ne peut pas faire confiance à Saddam Hussein qui a déjà utilisé des armes de destruction massive, je ne suis pas sûr qu’on puisse faire confiance à Saddam Hussein pour accepter ces accords ?
 
Hubert Védrine : Je voudrais dire simplement que la Commission de contrôle qui s’appelle l’UNSCOM qui a travaillé depuis 1991, à détruit plus d’armes – c’est notamment ce à quoi faisait allusion Pierre Lellouche – que ce qui avait été détruit pendant la guerre du Golfe de 1990-91. Donc, nous pensons que c’est une bonne méthode pour aller au bout de la destruction nécessaire des armes de destruction massive. Il ne s’agit pas de faire confiance. Il s’agit de créer une situation dans laquelle l’Irak serait obligé de coopérer avec cette Commission. C’est pour cela que dans cette crise, la combinaison de la menace de l’emploi de la force par les États-Unis, de l’inventivité diplomatique par la France, de la capacité de certains pays à être écoutés par Saddam Hussein et du talent extraordinaire de Kofi Annan, ont abouti à une solution qui, je crois, est bien adaptée aux problèmes qui se posent encore à nous, à condition qu’elle s’applique. C’est là où il faut être vigilant jusqu’au bout.

Canal Plus : Monsieur le ministre, est-ce que la France peut aller plus vite ? J’ai lu toute la semaine sur Internet, dans notre forum qu’il y avait unanimité pour dire la France est en situation, la France peut imposer la levée de l’embargo ?

Hubert Védrine : La technique de l’embargo et des sanctions en soi n’est pas une bonne technique et nous, nous n’y sommes favorables que lorsqu’on n’a pas d’autres solutions. C’est vrai qu’en 1991, l’invasion du Koweït, les armes de destruction massive ont créé une situation dans laquelle tout le Conseil de sécurité y compris les Russes, y compris les Chinois et y compris la France, avaient le sentiment qu’on ne pouvait pas faire autrement. Mais, malheureusement, les conséquences sur le peuple irakien, qui est déjà victime de la politique de son gouvernement depuis des années, sont terribles. Il y a une première disposition qui a été imposée, il y a quelques années, qui s’appelle la résolution « parole contre nourriture ». Malgré l’embargo, l’Irak a le droit d’exporter des quantités de parole pour pouvoir acheter des médicaments, des vivres. La France considère que ce n’est pas suffisant. Donc nous avons re-milité au sein du Conseil de sécurité toutes ces dernières semaines et nous avons obtenu plus qu’un doublement de cette disposition. Aujourd’hui donc l’Irak peut vendre, par semestre, l’équivalent en tonnage de 5 milliards 200 000 dollars.

Canal Plus : Les installations ne le permettent pas.

Hubert Védrine : Les installations ne le permettent pas. C’est pour cela que nous allons adopter, une disposition qui va permettre à l’Irak de se doter des installations techniques, complémentaires pour utiliser ce quota. Quant à lever complètement l’embargo, il n’y a aucune distinction au sein du Conseil de sécurité, encore une fois, même en ce qui concerne les Russes ou les Chinois. Il faut que les conditions prévues par la résolution 687 soient remplies parce qu’il reste un risque pour le peuple irakien lui-même, auquel vous pensez, pour les Kurdes, pour les Chiites, pour les voisins de l’Irak.