Déclarations de M. Hervé de Charette, ministre des affaires étrangères, les 4, 5 et 12 novembre 1996, interviews à France 2 le 4 et le 10, à France Inter le 8 et à France Info le 10, sur la situation des réfugiés au Kivu et dans la région des Grands Lacs et sur la proposition de création d'une force internationale de sécurisation.

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Intervenant(s) : 

Circonstance : Adoption le 9 novembre 1996 par le Conseil de sécurité de l'ONU de la résolution 1078 ouvrant la voie à la création d'une force multinationale au Zaïre.

Média : France 2 - France Info - France Inter - Télévision

Texte intégral

DÉCLARATION DU MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES, M. HERVÉ DE CHARRETTE

(Paris, 4 novembre 1996)

Au Kivu, une tragédie jette sur les routes plus d'un millions de personnes réfugiés et populations déplacées – dans des conditions si effroyables que l'aide humanitaire ne petit être acheminée vers eux. Cette tragédie exige une réaction immédiate de la communauté internationale.

La France salue les efforts qui ont déjà été accomplis sous l’égide des Nations unies, de l'OUA, et de l'ensemble de la communauté internationale. Devant la dégradation de la situation humanitaire au cours des derniers jours, la France estime nécessaire la sécurisation de l'ensemble de la zone, afin de permettre aussitôt la reprise de l'acheminement de l'aide humanitaire. Au-delà, seule la tenue de la Conférence internationale sur la région des Grands lacs permettra de définir les conditions d'une paix durable.

Afin de contribuer à la réalisation de ces objectifs, la France propose à ses partenaires, notamment l'Organisation de l'unité africaine, l'Europe, les États-Unis et le Canada. La tenue sans délai d'une réunion en vue de se concerter pour organiser les modalités possibles d'une sécurisation temporaire du Nord et du Sud-Kivu par les moyens appropriés. Cette sécurisation devrait permettre aux réfugiés de rejoindre les camps qu'ils ont quittés et aux populations déplacées de regagner leurs villages.

Sur le plan strictement humanitaire, la France est en contact avec les grandes agences des Nations unies. Le secrétaire d'État à l'action humanitaire, M. Xavier Emmanuelli, est prêt à se joindre à la mission de ces agences sur le terrain. La France présentera ses propositions d'aide humanitaire lors de la réunion des ministres européens concernés le 7 novembre à Bruxelles.

Enfin, la France demande une réunion du Conseil de sécurité afin notamment d'accélérer l'organisation de la Conférence internationale sur la paix, la sécurité et la stabilité dans la région des Grands lacs.

 

France 2 - lundi 4 novembre 1996

 

B. Masure : Ce matin, vous avez affirmé que la France préconisait une force internationale pour sécuriser l’est du Zaïre. Pouvez-vous préciser ce terme « sécuriser » ? Cela veut-il dire « envoyer des hommes en armes » ?

Hervé de Charrette : Cela veut dire en réalité ce qu'on vient d'indiquer très clairement dans le reportage que nous venons d'écouter : il y a tout ce qu'il faut pour nourrir, pour mettre à l'abri, pour soigner les populations – environ un million de personnes – qui sont à l'Est du Zaïre, à la frontière du Rwanda, mais il n'y a pas actuellement des conditions de sécurité. Les gens sont partis, se sont enfuis, il faut les faire revenir dans les camps de réfugiés où il y a les installations pour les accueillir, et il faut les faire revenir dans leurs villages, lorsque ce sont des Zaïrois qui ont fui leur village, et pour cela il faut créer des conditions de sécurité. Ce que nous proposons, c'est que la communauté internationale, l'Europe, les États-Unis, les États africains s'organisent pour qu'il y ait, en effet, sur le terrain, les forces de sécurité nécessaires pour garantir la sécurité des personnes et permettre aussi aux organisations humanitaires de revenir dans les plus brefs délais. »

B. Masure : Très concrètement, « sécuriser », cela veut dire quoi ? Le consul français honoraire à Goma disait lui-même que, dans 48 heures la question ne se poserait plus, il serait trop tard. Il y a vraiment urgence ? A-t-on vraiment le temps de se concerter au niveau international ? Une réunion est prévue jeudi : c'est tard.

H. de Charrette : Non, c'est demain qu'il y aura, à Bruxelles, à l'initiative de la présidence européenne et à ma demande, une réunion des Quinze de l'Union européenne et, je l'espère aussi, avec la présence des États-Unis, de façon à mettre tout ça sur pied. Et je le répète la France elle-même est prête. Elle est prête à s'engager à la stricte condition qu’il y ait en effet une participation américaine, européenne, et africaine, de façon à avoir une mobilisation de tous pour assurer la sécurité de cette zone.

B. Masure : Concrètement, vous seriez prêts, dans un premier temps, à envoyer un premier contingent avec les Espagnols avec qui vous avez discuté de cela aujourd'hui ?

H. de Charrette : Nous venons d'en parler avec les dirigeants espagnols qui sont tout à fait du même avis que nous. Nous avons d'ailleurs décidé de « parrainer » ensemble en quelque sorte ce projet et nous sommes prêts – je le répète – à agir avec l'ensemble de nos partenaires. Mais, croyez-moi, une simple intervention française n’est pas possible telle quelle pour des raisons de sécurité, parce qu'il faut que l'ensemble des pays de la région – le Zaïre, le Rwanda, le Burundi – soit d'accord. Bref, vous devez comprendre qu'il faut une action internationale et pas simplement l’action de tel ou tel pays qui ne pourrait pas résoudre les choses comme elles sont nécessaires, c'est-à-dire assurer la sécurité des populations et inciter ceux qui ont fui à revenir dans une zone qui a été – et qui est – une zone pleine de risques.

 

RÉPONSE DU MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES, M. HERVÉ DE CHARETTE, À UNE QUESTION D'ACTUALITÉ À L'ASSEMBLÉE NATIONALE

 

(Paris, 5 novembre 1996)

La semaine dernière, j'ai déjà eu l’occasion d'exposer à l’Assemblée nationale la situation au Kivu et l’action du gouvernement français. Dans les jours qui ont suivi, l'aggravation de la situation au Kivu qui a provoqué des mouvements de plus d'un million de personnes (réfugiés et populations zaïroises déplacées) auxquelles l'aide humanitaire ne parvient plus, depuis au moins quatre jours, nous a conduits, hier, à formuler des propositions à l'adresse de la communauté internationale dont nous pensons qu'elle se doit de réagir immédiatement :

La constitution d'une force internationale de sécurisation à vocation humanitaire : la France est prête à contribuer à cette force si d'autres partenaires (États-Unis, Canada, Pays européens, Pays africains) fournissent un effort équivalent.

Nous avons saisi tous les contributeurs potentiels. À Marseille, nous avons pu adopter, à ce sujet comme sur l'ensemble de cette crise, une position commune avec nos amis espagnols.
Cette force devrait évidemment être acceptée par le Zaïre sur le territoire duquel elle serait amenée à se déployer et organisée en liaison avec les autres pays de la région que nous avons bien entendu dès hier tenu informés de notre initiative et donc, nous encourageons naturellement toute démarche collective dirigée vers un cessez-le-feu et une aide aux populations.

Elle devrait, de plus, être autorisée par le Conseil de sécurité des Nations unies et recevoir l'appui de l'OUA.

Des réunions de concertation entre hauts fonctionnaires (européens puis élargie d'autres participants) ont lieu aujourd'hui même à Bruxelles.

Nous attendons de la réunion des ministres européens du développement et de l'aide humanitaire du 7 novembre que soient définies les modalités d'acheminement de l'aide et que des moyens notamment financiers soient dégagés.

Je rappelle qu'au-delà de cette intervention d'urgence, par nature temporaire, dans la province zaïroise du Kivu, la solution durable des problèmes qui affectent la région des Grands lacs (qui sont liés les uns aux autres) ne pourra être trouvée que dans le cadre d’une Conférence internationale sous l'égide des Nations unies et de l'OUA. Le mandat confié à l'envoyé du secrétaire général, M. Chrétien, prévoit la préparation de cette conférence. La France demande que le Conseil de sécurité se saisisse très activement de cette question.

 

ENTRETIEN DU MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES, M. HERVÉ DE CHARETTE, AVEC FRANCE 2

(Paris, 10 novembre 1996)

Q. : Depuis le début du conflit, la France pousse ses partenaires en Europe et aux Nations unies à intervenir. Ce soir encore, le ministre des affaires étrangères français, Hervé de Charette, intervient de nouveau.

R. : On a voté, il y a deux jours, une résolution qui va dans le bon sens. Mais, pardonnez-moi de vous dire que je suis un peu impatient : les résolutions, les bonnes intentions, c'est utile, mais il faut passer à l'acte.

Q. : Alors justement, qu'est-ce qui fait qu'on ne peut pas agir : parce que les Américains ne se sont pas directement engagés, c'est ça ?

R. : L'Europe est capable d'y aller seule, si vous voulez parler en terme de forces. L'Europe est tout à fait capable de le faire, mais je répète, une telle intervention dans une partie du monde, une région de l'Afrique ou il y a de graves tensions, où il y a des conflits armés n'est possible que s'il y a une sorte d'accord général de la communauté internationale et d'abord des pays de la région. On ne peut pas agir à leur encontre sinon, non seulement on ne résoudra pas le problème, mais on aggravera la situation.

 

ENTRETIEN DU MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES, M. HERVÉ DE CHARETTE, AVEC « FRANCE-INTER »

 

(Paris, 8 novembre 1996)

Q. : Sur la situation au Kivu ?

R. : Je trouve cette situation dramatique, épouvantable et comment dire, je m'indigne de la mollesse de la communauté internationale. Ça ne peut pas durer comme ça. Nous avons eu une bonne réaction des Espagnols et des Italiens au cours des derniers jours. Les Britanniques sont plus hésitants pour envoyer des troupes mais je les sens néanmoins, déterminés à travailler avec nous pour résoudre ce problème. C'est ce que nous avons convenu aujourd'hui. Maintenant il faut que nous retournions vers les Nations unies, vers nos amis africains que cela concerné en premier chef, et puis vers les Américains. Je crois qu'une intervention strictement nationale n'est pas possible. Mais il faut que la communauté internationale y aille et nous, nous sommes prêts à le faire. Mais ce ne sont pas les déclarations qui comptent. C'est la réalité des faits parce que pendant ce temps-là il y a des centaines de milliers de gens qui sont dans une situation tragique.

Q. : Votre homologue britannique, vous l'avez trouvé aussi attentif que vous sur ce dossier ?

R. : Oui, je crois qu'il y a le même degré de sensibilité. Simplement, j'ai l'impression que nous sommes plus actifs.

 

ENTRETIEN DU MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES, M. HERVÉ DE CHARETTE, AVEC « FRANCE-INFO »

(Paris, 10 novembre 1996)

Q. : Monsieur le ministre, la France demande donc aujourd'hui à l'ONU de décider d'une intervention internationale au Zaïre. Le Conseil de sécurité n'a toujours pas pris de décision et près d'un million de réfugiés attendent toujours une aide humanitaire à la frontière avec le Rwanda. Estimez-vous qu'il y a urgence ?

R. : Ce qui se prépare, c'est la plus grande tragédie de l'histoire humaine. Je crois, dans ces conditions, que la communauté internationale doit prendre ses responsabilités. La France l'a fait il y a une semaine. J'ai fait des propositions pratiques et je répète, une fois encore, que la proposition française ne correspond à aucun intérêt propre de la France. Nous n'avons pas d'intérêt dans cette affaire autre que le sentiment impérieux de nos responsabilités à assumer vis-à-vis de ce drame humain.

Q. : Compte tenu des réticences des États-Unis et de l'opposition du Rwanda aux propositions françaises, comment la France peut-elle convaincre l'ONU de déployer une force multinationale ?

R : Vous savez, nous n'avons pas d'arrière-pensées, nous souhaitons qu'une force internationale intervienne pour sécuriser l'arrivée des convois de secours des organisations non gouvernementales, rien de plus ou rien de moins. Dans ces conditions, il faut l'accord des pays de la région bien sûr, avec la contribution des Africains, des États-Unis et des Européens : du côté des Européens sous l'effet de la présidence irlandaise sans doute, et puis parce qu'il y a beaucoup de réponses positives. L'Europe, dans cette affaire, va dans le bon sens. De la même façon, beaucoup de pays non alignés aux Nations unies partagent complètement notre analyse. Tout cela va dans le bons sens. Je suis plutôt, de ce point de vue, encouragé par ce que je vois. Bien entendu, la présence américaine dans cette opération me paraît absolument indispensable et la France a fait savoir très clairement qu'elle n'interviendrait pas seule. Cela ne serait pas possible et ce serait d'ailleurs contre-productif. Cela aurait beaucoup d'effets négatifs. Donc, nous ne le ferons qu'avec le concours de l'Europe, de l'Afrique bien entendu, c'est la première concernée, et des États-Unis.

 

SITUATION AU KIVU

RÉPONSE DU MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES, M. HERVÉ DE CHARETTE, À UNE QUESTION D'ACTUALITÉ À L'ASSEMBLÉE NATIONALE

(Paris, 12 novembre 1996)

Vous avez, bien sûr, raison : chacun ici comprend que la gravité de la situation appelle l'urgence de la réaction. La vie diplomatique consiste souvent à défendre les intérêts de la nation, mais il faut aussi défendre, au-dessous d'eux, les valeurs sur lesquelles notre société est fondée et pour lesquelles nous avons, dans le passé, si durement combattu. La France la première, avec la plus forte détermination, a exprimé la nécessité d'une intervention d'urgence de la communauté internationale. Je réaffirme avec netteté que c'est la communauté internationale tout entière qui doit intervenir. Nous ne sommes plus à l'époque coloniale ; hier, à Addis-Abeba, les Africains réunis au sein de l'Organisation de l'unité africaine ont demandé cette intervention et nous sommes maintenant devant le Conseil de sécurité. Afrique, Europe mais aussi États-Unis, Canada, nous devons assumer la plénitude de nos responsabilités. Ne laissez pas penser que la France presse la communauté internationale au nom d'autre chose que le sens élevé qu'elle a du rôle des plus grandes nations de ce monde.

 

SITUATION AU KIVU

RÉPONSE DU MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES, M. HERVÉ DE CHARETTE, À UNE QUESTION D'ACTUALITÉ À L'ASSEMBLÉE NATIONALE

(Paris, 12 novembre 1996)

Vous venez d'exprimer ici l’émotion de tous les membres de l'Assemblée, celle du peuple français ; ne doutez pas que le gouvernement la partage.

Un million de femmes, d'enfants, d'hommes ont été chassés, la peur au ventre, des camps de réfugiés ou de leurs villages par la guerre. Ils errent aujourd'hui sur les chemins d'Afrique centrale, mais nul ne sait quelle est exactement leur situation aujourd'hui car les caméras de télévision n'ont plus accès à cette zone. Je ne doute pas toutefois que, lorsque les images nous parviendront, l’émotion sera grande.

Depuis maintenant une semaine, le Président de la République, le gouvernement et moi-même frappons à toutes les portes pour que la communauté internationale intervienne. La France est prête à participer à l'opération avec des forces aptes à garantir la sécurité des organisations humanitaires.

Comment ne pas déplorer la lenteur des réactions ? Il semble néanmoins que les choses progressent désormais plus vite – il n'était que temps ! L'Espagne puis l'Italie, la Hollande, l'Irlande qui préside l'Union européenne, ont marqué leur détermination. Bien évidemment, c'est d'abord de l'Afrique que nous attendons des initiatives ; mais nous jugeons aussi indispensable la participation des États-Unis, dans la mesure où chaque membre de la communauté internationale doit assumer ses responsabilités. J’espère que, dans les heures qui viennent, nous obtiendrons les réponses que nous attendons et que le Conseil de sécurité prendra les décisions qui s'imposent au regard des valeurs que nous défendons ensemble.