Interview de M. Daniel Vaillant, secrétaire national du PS, à France Inter le 7 février 1997 et à RTL le 10, sur la victoire du Front national à l'élection municipale partielle de Vitrolles et sur la proportion des femmes dans les listes des candidats socialistes pour l'élection législative 1998.

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Circonstance : Victoire de la liste Front national au 2ème tour de l'élection municipale de Vitrolles le 9 février 1997

Média : Emission L'Invité de RTL - France Inter - RTL

Texte intégral

France Inter - Vendredi 7 février 1997

France Inter : Dernières heures de campagne à Vitrolles : les appels au vote républicain pour empêcher l’élection de Mme Mégret se sont multipliés ces dernières heures. Si vous aviez, ce matin, devant vous un électeur de droite hésitant à Vitrolles, quels seraient vos arguments ?

D. Vaillant : Je lui dirais : « faites comme les gens de gauche à Dreux. Nous ne vous demandons pas de voter à gauche, nous vous demandons de faire barrage au Front national ». Il est inconcevable que les gens qui sont attachés à des valeurs républicaines, celles de la France, puissent s’abstenir, voire voter pour Mme Mégret, candidat de son mari à la mairie de Vitrolles. Bien sûr, c’est une élection locale, c’est Vitrolles mais en même temps, les médias, le peuple français regardent Vitrolles. Je crois qu’il est vraiment de la responsabilité des uns et des autres d’organiser le sursaut par la participation, par la mobilisation, pour voter contre le Front national. On a vu encore le discours de Mégret, hier soir. Il y a de quoi se mobiliser pour empêcher ce parti d’accéder aux responsabilités dans les villes, notamment dans le Sud de la France, comme à Vitrolles.

France Inter : Vous comprenez que certains puissent avoir des états d’âme à l’idée de voter pour un candidat qui n’a peut-être pas le profil idéal ?

D. Vaillant : Sans doute et encore une fois, je sais que ce n’est pas facile pour des électeurs de gauche, comme à Dreux, de voter pour M. Hamel à l’époque. Cela a marché, on a fait barrage au Front national. Comme ce n’est pas très facile pour des électeurs de la droite républicaine de voter pour la liste de J.-J. Anglade à Vitrolles. Mais, entre Mme Mégret et J.-J. Anglade, quels que soient les reproches que les gens puissent lui faire par ailleurs, il n’y a pas photo. Au nom des valeurs de la République, il faut faire barrage au Front national. Ce sera dur, les résultats du premier tour sont préoccupants, il y a un risque et je vais vous dire que le principal risque avec le Front national, c’est d’une part, les valeurs de la République dont j’ai parlé, mais c’est une espèce d’insécurité dans la société française. Or, aujourd’hui, la société française, elle est dans l’insécurité : l’insécurité sociale, l’insécurité quotidienne. Je dis : « attention, le Front national c’est la déstabilisation, c’est l’insécurité, c’est la violence verbale et demain peut-être d’autres violences ».

France Inter : Cette mobilisation de l’entre-deux tours contraste assez nettement avec votre silence à vous, les socialistes, d’avant le premier tour. Pourquoi est-ce que le PS ne s’est pas intéressé plus tôt à cette élection de Vitrolles ?

D. Vaillant : On s’est intéressé à l’élection de Vitrolles. Simplement, la liste a été constituée sur place : il y avait une équipe sortante, il y a une liste qui était de rassemblement des forces de gauche autour du maire sortant. Nous n’avons pas été particulièrement sollicités et ils se sont mobilisés eux-mêmes. Au second tour, on a besoin du sursaut, c’est pour cela qu’un certain nombre de leaders de la gauche sont allés soutenir J.-J. Anglade, dont L. Jospin, mercredi soir à Vitrolles, dans un grand meeting qui laisse présager quand même cette mobilisation que j’appelle de mes vœux.

France Inter : On a quand même le sentiment que la lutte contre le Front national se déroule toujours après, en aval et pas en amont. On a l’impression que les socialistes n’ont pas fait complètement leur autocritique là-dessus. Vous avez abandonné le terrain militant à l’extrême droite ?

D. Vaillant : C’est une très bonne question ou une bonne suggestion que vous faites. Moi, c’est plus qu’une suggestion : chez moi, c’est déjà commencé. Quand je dis chez moi, je dis dans le XVIIIe arrondissement notamment. J’ai vu que le RPR et l’UDF voulaient envoyer des fiches argumentaires à leurs responsables, tout cela est sans doute utile. Nous le faisons de notre côté, nous avons des groupes de réflexion sur le Front national. Je crois de toute façon que, pour combattre le Front national, il faut d’abord analyser le phénomène, faire le constat pour trouver les moyens de combattre ; sans doute par le discours, par la pédagogie, sur un certain nombre de valeurs sur lesquelles le Front national est en dérive, on le sait  racisme, xénophobie, etc. Mais aussi, en allant trouver les gens qui se laissent abuser par le Front national et qui sont souvent des petites gens qui vivent mal, qui sont quelque part des exclus eux-mêmes et qui ne trouvent pour seule réponse que de vouloir en exclure d’autres. Il faut aller les voir sur le terrain, vivre avec eux, leur tendre la main, trouver les solutions économiques et sociales. Ça, c’est le projet politique gauche-droite et on verra pour 1998. Mais c’est aussi, en même temps, travailler sur leur vie quotidienne. Moi, dans des cités du XVIIIe, je travaille, j’essaye de faire en sorte que l’enclavement d’un quartier ne soit plus demain un enclavement mais au contraire l’ouverture sur la société, sur la ville. Je pense que ce travail de proximité, ce travail de dialogue permet de faire reculer le Front national, par des actes concrets, pas seulement par des discours.

France Inter : Parlons maintenant d’autres élections, celles du printemps 1998. Vous présentez demain, à Paris, dans une convention socialiste, la quasi-totalité de vos futurs candidats. Parmi eux, il y aurait environ 160 femmes. On dit que cela n’a pas été toujours très facile de les trouver, cela n’a pas été très facile de convaincre certaines fédérations. L’évolution des mœurs se fait difficilement aussi chez vous.

D. Vaillant : Demain, c’est vrai qu’on a une convention qui est un peu un inédit au Parti socialiste : d’abord, désigner nos candidats aussi tôt par le vote, c’est-à-dire par la démocratie militante. Je souhaite que les autres partis en prennent de la graine, parce que là c’est quand même une sacrée légitimité pour les candidates et les candidats. Trouver les solutions pour permettre aux femmes d’être candidates : on n’a pas uniquement des discours là aussi, on est passé aux actes. Et en réalité, les femmes, il y en a. Il faut simplement avoir la volonté pour parvenir au résultat. Je peux vous dire que dans les circonscriptions où nous souhaitons que les femmes soient candidates, il y a des femmes candidates. Il y en avait parfois plusieurs d’ailleurs et c’est le vote des militants qui les aura départagées. Et puis, une Une aussi en matière d’alliance, c’est l’alliance d’abord avec nos amis radicaux-socialistes  c’est plus classique, encore fallait-il y arriver sans faire baisser le pourcentage de femmes  et avec les Verts qui ont choisi le camp du progrès, la gauche. Et, je crois que c’est quand même nouveau que les écologistes, qui sont une force politique permanente dans le pays, acceptent la rencontre, le dialogue, se mettent d’accord sur un texte, sur des orientations et en même temps que cela se traduise par des accords électoraux qui permettront à des Verts de rentrer à l’Assemblée nationale, malgré le mode de scrutin qui leur interdit théoriquement d’y entrer.

France Inter : Mais à propos des femmes, il parait quand même qu’il y a eu des réflexes machistes de la part de certains de vos collègues et pas des moindres ?

D. Vaillant : Trop souvent, vous avez raison, et en même temps on a réussi, par la pédagogie, par la dynamique collective, à surpasser ces réactions ou ces conservatismes.

France Inter : Vous avez évoqué vos accords avec les radicaux et les Verts, il y a quand même toute une famille de la gauche avec laquelle vous ne vous entendez toujours pas, ce sont les communistes et les amis de J.-P. Chevènement. Par exemple, sur l’Europe, vous êtes totalement aux antipodes.

D. Vaillant : Non, je ne crois pas que nous soyons aux antipodes. Il y a le projet de la droite avec l’Europe dont vous avez parlé dans votre journal, avec M. Kohl : on voit que le modèle de M. Chirac n’est pas en très bonne forme en Allemagne. Il y a donc le versus droite, ultralibéral, il y a ceux qui, a priori, refusent notamment la dimension de la monnaie unique même si je sens des évolutions dans le discours. J’entendais encore, hier soir, A. Lajoinie évoluer sur ce terrain. Et puis, il y a nous qui sommes pour la monnaie unique, pour la construction européenne pour faire de l’Europe un espace politique qui permette effectivement un équilibre dans le monde et de faire face à la mondialisation. Mais simplement nous, socialistes, nous y mettons des conditions, des conditions politiques, sociales, monétaires, des conditions aussi en matière de défense. Bref, nous avons une position originale, je ne crois pas que le problème avec le Parti communiste soit posé au premier tour des élections législatives. Nous nous rassemblerons au second et toute l’année 1997, nous dialoguerons, nous discuterons. Les socialistes sont prêts au dialogue, l’objectif c’est de servir la France avec nos valeurs, notre projet. Les élections, c’est dans un an.

 

RTL - Lundi 10 février 1997

RTL : Au deuxième tour à Vitrolles, ni le retrait du candidat de l’UDF, ni la plus grande participation électorale n’ont permis à la liste socialiste de l’emporter. Cette victoire du Front national est-elle à vos yeux un signal d’alarme ?

D. Vaillant : Il est toujours pénible de voir une ville comme Vitrolles tomber dans les mains du Front national. Je constate que les résultats du premier tour, hélas, laissaient prévoir cette victoire de Mme Mégret et d’une certaine manière de M. Mégret. Mais, je dois dire que la mobilisation, le sursaut, avec la participation, avec la mobilisation des électeurs de gauche et des démocrates à Vitrolles a permis un score un peu plus serré que celui qu’on pouvait craindre. Cela étant, c’est perdu, et c’est triste.

RTL : Il y a eu beaucoup de bulletins nuls.

D. Vaillant : J’imagine qu’il est plus difficile pour les électeurs de droite de faire le geste de faire barrage au Front national que pour les électeurs de gauche quand on compare Dreux et Vitrolles.

RTL : À Dreux, le RPR était passé contre Mme Stirbois.

D. Vaillant : Oui, on en était très heureux, et on y a contribué. Les résultats du premier tour n’étaient pas tout à fait les mêmes. Mais, il n’en demeure pas moins vrai qu’il faudrait que le RPR et l’UDF soient plus clairs vis-à-vis du Front national ; plus clair, par exemple, que ce que le rapport Delalande dit.

RTL : C’est-à-dire ?

D. Vaillant : Quand un grand journal du soir, quelques jours avant Vitrolles, titre « Il faut combattre de la même manière et sur un pied d’égalité le Front national et le Parti socialiste », il est vrai que ce n’est plus encourageant pour les électeurs du RPR et de l’UDF à Vitrolles de faire barrage au Front national.

RTL : Le RPR va plus loin, puisqu’il considère, selon un communiqué, que le résultat de Vitrolles est le fruit de l’irresponsabilité, de l’incompétence, de l’inefficacité du Parti socialiste.

D. Vaillant : Je crois que c’est M. Mancel : il n’est pas à une outrance près. Mais ce qui est clair, c’est que sans doute les conditions étaient difficiles à Vitrolles, pour des raisons qu’on connaît tous. Je souhaite que dès aujourd’hui, les socialistes et la gauche à Vitrolles préparent la suite du combat politique contre le Front national et la reconquête de la ville pour garder le député socialiste en 1998 dans cette circonscription des Bouches-du-Rhône. Mais, il est clair que la droite n’a pas totalement clarifié ses positions par rapport au Front national. J’espère que ça va venir, que M. Juppé l’annonce.

RTL : Mais, il y a quand même une part d’autocritique à faire de la part du PS : ne pensez-vous pas que J.-J. Anglade n’était pas le meilleur candidat ? Aviez-vous vu venir cette défaite ?

D. Vaillant : Effectivement, on savait qu’il y avait de graves difficultés. On savait que le maire de Vitrolles, J.-J. Anglade, avait lui-même quelques difficultés, à la fois personnelles et dans son équipe municipale. Et puis, il avait quatorze ans de mandat. Donc, tout cela provoque sans doute un certain nombre de choses.

RTL : L’aviez-vous dit à L. Jospin ?

D. Vaillant : De toute façon, on a bien senti, avec les socialistes des Bouches-du-Rhône, qu’il y avait des difficultés à Vitrolles. Personne aujourd’hui ne peut le nier. Ceci étant, le problème est que la ville est maintenant dans les mains de l’extrême droite. De surcroit, c’est en fait M. Mégret  j’ai entendu Mme Mégret ce matin : il est assez incroyable de voir le rôle dégradant qu’il fait jouer à sa femme ! Elle dit clairement qu’elle sera en fait chargée des affaires sociales et des relations humaines : curieuse conception dans une République comme la France pour quelqu’un qui est maintenant à la mairie de Vitrolles, maire de Vitrolles et qui en fait va sous-traiter les dossiers, puisque c’est M. Mégret qui va tirer les ficelles ! Et on sait de quelle manière, hélas.

RTL : Une dernière question sur la campagne et sur l’entre-deux tours, Il s’agit de mobiliser l’électorat de droite et la gauche a organisé un meeting avec L. Jospin et R. Hue, cela peut surprendre non ?

D. Vaillant : Je ne crois pas que cela puisse surprendre. C’était une liste de large rassemblement de la gauche. À partir du moment où ils ont été sollicités, il allait de soi que notamment le premier secrétaire du Parti socialiste irait se battre contre le Front national et soutenir la liste de gauche.

RTL : Autre question plus large et qui concerne l’avenir, à savoir les législatives. Vous avez désigné au Parti socialiste vos candidats avec un important pourcentage de femmes, 24 %, y voyez-vous un gage de réussite ? Là aussi, le RPR estime que c’est une mystification car beaucoup de ces femmes n’auraient pas de chances d’être élues ?

D. Vaillant : C’est encore M. Mancel qui a dit cela ! C’est incroyable ! Eux, ils ne mettent pas de femmes, ou ils n’en ont pas, ou ils ne veulent pas en mettre, et ils disent que les nôtres vont être battues ! Eh bien, je donne un conseil à M. Mancel : qu’il les aide l’année prochaine. Mais, plus sérieusement, ce que nous avons fait ce week-end et ce travail patient que nous avons accompli pendant des mois, c’est le gage d’une volonté de rénovation. Rénovation pour le Parti socialiste mais, plus globalement, rénovation pour la démocratie française. Et, le fait que nous ayons, par le vote des militants, c’est-à-dire, par la démocratie, pu investir 30 % de femmes socialistes mais aussi avec des accords politiques avec les Verts, avec Radical socialiste, c’est le signe d’un profond renouvellement. Et, cela veut dire que les socialistes sont engagés dans une voie où ils tiennent leurs engagements. Ce que nous faisons pour le Parti socialiste, ce que nous faisons pour les femmes, ce que nous faisons pour les écologistes, pour nos partenaires, nous sommes dans l’état d’esprit de le réaliser demain pour la France, qui en a bien besoin.

RTL : Les responsables de la majorité ont affirmé leur confiance pour 1998, quels sont vos pronostics ?

D. Vaillant : Vous savez, un an avant, aller dire, comme la droite le fait, qu’elle va gagner les prochaines élections, cela veut dire qu’ils n’ont qu’une idée en tête, à savoir, gagner les élections pour garder le pouvoir, pour garder tous les pouvoirs. Cela n’est pas aujourd’hui la priorité des Français ! Ils veulent sortir du marasme dans lequel la France s’enlise et nous, nous essayons de travailler sérieusement pour que des propositions soient faites aux Français pour une véritable alternance, pour une alternative politique. Tout cela est dans un an ! Nous ne sommes pas en campagne électorale, il faut préparer l’avenir de la France plutôt que d’avoir une vision politicienne des choses comme les responsables de la droite l’ont aujourd’hui.

RTL : Un mot sur le sommet pour l’emploi des jeunes qui a lieu à Matignon. Voyez-vous une utilité de se pencher en priorité sur le chômage des jeunes ?

D. Vaillant : Écoutez, se pencher sur le chômage des jeunes, ce n’est pas suffisant. Il faut traiter les choses. Or, notre sentiment est que le Gouvernement ne prend pas les dispositions politiques et économiques pour traiter la maladie qu’est le chômage et notamment le chômage des jeunes. Si les carnets de commande ne sont pas pleins, si on ne pense qu’aux mesures d’accompagnement comme le contrat d’expatriation à l’extérieur qui veut dire qu’il n’y a pas de débouchés en France, cela montre bien que le problème est économique. Le problème est de ne pas avoir de volonté de traiter le chômage et notamment le chômage des jeunes, et de prendre la démarche inverse. Alors, c’est les contrats, les stages, les petits boulots. Non, socialistes, estimons qu’il y a une priorité économique. Il faut relancer la machine et pour cela, il faut d’abord remplir le carnet de commande des entreprises.

RTL : Plus il y aura différenciation entre le PS et la majorité, plus le Front national sera tenu à l’écart ?

D. Vaillant : Écoutez, il ne faut évidemment pas le mettre au centre de la vie politique française ! Donc, c’est pour cela que le combat de 1998 doit être un combat clair, correct, démocratique entre la droite et la gauche pour l’alternance. En tout cas, ce sera notre volonté et notre stratégie de campagne électorale. Pour l’instant, nous sommes au travail, nous réfléchissons et nous voulons nous présenter aux Français dans la clarté, la transparence et aussi avec une certaine éthique.