Interview de M. Olivier Stirn, secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères, à France-Inter le 19 août 1980, sur la situation au Vanuatu (anciennement Nouvelles Hébrides)

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Circonstance : Accès à l'indépendance des Nouvelles Hébrides le 30 juillet 1980

Média : EMISSION INTER 13 - France Inter

Texte intégral

DA. — Les troupes franco-britanniques dépêchés au Vanuatu pour tenter de réprimer la rébellion quittent en ce moment-même l'ex-condominium franco-britannique des Nouvelles-Hébrides. Cela veut dire que maintenant la France n'a plus rien à voir directement au Vanuatu mais il faut tout de même aussi qu'elle pense à régler un certain nombre de questions à commencer par celles des français qui vivaient là-bas et qui à l'heure actuelle s'interrogent ; vont-ils y rester, comment vont-ils éventuellement en partir ? Mais tout de suite commençons par l'actualité, par les arrestations qui auraient eu lieu ce matin, heure de France métropolitaine, là-bas. Quelles sont les toutes dernières informations que vous en avez, les commentaires que vous pouvez en formuler ?

Olivier STIRN. — Je sais mais sous toute réserve n'est-ce-pas qu'en effet un bateau aurait été intercepté entre l'île de Santo et celle de Vanikoro, et que sur ce bateau il y avait un certain nombre de personnes ; il y aurait 3 Français qui seraient pour l'instant gardés à vue à Port-Vila. Je viens de demander d'ailleurs à notre ambassadeur à Port-Vila, M. Rodri d'aller voir M. Liny et de vérifier quels sont les chefs d'inculpation qu'il y a contre ces 3 Français. Depuis quelques jours nous avions mis en garde un certain nombre de Français qui étaient intervenus plus ou moins dans les affaires intérieures du Vanuatu contre le risque qu'il y avait pour eux, à partir du moment où les troupes françaises et britanniques ne seraient plus présentes, et au fond nous leur avion facilité le départ pour ceux qui le souhaitaient. D'ailleurs un certain nombre d'entre eux sont partis et il n'y a pas eu de problèmes ; le gouvernement de M. Liny a facilité en fait des départs, ils ne les ont pas du tout gênés. Depuis lors il faut distinguer : la masse des Français d'abord qui, elle, a très bien compris qu'il ne faut pas se mêler des affaires intérieures d'un pays indépendant, n'est pas et ne sera pas inquiété. Elle est dans un pays avec lequel nous allons signer des accords de coopération, elle travaille, elle a des occupations utiles pour le Vanuatu lequel souhaite que les intérêts de la francophonie et les intérêts de la France soient préservés dans ce pays. Et puis il peut y avoir un certain nombre de Français qui, eux, n'ont pas compris qu'étant dans un pays indépendant ils ne doivent pas se mêler des affaires intérieures, et qui eux, seraient inquiétés de ce fait. A chaque fois bien sûr, comme nous le faisions toujours pour les Français qui se trouvent à l'étranger, nous vérifierons si les mobiles qui auraient pu justifier leur garde à vue ou leur arrestation sont valables sur le plan du droit international, et s'ils ne l'étaient pas bien sûr nous en tirerions les conséquences. Ce que je souhaite c'est qu'en tout cas, dans l'avenir les relations entre la France et le Vanuatu restent confiantes, positives, permettent aux plus de 3 000 Français qui se trouvent dans ce pays d'un vivre dans de bonnes conditions. Nous avons eu des assurances pour ce qui concerne des baux à long terme qui vont être accordés aux Français qui sont propriétaires des terres ; nous savons par le canal de la coopération que tous les enseignants maintiendront les intérêts de la francophonie, et par conséquent pour l'instant nous pouvons espérer que nos rapports étant positifs, la situation de ces Français restera valable.

DA. — Et que deviendront, toujours dans la situation de ces Français, ce qui travaillaient pour le condominium, c'est-à-dire qui travaillaient pour l'administration mixte ?

Olivier STIRN. — Certains d'entre eux seront utilisés au titre de la coopération. Les crédits qui étaient prévus jusque-là au titre du condominium et effet vont permettre de prévoir dès le mois de janvier de l'année prochaine des accords de coopération, et donc beaucoup d'entre eux resteront au titre de la coopération. Et bien sûr la soudure sera assurée jusqu'à la fin de l'année de manière à ce que pour ceux qui sont fonctionnaires il n'y ait pas de difficulté.

DA. — Vous parliez de la francophonie, je ne peux pas ne pas la rapprocher de la tentative de sécession. Est-ce que la frontière passe par la différence entre les anglophones et les francophones ou bien la frontière des sécessionnistes par ailleurs ?

Olivier STIRN. — Non, c'est plus compliqué. Vous avez dans les archipels qui deviennent indépendants, souvent il y a des problèmes entre les îles parce que ceux qui avaient pris l'habitude de diriger leur île veulent continuer à le faire et admettent mal une autorité de tutelle de leurs compatriotes. C'est le cas notamment à Santo. D'autre part le fait que les Nouvelles-Hébrides aient connu un statut très original, il faut le reconnaître, très particulier, avec une double administration française et anglaise, cela ne pouvait pas ne pas entraîner des difficultés au moment de l'indépendance. Nous nous sommes efforcés avec les britanniques de faire que ces difficultés soient les plus légères possibles et je crois que nous y avons réussi. Il y a une très bonne entente au niveau gouvernemental entre les Français et les Anglais dans cette affaire. Aujourd'hui, certes, des difficultés subsistent, et je crois qu'il faudra des concessions de part et d'autre. Il faut que les habitants du Vanuatu comprennent que l'unité pour eux est impérative et que s'il est nécessaire qu'il y ait, pour chaque île, probablement une très large décentralisation, une régionalisation par exemple, il faut aussi que l'Etat du Vanuatu constitue un tout. De toute manière, ce n'est plus l'affaire des Français que de s'ingérer dans ces affaires-là et je crois que la très grande majorité d'entre eux l'a compris et que le gouvernement de Liny en est tout à fait conscient.

DA. — Ce n'est plus l'affaire des Français pas plus d'ailleurs que celles des Anglais de s'ingérer dans les affaires du Vanuatu mais étiez-vous au courant, avant l'accession à l'indépendance, de l'intention du Vanuatu d'entrer dans le Commonwealth britannique ?

Olivier STIRN. — Nous pouvions en effet l'imaginer et qu'il faut laisser à cette entrée la dimension qui est la sienne, c'était un territoire qui était sous double administration : française et britannique et il était donc normal que ce pays, dont c'est le droit, souverain, qui est pleinement indépendant, choisisse de rentrer dans le Commonwealth, qui est une structure qui existe pour les pays qui ont été anglophones. Et je ne vois pas en quoi nous puissions nous plaindre de cette entrée dans le Commonwealth avec lequel, comme vous le savez, nous entretenons les meilleures relations internationales. Les intérêts de la francophonie seront défendus. Et j'ajoute que ce pays a également accepté de participer à toutes les réunions que les francophones organisent entre eux, et qu'à ce titre il est à la fois dans le Commonwealth et dans la francophonie. C'était probablement normal, étant donné son histoire et je crois que ce sera à nous de veiller à ce que les intérêts de la francophonie, les intérêts des Français demeurent naturellement défendus le mieux possible. Je ne doute pas qu'il en soit ainsi.

DA. — De quoi peut vivre le Vanuatu ?

Olivier STIRN. — Essentiellement de l'agriculture et de la pêche, mais surtout de l'agriculture. Car il faut savoir que la terre du Vanuatu est extrêmement riche sur le plan agricole, l'herbe pousse toute l'année et avec une très grande force, à tel point d'ailleurs que les élevages qui existent là-bas permettent d'avoir 6 vaches à l'hectare — je vous rappelle qu'en Argentine qui est considéré comme un très grand pays de l'élevage il y a 5 vaches à l'hectare, je ne parle pas de ma région, la Normandie, quand nous atteignons 3 vaches à l'hectare nous sommes très contents — c'est vous dire la qualité de la terre de ce pays et donc les possibilités qu'il renferme en matière d'élevage, de coprah et d'un certain nombre de cultures.

DA. — Vous parliez tout à l'heure d'accord de coopération entre la France et le Vanuatu, qui seront signés prochainement à l'automne, à la fin de l'automne, de quoi peut vivre le Vanuatu, peut-il vivre tout simplement seul sur lui-même ou au contraire faut-il qu'il y ait une sérieuse coopération ?

Olivier STIRN. — Il faut une sérieuse coopération pour maintenir l'acquit et le faire fructifier. Dans le domaine de l'enseignement, dans le domaine de la santé par exemple, qui sont des domaines essentiels, une coopération s'impose et je peux vous dire que la France est prête à l'assurer, et je crois qu'elle le prépare dans des conditions d'ailleurs supérieures mêmes à celles que les Anglais prévoient de leur côté. Il faudra sans doute d'autres coopérations, naturellement, et c'est au gouvernement du Vanuatu de choisir avec qui il veut coopérer et comment. La coopération se fait à double sens. Elle sera négociée, il y aura une mission en septembre à Paris, nous verrons en novembre si nous pouvons signer ces accords, mais je crois que dans l'intérêt même de l'avenir de ce petit Etat du Pacifique, une coopération est sûrement très utile.