Déclaration de M. Franck Borotra, ministre de l'industrie de la poste et des télécommunications, sur la politique de restructuration des industries d'armement, Paris le 25 septembre 1996.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Franck Borotra - Ministre de l'industrie de la poste et des télécommunications

Circonstance : Entretiens "Sécurité et Armement", à Paris le 25 septembre 1996

Texte intégral

Menaces (sécurité nucléaire, terrorisme...)

Depuis la disparition du bloc soviétique, l'industrie de l'armement des pays occidentaux doit faire face à la réduction des budgets nationaux et à des formes de concurrence nouvelles dans ce domaine. Ainsi, de façon paradoxale, c'est la disparition d'une menace commune et parfaitement identifiée qui, aujourd'hui, motive vos débats.

La menace n'a pas disparu. Elle s'est transformée. Ce n'est plus l'agression d'un adversaire frontal, global, total, capable de nous anéantir, qu'il nous faut redouter. Nous devons maintenant faire face à un faisceau de menaces diffuses, d'origines géographiques multiples, d'une grande diversité de nature, puis qu'il s'agit à la fois de sécurité nucléaire, de terrorisme, de maintien de la paix et de conflits conventionnels.

Restructurations industrielles (conduites par le ministre de la Défense)

Ce bouleversement radical, qui relève du domaine réservé du président de la République, est conduit par Charles Millon, ministre de la Défense, et a des conséquences dans l'organisation même de nos armées. Il impose, parallèlement, des restructurations toutes aussi importantes au secteur des industries de l'armement. Nous avons, pour la première fois, un président de la République, qui décide courageusement de mener à bien des restructurations trop longtemps retardées et d'autant plus douloureuses et de reconstruire une industrie de l'armement compétitive. Il a manifesté cette volonté de manière éclatante en décidant le rapprochement Dassault-Aérospatiale ou encore la privatisation du groupe Thomson. Ces restructurations ne doivent pas nous faire oublier l'objectif premier de toute industrie d'armement : construire les armes correspondant aux besoins, aux enjeux, aux menaces du présent et de l'avenir.

Logistique (moyens supplémentaires)

De plus en plus, il nous faudra des moyens de transports et de logistique extraordinairement performants et rapides, pour intervenir hors de nos frontières ; des outils de traitement et de détection de l'information d'échelle planétaire, à l'heure du développement des réseaux de toute nature ; des moyens d'observation plus fiables et plus puissants ; de techniques de plus en plus sophistiquées pour lutter contre un terrorisme, qui s'apparente de plus en plus à une véritable guerre.

Ce sont donc bien de nouveaux marchés qui apparaissent, de manière simultanée, en France, en Europe, et dans tous les pays industrialisés, confrontés aux mêmes problèmes.

L'expérience acquise an matière de restructuration industrielle civile nous incite à mon sens à poursuivre trois objectifs :
    - un projet industriel clair et cohérent
    - une politique dynamique de restructuration
    - la recherche d'une identité industrielle européenne.

Restructuration de l'industrie d'armement (projet industriel et technologique cohérent)

L'expérience que nous avons des restructurations civiles, nous montre que pour bâtir un projet de reconversion, il est nécessaire de définir un projet industriel et technologique cohérent, c'est à-dire la connaissance des perspectives d'avenir de nos industries, afin de mobiliser les capacités de nos grandes entreprises et de leurs sous-traitants autour de nouveaux défis industriels et technologiques à surmonter.

Logique industrielle du secteur privé

Il paraît donc particulièrement important que l’État s'applique à lui-même la logique industrielle qu'il réclame au secteur privé. D'où la nécessité de préciser ce que les industries d'armement doivent produire en fonction des éléments de politique industrielle propres à ce secteur, des besoins de nos armées, des capacités d'exportation et comment cette production sera organisée au sein des grandes entreprises ou par sous-traitance.

Les discussions engagées au niveau national avec chacune des grandes entreprises concernées par les restructurations industrielles des industries de défense doivent à mon sens permettre à l’État de bâtir ce projet industriel, synthèse des éléments recueillis dans ces discussions bilatérales. La stratégie doit être à mon sens conduite par produit, par technologie et par qualification professionnelle.

La synthèse obtenue permettrait, grâce à ce processus d'adaptation majeur de nos industries de conjuguer recherche permanente de la performance de ces entreprises et meilleure gestion de la ressource humaine, et de dépasser le seul objectif de réduction des effectifs pour proposer une image ambitieuse de ce que pourrait être l'industrie de l'armement dans les années qui viennent.

C'est sur la base de la définition de ce projet industriel que les dépenses publiques de reclassement des personnels et de reconversion des objectifs pourront être définies et mises en œuvre de manière optimale.

Maîtrise et réduction des coûts de 30 %

L'impératif de réduction des coûts qui pèsent sur nos dépenses publiques se traduit pour l'industrie de défense par des objectifs de performance de son organisation et de compétitivité. Les objectifs sont de l'ordre de 30 %. De larges pans de l'industrie, qu'il s'agisse de biens de consommation ou de biens d'équipements, ont eu à faire face dans un passé récent à un tel défi. Il ne faut pas sous-estimer notre capacité de réaction.

Nous ne pouvons certes pas tabler sur une réduction du coût de nos facteurs de production qui nous permettrait de nous situer à un niveau comparable à celui de certains de concurrents (Russie par exemple); nous pouvons, par contre, grâce à notre technologie, grâce à une meilleure organisation industrielle, obtenir des produits moins chers ; nous pouvons aussi faire valoir à l'exportation des avantages qui ne sont pas ou peu valorisés : la qualité, le coût de possession, la facilité de maintenance, l'espérance de vie de nos matériels ...

Technologies duales

Un autre aspect de la réduction des coûts est qu'une base industrielle peut être amortie sur plusieurs marchés différents. Les industries de l'armement sont restées trop longtemps mono marché, aussi je suis persuadé qu'une large frange de cette industrie peut trouver d'autres débouchés : de nombreux problèmes de base que vous rencontrez se retrouvent dans d'autres produits qu'il s'agisse de matériaux, d'assemblage, de liaisons électriques, de compatibilité électromagnétique, de discrétion acoustique.

Il faudra donc, dès la commande, penser civil pour fabriquer militaire. Il va donc s'agir de travailler en coopération, à moindre coût, et plus vite sur des programmes déjà complexes par eux-mêmes.

Ministère de l'Industrie

La question des outils de management de tels programmes devient particulièrement cruciale et intéresse le ministère de l'Industrie qui voit dans le développement de tels outils et leur maîtrise un fabuleux levier pour l'industrie, tant civile que militaire, qui est amenée à travailler de plus en plus en réseau. Parallèlement, les réflexions en cours dans l'industrie de l'armement montrent un intérêt pour les technologies civiles développées par ailleurs et donc déjà disponibles à un moindre coût. Les deux mondes sont donc appelés à se rencontrer.

L'utilisation de méthodes et outils communs aux secteurs civils et armement ne peut être que bénéfique à l'ensemble de l'industrie française, en entraînant un effet d'échelle significatif, en facilitant la vie des sociétés actives dans les deux domaines, en renforçant la position de la France au sein des instances normatives. Pour cela, il faut parler le même langage. Le référentiel commun est alors un passage obligé : l'ensemble des outils technologiques ou organisationnels nécessaires sont déjà ou devront être normalisés, sans quoi il sera vain de rechercher l'intégration ou l'échange des outils.

Stratégie industrielle et d'aménagement du territoire

Cette restructuration industrielle pour être acceptée doit intégrer la dimension d'aménagement du territoire. Nous devons avoir une stratégie par bassin d'emploi et en même temps, une boîte à outils au niveau national, avec le fonds de conversion.

L’État doit disposer d'un véritable tableau de bord de la conversion lui permettant de connaître les prévisions en matière de suppression d'effectifs dans les armées, les grande entreprises d'armement, les petites et moyennes entreprises sous-traitantes et les restructurations industrielles civiles qui peuvent toucher les mêmes sites. Ce tableau de bord devra être décliné région par région pour éviter que des décisions prises dans d'autres domaines ne viennent accentuer l'impact des restructurations de défense. Son élaboration doit mobiliser le délégué interministériel aux restructurations de défense, la DATAR et le ministère de l'Industrie.

Les DRIRE, j'en suis persuadé, pourront contribuer à l'élaboration de ce tableau de bord par l'analyse de l'évolution prévisionnelle des PMI de sous-traitance de la défense et des autres industries civiles.

Une stratégie de développement doit être définie site par site. Elle doit mobiliser l'ensemble des énergies des acteurs locaux, s'appuyer sur les éléments de consensus et viser à placer les acteurs économiques en situation de prise d'initiative et non en position passive face à la crise. L'objectif est non pas d'atteindre quelques réussites ponctuelles en terme de création d'emploi, mais de dessiner un nouvel avenir économique pour chaque bassin d'emploi concerné qui insère ce futur développement économique dans un schéma de développement intégrant des projets d'équipement ou d'infrastructures qui sont souvent les seules actions positives susceptible d'être mises en œuvre rapidement, sans attendre la création d'emplois ou d'entreprises de substitution.

Projet de reconversion industrielle (deux axes)

La première priorité d'un projet de reconversion doit être la création d'emplois par développement endogène. Deux axes devraient être explorés par les sociétés de conversion :
    - la création d'entreprises par essaimage des salariés quittant les industries ;
    - le développement des PME existantes.

Les moyens humains à mobiliser sont ceux existants au sein de la société de conversion retenue pour développer cette zone ainsi que les équipes existantes au sein de la DRIRE ou mises à disposition par le ministère de la défense ou par les industriels de l'armement.

Les moyens financiers sont ceux existants pour doter les sociétés de conversion, le FDPMI du ministère de l'Industrie, les fonds du ministère de la défense prévue à cet effet, ainsi que la part mobilisable auprès des collectivités territoriales.

Le développement endogène ne suffira sans doute pas à répondre aux attentes des populations. Le redémarrage économique de ces bassins d'emplois devra être soutenu par l'attraction d'entreprises, de capitaux ou de marchés sur la zone concernée. À nouveau, il importe d'être en mesure de mobiliser des hommes et des moyens financiers.

Défense (Yvelines - Hauts-de-Seine)

J'ai souhaité prendre l'initiative dans ce domaine en mettant en place dernièrement le Comité de pilotage de l'opération "Défense Yvelines-Hauts-de-Seine", avec Charles Pasqua, président du Conseil général des Hauts de Seine en présence de Michel Giraud, président du Conseil régional d'Île de France. "Défense Yvelines-Hauts-de-Seine" est une opération destinée à accompagner les mutations des entreprises industrielles de la région Île de France (75 000 emplois, 400 entreprises et établissements) touchées par les restructurations des industries de défense et par les suppressions ou les transferts d'unités militaires.

Le Comité a mis en place une cellule action qui entamera dès la fin de ce mois la visite des PMI concernées des deux départements, au nombre de 400 environ. Lors de la prochaine réunion du comité de Pilotage prévue début octobre, les résultats des premières visites d'entreprises seront présentés. Cette opération pilote permettra de faire rapidement un examen précis de la situation des PMI du secteur, de dégager les actions à mener en s'appuyant sur une coordination de l'ensemble des acteurs publics et des grandes entreprises du secteur de la Défense, donneurs d'ordre.

Identité industrielle européenne

I L'Europe de l'armement est un impératif catégorique dans la mesure où on peut être assuré qu'aucune souveraineté, tant nationale qu'éventuellement européenne, ne pourra exister dans ces domaines si le tissu de cette industrie n'est pas sauvegardé. Une meilleure utilisation de ses ressources financières est pour l'industrie de l'armement une condition indispensable à sa survie, et l'identité européenne d'armement sera d'autant plus forte que les matériels seront proposés au moindre coût.

Je ne suis pas sûr, en effet, qu'un pays européen accepte de payer un matériel plus cher parce qu'il est européen ; à l'inverse, réduire le coût d'un armement reste sans doute le meilleur moyen de l'imposer durablement sur le marché européen.

L'industrie de l'armement ne peut attendre que s'instaure une politique de défense commune. Dans ce domaine, la politique industrielle et technologique est fondamentale ; elle seule en effet garantit l'indépendance et donc la souveraineté sur le long terme. La politique industrielle est au cœur de vos préoccupations, alors qu'elle ne semble pas toujours être une préoccupation essentielle de la création du marché unique.

Nous avons à créer un marché de l'armement, avec la latitude de créer nos propres outils, mais le chemin est difficile. Il ne s'agit pas en effet de créer un marché où dominent les intérêts à court terme du consommateur ; il s'agit ici de créer un marché où la politique industrielle est un objectif fondamental, en ce sens qu'elle est la garantie à long terme de la souveraineté.

Les industriels ont un rôle particulièrement important à jouer dans cette construction : leurs initiatives en matière de rapprochement, de coopération, de réduction des coûts sont essentielles pour la création d'intérêts communs voire d'interdépendances entre pays européens, pour finalement concrétiser la volonté des États d'aller vers une identité européenne de l'armement.

Les restructurations franco-françaises constituent un préalable aux indispensables restructurations européennes. Les entreprises de taille européenne devront alors chercher à acquérir une taille mondiale.

L'industrie civile existe, elle a son ministère et celui-ci doit être associé en tant que de besoin aux initiatives qui peuvent l'impliquer. Soyez en tout cas assurés que vous y trouverez des interlocuteurs particulièrement ouverts et attentifs à vos préoccupations.

Industrie d’État

L'industrie de l'armement ne sera jamais un secteur industriel comme un autre. Il touche à ce qu'il y a de plus essentiel dans la vie d'une nation, la défense de son indépendance et de son intégrité. Il concerne, au-delà de nos frontières, des peuples dont le destin dépend des armes françaises.

Le gouvernement vous demande de conserver les exigences et les charges qui pèsent sur l'activité hors norme qui consiste à fabriquer des armes, avec des obligations spécifiques dans les domaines de la sécurité, de la confidentialité, de la prise en compte des intérêts vitaux de la France et de ses engagements internationaux.

Le gouvernement vous demande également, malgré votre spécificité, de multiplier les passerelles avec l'industrie civile et nos partenaires européens. L'exercice est difficile, mais l'existence même des industries françaises de l'armement lui est subordonné.

Enfin, le gouvernement, au nom de la nation, se doit de vous fixer des perspectives. Il ne s'agit pas de gérer le recul de la production des armes du passé, mais de concevoir et de produire les armes du présent et de l'avenir, dans les mêmes conditions d'excellence.