Texte intégral
Je suis très heureux de cette journée. Très heureux, parce que vous avez manifesté la vigueur de votre engagement et, avec éloquence, la vigueur de vos convictions.
Les journalistes me disaient tout à l’heure que la sensibilité qui s’exprimait ici n’était pas exactement celle de toute l’opposition.
En particulier, l’attente sociale était de nouveau exprimée avec force dans nos rangs.
J’en suis très heureux parce que je crois qu’il y a là une des clés de l’avenir, pas seulement de notre famille politique, ni même de l’opposition, mais probablement une des clés des questions qui se posent à la France.
Le gouvernement face à ses rendez-vous
Ce conseil national, dont nous avions arrêté la date depuis longtemps, intervient à un moment charnière de l’histoire récente politique de la France. Le gouvernement, après avoir surfé pendant des mois sur cette bienveillance de l’opinion que l’on appelle état de grâce, se trouve en face de ses rendez-vous. Et ces rendez-vous, il se les est donnés à lui-même.
La réalité rattrape désormais les illusions.
Les promesses
Le gouvernement avait, pour être élu, multiplié les promesses à tous les milieux sociaux et notamment, bien entendu, à ceux qui sont les plus fragiles. Il y avait les chômeurs, il y avait les jeunes à qui on avait promis des centaines de milliers d’emplois, il y avait les entreprises à qui on avait promis la relance par la consommation, et puis il y avait tous ceux qui, dans l’opinion publique, à un titre ou à un autre, se trouvaient en situation de malaise ou d’incompréhension à l’égard de la politique gouvernementale. Les manifestations auxquelles nous assistons ces jours-ci, ce sont les manifestations de ces désillusions parmi les plus significatives, celles de ceux qui sont atteints par le chômage. Un fait apparaît aujourd’hui dominant qui explique le désespoir, l’inquiétude et la revendication des uns et des autres : le socialisme ne va pas créer les emplois qu’il avait promis. C’est parce que nos compatriotes sentent bien, inconsciemment ou consciemment, que les emplois promis ne vont pas être au rendez-vous, que leur espoir se transforme en désillusions.
Nous en sommes à ce point-là, et il me semble que c’est plus particulièrement éloquent encore pour ce qui touche aux 35 heures. Au début, il y a quelques mois, quand parmi les premiers nous avions dit que nous ne croyions pas à la solution des 35 heures pour créer de l’emploi en France, nous rencontrions des gens qui nous disaient : « quand même, pourquoi ne leur laissez-vous pas leur chance ? Après tout, il faut bien essayer quelque chose ». Il y avait comme un espoir et comme une attente.
Je ne sais pas si vous le sentez comme moi, mais nous ne rencontrons plus cet espoir et cette attente. Le sentiment profond s’est diffusé dans l’opinion que le problème de la réduction du temps de travail pouvait être un problème de société, qu’il pouvait permettre de répondre à un certain nombre de problèmes individuels, mais qu’il n’y avait pas à en espérer le grand mouvement de création d’emplois qui était annoncé. C’est ce qu’ont confirmé, tour à tour, et avec force dans leurs interventions, Maurice Leroy, Philippe Douste-Blazy, Anne-Marie Idrac et Jacques Barrot. Chacun de ceux qui se sont exprimés aujourd’hui a confirmé les résultats tout à fait éloquents de l’enquête que nous avons lancée avec le groupe UDF de l’Assemblée nationale.
Nous avons envoyé un questionnaire à 500 000 chefs d’entreprise et nous avons reçu près de 20 % de réponses, ce qui est un taux exceptionnel en matière d’enquêtes tout public. À 90 %, les chefs d’entreprise sont opposés et même choqués par une mesure dont ils ont l’impression qu’elle va les desservir, leur couper les jambes. À 75 %, ils ont la certitude que cela ne créera pas d’emplois dans leur entreprise. À 100 %, la certitude que si cette mesure est appliquée de la manière autoritaire qui a été décidée, elle aura une conséquence directe : la feuille de paie baissera. Une mesure qui casse le moral des chefs d’entreprise, qui ne créera pas d’emplois et qui va faire baisser la feuille de paie, est-ce la réponse que l’on attendait ? C’est le gouvernement qui s’est fixé à lui-même ces rendez-vous. Alors, en face de ces mouvements, il a des réactions quelquefois surprenantes, qui sont en rupture avec les propos lénifiants. Il y a des déclarations qui ont surpris – ce députe de la majorité qui a traité Mme Notat de « boutiquière », avec cet accent de mépris, lors d’un débat avec Philippe Douste-Blazy sur une chaîne de télévision – et qui montrent, qu’en effet, la gauche n’est pas prête à entrer en dialogue avec ceux qui manifestent un sentiment fort de responsabilité. Et cela va aussi éclairer d’une lumière nouvelle le paysage dans lequel nous allons entrer.
La méthode
Car ces rendez-vous ne sont pas seulement ceux des promesses. Ils sont aussi ceux de la méthode, qu’on appelait la méthode Jospin. Il y a encore quelques jours, j’entendais des journalistes dire à la télévision que, vraiment, après Jospin on ne pourrait plus jamais gouverner comme avant. On nous le disait d’une manière tout à fait sérieuse. C’était un événement qui avait bouleversé l’ordre des choses. Alors, nous, nous avions un peu d’ironie dans les yeux, mais il y a un délai de viduité qui fait que cette ironie, on la garde pour soi en attendant que les événements se chargent de démentir une vision aussi enjolivée de la réalité. Lorsqu’on essayait d’entrer dans la méthode dite Jospin, on demandait ce qu’elle avait de particulier et on nous disait : « mais ils discutent, ils dialoguent, ils consultent. La méthode Jospin, c’est le dialogue et la concertation ». Et quand on essayait de pousser un peu plus loin, parce qu’on était étonné et surpris par l’enquête, et qu’on demandait : « mais, avec qui dialogue-t-il ? » À ce moment-là, on découvrait la réponse qui était celle-ci : « mais ils dialoguent entre eux ! » La méthode Jospin, ce qu’elle avait de bouleversant, d’exceptionnel, d’incroyable, c’était que le gouvernement dialoguait avec le Gouvernement.
Mais tous les autres, les salariés, les chefs d’entreprise, les syndicalistes, la fonction publique, les associations, les enseignants – je le dis au passage et comme une parenthèse – tous les autres n’étaient pas admis à ce dialogue citoyen qui était développé à l’intérieur du Gouvernement. Nous sommes au terme de cette méthode-là.
Nous connaissons les drames de la majorité plurielle. La majorité plurielle, c’est assez simple : c’est les premiers qui organisent des manifestations contre les seconds, sous les applaudissements des troisièmes. C’est ainsi qu’on construit la majorité plurielle, mais tout le monde voit bien que de cette majorité qui est en voie de décomposition, de dilution et de dégradation, il ne restera bientôt plus qu’une novation grammaticale. Nous allons découvrir que, contrairement à ce que l’on nous avait enseigné quand on était écolier, le pluriel n’est pas le contraire du singulier. Nous allons avoir la majorité plurielle la plus singulière de toutes, et la majorité la plus singulière, parce qu’à force d’être plurielle, elle ne sera plus majorité du tout.
Les valeurs républicaines
Troisième rendez-vous, après les promesses et la méthode, le gouvernement – et d’abord le Premier ministre – a rendez-vous avec la mission qui est la sienne : une certaine idée républicaine de sa mission. Nous en avons eu une illustration, cette semaine à l’Assemblée nationale. Nous, nous considérons que la mission d’un homme d’État ne peut pas se concevoir s’il ne met pas au premier plan de ses responsabilités, celle de rassembler les Français dont il a la charge. Ce qu’a fait M. Jospin, cette semaine – prétendre que la moitié de la France était esclavagiste alors que son propre camp avait toujours été dans les bons combats – est inacceptable, honteux.
Les historiens se sont chargés de lui rappeler avec sévérité, que non seulement Gambetta était mort depuis longtemps au moment de l’affaire Dreyfus, mais, qu’en plus, on pouvait largement gloser sur les positions qui avaient été celles des uns et des autres, des hommes de gauche et non des moindres – Jaurès considérait qu’on n’avait pas condamné Dreyfus avec assez de sévérité et qu’au-dessous de la peine de mort, il n’y avait pas de jugement qui était à la hauteur de ce qu’il avait fait. Je ne nie rien des évolutions futures, mais au sein de ce qu’on appelle « l’autre côté », il y avait des hommes qui avaient su prendre leurs responsabilités plus tôt.
Permettez-moi de vous dire que moi qui ai fait ma formation personnelle sous l’aile de Charles Péguy, je sais ce que c’est que quelqu’un qui n’est pas précisément réputé comme étant l’un des théoriciens de la gauche et qui a marqué toute sa vie par l’engagement dans l’affaire Dreyfus.
On pourrait continuer le procès avec la Chambre du Front populaire et ce qu’elle a donné par la suite. Je n’ai pas l’intention d’entrer dans cette polémique parce que je considère que si nous voulons construire un socle de valeurs communes, si nous voulons avoir un projet national partagé, il faut arrêter de faire croire qu’il y a deux France, la France des bons, de ceux qui ont raison, contre la France des méchants, de ceux qui ont tort et que la frontière entre ces deux France passe entre la gauche et la droite, comme jadis M. Lang croyait qu’elle séparait la nuit de la lumière.
La mission des hommes d’État et la mission des démocrates, en particulier, c’est au contraire de dire, qu’avec le temps, s’est constitué un bagage commun, un socle commun ; que ce socle appartient à toute la France et que si l’on veut faire avancer le pays, il faut arrêter de le diviser et se fixer, au contraire, comme objectif de le réunir. C’est là que M. Jospin a désormais rendez-vous avec sa conception de l’homme d’État, et à ce rendez-vous nous serons, quant à nous, particulièrement attentifs. Telle est la première raison qui fait que ce conseil politique tombe à un moment particulièrement important.
Les élections régionales : choisir le candidat le meilleur
Il y a une deuxième raison, nous sommes dans un contexte politique, et même électoral avec la préparation des régionales, qui est particulièrement crucial, parce que, vous le savez, les élections régionales de 1992, il y a six ans, sont intervenues à un moment où le Gouvernement était particulièrement discrédité et, par voie de conséquence, où l’opposition était particulièrement haut dans les intentions de vote. Ce qui fait que nous avons acquis une très grande part des régions françaises, plus sans doute que nous aurait accordé l’équilibre normal. Nous avons la mission de défendre ces régions et leur bilan. Je le dis en pensant à l’ensemble des présidents de région, qui ont fait un travail tout à fait remarquable. Nous sommes dans un contexte de négociations, et les dernières lignes droites de négociations sont toujours un petit peu tendues et on a toujours tendance, à ce moment-là, à mettre la barre de l’émotion, surtout de l’émotion militante, un peu haut.
Je vais dire clairement la position qui est la nôtre. Nous sommes favorables à l’union et nous sommes favorables, chaque fois, à ce que l’union permette d’investir le meilleur candidat possible. C’est tout particulièrement important, tout particulièrement marquant dans un certain nombre de régions dont on sait très bien, ou bien qu’elles ne nous appartiennent pas – conservées par la gauche plurielle en 1992, c’est dire la difficulté de ces régions –, ou bien qu’elles sont menacées aujourd’hui de basculer dans l’autre camp.
Dans ces régions-là, la désignation des candidats est particulièrement importante. Et s’il arrive dans ces régions, je pense à Pierre Méhaignerie en Bretagne, je pense à Jean-Louis Borloo dans le Nord, que les sondages montrent que non seulement ils sont les meilleurs candidats – ce qui est indiscutable et dans le cas de Pierre Méhaignerie et dans le cas de Jean-Louis Borloo : non seulement ils sont les meilleurs candidats, mais ils sont les seuls candidats au nom de l’opposition à pouvoir faire espérer la victoire – alors, la logique des étiquettes, si elle amenait à rayer ces noms de la liste, ne serait pas un bon service à rendre à l’opposition dans son ensemble. C’est au nom de l’opposition dans son ensemble, et dans l’intérêt de l’opposition dans son ensemble, que nous demandons que l’on vérifie ce que nous disons avec des documents et des déclarations à l’appui :
1. – que ce sont les meilleurs candidats et,
2. – que ce sont probablement les seuls à pouvoir faire la différence.
Nous demandons qu’on le vérifie et quand on l’aura vérifié, nous supplions l’UDF et le RPR dans leur ensemble de considérer que leur intérêt dans l’union est de choisir le meilleur candidat, pour la cause de tous, et dans l’intérêt de tous et des régions qui, ainsi, seront gagnées ou seront sauvées.
Le projet du renouveau nous sommes libérés du passé et nous sommes libérés pour l’avenir.
Et puis cette année – troisième chapitre – commence par notre projet qui est placé sous le signe du renouveau. Du renouveau, parce que nous sentons bien que le temps est fini – il a duré quelques mois au cours desquels on pouvait se contenter de la critique – de dire que les autres ça n’allait pas bien, ou ça n’irait pas bien. Nos compatriotes ont envie de savoir pour nous écouter, et pour nous suivre. Ils ont envie de savoir ce que nous avons à l’esprit, ce que nous proposons, ce que nous leur proposerons le moment venu, quand les échéances viendront, et nous ne savons pas quand elles viendront.
Pour ce renouveau-là il y a plusieurs conditions à remplir, et je voudrais en citer deux : la première, c’est de se libérer du passé. Nous avons participé aux majorités précédentes, nous avons participé au gouvernement précédent, nous en sommes solidaires, nous acceptons les critiques et nous n’attaquons personne même si ce n’était pas exactement nous qui avions la barre entre les mains. Nous sommes solidaires et cette solidarité est nécessaire et je le rappellerai chaque fois qu’il le faudra. Elle est nécessaire dans tous les sens. Mais pour autant, nous avons fait notre deuil de ce qui s’est passé. Ce temps est derrière nous et nous n’avons pas l’intention de nous laisser brider dans notre réflexion par les échecs passés. Ce n’est pas parce que l’on a manqué un certain nombre de choses dans le passé que nous n’avons pas l’intention de les recommander pour l’avenir. Au contraire, notre choix est bien exactement celui-là : nous sommes installés dans un esprit de liberté de propositions et de liberté de jugement.
Nous sommes libérés du passé. Nous en avons fait notre deuil et, deuxième condition, nous sommes libérés pour l’avenir. Je veux dire clairement ceci : la France n’attend pas, pour l’avenir, une restauration de ce qui s’est passé hier ; elle n’attend pas une réédition de ce que nous avons vécu hier, elle attend un projet nouveau écrit en termes nouveaux.
Parler à la France tout entière
Il y a profondément, et nous la sentons bien dans toutes ses manifestations possibles, il y a une angoisse française et cette angoisse française, spécifiquement française, elle vient de la société française comme elle est. Elle vient de son histoire. Elle vient de ses valeurs, du tissu qui est le sien. C’est une société de salariés – 87 % – qui est marquée par une histoire syndicale forte, par une certaine idée de la solidarité, de la mutualisation des risques, par une certaine idée de l’État qui est sans doute trop surestimé, par un grand sentiment des injustices.
C’est la France, et c’est à cette France-là que nous parlerons comme à toutes les autres. Nous parlerons à la France réelle avec cette idée qu’on ne fera pas l’avenir de la France contre la nature profonde de la France. Je dis cela parce que pendant trop longtemps, la puissance de la gauche s’est construite en réalité sur la faiblesse sociale de la droite et même du centre. Notre défaut, un des défauts qui étaient ceux de l’opposition d’aujourd’hui, de la droite et du centre, c’était qu’elle était sur un enracinement social trop étroit ; elle privilégiait le dialogue avec des catégories sociales qu’il était naturel pour elle de rencontrer, les décideurs économiques, les cadres, les chefs d’entreprises, les publics indépendants et elle oubliait ce qu’étaient les attentes et les peurs des autres, ceux que j’ai cités les salariés, la fonction publique, les enseignants, les intellectuels, les associatifs, les créatifs, etc. et, trop souvent, quand ceux-là s’exprimaient on avait l’impression qu’ils étaient des empêcheurs de tourner en rond, des corporatistes qui défendaient seulement des intérêts.
Ce n’est pas vrai. Nous considérons que chacun, depuis les créateurs d’entreprises jusqu’aux salariés, depuis les associations de chefs d’entreprises jusqu’aux syndicats, chacun a une vocation égale à participer à la définition de l’avenir de la France et nous, en tous cas, nous parlerons avec eux. Notre projet s’adressera à eux autant qu’aux hommes d’entreprises et aux professions indépendantes, parce qu’il n’y a d’avenir pour personne dans une société qui va mal.
Il n’y a d’avenir, en particulier pour l’entreprise, en particulier pour l’investissement, en particulier pour les stratégies économiques, il n’y a d’avenir, au contraire, que dans une société qui va bien, qui est stabilisée, dans laquelle tout le monde peut se faire entendre. Quand nous rencontrons des chefs d’entreprises, que nous disent-ils ? Ils nous disent : ce qui nous manque le plus, c’est la garantie du long terme. En France, vous changez de règles, vous changez de lois tous les deux ans. C’est tragique pour l’investissement, c’est tragique pour la décision économique et pour la réconciliation sociale dont je souligne la nécessite en introduction de ce projet. C’est pourquoi la réconciliation, l’union du pays que j’évoquais tout à l’heure en termes moraux sur la mission des hommes d’État, elle est aussi importante pour les décisions économiques. On en a le plus urgent et le plus profond besoin. Le meilleur avenir de l’entreprise, c’est une société qui va bien, où les intérêts des uns ne sont pas ressentis comme antagonistes avec les intérêts des autres, ou les idéaux des uns ne sont pas méprisés à l’avantage des intérêts des autres. Si nous avons cela à l’esprit – l’élargissement de la base sociale, comme on disait autrefois, sur laquelle s’appuiera ce projet nouveau – alors il faut que nous allions un peu plus loin pour tenter de définir l’originalité de notre projet, de ce centre fort et de ce centre large que je crois indispensable à l’avenir de la France. Le libéralisme comme moyen, l’humanisme comme projet… Si nous essayons d’analyser, de dépouiller l’ensemble des débats et des angoisses que nous avons devant nous, pour atteindre la question centrale, je dirai qu’elle est celle-ci : nos concitoyens nous disent : « nous voyons autant que vous ce qu’est l’évolution du monde. Autant que vous, nous voyons la dureté des règles qui régissent la compétition internationale. Autant que vous, nous savons que le monde est féroce. Mais nous avons une question à vous poser : « dans ce monde féroce, dans ces règles dures, quelle est la société que vous nous préparez ? Les règles sont dures : est-ce que vous nous faites une société dure ? Ou bien, dans un monde où les règles sont dures, y aura-t-il un projet où nous reconnaîtrons mieux nos attentes et nos espérances ? »
Notre réponse est celle-ci : notre projet, celui que nous allons écrire ensemble, c’est celui qui va être parfaitement lucide sur le monde, sur l’économie, sur la compétition ; c’est le projet qui acceptera la règle universelle de compétition libérale et qui, en même temps, se fixera comme objectif et comme but de construire une société plus humaine.
La société humaine, c’est une société qui ne se résigne pas à ne vivre que sous la dictature des rapports de force financiers. La société plus humaine, c’est celle qui revendique en même temps un idéal social, un idéal culturel, un idéal moral. Nous acceptons, nous revendiquons le libéralisme comme moyen, nous proposons l’humanisme comme projet… c’est la question du politique. Je suis certain que cette question va dominer les décennies qui viennent. C’est la question même du politique. Parce que, si nous en arrivions à conclure, comme un certain nombre d’observateurs, que désormais, le politique ne sert plus à rien, si ce n’est à compter les coups que l’on donne ou que l’on reçoit dans les Bourses du monde entier ; s’il advenait que le rôle du politique, comme une peau de chagrin, en était réduit à cette impuissance bavarde, alors cela signifierait que c’est la démocratie elle-même qui est en péril. C’est pourquoi je dis que la question de ce projet, c’est bien la question de la vocation politique et de la vie de la démocratie elle-même. Nous portons donc beaucoup plus que ce que nous croyons souvent.
Quand le temps des désillusions va être là, nous serons comptables de la nouvelle espérance qu’il faudra bien que les gens découvrent sur leur chemin. Sinon, le désespoir les conduira à des attitudes dont nous pouvons tout craindre… c’est la question de l’Europe. C’est la question même de l’Europe. Si nous avons choisi de construire l’Europe, si nous avons adopté l’idéal européen, c’est pour défendre ce projet-là. Ceux qui ont ouvert le chemin pour nous, il y a cinquante ans, l’ont fait au nom de cet idéal-là. Et, tout le monde le voit bien confusément, pour l’Europe, il y a deux projets. Il y a le projet du libéralisme anglo-saxon, celui de Mme Thatcher : l’Europe sera un grand marché, sur lequel on vendra mieux et on achètera mieux. Et il y a l’autre projet, qui est le nôtre, qui est celui des fondateurs de l’Europe, celui de la Communauté des pères fondateurs français, allemands et latins : l’Europe, ce n’est pas seulement un marché, c’est l’outil, l’arme par laquelle nous allons défendre, construire et faire rayonner dans l’avenir notre projet de civilisation.
L’Europe, c’est un projet de société. L’Europe, c’est le moyen même de défendre la société humaniste que nous voulons construire. Je vais faire une prédiction devant vous et je souhaite de toutes mes forces que nous n’ayons pas à la vérifier : si jamais c’était la société de rapports de force qui remportait en Europe, si l’Europe était réduite au grand marché, si c’était le libéralisme anglo-saxon qui l’emportait, alors nous verrions en Europe le retour de ces utopies qui vont jusqu’au totalitarisme et jusqu’à l’horreur. C’est de cela que nous sommes menacés. Tout le monde voit bien, ici ou là en Europe, que sont en train de se rassembler des nuages noirs sur la société que nous aimons, voulons défendre et souhaitons construire. Le meilleur défenseur des sociétés de liberté, ce n’est pas celui qui rêve de laisser errer la liberté, c’est celui qui veut que la liberté se propose un but, un idéal, une étoile partager. C’est le grand combat du politique et c’est le grand combat de l’Europe.
L’Algérie et nous
Si nous avons cela en tête, nous pourrons intervenir dans des débats, dans des drames, où nous n’intervenons pas beaucoup. Bernard Stasi le rappelait à l’instant et je veux le faire à mon tour : la France et l’Europe ont un devoir spécifique dans le drame algérien. Ce devoir spécifique s’articule, me semble-t-il, en deux chapitres majeurs. Il faut d’abord que, chacun à sa place, chacun dans la mesure de ses responsabilités, de sa voix, chacun ait le devoir de dénoncer l’horreur de ce qui est en train de se produire. Je me souviens très bien de la manifestation sur les moines de Tiberine à laquelle certains d’entre vous ont participé, de l’émotion extraordinaire qu’elle soulevait. Ceux qui sont les victimes ont au moins besoin qu’avec force, nous disions que les massacres ne passent pas inaperçus, que l’horreur saisit l’âme française ; que nous manifestions avec force ce qu’il y a d’intolérable pour la conscience européenne et pour la conscience de 1’humanité dans ce massacre chaque jour répété, où l’Algérie est en train de se perdre. C’est notre première obligation.
La deuxième obligation, c’est de dire à ceux qui, en Algérie, se font entendre et s’expriment, que nous ne sommes pas indifférents ; que nous ne mettons pas sur le même plan les uns et les autres ; que nous savons faire la différence entre ceux qui égorgent et ceux qui empêchent d’égorger ou ceux qui essaient d’empêcher d’égorger. Et nous savons faire la différence entre ceux qui ont un projet pour qu’on n’égorge plus et ceux qui n’en ont pas. C’est pourquoi je dis, de cette tribune et en votre nom, depuis le conseil national de Force démocrate, qu’il y a des démocrates en Algérie, et que leur combat est le nôtre, leurs projets sont les nôtres et que nous avons l’intention de les défendre chaque fois qu’ils seront attaqués, de les aider chaque fois qu’ils voudront avancer. Bernard Stasi se rendra dans quelques jours en Algérie. Il nous fera l’amitié de transmettre ce message du conseil national aux démocrates algériens. Nous pouvons le faire plus librement. Nous ne sommes pas au gouvernement. Nous n’avons pas des responsabilités d’État. On comprend que les gouvernements soient, à l’égard d’autres gouvernements, en situation de prudence. Mais nous, qui sommes dans l’opposition, nous sommes plus libres de notre langage. Et il est très important qu’on nous entende.
Pour une société plus humaine
Nous avons vu l’importance de notre projet. Il va être crucial pour des millions de Français, parce qu’ils sont en train de découvrir l’échec du socialisme au gouvernement, et ce sera son dernier échec. Ce sera son dernier échec parce que ce sera le plus éclairant, le plus démonstratif de ses échecs. M. Jospin a dit, avec un mouvement de spontanéité : « Je préfère être battu sur mes idées que sur les idées des autres ». En effet, ce sont les idées anachroniques du socialisme français qui vont rencontrer l’échec. Et ce jour-là, quand les Français auront découvert que les 35 heures ne créent pas d’emplois, quand ils découvriront que c’est exactement le contraire, alors, naturellement, il y aura une attente profonde. Chacun va découvrir que ce n’est pas en oubliant ce qu’il y a de juste et de vrai dans les aspirations sociales, que l’on peut bâtir une société équilibrée et stable. Et beaucoup vont découvrir que leurs aspirations nationales, morales, leurs aspirations à une société ordonnée, ne peuvent pas se construire durablement si l’on oublie les valeurs et les attentes de la majorité des Français. Nous avons le projet de construire une société plus humaine, en connaissant et en appliquant les règles de la liberté qui, seules, peuvent la faire vivre.
Ce projet n’a jamais été clairement exprimé.
Ou plus exactement, on y venait au moment de battre en retraite. Le mécanisme était toujours exactement le même : dans l’opposition, c’était toujours les plus durs qui se faisaient entendre ; on réunissait des États généraux, on écrivait le projet de rupture le plus fort possible et puis, arrivés au pouvoir, on découvrait que ça n’était pas applicable, et c’est à ce moment-là, au moment de battre en retraite, que l’on commençait à parler de social et de participation. Je propose que notre projet inverse le mouvement. Au lieu de découvrir les véritables aspirations du pays quand on ne peut pas faire autrement, mettons-les au premier plan, partons d’elles pour écrire ce projet nouveau que les Français attendent. Je voudrais donner une ou deux illustrations de ce projet pour qu’il soit plus concret que sa définition abstraite. Une proposition pour l’emploi. Je suis très frappé par le débat sur le chômage. Je crois qu’il est au centre même des inquiétudes de ceux qui nous écoutent. Ce débat sur le chômage met en présence deux philosophies différentes. La première est celle de ceux qui sont au pouvoir aujourd’hui : on peut lutter contre le chômage en contredisant autoritairement les règles de l’économie et de l’entreprise, par les 35 heures, par la modification du droit du travail. Ainsi, autoritairement, on créera de l’emploi. Pour ceux qui n’ont pas de travail, on met en place les allocations les plus hautes possibles. Cette logique touche à son terme. Elle va se briser contre les récifs des réalités. Il y a une deuxième logique qui est exactement l’inverse, la logique du laisser-faire en pensant que les choses s’arrangeront.
Aucune de ces deux logiques ne sera acceptée par les Français. Alors, devant cet échec prévisible, deux revendications s’expriment. La première est celle de ceux qui appellent à une augmentation significative des minima sociaux. Ils oublient – et je veux le dire comme responsable d’une famille politique responsable – qu’une augmentation brutale des minima sociaux, aurait comme conséquence immédiate d’accroître les charges sur le travail et que l’accroissement des charges sur le travail, c’est l’augmentation du chômage.
C’est contre le camp des chômeurs que jouerait une augmentation brutale des minima sociaux et, à cet égard, je ne fais pas procès au gouvernement d’avoir répondu ce qu’il répond sur le sujet. Je crois qu’il y a une autre logique, différente de celle qui a été choisie par le gouvernement et à laquelle je vous propose que nous réfléchissions ensemble. Par les emplois-jeunes, le Gouvernement a choisi d’oublier les deux publics en difficultés et a ramassé toutes les aides possibles pour les concentrer sur un seul public, les jeunes diplômés à partir de Bac + 2. On verra, d’ailleurs, qu’il y aura peu de bénéficiaires et que les déceptions seront d’autant plus nombreuses. C’est une mauvaise approche. Il y a deux problèmes du chômage. Le premier, c’est le nombre des emplois en France. Les emplois sont moins nombreux en France que dans tout autre pays comparable, parce que le coût du travail, notamment pour du travail non qualifié, est trop lourd. Nous estimons qu’il faut travailler sur cet allègement des charges qui doit être le plus fort possible, j’allais dire le plus brutal possible, pour multiplier le nombre des emplois.
Il y a un deuxième problème spécifique à la France qui est le problème des chômeurs de trop longue durée. Depuis des années et des années, ils portent le fardeau du chômage, sans apercevoir aucune lueur d’espoir ; on les trimbale de stages de réinsertion en stages de qualification et jamais ils ne trouvent un emploi. Ma proposition illustre ce projet nouveau du centre que nous souhaitons construire. On répondra au chômage non pas par une augmentation des allocations mais par le travail. Je propose que tous ensemble, c’est-à-dire l’État, les collectivités locales et les entreprises, nous adoptions une règle simple. Chaque fois qu’un chômeur dépassera deux ans de chômage, nous prenons l’engagement de lui proposer un emploi rémunéré. L’État prendra en charge, dans des limites qu’il conviendra de définir, le coût de cet emploi, qu’il soit créé par une entreprise privée ou par une collectivité locale. Il sera réservé en priorité aux chômeurs de longue durée. Ainsi mettrait-on un terme à la discrimination par l’âge. Concentrer toutes les aides sur une catégorie au détriment de l’autre et, en particulier, laisser sur le bord de la route ces chômeurs qui ont 40 ou 50 ans, qui ont charge de famille et des responsabilités à assumer, relève de la cruauté. Qu’est-ce qu’une société qui décrète que les gens de 40 ou 50 ans ne sont plus bons à rien ? Avec la proposition que je fais en votre nom, les jeunes trouvent la même réponse que ceux qui sont plus âgés. C’est la durée du chômage que l’on interrompt. Et le chômage n’est pas le même, selon que l’on a la certitude qu’il s’achèvera un jour ou qu’au contraire, on n’en verra jamais le bout. Je pense qu’il faut mettre un terme au chômage de trop longue durée. Nous respectons les lois de l’économie. Nous favorisons les emplois productifs et, en même temps, nous sommes capables de faire de cette société de liberté que nous appelons de nos vœux, une société de solidarité concrète. Pas les mots de la solidarité, mais les actes. Pas les vœux pieux, mais la réalité d’un emploi offert à ceux qui ont atteint une durée trop longue de chômage.
Les Français n’attendent pas la restauration
Tel est le projet que nous souhaitons construire. C’est une logique nouvelle. Il y a des chemins à explorer que nous souhaitons explorer à notre tour. C’est cette nouveauté dont la France a besoin. Je ne crois pas que les Français aient envie que l’alternance soit une restauration. Je ne crois pas qu’ils aient envie de cette espèce de manière politique que nous avons imposée depuis quelques décennies en France, où chaque fois qu’une alternance se produit – tous les deux ou trois ans – l’équipe de gouvernants qui arrive reprend les choses exactement au point où elles en étaient à la défaite précédente, avec les mêmes préjugés, les mêmes archaïsmes, les mêmes lourdeurs. Je pense que ce n’est pas cette succession de surdités et d’aveuglements au pouvoir que les Français espèrent. Je pense, au contraire, qu’ils attendent qu’une famille politique adulte, forte et large, ait le courage de leur proposer une autre voie.
C’est sous cet éclairage que je place les vœux que nous formons tous pour vous en ce début d’année 1998. C’est l’année du renouveau, du renouveau du projet. Je crois que ce sera aussi l’année du renouveau de nos structures. À projet nouveau, structures nouvelles. Je crois qu’en 1998 il faudra bouger. Les structures d’aujourd’hui ne sont pas à la dimension de cette espérance que nous essayons d’écrire et de décrire ensemble. Elles sont trop éclatées, elles sont trop faibles, elles n’ont pas la cohérence nécessaire. Il est trop tôt, bien entendu, pour dire ce que sera le type d’organisation nouvelle qu’appellent l’importance et la cohérence du projet que nous allons écrire ensemble. Mais je vous invite à dire que nous sommes prêts à ce mouvement nécessaire, parce que le mouvement c’est la vie.
Nous n’avons pas d’intérêts à défendre. Nous n’avons à défendre que des idéaux et des convictions. C’est notre fierté, et pour l’année qui vient, c’est la meilleure garantie de succès.
Bonne année à tous.