Déclarations de MM. Jacques Godfrain, ministre délégué à la coopération, et Hervé de Charette, ministre des affaires étrangères, en réponse à une question sur la situation des réfugiés dans la région des Grands Lacs et sur la proposition française d'une Conférence internationale pour le réglement du conflit du Rwanda, à l'Assemblée nationale les 22 et 30 octobre 1996.

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Région des Grands Lacs

Réponse à une question d’actualité à l’Assemblée nationale (Paris, 22 octobre 1996) – Jacques Godfrain

Depuis 1994, la région des Grands lacs est profondément déstabilisée par la présence de deux millions de réfugiés à l’extérieur de leur pays.

La France n’a cessé en liaison avec ses partenaires européens, ainsi qu’au conseil de sécurité des Nations unies, d’agir en faveur du retour à une paix durable dans cette partie du continent.

S’agissant du Burundi, dans la grave crise qu’il traverse, notre souci constant a été de contribuer, avec nos partenaires de l’Union européenne, à préservation de la paix civile et à la recherche de la réconciliation nationale. Aussi longtemps que cela a été possible, la France a activement soutenu, avec ses partenaires européens, les forces politiques modérées.

Cependant, les extrémistes de tous bords ont progressivement gagné du terrain au détriment des forces politiques modérées. Le blocage total des institutions, l’absence de progrès vers une solution politique nationale et de perspective de réformes ont créé une situation anarchique. Le 25 juillet 1996, avec l’aide de l’armée et sans effusion de sang, l’ancien président Buyoya (qui fut, de 1987 aux élections de 1993, l’artisan de la démocratisation au Burundi) a repris le pouvoir.

Dans des circonstances aussi graves, la France estime que la priorité est de rétablir la paix civile et de rechercher la réconciliation nationale. Avec ses partenaires de l’Union européenne, elle ne ménage aucun effort pour que s’engagent des négociations entre tous les protagonistes. C’est à son initiative que l’Union européenne a récemment chargé M. Ajello, son envoyé spécial pour les Grands lacs, d’intervenir :

- auprès du régime de Bujumbura afin de l’encourager de manière pressante à engager des négociations sans exclusive ;
- auprès de toutes les parties burundaises, y compris de la rébellion, afin de les presser de renoncer à la force et de négocier ;
- auprès des États de la région, afin de les convaincre de prendre en compte les gestes faits par le régime de Bujumbura (rétablissement de l’Assemblée nationale et des partis politiques) et donc d’assouplir les sanctions économiques qu’ils imposent au Burundi et dont  les conséquences humanitaires sont dramatiques.

Nous relevons que le major Buyoya a confirmé par écrit sa disponibilité à négocier avec les autres protagonistes de la crise. Nous espérons que les négociations vont s’engager très rapidement et que les Etats de la région, qui viennent de dépêcher à Bujumbura une mission ministérielle, en tiendront compte dans leur attitude à l’égard du Burundi.

S’agissant des événements actuels dans la province zaïroise du Kivu, à la frontière du Rwanda, où se trouvent plus d’un million de réfugiés, la France, avec ses partenaires de l’Union européenne, a, aujourd’hui même, appelé les parties en présence à faire preuve de la plus grande retenue. L’envoyé spécial de l’Union européenne, qui est présent sur le terrain, a rencontré les autorités du Zaïre et du Rwanda et les a incitées au dialogue. Nous soutenons également les efforts en cours du représentant spécial du secrétaire général des Nations unies, M. Ibrahima Fall.

La situation au Burundi et au Kivu ne peut être dissociée des autres graves problèmes qui affectent la région des Grands lacs depuis la tragédie rwandaise de 1994. La présence de 2 millions de réfugiés rwandais au Zaïre et en Tanzanie, sans perspective de retour rapide est là pour le rappeler. Les problèmes sont liés les uns aux autres. Nous estimons donc que la paix ne pourra revenir dans la région que dans le cadre d’un règlement global et négocié. C’est pourquoi, nous demeurons convaincus de la nécessité de réunir une conférence, sous l’égide des Nations unies et en liaison avec l’OUA, sur la paix, la sécurité et la stabilité dans la région des Grands lacs. C’est dans ce cadre que des engagements fermes des États concernés peuvent être obtenus et leur mise en œuvre contrôlée et garantie par la communauté internationale. C’est par le rassemblement de tous les efforts et de toutes les énergies que l’on pourra prétendre restaurer durablement la paix dans cette région. La France, à titre national, aux Nations unies et dans le cadre de l’Union européenne, s’emploie activement à atteindre cet objectif. C’est afin de promouvoir ce projet, que l’Union européenne a désigné un représentant spécial pour la région des Grands lacs, M. Ajello.

Nous observons d’ailleurs que les réserves initiales de certains pays à ce projet sont en train de se dissiper, ce qui va nous permettre, avec nos partenaires européens d’appeler à nouveau l’attention du secrétaire général des Nations unies sur l’urgence de réunir cette conférence.


Situation au Kivu

Réponse du ministre des affaires étrangères, M. Hervé de Charette, à une question d’actualité à l’Assemblée nationale (Paris, 30 octobre 1996)

Comme le Président de la République l’a déclaré, la France ne pouvait, devant le drame humanitaire qui se joue actuellement au Kivu, rester silencieuse.

S’ajoutant aux problèmes qui affectent déjà la région des Grands lacs, cette nouvelle crise exige la relance du projet de Conférence internationale sur la sécurité et la stabilité dans la région des Grands lacs dont nous préconisons la tenue sous l’égide des Nations unies et de l’OUA. Dans notre esprit, cette conférence traiterait :

- du retour des réfugiés ;
- du respect des minorités qui suppose une organisation adéquate des pouvoirs ;
- d’une justice efficace, notamment contre les auteurs du génocide ;
- de l’appui de la communauté internationale à l’ensemble de ce processus ;
- et de la mise en place d’un mécanisme de suivi des engagements qui seraient pris.

La France a immédiatement apporté son total soutien à l’action entreprise par le secrétaire général des Nations unies. M. Raymond Chrétien, qu’il vient de désigner comme envoyé spécial a reçu une mission dans un premier temps d’établissement des faits et de médiation. Nous souhaitons qu’il se rende dans les plus brefs délais sur place pour obtenir un cessez-le-feu entre les parties. La France est bien évidemment disponible pour apporter toute son aide au succès de cette mission.

La France a, en outre, obtenu de ses partenaires que soit confiée une mission de bons offices à l’envoyé spécial de l’Union européenne dans la région des Grands lacs. M. Ajello est déjà, depuis le début de la semaine, à pied d’œuvre. Il a pour mission de convaincre les autorités rwandaises et zaïroises d’engager un dialogue pour résoudre la crise actuelle et de travailler en étroite liaison avec le représentant spécial de M. Boutros-Ghali.

Nous sommes gravement préoccupés par le sort des réfugiés et des populations du Kivu menacées par ces affrontements. Le secrétaire d’État à l’action humanitaire d’urgence, dès le début de la crise, a envoyé une mission d’évaluation des besoins sur le terrain. Nous restons en rapport permanent avec la commission de l’Union européenne et avec les organisations internationales compétentes (Haut-Commissariat pour les réfugiés, programme alimentaire mondial, Comité international de la Croix-Rouge). Celles-ci définissent actuellement les modalités d’acheminement des secours aux populations en détresse. Le problème est sans doute moins dans l’immédiat celui du manque de nourriture que celui de son acheminement et de sa distribution, et peut-être aussi celui des conditions sanitaires.

La France ne ménage donc aucun effort pour la communauté internationale et donc le conseil de sécurité des Nations unies et l’Union européenne notamment assument leurs responsabilités en vue de restaurer la stabilité dans la région. Elle y prend sa part. C’est dans cet esprit que le Président de la République a souhaité hier que la conférence internationale dont nous avons depuis longtemps préconisé la tenue se réunisse désormais très rapidement à haut niveau.