Article de M. Nicolas Sarkozy, député et membre du bureau politique du RPR, dans "Le Figaro" du 17 février 1997, sur la préparation des élections législatives par la majorité, intitulé "Les valeurs, le symbole, les tabous".

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Texte intégral

Gagner les élections législatives de 1998. Telle sera la problématique qui va occuper les états-majors politiques de gauche comme de droite durant les treize mois à venir. L'enjeu n'est pas mince, puisque, en définitive, il s'agira de savoir si la France, après seulement cinq années, renouera avec le socialisme. En France, nous savons depuis 1981 que la situation de « sortants » n'est guère enviable pour qui veut l'emporter lors des scrutins à venir. C'est dire que l'enjeu est important pour la majorité, et que l'issue de la bataille restera incertaine, ou pour le moins sujette à toutes les variations, jusqu'au dernier moment. Pour assurer la défaite du socialisme et endiguer la montée de l'extrémisme, la réponse doit être toute entière tournée vers l'affirmation de l'identité de la majorité. Qu'il me soit permis de rappeler que quand la droite existe sans complexe par et pour ses valeurs, l’extrême-droite est vouée à jouer un rôle heureusement marginal. Il est urgent de comprendre que, dans le rapport de force perpétuel qui fait avancer nos démocraties, c'est moins la pugnacité des adversaires qui compte, que la mobilisation des soutiens qui fait la différence.

Ce n'est pas faire injure aux syndicats que de rappeler que dans la grève de la fonction publique de l'hiver 95 le mouvement s'est davantage nourri du soutien passif d'une opinion publique qui souhaitait manifester son mécontentement au gouvernement que de la détermination des cheminots. Autrement dit, une catégorie sociale ou professionnelle peut d'autant mieux prendre en otage l'économie du pays que la majorité silencieuse lui laissera exprimer en ses lieu et place sa déception, son dépit, sa démobilisation. J'en tire la conclusion simple, qui devrait être évidente : la majorité doit se préoccuper d'abord et avant tout de susciter l'adhésion et le soutien de ceux qui ont voté pour elle. Le débat politique suscite une telle confusion que, par une véritable perversion de l'esprit, il arrive que l'on fasse croire qu'il serait démagogique ou même contraire à l'intérêt général de mettre en œuvre la politique pour laquelle on a été élu. C'est le contraire, me semble-t-il, qui est moralement contestable et politiquement incorrect. Ne nous plaignons pas du manque d'adhésion au débat politique si nous devons passer notre temps à masquer, à minimiser ou même à nier les différences entre la gauche et la droite. La vision obsessionnellement égalitaire du parti socialiste n'a que peu à voir avec la société de promotion et d'équité que nous devons incarner. Mettre en œuvre les idées pour lesquelles on a été élu et donc non seulement la façon la plus efficace pour la majorité de gagner, mais encore le meilleur service à rendre à la « politique » pour lui redonner ses lettres de noblesse. L'on me rétorquera que c'est bien ce que tente de faire Alain Juppé, sans pour autant en retirer tous les fruits en termes de popularité, au moins pour l'instant. Sans le moins du monde négliger ou minimiser les effets de la politique mise en œuvre par le gouvernement, qui va dans le bon sens, a « fait » les bons choix, et a pris les décisions courageuses, je suis persuadé qu'il faut profiter des premiers résultats obtenus pour donner davantage d'ampleur et de lisibilité à l'action de la majorité. Il reste peu de temps pour cela. C'est d'ailleurs la caractéristique des démocraties, où le temps est toujours compté pour ceux qui gouvernent. La montée si préoccupante du Front national, qui se nourrit de l’atonie du débat gauche-droite, ne fait que me renforcer dans la conviction qu'il faut agir vite.

La première priorité consiste à revendiquer plus fortement les valeurs qui ont toujours inspiré le combat de la majorité. Il s'agit par-là de donner un sens à notre action. À défaut, nous serons condamnés à ne présenter qu'une succession de mesures techniques à une opinion publique qui n'en perçoit que rarement la finalité et même l’utilité. Si nous ne parlons pas du travail, de la récompense, du mérite, de la promotion, de l'initiative, de la prise de risques, de la réussite, de la création de richesses, qui le fera ? Si nous ne dénonçons pas la fascination de notre société pour l'égalitarisme, pour le nivellement, pour le conservatisme, pour l'isolement, pour le repliement sur soi, qui le fera ? Si nous ne rappelons pas qu'avant de partager il faut créer, qu'avant de distribuer il faut produire, que pour être libre il faut être responsable, que la première de solidarité c'est de donner un travail plus qu'une indemnité, qui le fera ? Si nous ne savons pas mettre en valeur les bienfaits de la responsabilité individuelle sur ceux d'une responsabilité collective anesthésiante, qui le fera ?

De la qualité du débat sur les valeurs dépendra notre capacité à convaincre les Français de ne pas se laisser abuser par des solutions présentées comme miraculeuses. La retraite à 55 ans, la semaine de 32 heures, ne sont pas simplement des idées dangereuses par leurs conséquences financières, elles le sont tout autant par le fait qu'elles représentent le travail comme une aliénation, une contrainte dont il conviendrait de se débarrasser le plus rapidement possible. C'est l'un des fondements de notre société qui est alors mis en cause. C'est un signal négatif qui est adressé aux plus jeunes, qui se trouve découragés de l'origine dans leur dynamisme. Le travail est un facteur d'épanouissement personnel. L’oublier, c'est prendre le risque de perdre l'un de nos principaux repères. Pour donner de la chair à cet indispensable débat sur les valeurs, pour le rendre plus concret, il ne faut pas craindre d'utiliser un symbole. La réforme fiscale est celui-ci.

En effet, la politique ambitieuse et rapide de baisse des impôts n'est pas seulement un argument économique, elle est la parfaite illustration de la société que nous voulons construire. C'est pour elle que nous révélerons le grand défi de l'équité qui promeut face à l'équité qui nivelle. Je reconnais bien volontiers que le gouvernement d'Alain Juppé aujourd'hui, comme celui d'Édouard Balladur hier, se sont engagés sur cette voie. J'ai d'abord appelé, puis soutenu cette politique, mais l'effort est cependant trop timide. Si nous attendons d'avoir les marges de manœuvre comptable pour diminuer les prélèvements obligatoires, préparons-nous à patienter longuement. Or, encore une fois, nous n'avons pas le temps ! Les 3,5 millions de chômeurs ont déjà trop attendu. Le calendrier électoral nous est imposé. Sans doute l'anticipation de l'inéluctable baisse des impôts, de même que son amplification, présente-t-elle des risques. C'est à juste titre que le Premier ministre l’a rappelé. Mais ceux-ci sont moins redoutables que les effets qui résulteront d'une croissance trop timide. Nous savons tous que même avec + 2,3 % de croissance, le chômage ne reculera pas de façon substantielle. C'est d'ailleurs bien l'analyse qui a été retenue par tous nos partenaires étrangers, alors même que leur niveau d'imposition était, et est plus encore aujourd'hui, bien inférieur au nôtre.

Pour aussi nécessaire qu'elle soit, la diminution des prélèvements obligatoires ne suffira pas à résoudre tous nos problèmes. L'un des tabous le mieux ancré devra être levé si l'on veut aller plus vite sur le chemin du retour au plein emploi. Oui, pourquoi nous serait-il interdit ? Ce tabou, c'est celui d'un dialogue social exclusivement orienté vers l'obtention de nouvelles indemnités ou de nouvelles prestations, jamais vers la création de nouveaux emplois. C'est ici qu'il faut oser parler de la flexibilité. Je sais bien que le nom même ne plaît guère. Beau prétexte, en vérité, pour éviter de débattre du fond. Le dialogue social que j’appelle de mes vœux doit se préoccuper d’abord de faciliter l’entrée des jeunes en entreprises et de la professionnalisation de leur formation. La querelle sur les stages diplômant était irréelle. Pourquoi faudrait-il refuser aux jeunes la chance d’une pré-entrée en entreprise ? Le gouvernement a eu raison de persister dans son idée initiale. Soyons cependant bien conscients qu’il ne s’agit que d’un premier pas et qu’il faudra aller plus loin dans l’ouverture de l’université à nos entreprises et dans l’ouverture de celles-ci aux jeunes en quête d’une première expérience professionnelle.

Le dialogue social que j’appelle de mes vœux, c’est celui qui permettra aux Français de mesurer l’immensité du défi à relever avec nos retraites. Le choc combiné de l’allongement de la durée de vie et de notre médiocre courbe démographique nous conduira nécessairement à repousser l’âge du départ à la retraite. C’est gravement manquer à son devoir de responsable que de ne pas prendre sa part d’explications dès maintenant.

Est-il définitivement « incorrect socialement » de se demander si le juge civil est le mieux placé pour juger de la pertinence d’un plan social ? Est-ce remettre en cause les acquis sociaux que de souhaiter privilégier les contrats de travail à durée déterminée aux indemnités de chômage, dont je veux rappeler qu’elles ne sont pas, elles non plus, à durée déterminée ? A-t-on seulement le droit de poser la question des seuils sociaux ? Ne voit-on pas la construction flagrante qui existe entre l’affirmation juste et répétée que seules les petites entreprises seront en mesure de créer des emplois et le maintien intangible des seuils sociaux qui ont largement démontré leur capacité à entraver le processus de création d’emplois dans les PME.

Je comprends parfaitement que l’on ne partage pas ces convictions. Je me pose moi-même beaucoup de questions sur ces sujets sensibles et difficiles. En revanche, je ne peux accepter cette vision quasi totalitaire d’une pensée unique sur tout ce qui touche au social. Non seulement on a le droit de parler des acquis sociaux, mais bien plus, c’est un devoir si l'on ne veut pas se résigner à voir la France détenir le record du nombre de chômeurs. Que signifiera, d’ailleurs, la notion d’acquis sociaux dans l’avenir si tant de nos compatriotes continuent à en être exclus, faute d’emploi.

Faire la politique pour laquelle on a été élu, donner de l’ampleur à nos décisions, ne pas s’abandonner à la frilosité, ne pas céder à la tentation du conservatisme, ne pas tomber dans le piège du consensus fade, telle est le message que la majorité doit porter d’ici à 1998.

La victoire passe par la compréhension de cette idée simple : il n’y a pas de pire risque que celui qui consisterait à ne pas en prendre. Les Français attendent de nous que nous assumions sans complexe et sans suffisance les idées pour lesquelles ils nous ont tout simplement élus.