Déclaration de M. Charles Millon, ministre de la défense, sur la restructuration de l'industrie d'armement, notamment dans la Marine et sur la nécessité d'une coopération européenne renforcée, Le Bourget le 22 octobre 1996.

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Circonstance : Salon Euronaval du 21 au 25 octobre 1996 au Bourget-inauguration le 22

Texte intégral

Comme vous le savez, la restructuration de notre industrie d’armement constitue un volet majeur de la réforme de notre outil de défense. Il ne s’agit pas, chacun en est conscient, d’une adaptation progressive de nos méthodes et de nos structures, mais d’une véritable révolution, à la mesure du retard que nous avons pris depuis maintenant trop d’années. A mon entrée en fonction, j’ai dû prendre acte, en effet, d’une situation qui n’autorisait aucune échappatoire : sans certaines adaptations énergiques, l’effondrement de pans entiers de notre industrie de défense eût été, à terme, inévitable. Or la première responsabilité de l’État, et d’un ministre de la défense en particulier, consiste à passer du constat qui s’impose aux décisions nécessaires. C’est bien ce que nous avons fait, en ayant à l’esprit quatre impératifs :

- premièrement, un impératif de défense nationale. Nous savons, depuis le général de Gaulle, à quel point une industrie de défense performante et compétitive contribue à garantir la sécurité et l’indépendance de notre pays ;
- deuxièmement, un impératif industriel et technologique. Si beaucoup a été fait, y compris dans le domaine naval, c’est malheureusement à un rythme trop lent face à la rapidité des évolutions et à la violence de la concurrence ;
- troisièmement, un impératif européen, puisqu’une base industrielle et technologique européenne forte, compétitive et indépendante est une condition sine qua non de l’autonomie stratégique de l’Europe ;
- enfin, un impératif de sauvegarde de l’emploi. Il va de soi qu’aujourd’hui, c’est la survie même de notre industrie de défense qui est en cause et les mesures prises dans le secteur de la construction navale sont sans alternative.

En ce qui concerne plus particulièrement notre politique navale, il faut dire les choses comme elles sont : la marine, comme les autres armées, participe à l’effort général de réduction des dépenses publiques, et connaît donc un certain nombre de contraintes qui entraînent une réduction rapide de son format. Cette réduction, je tiens à le souligner, ne porte pas atteinte à l’essentiel. En effet, dans la planification à 20 ans qui constitue l’horizon de la réforme de notre défense, la programmation 1997-2002 met incontestablement l’accent sur le domaine naval.

La marine continuera à assurer un rôle central dans notre dispositif de dissuasion, comme le confirme la commande du quatrième SNLE-NG en 2000. D’autre part, la mise en service opérationnelle du porte-avions nucléaire Charles de Gaulle et la livraison des premiers Rafale-marine donneront à la France un outil de projection rénové et puissant.

Enfin, le lancement du programme des frégates Horizon, la poursuite du programme de l’hélicoptère NH 90 et la construction de nouveaux transports de chalands de débarquement améliorent encore la capacité de projection et de prévention de la marine.

Mais comme vous le savez, la réforme, dont la programmation 1997-2000 est la première étape, s’appuie sur une profonde restructuration de notre industrie de défense. Si le plan de redéploiement de la DCN est central pour l’avenir de la construction navale, il est également exemplaire de notre nouvelle approche industrielle en matière d’armement.

Pour certains, le redéploiement de la DCN est synonyme de pertes d’emplois. Pourtant, dois-je à nouveau détailler la situation extrêmement dégradée que j’ai trouvée en prenant mes fonctions ? Fallait-il opter pour un immobilisme qui eût mis la DCN en péril ou prendre une fois pour toute le problème à bras-le-corps ? Fallait-il, par aveuglement, laisser disparaître tout ou partie de ce secteur d’activité et de ses emplois, ou avoir le courage de prendre les mesures nécessaires pour préserver l’avenir de ce fleuron de la construction navale militaire ? Ce choix s’est évidemment imposé à moi comme au Gouvernement, et s’il est difficile pour les partenaires sociaux, j’ai la conviction que la majorité d’entre eux comprend qu’il en va de la survie de la DCN. Pour nous, ce choix était clair, et nous l’avons décliné selon quatre principes :

- séparer l’activité étatique de l’activité industrielle ;
- conquérir de nouveaux marchés par l’exportation et la diversification ;
- évoluer vers un mode de fonctionnement d’entreprise concurrentielle ;
- enfin adapter les effectifs au plan de charge prévisionnel sans licenciement. Permettez-moi d’insister sur ce point que certains continuent de mettre en doute.

Ces adaptations reposeront sur l’appel à la mobilité et sur le reclassement des personnes dans la marine, les états-majors et les autres administrations.

Tous ces principes s’inscrivent naturellement dans le cadre d’une politique industrielle d’ensemble. J’évoquerai les développements tout récents qui concernent la privatisation de Thomson.

La préférence exprimée par le gouvernement pour l’offre du groupe LAGARDERE, répond bien à l’objectif d’un grand rôle européen de l’électronique de défense. Les complémentarités industrielles, technologiques et commerciales qui existent entre les activités de MATRA et de THOMSON CSF, permettront en effet de situer le nouvel ensemble au second rang mondial de l’électronique professionnelle avec un chiffre d’affaires de 60 milliards de francs.

MATRA-Thomson sera un des tout premiers industriels dans le monde capable de fournir des systèmes d’armes clés en main et de couvrir l’ensemble de l’offre des systèmes d’électronique militaire et des systèmes d’armes. Ce nouvel ensemble disposera, de plus, d’un des meilleurs portefeuilles de technologies européens.

La restructuration de notre industrie de défense est évidemment indissociable du plan stratégique exportations qui est actuellement en préparation pour assurer nos positions et conquérir de nouveaux marchés. Certains éléments de ce plan font d’ores et déjà partie de nos préoccupations quotidiennes : ainsi, nous travaillons à développer une approche plus cohérente des nouveaux marchés. Aux efforts des entreprises doit se conjuguer ceux de l’État. J’y apporte une attention personnelle et  soutenue.

J’ai par ailleurs chargé M. Bruno Durieux d’appuyer ces efforts en menant des actions dirigées vers un certain nombre de pays pour promouvoir nos compétences et des coopérations de plus grande ampleur avec de nouveaux partenaires.

Naturellement, la restructuration de notre industrie de défense va bien au-delà du cadre national –  elle exprime un choix politique, stratégique et industriel résolument européen. Construire une base industrielle et technologique forte, compétitive, indépendante est en effet une condition essentielle de l’identité européenne de défense.

J’ai traité, devant vous, quelques thèmes en m’efforçant d’être toujours concret. Je tiens à le rester en abordant le domaine de la coopération européenne, et je n’hésiterai pas à rappeler, quitte à me répéter, quatre priorités essentielles :

- priorité numéro 1, les États européens doivent harmoniser leurs besoins d’équipement. Construire une industrie européenne de défense implique, dans les choix d’équipements des nations européennes, une démarche volontariste qui prenne en compte, au-delà de l’intérêt financier immédiat, une stratégie de défense européenne à long terme ;
- priorité numéro 2, les Européens doivent déterminer, ensemble les secteurs industriels dont il convient d’assurer la pérennité sur le continent européen du fait de leur importance stratégique. Ils doivent en tirer toutes les conséquences nécessaires, y compris sous forme d’une préférence européenne, qui bien loin d’être une fin en soi, est notamment une façon de garantir la compétitivité de nos industries. Ils doivent aussi prévoir suffisamment en amont quelles seront les technologies indispensables à long terme aux industries d’armement, et ce pour ne pas faire d’impasse préjudiciable à leur autonomie stratégique. C’est ce que nous avons fait, notamment, dans le domaine spatial ;
- priorité numéro 3, les Européens doivent faire de la coopération en matière d’armement une dimension supplémentaire de la politique de sécurité et de la défense commune de l’Union européenne. Cet effort se manifeste déjà dans le projet de structure de coopération franco-allemande de l’armement qui est en train de se mettre en place avec l’Italie et la Grande-Bretagne. Il s’agit, pour les Européens, de mener des projets de façon intégrée et à moindre coût. Dans le domaine naval, le programme Horizon, mené avec l’Italie et la Grande-Bretagne, est tout à fait exemplaire ;
- priorité numéro 4, les Européens doivent engager de façon résolue une coopération avec leurs partenaires qui le souhaitent et en particulier les pays d’Europe centrale et orientale qui ont traditionnellement des compétences reconnues dans le domaine de l’industrie d’armement. A cette fin, j’ai proposé à mes collègues la création d’un partenariat européen pour l’armement.

Il y a deux ans, le Salon naval prenant le nom d’Euronaval. La présence de nos partenaires européens, venus en grand nombre, confirme cette évolution qui correspond à notre volonté politique et stratégique. Mais pour la première fois, ce salon accueille aussi des exposants venus d’autres continents, que je salue ainsi que toutes les délégations ici présentes. Il ne me reste plus qu’à souhaiter le plein succès de l’édition 96 du salon Euronaval.