Interviews de M. Charles Millon, ministre de la défense, à France 2 et de M. Alain Lamassoure, ministre délégué au budget, à Europe 1 le 4 décembre 1996, sur l'attentat dans le RER à la station Port-Royal, la réactivation du Plan Vigipirate, la situation politique et économique et les relations monétaires avec l'Allemagne.

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Circonstance : Attentat dans le RER à la station Port-Royal de Paris, le 3 décembre 1996 : 4 morts et des dizaines de blessés

Média : Emission Les Quatre Vérités - Europe 1 - France 2 - Télévision

Texte intégral

France 2 - Mercredi 4 décembre 1996 - Charles Millon

France 2 : Deux morts, quatre-vingt-dix blessés dont sept graves et trois dans un état désespéré, c’est donc le bilan de l’attentat de Port-Royal. La réprobation est unanime, quelle est votre réaction ?

C. Millon : C’est un acte horrible. Comme l’a dit le président de la République, c’est un acte de barbarie totalement inacceptable. Bien sûr, nos premières pensées vont aux familles des victimes, vont aux blessés. Nous espérons que, rapidement, on pourra mettre un terme à cette situation de terrorisme et d’insécurité. C’est la raison pour laquelle, d’ailleurs, le ministre de l’intérieur, sur la demande du Premier ministre, a réactivé le plan Vigipirate. Les forces armées, qui sont sous mon autorité, se sont mises à la disposition du gouvernement pour pouvoir assurer la sécurité dans les aéroports, dans les stations de métro, dans les gares et dans les lieux recevant du public. Dès ce matin, 500 hommes sont à la disposition du préfet de police de Paris et plus de vingt escadrons de gendarmerie ont été mobilisés.

France 2 : Et quand tout le monde sera mobilisé, cela représentera combien d’hommes ?

C. Millon : Il y a des niveaux différents pour Vigipirate. Lors de la dernière mobilisation, qui était intervenue à l’occasion malheureuse des attentats de 1995, près de 5 000 hommes ont été mobilisés et ont permis ainsi à la France de retrouver un sentiment de sécurité, une sécurité effective ; et finalement, l’éloignement de ce fléau qui est le terrorisme aveugle qui s’attaque à des innocents pour pouvoir essayer d’imposer des convictions et d’imposer, en fait, leur point de vue politique.

France 2 : Le même dispositif est tout à fait prêt à être mis en place ?

C. Millon : Le dispositif est réactivé car le plan Vigipirate n’avait jamais été totalement supprimé. Il est réactivé. Il montera en puissance en fonction de la situation et en fonction des directives qui seront données par le ministre de l’intérieur.

France 2 : On redécouvre un rôle de l’armée qui n’est pas un rôle premier mais qui est un rôle tout à fait essentiel et important, à un moment où vous allez réformer le service national et supprimer la conscription au profit d’un rendez-vous citoyen. Est-ce que cela ne pose pas un problème ?

C. Millon : Pas du tout. Vous savez, l’objectif de la réforme des armées, aujourd’hui, est double. D’une part, augmenter le caractère opérationnel des armées pour toutes les missions des armées, c’est-à-dire la mission de dissuasion, la mission de prévention, la mission de projection, mais aussi la mission de protection. Et d’ailleurs, pour ceux qui ont pris connaissance de la loi de programmation, ils constateront que les effectifs de la gendarmerie, par exemple, vont augmenter pendant les années à venir de 4,5 % en six ans parce que nous pensons que les nouvelles menaces seront, malheureusement, des menaces de ce type-là. Deuxièmement, l’armée suivra un entrainement. Elle sera d’autant plus efficace pour assumer ces charges-là qu’elle aura les équipements et l’entrainement voulus. Donc, c’est le premier objectif. Le deuxième objectif, c’est d’avoir la mise en place d’un rendez-vous citoyen avec la prise de conscience d’appartenance à une communauté nationale, ce qui amènera un certain nombre de jeunes Français à aller dans les réserves, à effectuer un volontariat dans les armées et, par-là, à maintenir ce lien entre l’armée et la nation, qui est nécessaire lui aussi, du point de vue du climat, à la sécurité de notre pays.

France 2 : Cinq jours pour ce rendez-vous citoyen, est-ce suffisant ? Certaines personnes, dont des membres de la majorité, disent qu’en cinq jours, on ne peut rien faire et qu’il faudrait quinze jours.

C. Millon : Le rendez-vous citoyen a un objectif bien précis. Le rendez-vous citoyen est un temps fort dans un parcours civique. L’instruction civique est dispensée d’abord dans l’éducation nationale, dans les familles. Au moment du rendez-vous citoyen, il y aura une information intense sur la République, sur la défense, sur les droits et devoirs des citoyens. C’est un temps fort dans un parcours d’insertion sociale pour ceux qui, malheureusement, ont été marginalisés et laissés pour compte. C’est un temps fort pour toutes les jeunes Françaises et tous les jeunes Français pour qu’ils se connaissent, qu’ils se rencontrent et qu’ils prennent conscience de ce que la communauté nationale fait pour eux et ce qu’ils peuvent faire pour la communauté nationale. Car la citoyenneté, c’est non seulement recevoir mais c’est aussi donner aux autres, d’où le volontariat dans le domaine de la défense, dans le domaine de la cohésion sociale, dans le domaine de la coopération internationale.

France 2 : Il n’y a donc pas eu de réelle intervention d’une force multinationale au Zaïre, or, on dit qu’il y a toujours des centaines de milliers de personnes qui sont en danger. N’y a-t-il pas là un échec de la communauté internationale et de la France en particulier ?

C. Millon : Il y a un retard qui n’est pas acceptable. Vous savez que la France a souhaité et souhaite encore que la résolution du conseil de sécurité de l’ONU soit appliquée, qu’une force humanitaire multinationale puisse se porter au secours des réfugiés de l’Est du Zaïre. La France continue à faire des propositions à cet effet. Et nous espérons que la communauté internationale se rendra compte du caractère catastrophique de l’état sanitaire et humanitaire de cette région du Zaïre.

France 2 : En revanche, pas d’intervention dans ce que l’on peut appeler la guerre civile au sein du Zaïre ?

C. Millon : Il n’est pas question de rentrer dans un conflit armé, dans un conflit politique. Il n’est question que de porter secours à des populations qui sont en déshérence et désespérance.

France 2 : Les sondages sont en berne, la morosité est grande, y compris dans la majorité et A. Juppé a dit, hier, qu’il mènerait lui-même le combat pour les législatives de 1998. Est-ce une bonne idée ?

C. Millon : A. Juppé a une très grande qualité, c’est la qualité du courage et de la clairvoyance. Il sait ce qu’il faut pour la France. Il sait qu’il faut engager des réformes après les avoir expliquées à nos concitoyens. Et les réformes, c’est toujours difficile à mettre en œuvre parce que, lorsque vous mettez en œuvre une réforme, ceux qui vont en profiter ne le savent pas et ceux qui vont être obligés de faire un certain nombre de sacrifices ont une tendance de repli sur eux-mêmes. On sait qu’à terme, on pourra avoir une France qui sera plus moderne, plus adaptée au progrès économique et social. Donc, A. Juppé, avec son gouvernement, continue cette action à partir des orientations du président de la République. Deuxièmement, il est courageux car c’est vrai que la situation est difficile et qu’il faut être courageux pour, parfois, faire front par rapport à l’impopularité. Vous savez, l’impopularité n’est que passagère et les Français sauront reconnaître ceux qui permettent à la France de se redresser.

France 2 : J. Chirac doit-il intervenir, parler aux Français ?

C. Millon : J. Chirac interviendra lorsqu’il le jugera utile, pour rappeler les grands objectifs et les grandes orientations de la politique. Mais aujourd’hui, le gouvernement sait ce qu’il doit faire et est très solidaire avec le Premier ministre.

 

Europe 1 - Mercredi 4 décembre 1996 - Alain Lamassoure

Europe 1 : Face à l’horreur répétée, les Français réagissent avec colère mais avec sang-froid et dignité. Le gouvernement va-t-il parvenir à neutraliser les auteurs du crime d’hier et savez-vous, ce matin, d’où vient le coup contre Paris ?

A. Lamassoure : Non, nous ne savons pas aujourd’hui d’où vient le coup contre Paris, nous allons tenir, immédiatement après le conseil des ministres, sous la présidence du président de la République, avec tous les ministres concernés par les problèmes de sécurité intérieure et extérieure, une réunion de travail pour faire le point, et le Premier ministre a déjà décidé qu’on allait réactiver ce qu’on appelle le plan Vigipirate, qui est déjà en fonction ce matin.

Europe 1 : Son application va durer le temps qu’il faut ?

A. Lamassoure : Tant que la menace durera. Vous avez fait allusion à l’attitude des Français, je voudrais rendre hommage à leur sang-froid. Hier soir, sur la scène de la tragédie, on assistait à des actes très remarquables : des personnes qui étaient dans le métro, qui sont revenues pour porter assistance à ceux qui étaient blessés, au mépris du danger éventuel qui pouvait persister. Et, je voudrais profiter de cette occasion pour lancer à tous vos auditeurs un appel au calme, un appel au sang-froid, de manière à ce que ce qui s’est produit l’année dernière se reproduise cette année, que, grâce à la coopération de la population, la police puisse être plus efficace, notamment pour prévenir les attentats.

Europe 1 : Les terroristes, jusqu’à présent, ont agi par séries, redoutez-vous, en ce moment, qu’il y ait d’autres violences dans Paris ou dans d’autres villes de France ?

A. Lamassoure : Il faut craindre que cet acte ne soit pas isolé.

Europe 1 : Vous le craignez ?

A. Lamassoure : Cela ne peut pas ne pas nous rappeler ce que nous avons connu l’année dernière, à la fois en ce qui concerne les méthodes utilisées, les lieux, le métro et, en particulier, cette ligne de métro ; l’heure, qui est une heure d’affluence et qui est juste avant le journal télévisé de 20 heures, donc qui peut avoir une résonance médiatique. Et donc, nous devons remettre en place tout un mécanisme qui, l’année dernière, avait été efficace puisqu’il avait arrêté la vague d’attentats.

Europe 1 : Les réseaux qui étaient mis en sommeil semblent renaître. On retrouve donc des similitudes avec 1995. Avez-vous des pistes ? Pourriez-vous dire « c’est le GIA » ou « la tendance dure du GIA », ou « ça vient des islamistes algériens » ?

A. Lamassoure : Non. Pour l’instant, très sincèrement, nous n’avons aucune piste. Nous allons faire le point en fin de matinée, nous observons les ressemblances avec ce qui s’est passé l’année dernière et je redis que les Français doivent faire preuve du même sang-froid et du sens de la solidarité qu’ils ont exprimé l’année dernière et qu’en même temps, vis-à-vis de la communauté musulmane, ils doivent faire preuve aussi de beaucoup de respect et de tolérance.

Europe 1 : Vous avez l’impression que ce sont des extrémistes qui viennent d’autres pays et qui ont des complicités en France ? Ils sont protégés dans les banlieues ?

A. Lamassoure : Vraiment, sincèrement, il est trop tôt pour le dire.

Europe 1 : Réclamez-vous une bonne coopération de l’Europe, au moins en matière judiciaire ? Il y a des extraditions qui ne se font pas d’une manière assez rapide, comme la police et la justice française le demandent, avec la Grande-Bretagne, la Suède, l’Allemagne ?

A. Lamassoure : Oui, c’est un sujet sur lequel il faut progresser et nous sommes en train de progresser. Vous vous souvenez qu’il y a eu, l’année dernière, un litige important entre la Belgique et l’Espagne à propos de terroristes de l’ETA qui avaient été arrêtés en Belgique et que la Belgique ne voulait pas extrader. C’est un sujet que nous abordons maintenant dans le cadre de l’Union européenne et sur lequel nous sommes en train de préparer un accord général au sein de l’Union européenne.

Europe 1 : Craignez-vous, vous, porte-parole d’un gouvernement qui prend des oups depuis plusieurs mois, des effets sur la sécurité, sur le commerce, à la veille des fêtes de Noël, sur le moral qui n’était déjà pas très haut ?

A. Lamassoure : Non, je ne le crois pas parce que l’expérience tragique de l’année dernière a montré que les Français faisaient la part des choses entre les menaces de type terroriste et l’activité économique et la situation politique intérieure. Et vous avez observé – et c’est une bonne chose – qu’en face de cette nouvelle menace pour la sécurité des Français, il y avait une quasi-unanimité de la classe politique dans la majorité, dans l’opposition. Le président de la République est monté tout de suite au créneau pour rassurer la population et, dans ces moments graves, le peuple français sait se rassembler.

Europe 1 : L’économie française, qui a été longtemps blessée, va un peu mieux ? En 1997, cela va être comme en 1996 ?

A. Lamassoure : La bonne nouvelle de cet automne, c’est que tous les signes montrant une accélération de l’expansion économique se multiplient ces derniers temps. Les divers moteurs de la croissance commencent à fonctionner à haut régime. C’est le cas, par exemple, de la consommation des familles. On a dit longtemps « la consommation ne peut pas reprendre tant que la confiance n’est pas là. » La confiance est là puisque la consommation reprend, à un niveau supérieur même à ce que nous avions prévu il y a un an. Jamais les exportations n’ont été aussi fortes. L’investissement des entreprises, qui a été la grande déception du premier semestre, semble repartir au second semestre. Le marché immobilier, qui connaît un marasme depuis plusieurs années, est relancé : le dernier chiffre disponible montre au troisième trimestre une augmentation de 11 % des ventes de logements neufs. Et on commence à voir quelques effets positifs sur l’emploi.

Europe 1 : Il y a des signes tendant à montra que 1997 pourrait être meilleur que 1996 ?

A. Lamassoure : Oui. Il y a plus que des signes, il y a maintenant une quasi-certitude que nous retrouvons le niveau de croissance d’environ 2,5 % par an qui permet d’avoir des effets positifs sur l’emploi et qui redonne la confiance.

Le chancelier Kohl a travaillé hier à l’Élysée avec J. Chirac. Il y a des divergences sur le pacte de stabilité qui prévoit pour 1999 la rigueur budgétaire pour les pays qui ont la monnaie unique, et même des sanctions contre les indisciplinés. Peut-on aller vers un compromis franco-allemand ?

A. Lamassoure : Oui, nous irons vers un compromis. Sur quoi porte le débat ? Quand nous aurions marié nos monnaies, qu’il n’y aura plus de franc, de mark, de lire mais qu’il y aura l’euro, cela veut dire que nous mettrons en commun nos créances et nos dettes. Il ne faudrait pas que les pays bien gérés soient amenés à payer à la place des pays mal gérés. La seule différence entre les Allemands et nous – et quand je dis « nous », ce sont tous les autres pays de l’union – c’est que les Allemands voudraient qu’on institue des automatismes et qu’on dise « à tel pourcentage de résultat sur les déficits, il faudra mettre en place des pénalités de tant de pourcents du PIB ». Nous, nous souhaitons quelque chose qui soit rigoureux mais, en même temps, plus souple, pour tenir compte de la nécessité…

Europe 1 : … et le compromis aidera à maintenir une part de souveraineté nationale ?

A. Lamassoure : Bien entendu ! Pour tenir compte aussi de la souveraineté nationale et du fait que la politique budgétaire, la politique fiscale – c’est-à-dire l’impôt – reste et restera de la compétence des parlements nationaux et que nous devons en parler à nos parlements avant d’en parler à nos partenaires.

Europe 1 : Les propositions de Giscard sur le franc et le mark ont-elles aidé et servi la France ?
 
A. Lamassoure : Je ne crois pas qu’on puisse présenter les choses de cette manière-là. Autant, dans ce qui a été dit la semaine dernière, il est vrai que le dollar est – et reste – sous-évalué par rapport aux grandes monnaies européennes. Il faut se réjouir d’ailleurs de voir qu’en quelques jours, autant on est passé d’un dollar à 5 francs à un dollar à 5,30 francs, autant, entre le mark et le franc, on peut considérer que la parité actuelle est bonne. Et je dirais même qu’aujourd’hui, des considérations objectives existent pour dire que l’économie française s’en sort mieux que l’économie allemande.

Europe 1 : V. Giscard d’Estaing vous a aidé ou pas ?

A. Lamassoure : Pas véritablement.

Europe 1 : Newsweek consacre sa couverture et des éditoriaux remarqués à la France et à son exécutif et pose une question : si J. Chirac et A. Juppé sont si intelligents, comment la France est-elle dans cet état ? Vous avez une réponse ?

A. Lamassoure : Je dirais que l’hebdomadaire Newsweek d’il y a deux ans disait la même chose d’un certain président Clinton. Je veux dire par là qu’il est clair que, quand on lance une politique ambitieuse et courageuse, pendant les premiers temps, pendant un an, 18 mois, on en a tous les inconvénients sans en avoir les avantages. Maintenant, l’économie va mieux, d’autre part, les réformes que nous avons engagées l’année dernière commencent à produire leurs effets sur la Sécurité sociale. Un seul exemple : nous sommes dans le cinquième mois consécutif de baisse des dépenses de la Sécurité sociale, les dépenses de la Sécurité sociale sont sous contrôle, les Français vont commencer à s’en rendre compte.

Europe 1 : Quand vous dites « on va sortir du tunnel, on va voir des clignotants verts » ?

A. Lamassoure : On est en train ! Je vous donne des exemples concrets, perceptibles et mesurables dès aujourd’hui.