Texte intégral
Q. - Un accord est en vue à Bagdad ; si le Secrétaire général de l’ONU, Koffi Annan, signe cet accord, est-ce qu’il engage toutes les nations, y compris les Etats-Unis ?
R. - Mais bien sûr. Il semble qu’on puisse être optimiste aujourd’hui, et c’est tant mieux. Je crois qu’au point où nous en sommes nous verrons bien l’évolution dans les prochaines heures ; mais on peut légitimement être fiers de l’action qui a été conduite, au nom de la France, par le Président de la République, Jacques Chirac. La solution diplomatique était la meilleure.
Q. - Vous oubliez le ministre des Affaires étrangères aussi, Hubert Védrine.
R. - Le ministre des Affaires étrangères était dans la ligne de l’union nationale, il a aidé le Président de la République, il a eu raison.
Q. - Un mot sur la position américaine : est-il pensable que les Etats-Unis, si un accord est signé, encore une fois, par Koffi Annan, dise : eh bien, nous, cet accord ne nous convient pas parce qu’il ne respecte pas nos intérêts nationaux, et nous allons frapper ?
R. - Franchement, d’abord, autant je suis plus que favorable à une solution diplomatique – parce qu’un conflit armé ne résoudrait rien -, autant je considère qu’il serait un peu injuste de mettre sur le même pied les Etats-Unis et Saddam Hussein. Disons les choses telles qu’elles se posent. Les Etats-Unis c’est une grande démocratie, c’est un pays allié, il n’y a aucune raison de penser que les Etats-Unis ne respecteraient pas une décision des Nations Unies.
Q. - Donc, pour vous, il n’y aura de frappe s’il y a accord signé par l’ONU ?
R. - Je suis comme tous les autres, j’écoute, j’attends, avec impatience, parfois avec inquiétude, parfois avec optimisme. Aujourd’hui, il y a lieu d’être optimiste, et c’est tant mieux. Et c’est tant mieux, parce qu’encore une fois, la France y a joué un rôle. Et je regrette d’ailleurs, de ce point de vue, que l’Europe n’ait pas dégagé une position commune ; c’était vraiment l’occasion de nous ranger derrière une même position, celle qui consistait à faire prévaloir la diplomatie. Fermeté et diplomatie ce n’est pas contradictoire.
Q. - La France a-t-elle retrouvé son rôle traditionnel de contestatrice de la domination exclusive des Etats-Unis ?
R. - Mais non, il ne s’agit pas de contester les Etats-Unis, ou de se positionner par rapport aux Etats-Unis. Mais il est parfaitement évident que nous n’avons pas vu disparaître l’Union soviétique, que nous ne sommes pas sortis d’un système bipolaire, pour être, aujourd’hui, dans un système mono polaire. Il y a les Nations Unies, il y a un ordre international. Lorsqu’il y a une décision de frappe militaire – et elle ne peut être légitime que si elle est décidée par l’ensemble de la communauté internationale -, donc, la France a joué son rôle au Moyen-Orient, et c’est très bien ainsi.
Q. - Vous y faisiez allusion toute à l’heure : Jacques Chirac, Président de la République, tout comme Lionel Jospin d’ailleurs, se trouve en forte hausse dans les sondages. Mais les Français disent : ce n’est pas le chef de l’opposition qui nous plaît en Jacques Chirac, c’est le garant de l’unité nationale quand il agit de concert avec le Gouvernement, dans les crises graves – l’Irak ou l’assassinat du préfet en Corse. Est-ce que vous, l’un des responsables de l’opposition, ça vous gêne de voir que le Président de la République, finalement, est aimé par les Français, quand il est le garant de l’unité nationale, auprès du Gouvernement de gauche ?
R. - D’abord, M. Mazerolle, vous êtes extrêmement savant, ce qui ne m’étonne pas, et vous savez parfaitement pourquoi…
Q. - J’ai lu les analyses des sondages.
R. - Vous savez parfaitement pourquoi l’action de… Ah si vous avez lu les sondages, vous en savez beaucoup. Le problème c’est que, vous le savez, ils ont des vérités successives. Vous avez maintes fois eu l’occasion de vous en plaindre et de les dénoncer. La popularité de Jacques Chirac, il y a tout lieu de s’en réjouir. Et face à des évènements – de la gravité de l’assassinat d’un préfet en Corse ou du risque d’un conflit armé en Irak -, les Français souhaitent l’union nationale. Mais ne confondons pas les choses : qu’il y ait nécessité d’union nationale lorsqu’il y a des événements très graves, c’est une réalité, mais ne la confondons pas avec la cohabitation. Et je reste, pour ma part, réservé sur la cohabitation. Je ne considère pas que le fait que, Lionel Jospin et Jacques Chirac ayant été élus sur des options radicalement différentes, qu’ils sont obligés de gouverner ensemble, par cohabitation interposée, ça soit le système le plus efficace pour la France.
Q. - Je vais encore vous parler de sondages, tant pis : pourquoi la droite, l’opposition donc, d’aujourd’hui, au plan national, ne bénéficie-t-elle pas de l’embellie de Jacques Chirac ? C’est bien qu’il y a un décrochage, une dichotomie dans l’esprit des Français ! Il y a d’un côté, le Président de la République, garant de l’unité nationale et puis l’opposition, la droite…
R. - Très bien. Eh bien l’opposition a à reconstruire, ce qui n’est pas une tâche facile –un peu plus de huit mois après l’échec du mois de juin, qui fut un échec sévère -, et il est vrai que le calendrier ne nous facilite pas la tâche. De la même façon qu’avoir 20 régions sur 22 n’est pas pour nous un gage d’espérance de beaucoup de gain.
Q. - Oui, mais alors Philippe Séguin, hier soir, sur TF1, a été extrêmement modeste. Il a dit : « on va peut-être gagner une région, voire deux, au-delà je ne peux pas dire. » Vous vous rendez compte ! Deux régions au lieu de vingt ! C’est ça votre ambition ?
R. - Mais peut-être que vous n’avez pas compris l’humour qu’il y avait dans la proposition de Philippe Séguin, car il s’agissait de faire des additions. Si nous devions gagner, par rapport à la dernière fois, une ou deux régions, ça veut dire que nous en aurions gagné vingt et une ou vingt deux. Et je confirme au micro…
Q. - C’est en plus des vingt alors ?
R. - Oui, c’est pas moins. Je confirme au micro de RTL, que ça serait pour nous formidable. J’ajoute…
Q. - Donc, l’objectif c’est vingt et une régions alors ?
R. - Non, bien sûr que non. J’ajoute qu’il y a aujourd’hui deux régions qui sont gouvernées par la gauche : l’une, le Nord-Pas-de-Calais, est la plus endettée de France, l’autre, le Limousin, est celle qui a la fiscalité la plus lourde. Alors disons les choses très clairement : on fait l’expérience d’une majorité plurielle au niveau national, et on n’a pas besoin, en plus, de leur donner de pouvoir au niveau régional.
Q. - Alors, tout de même, le RPR s’est remis en ordre de marche ; il a tenu ses assises et son conseil national ; il y a eu des listes communes de l’opposition. Pourquoi, huit ou neuf mois après, l’opposition ne parvient-elle pas à remonter dans les sondages ?
R. - D’abord, le but ce n’est pas de remonter dans les sondages, le but ça sera de gagner les élections. Donc, si vous le permettez, nous ferons le bilan après que les élections se soient déroulées, pas avant. Vous savez, les derniers évènements, notamment les dernières élections législatives, nous ont appris beaucoup d’humilité. Tous ceux qui nous voyaient gagnant très facilement, en ont été pour leurs frais et nous aussi. Mais je veux dire aussi que, la reconstruction de l’opposition, nous n’avons jamais pensé que ça se ferait en quelques semaines ; qu’il suffit de claquer dans les doigts pour retrouver la confiance d’électeurs qui nous ont quittés depuis des années ou des années. Il y a tout un processus de refondation de notre projet politique, de « récrédibilisation » de la parole politique ; ça prendra du temps. C’est parce que c’est difficile, et que ça demande de la persévérance que nous sommes engagés d’ailleurs dans cette voie. Je ne pense qu’il suffit de se présenter à des élections régionales pour que tous les problèmes qui existaient au mois de juin, comme par un coup de baguette magique, soient réglés. Maintenant, permettez-moi de vous dire que je suis, avec mes amis, derrière Philippe Séguin, engagé dans le processus de la campagne des régionales. J’attendrai avant de juger de ce qu’on dit les Français, qu’ils se soient prononcés.
Q. - Claude Allègre, lui, sur France 2, pense avoir trouvé la solution au fait que l’opposition ne remonte pas, il dit : « Eh bien c’est très simple, la droite n’a pas d’idées, elle se contente de gêner le Gouvernement quand elle le peut. »
R. - Très bien. Que Claude Allègre se consacre à l’Education nationale, à sa réforme et à la mobilisation de l’ensemble des forces syndicales contre lui. Pour celui qui voulait « dégraisser le mammouth », le moins qu’on puisse dire c’est que, dans le meilleur des cas il fait du sur-place, dans le pire – ce qui est son quotidien -, il recule.
Q. - Mais est-ce que la droite, tout de même, dans le débat sur les 35 heures, n’est pas apparue, à tort ou à raison d’ailleurs, auprès de l’opinion publique, comme étant un peu à la remorque du patronat ?
R. - Mais c’est formidable ! Alors ça veut dire quoi ? Ca veut dire que le débat politique, tel qu’on le conçoit, c’est parce qu’on pense qu’une idée n’est pas bonne on n’aurait pas le droit de le dire si elle ne semblait pas immédiatement à la mode ? Permettez-moi de vous dire que sur les 35 heures, les Français le paieront, c’est une erreur sociale d’abord, de réduction de salaire ; la vérité apparaît chaque jour un peu plus. Et c’est ensuite une erreur économique, parce qu’aucun autre pays au monde ne se lance dans ces 35 heures. C’est un formidable cadeau aux concurrents de la France, et donc c’est un formidable cadeau pour que tous les étrangers créent chez eux des emplois que nous, nous perdrons.
Q. - Le jour où vous revenez au pouvoir vous abolissez cette loi ?
R. - Franchement, franchement…
Q. - Le jour où vous revenez au pouvoir vous abandonnez cette loi ?
R. - Pour ce qui me concerne, c’est qu’aujourd’hui, je pense que c’est un mauvais choix ; demain il n’y aucune chance que je pense que ça soit un bon choix.
Q. - Alors ?
R. - Permettez-moi de vous dire que ce que je considère comme pas bon, je ne vois pas pourquoi je le considérerai demain comme bon.
Q. - Donc, vous reviendrez dessus ?
R. - Si nous revenons au pouvoir, nous imaginerons les contours d’une autre politique économique, qui n’aura effectivement rien à voir avec celles des socialistes.
Q. - Et en revenant sur les 35 heures ?
R. - Pas simplement là-dessus, mais…
Q. - Mais attendez, en revenant sur les 35 heures ?
R. - Bien sûr !
Q. - Bien sûr ?
R. - Enfin, écoutez M. Mazerolle…
Q. - J’ai bien entendu, « bien sûr » ? Vous reviendrez sur les 35 heures ?
R. - Je vous sens d’un dynamisme ce matin dont je vous félicite. Je vous répète que les 35 heures c’est un mauvais choix ; que les Français le paieront d’une diminution de salaire ; que les entreprises le paieront d’une diminution de leur productivité ; et que les Français le paieront d’une augmentation du chômage.
Q. - Donc vous reviendrez dessus ?
R. - Si je suis sincère avec ce que je dis ce matin au micro de RTL, il n’y a aucune raison que, demain, si les Français nous confient les responsabilités du Gouvernement, je ne pense pas la même chose. Donc, on reviendra dessus, naturellement. J’ajoute que, la France, et la démocratie française, a suffisamment souffert, me semble-t-il, d’avoir une droite républicaine qui ne mettait pas suffisamment en œuvre les engagements qui étaient les siens, pour que nous ayons compris la leçon. La montée du Front national vient très largement du sentiment, à tort ou à raison, qu’a donné trop longtemps de ne pas vouloir mettre en œuvre sa politique. Et si vous me permettez un dernier point : il ne s’agit pas de se déterminer par rapport à qui que ce soit – le patronat un jour, les syndicats un autre, le Front national un autre encore. Dans la démocratie, le rôle des hommes et des femmes politiques, c’est d’affirmer leurs convictions. Je ne prétends pas avoir la vérité naturellement, mais ces convictions je veux essayer de les faire partager avec toute la sincérité, dont avec mes amis je suis capable.