Interview de M. Jean-Claude Gaudin, ministre de l'aménagement du territoire de la ville et de l'intégration et maire de Marseille, dans "La Vie" du 28 novembre 1996, sur la tradition de tolérance due au brassage des populations à Marseille et sur ses relations avec les responsables des communautés religieuses de la ville.

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Média : CFTC La Vie à défendre - La Vie

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La Vie : En quoi l’histoire de Marseille prédispose-t-elle votre ville à être la capitale du dialogue interreligieux ?

Jean-Claude Gaudin : Marseille, ville méditerranéenne deux fois millénaire, a connu un brassage de cultures sans doute unique dans notre pays. Ce mélange permet, bien sûr, de conduire tous les dialogues, et notamment un dialogue interreligieux. Dans sa réalité quotidienne, Marseille est une ville très tolérante, car immensément multiple. Cela permet de dominer toutes les différences et explique que les religions puissent coexister harmonieusement, ici plus qu’ailleurs.

La Vie : A quoi sert Marseille Espérance ?

Jean-Claude Gaudin : L’association Marseille Espérance, qui a été créée à l’initiative de mon prédécesseur Robert Vigouroux, a sans doute besoin d’un second souffle. Elle représente avant tout un symbole, visible par tous les Marseillais, en incarnant l’harmonie qui règne entre les différentes communautés de notre ville. Marseille Espérance a été très utile au moment de la guerre du Golfe, pour désamorcer les conflits et lancer des messages de paix, de calme, de sérénité.

La Vie : Entretenez-vous avec les responsables religieux de la ville des relations purement protocolaires, ou plus approfondies ?

Jean-Claude Gaudin : Comme vous le savez, je suis moi-même catholique, et je pense avoir des relations étroites avec les responsables catholiques. J’ai aussi des relations de partenariat très positives avec la communauté juive, et des relations excellentes avec la communauté arménienne et la communauté protestante, sans doute la plus structurée et la plus discrète dans cette ville de tradition gréco-latine. Quant aux bouddhistes, leur présence à Marseille reste, pour l’instant, marginale.

Nous commençons à esquisser un vrai dialogue avec les responsables musulmans, dont la tolérance, la capacité d’adaptation et la compréhension de Marseille me surprennent agréablement. Plus les musulmans s’intégreront à la vie de la cité, plus le dialogue avec eux sera positif. Mais il faut rester conscient du danger intégriste. Il existe, à Marseille, 20 mosquées, qui ne posent aucun problème dans la population. Il semble qu’il y ait un projet pour demander une grande mosquée. A ce jour, je n’ai pas reçu de demande de permis de construire. Si tel était le cas, j’examinerais les questions d’urbanisme : à Pékin, la mosquée est dans une pagode, pourquoi ne serait-elle pas, à Marseille, dans un mas provençal ? Mais je regarderais aussi de très près les sources de financement. Il faut veiller à ce qu’il n’y ait pas infiltration par les intégristes du Fis.

La Vie : Marseille, malgré une situation économique et sociale difficile, connaît peu d’explosions dans les banlieues. Comment expliquez-vous ce « bon point » ?

Jean-Claude Gaudin : En effet, il n’y a pas à Marseille de problèmes culturels et ethniques majeurs. Il n’y a pas non plus d’explosion dans les banlieues. Cela s’explique par le fait que Marseille assure, plus qu’aucune autre ville de France, une véritable fonction d’intégration socio-culturelle. Les diverses vagues d’immigration, italienne, espagnole, arménienne ou maghrébine, se sont conjuguées au fil du temps pour se transmuter en une population spécifiquement marseillaise.

L’existence du Front national, qui atteint des scores électoraux importants, ne perturbe pas réellement la vie de la cité et exprime plus les difficultés économiques, et notamment le chômage, qu’un racisme réel. D’ailleurs, bien souvent, les responsables de ce mouvement sont, eux-mêmes, des immigrés de la deuxième ou troisième génération, d’origine espagnole ou italienne.

Je dirais aussi qu’il n’y a pas de banlieues à l’extérieur de la ville, et que les gens des cités, même les plus difficiles, se définissent fortement comme étant d’abord Marseillais.

Il n’y a pas de perte d’identité, bien au contraire. Le sentiment d’appartenance à la ville de Marseille reste quelque chose de très fort.

La Vie : Pensez-vous, comme le dit souvent Jean-Paul II, que Marseille est le berceau de la chrétienté ?

Jean-Claude Gaudin : Marseille, ville la plus ancienne de France, voire de la Gaule romaine, est naturellement le point de départ de la chrétienté dans notre pays. Sans reprendre la légende des Saintes-Maries débarquant après la crucifixion sur la plage des Saintes-Maries-de-la-Mer, en Camargue, et allant finir leur vie dans la grotte sanctuaire de la Sainte-Baume, il me semble que les cryptes de Saint-Victor, l’église la plus ancienne de France, en portent un témoignage suffisant.