Texte intégral
France Inter - vendredi 8 novembre 1996
A. Ardisson : N'est-ce pas totalement hypocrite, au bout de 15 jours, de dire : on demande la permission d'intervenir ou plutôt de faire intervenir les autres, en l'occurrence une force internationale à dominante africaine ?
B. Kouchner : Oui, c'est vrai, mais tout le monde ne dit pas ça. Je crois que certains politiques s'honorent de pousser vers le sauvetage et d'autres sont en train d'inventer « fossoyeurs sans frontières ».
A. Ardisson : Qui sont les autres ?
B. Kouchner : Ceux qui n'acceptent pas pour le moment ou qui se cachent derrière leur petit doigt ou qui font des ronds de jambe. Mais j'espère que M. Major va sortir convaincu de son entrevue avec J. Chirac et j'espère que la France remportera très vite – parce qu'on dit la semaine prochaine, ce qui serait un scandale supplémentaire – l'adhésion du Conseil de sécurité sur cette opération de sauvetage. Il y a une action humanitaire inventée par la France. Maintenant, il y a une inaction humanitaire inventée par d'autres.
A. Ardisson : Vous dites toujours d'autres mais vous ne voulez pas les nommer ?
B. Kouchner : Tous ceux qui ne veulent pas participer ! Pour le moment, on essaie l'Angleterre. Moi, je préfère être français qu'anglais ce matin. J'espère me réveiller européen ce soir.
A. Ardisson : L'Europe là-dedans est également ambiguë parce que seule la France et l'Espagne ont accepté de faire le premier pas sans attendre le feu vert ?
B. Kouchner : Vous voyez, les autres sont dans l'inaction. Ça fait treize par rapport aux Quinze. Mais ce sont les Africains qui ont demandé. Nous ne sommes pas dans la violation des frontières, le Zaïre a accepté. Ce sont au contraire les Nations unies qui maintenant sont consultées mais qui, en gros, sont d'accord. Les Africains le demandent, des Africains seraient présents, l'Europe apporterait son soutien. Ça me paraît une opération qui devrait se mener assez vite maintenant, compte tenu de l'urgence. Encore une fois, bientôt nous n'aurons plus qu'à enterrer les cadavres.
A. Ardisson : Il y a quand même une différence par rapport à l'opération Turquoise, c'est qu'il y a une affaire intérieure zaïroise là ?
B. Kouchner : Oui mais justement, si on attend l'éclatement du Zaïre, alors ce sera encore pire. Il y a une affaire intérieure zaïroise, nous ne nous en mêlons pas, ce n'est pas notre affaire. Il y a 12 millions de personnes à sauver, je ne sais pas combien sont déjà mortes. Ce qu'on sait – car on ne pénètre pas à travers les frontières dans le Zaïre – c'est que les enfants meurent comme des mouches. Voilà ce qu'on dit, qu'il y a des épidémies qui s'annoncent. Donc ceux qui restent doivent être sauvés, l'humanitaire est prêt, les vivres sont disposés, il y a deux mois de vivres mais bien entendu ça n'est plus un problème humanitaire, c'est un problème politique et militaire : il faut protéger ces convois qui se dirigeront vers les rescapés.
A. Ardisson : Il n'y a pas de problème de logistique ? Parce qu'on a un petit peu tendance à nous annoncer la difficulté d'agir, la difficulté d'y aller, c'est compliqué, c'est lourd, etc. Combien de temps ça peut demander tout simplement, vous nous avez dit que c'était une question d'heures ?
B. Kouchner : Oui, mais il y a un problème politique aussi parce qu'en effet, il y a des rebelles zaïrois qui tiennent l'aéroport de Goma par exemple. Il faut un aéroport pour accéder là-bas. Ça peut être Kigali au Rwanda, mais il faut convaincre le gouvernement rwandais qui voit cette opération d'un mauvais œil. Il faut se souvenir quand même que c'est à partir de ces camps – qui sont maintenant déplacés vers l'intérieur – que des attaques partaient, des milices qui s'étaient reconstituées et qui avaient été les auteurs du génocide rwandais à travers les frontières, repartaient à l'assaut du Rwanda. Il faut convaincre le gouvernement rwandais mais le gouvernement zaïrois est d'accord. À partir d'où pourrait-on effectuer cette opération ? Goma, plus loin, je ne sais pas. Il faut en discuter mais pour le moment, le Zaïre est d'accord, donc c'est une étape très importante.
A. Ardisson : Et le Rwanda ne l'est pas ?
B. Kouchner : Pour le moment, non, mais je pense qu'on pourra le convaincre. Je pense que les Européens qui partent demain vont réussir à convaincre le gouvernement du Rwanda de participer ou d'apporter son concours. Mais pour cela, il faut régler politiquement, au moins évoquer le règlement politique du problème du retour des réfugiés. Je crois qu'il ne faut pas se contenter de corridors humanitaires dont l'invention est française, mais il faut que ces corridors permettent le retour contrôlé par des relais humanitaires, comme nous l'avons fait au Kurdistan, d'une partie au moins de ces réfugiés qui rentreraient au Rwanda, le gouvernement rwandais ayant accepté le principe de ce retour depuis longtemps.
A. Ardisson : Dans quelle mesure vous impliquez-vous personnellement dans cette affaire ?
B. Kouchner : Moi, j'ai fait ce que j'ai pu, je suis allé aux Nations unies il y a deux jours, j'ai longuement vu M. Boutros-Ghali. Il y a un consentement international de plus en plus fort. C'est une façon aussi de voir l'Europe maintenant : la mondialisation non seulement de l'économie mais des solidarités. Il y a une idée de l'Europe qui se construit dans la protection de ces réfugiés. Mais il est vrai que l'ONU joue un rôle très important, il faut l'autorisation des Nations unies, il ne faut pas que ça ressemble à une expédition coloniale, ce sont les Africains qui doivent nous appeler. Tout ça a été construit J'espère avoir convaincu M. Boutros-Ghali, je n'en suis pas certain car vous savez qu'il est en période de réélection éventuelle. Pour le reste, je suis à la disposition de l'Europe. Je suis président de la commission du développement du Parlement européen, c'est l'argent pour le développement des expéditions humanitaires. Peut-être partirai-je avec eux demain si c'est utile, en tout cas si je suis utile au Rwanda.
A. Ardisson : Vous faisiez allusion, il y a un instant, à la réélection ou pas de M Boutros-Ghali, il a un adversaire de taille, ce sont les États-Unis.
B. Kouchner : Absolument.
A. Ardisson : Est-ce que, dans cette affaire, il ne suffit pas de leur feu vert finalement pour repartir ?
B. Kouchner : Non, ils ont demandé des précisions techniques pour savoir s'ils allaient participer. Je crois à leur détermination contre M. Boutros-Ghali mais c'est une raison de plus pour diriger cette opération. S'il doit sortir, sortir la tête haute et s'il ne doit pas sortir, il faut qu'il la dirige pour qu'on ait l'impression et qu'on sache et que l'on considère – que ça ne soit pas seulement une impression – que l'Organisation des Nations unies, la seule organisation internationale encore crédible, dirige cette opération de sauvetage. C'est sa dernière chance.
A. Ardisson : Quand vous dites : « la seule organisation internationale encore crédible » c'est une affirmation ou il y a un point d'interrogation ?
B. Kouchner : Il faut peut-être réformer l'ONU mais ce n'est pas le sujet. Pour le moment, on a besoin de l'autorisation internationale pour envoyer... Il y a une querelle : il y a un chapitre 6 et un chapitre 7, chapitre 8 « Opération de protection armée », « Opérations qui peuvent entraîner des coups de feu et donc une situation de guerre » chapitre 7. Et là, on demande le chapitre 7 ; c'est-à-dire que les 5 000 hommes prévus théoriquement, encadrant et protégeant les sauveteurs, l'accès aux victimes, seraient en position de riposte par rapport au danger que représente une telle situation.
A. Ardisson : Mais là encore, on va arriver, disiez-vous, « pour enterrer les cadavres », ce n'est pas impossible. Ça fait quatre, cinq mois que les Africains nous ont alertés à titre préventif et nous ont demandé de venir.
B. Kouchner : Tout à fait ; c'est non-assistance à un peuple en danger, depuis très longtemps. Trois fois, on nous a demandé : lors du génocide du Rwanda, ensuite au moment où les milices qui avaient été responsables du génocide se sont réorganisés dans les camps, et enfin quand le Président africain J. Nyeréré nous a demandé un soutien à une force africaine pour prévenir ce genre de drame. Nous n'avons pas réagi. Oui, nous sommes coupables de tout cela !
A. Ardisson : Vous disiez qu'ils étaient prêts à faire une sorte de cordon sanitaire ?
B. Kouchner : Plus que prêts, ils nous l'ont demandé. Et du reste, le Secrétaire général de l'ONU nous le demandait aussi. C'est toujours pareil ! On a besoin de l'apitoiement, des images de l'horreur, pour réagir. À l'ONU il y a deux jours, cyniquement, un diplomate m'a dit : « Dans la prévention vous ne pouvez rien demander, mais dans l'horreur revenez nous voir ! » Pas beau. Un jour, on construira et ce sera une idée française, ce que j'ai appelé « le droit d'ingérence », qu'on peut appeler la prévention des massacres. Ça avance, hélas ! mais de massacre en massacre, et toujours trop tard.
A. Ardisson : Comment fait-on pour que ce « droit d'ingérence » préventif ne soit pas assimilé à de la néo-colonisation ?
B. Kouchner : Mais non ! personne ne veut reprendre l'Afrique. Ce sont les Africains qui nous le demandent. Il y aura une force africaine de prévention des massacres plus vite qu'une force européenne. Personne ne veut recoloniser l'Afrique. La question est simple : peut-on les laisser mourir ? Si on répond « oui », c'est même pas la peine qu'on discute. Mais personne n'ose répondre oui. Et si on répond « non », alors faisons-le avant qu'ils soient morts !
RTL - vendredi 15 novembre 1996
RTL : Vous estimez que l'opération au Zaïre est vouée à l'échec si les rebelles ne sont pas désarmés.
B. Kouchner : J'approuve les propos du Président Clinton qui dit : « pas d'invasion ». Mais je mets en garde, car souvenons-nous de l'opération en Somalie : les troupes françaises avaient désarmé à Baidoa en particulier les milices et ça s'était très bien passé. Les Américains ne l'avaient pas fait à Mogadiscio, ça s'était mal passé. Donc, si bien sûr personne ne se présente dans ces zones-tampons qu'il faut sécuriser, si personne – les anciens miliciens – ne se présente, il n'y aura pas à le faire. Mais je pense qu'il n'est pas possible de laisser se réinstaller dans les camps les anciens miliciens ou les anciens des forces armées du Rwanda qui avaient été coupables du génocide. Ce serait une très grande erreur.
RTL : Mais vous devriez être satisfait car ce soir la machine internationale semble être en route.
B. Kouchner : Oui, la machine internationale, avec beaucoup de retard, applique ce que l'on peut appeler quand même le droit d'ingérence, c'est-à-dire la protection des minorités. Si on l'avait fait il y a trois semaines et si on l'avait fait, à l'appel des Africains, il y a quatre mois et il y a un an, nous n'en serions pas là. Je crois qu'il y a un énorme progrès. Mais ne confondons pas l'humanitaire avec la politique. L'humanitaire, c'est quelque chose qui arrive trop tard et dans l'urgence, et parce que la politique n'a pas fait son travail. C'est toujours un échec de la politique. Alors maintenant, il ne s'agit pas de réglementer les rapports entre l'opposition et le président Mobutu au Zaïre. Il ne s'agit pas de s'immiscer dans les affaires politiques du Zaïre. Il s'agit d'aider les réfugiés, mais aussi de permettre leur retour au Rwanda, retour volontaire et ça, ça ne peut se faire qu'en séparant ces réfugiés qui ne sont coupables de rien et ceux qui sont coupables du génocide.
RTL : Et l'attitude de la France qui a joué un rôle clé dans la mise en place de la force internationale ?
B. Kouchner : Oui bien sûr elle est un peu ambiguë. En tout cas sur place on peut la trouver ambiguë. Moi je pense que la France a bien fait, que la manière dont nous nous emparons de l'exigence humanitaire pour protéger des minorités, c'est un très grand progrès. Je pense qu'on ne devrait pas à chaque fois avoir à constituer une force. Je pense que les Africains devraient le faire eux-mêmes. Là, des pays africains vont participer à cette opération. Mais s'il vous plait, que la prochaine fois, car il y aura une prochaine fois, je ne sais pas quand, mais qu'on ne perde pas trois semaines, parce qu'on savait ce qui allait se passer, là, et tous ces troubles, tous ces crimes et tous ces réfugiés sur les routes, tout cela était attendu.
RTL : Une fois de plus la population civile est quasiment prise en otage.
B. Kouchner : Bien sûr, mais il faut comprendre aussi les Rwandais. L'ampleur du génocide – 500 000 à 1 million de personnes – a laissé toutes les familles et tous les Rwandais dans un état de stupeur et de douleur invraisemblable. Alors il faut comprendre qu'ils se méfient de ce retour, mais qu'en même temps les ministres du Rwanda ont toujours dit : « ils pourront rentrer ; mais pas avec leurs armes et pas ceux qui sont coupables de crimes ». N'oublions pas que la communauté internationale, pour une fois – ça encore c'est un progrès –, a fait un tribunal international mais qui n'a pas de moyens, qui n'a pas pu remplir sa mission et qui a à peine 20 personnes poursuivies, pour un massacre d'une telle ampleur. Et puis nous, nous n'avons pas pu aider assez le Rwanda, qui n'a pas réussi à juger toutes les personnes qui sont, par dizaines de milliers, dans ses prisons. La situation est complexe. Il faudra agir avec beaucoup de douceur. C'est bien que les Canadiens soient aux commandes ; c'est bien que les Français y participent et je crois qu'il n'y a pas d'arrière-pensées – en tout cas je l'espère –, même si la situation est ambiguë de la part des Français.
France 2 - mardi 19 novembre 1996
G. Leclerc : On s'interroge, côté américain, sur l'opportunité d'envoyer une force multinationale au Zaïre.
B. Kouchner : 400 000 réfugiés sont rentrés au Rwanda, il faut s'en féliciter. C'est bien, c'est mieux qu'avant. Les réfugiés rentrent chez eux dans des difficultés très grandes : en général, leurs terres ou leurs maisons sont occupées. Il faudrait les protéger, avec des observateurs au Rwanda. Mais il en reste 800 000 qui errent dans la brousse, qui sont au Kivu, enfoncés dans le Zaïre, et on ne sait pas où les trouver ; ni les satellites, ni les organisations en charge, et le HCR en particulier, ne savent où les trouver. Pour que la Croix Rouge internationale, pour que toutes les associations, localement, disent sur place « il faut venir », je crois que la nécessité de cette force multinationale se fait sentir. Elle viendra. On peut modifier un peu sa composition ou son mandat Le mandat, c'est la résolution 1028 du Conseil de sécurité qui autorise cette force : ce mandat est insuffisant. Il faut absolument ne pas faire l'erreur qui a été commise en Somalie par les Américains, pas par les Français. Il faut désarmer les milices. Qui va les désarmer ? Ce n'est pas Médecins du Monde ! Ce ne sont pas les humanitaires. Ce sont ces milices qui terrorisent et qui assassinent ou qui volent la nourriture de l'humanitaire. Il faut les désarmer. Malheureusement, ce n'est pas dans le mandat. Ce mandat est insuffisant.
G. Leclerc : On a parlé d'intox à propos de l'information concernant cette affaire : on a dit que les organisations humanitaires en avaient rajouté, avaient dramatisé. P. Messmer a parlé d'une campagne médiatique incroyable.
B. Kouchner : P. Messmer ne me paraît pas le bon étalon – si j'ose dire – de l'humanitaire. Il se trompe. Il est très hostile – c'est un vieux réflexe gaulliste – mais il a tort, parce que l'ingérence a aussi été pratiquée par le général de Gaulle, comme au Biafra, et c'était bien. Ce tapage, c'est quoi ? C'est dire : « Ils meurent : allons-nous les laisser mourir ? ». Le progrès formidable de l'humanitaire, bien qu'au Gouvernement ou à la présidence de la République on l'ait décrié si longtemps et qu'on l'applique désormais, c'est qu'on pense qu'une force internationale puisse les sauver. Il y a dix ans, on n'aurait jamais dit : « Des gens vont venir pour sauver ces réfugiés ». Même si ce n'est pas nécessaire, encore une fois, il faut s'en féliciter. Alors, tapage, ça veut dire quoi ? Il vaut mieux prévenir que guérir. Il vaut mieux crier avant que les gens meurent. Et puis, il vaut mieux avoir une vision humaniste du monde. Il vaut mieux s'occuper des autres, s'occuper du malheur des autres. Je pense que M. Messmer le croit.
G. Leclerc : Ce qui se passe au Zaïre et au Rwanda constitue un progrès du point de vue de l'ingérence humanitaire ?
B. Kouchner : C'est un progrès considérable. Maintenant, nous sommes en charge, non d'une police du monde mais d'une espèce de régulation. On n'a plus le droit, comme avant, d'assassiner les minorités impunément, à l'abri des frontières. Il y a plein de problèmes : évidemment, la position française par rapport au
Zaïre n'est pas la même que la position américaine – les Américains soutiennent le Rwanda. Mais souvenons-nous du génocide au Rwanda : 500 000 à 1 million de personnes découpées à la machette ! J'y étais. Je m'en souviens. Des enfants de 12 ans qui tuaient des enfants de 14 ou de 8 ans ! Les familles s'en souviennent. Il faut comprendre cet extraordinaire choc. Il faut que la force internationale, même modifiée, y aille. C'est un formidable progrès du droit d'ingérence qu'on peut appeler droit de protection des minorités.
G. Leclerc : À Dreux, le FN est arrivé en tête ; la liste de gauche s'est retirée. Est-ce le bon choix ?
B. Kouchner : Je le pense, bien sûr. D'ailleurs, c'était prévu : L. Jospin l'avait dit, et toute la gauche le souhaitait. Maintenant, je voudrais faire une remarque sur Dreux : Mme Stirbois a eu 36 % des voix. On dit qu'elle n'a pas beaucoup progressé, que d'un point : est-ce qu'on se rend compte que ce pays, la France, est très isolé de ce point de vue en Europe, avec 56 % au premier tour pour des candidats d'extrême droite qui jouent sur la peur des Français – peur d'une certaine façon légitime, les peurs sont toutes légitimes, elles sont un symptôme dont il faut tenir compte. Lorsqu'on est d'extrême droite, et en particulier au FN, on propose des solutions qui accentueront les peurs. De l'Argentine à la Birmanie et à l'Allemagne, qu'est-ce qu'on a fait avec l'extrême droite ? Toujours plus d'affrontements, toujours plus de malheurs, et des peurs renforcées ! 36 %, ça me paraît beaucoup en France.
G. Leclerc : La majorité et certains observateurs sont très critiques vis-à-vis du programme socialiste : on parle de retour en arrière. Un sondage de Libération montre à première vue une certaine approbation des Français.
B. Kouchner : Les Français ont peur. Ils sont angoissés. Les Français voient un Gouvernement qui s'y prend tellement mal que ça en devient méprisant Alors, en effet, ils approuvent ce programme qui, au moins, est carré et clair. Ceci dit, à mon avis, ce programme mérite des éclairages, un chiffrage, une explication. C'est d'ailleurs ce que Jospin a dit le week-end dernier. Ça veut dire que les Français ont peur de leur avenir. Ça veut dire qu'il faut leur proposer des solutions qui fassent un peu rayonner l'avenir. Il faut faire attention quand on n'a pas la recette de la lutte contre le chômage, mais la démarche est bonne. Il faut travailler ensemble, et que la gauche ne fasse pas de promesses qu'elle ne pourra pas forcément tenir.
G. Leclerc : Le Conseil de sécurité de l'ONU vote aujourd'hui sur le mandat de B. Boutros Ghali. On sait que les Américains ne veulent pas qu'il soit reconduit. On vous a prêté l'intention de vous intéresser à ce poste.
B. Kouchner : Je serais très intéressé, mais pour cela il faut être plusieurs et être soutenu par un Gouvernement.
G. Leclerc : Ce n'est pas le cas aujourd'hui ?
B. Kouchner : Pas vraiment ! Mais théoriquement, c'est un candidat africain qui doit succéder à M. Boutros-Ghali, si on doit lui faire succéder quelqu'un. M. Boutros-Ghali était un candidat africain, égyptien. Il y a plusieurs noms d'avancés. Le conflit, c'est que les Américains ne veulent pas de M. Boutros-Ghali parce qu'ils veulent un gestionnaire ; nous, nous pensons qu'il faut plutôt quelqu'un qui exprime la voix du monde, une espèce de conscience du monde qui intervienne politiquement, ce que faisait M. Boutros-Ghali.
G. Leclerc : Comment voyez-vous votre avenir politique ? Serez-vous candidat aux législatives de 1998 ?
B. Kouchner : Je voulais vous dire, à propos du PS et de son programme, que j'avais du mal à mentir. Je fais souvent un mauvais candidat. C'est pas mal, mais je ne voudrais plus être baladé comme ça ! On verra.
G. Leclerc : À condition de trouver une bonne circonscription ?
B. Kouchner : On verra.