Texte intégral
Lutte Ouvrière : 1er novembre 1996
Le gouvernement et le problème corse
Ajaccio, Bastia, préfectures de la… Sicile
Six cents engoulards armés comme un corps de débarquement, tenant en Corse une conférence de presse devant les caméras de télévision, cela paraissait bizarre, même aux yeux des plus naïfs, que cela puisse s'être déroulé à l'insu des autorités.
Aujourd'hui, un dirigeant nationaliste en fuite a confirmé dans une interview à l'Est républicain que cette petite réunion de famille avait été négociée « avec le gouvernement dans les détails ». Même le texte du discours politique aurait été remis à l'avance, y compris au ministre de l'intérieur, Jean-Louis Debré, avant sa visite en Corse.
Le terrorisme en Corse est entré dans une nouvelle phase. Pendant un temps, ce furent des installations étrangères à la Corse qui étaient visées, des centres de tourisme, des voitures ou des propriétés de « continentaux ». Il y eut aussi les assassinats de Corses membres d'organisations nationalistes rivales, puis rackets, règlements de comptes entre clans mafieux. Les organisations dites nationalistes ressemblèrent à s'y méprendre aux mafias de Naples, de Sicile ou des États-Unis.
Aujourd'hui, la guerre est déclarée aux autorités : casernes de gendarmerie, mairie de Bordeaux, mairie de Bastia, installations de la télévision dans l'île, les organisations clandestines corses n'ont plus de bonnes relations avec l'État.
Alors, dans tout cela, Jean-Louis Debré, le ministre de l'intérieur, Jacques Toubon, celui de la justice, Alain Juppé, le chef des deux représentants, ont bonne mine. Ils parlent de rétablir « l'ordre républicain » mais il faut croire qu'ils avaient plus de détermination pour rétablir ce qu'ils appellent ainsi, contre une poignée de terroristes intégristes parmi 60 millions d'habitants, qu'ils n'en ont pour réduire le terrorisme corse dans un seul département, une île qui plus est.
Les terroristes y auraient le soutien de la population corse ? C'est vite dit ! Car les nationalistes, s'ils s'appuient sur des mécontentements profonds et souvent justifiés, ont moins de crédit parmi la population qu'on ne le dit. Les récentes manifestations des femmes corses qui protestaient contre le terrorisme l'ont montré.
De combien de subventions, depuis des années et des années, la Corse a-t-elle bénéficié ? On ne peut plus les compter et la voilà maintenant « zone franche ». Mais où sont allées ces subventions ? À qui ont-elles profité, quels circuits ont-elles suivis ? On ne sait pas. C'est la même loi du silence que celle qui occulte les opérations financières des sociétés et des politiciens de l'hexagone. Les subventions à la Corse se sont perdues en chemin, mais sûrement pas en mer.
Et là aussi, il faudrait que la population ait un réel contrôle sur tous les circuits financiers. Il est probable qu'on pourrait alors résoudre le problème corse en résolvant partout le problème du chômage.
Si les terroristes corses étaient réellement au service de la population pauvre, c'est à cela qu'ils s'emploieraient, au lieu de mener une politique qu'on ne peut qualifier autrement que réactionnaire.
Mais, si les autorités françaises ont accepté cette démonstration de 600 hommes cagoulés, de nuit, à la lumière des torches, cela veut dire que les nationalistes corses ont, de leur côté, accepté de telles relations avec le pouvoir d'État. Sur quoi et sur quelles propositions portaient ces négociations secrètes ? Nul ne sait !
Et si aujourd'hui l'un des dirigeants corses vient de rompre la loi du silence pour ridiculiser les hommes d'État qui avaient été complices de cette mise en scène, c'est une simple vengeance entre complices fâchés. Mais ce n'est pas pour éclairer la population corse.
Il n'empêche qu'aujourd'hui, s'il y a des hommes qui devraient se mettre, sinon une cagoule, du moins un voile sur la tête, c'est bien Debré, Toubon, Juppé et Chirac.
Lutte Ouvrière : 8 novembre 1996
USA : Clinton réélu. L'Amérique des trusts et des riches restes au pouvoir
Les électeurs américains ont donc choisi de reconduire Clinton à son poste de président des États-Unis. Les électeurs ? Mieux vaudrait dire le quart d'entre eux, car si Clinton a recueilli 50 % des suffrages, il y a eu 50 % d'abstention parmi ceux qui étaient inscrits sur les listes électorales, ce qui est loin d'être le cas pour tout le monde aux USA. Nombreux sont, en effet, surtout parmi les plus pauvres, ceux qui n'ont pas jugé utile de le faire, car ils n'attendent rien d'élections qui, depuis toujours, n'ont jamais amélioré leur sort. Mais, magie des mots, au nom de cette démocratie, Clinton peut, pendant quatre nouvelles années, parler au nom de tous les Américains, exactement comme Chirac, ici, le fait au nom des Français.
Cette réélection largement prévue par tous les instituts de sondages, n'annonce pas non plus de surprise en ce qui concerne la politique que Clinton mènera durant ce second mandat, en particulier à l'égard de la population la plus pauvre des États-Unis.
On en avait déjà vu un échantillon significatif, durant son premier mandat, et plus particulièrement dans les derniers mois, durant la campagne électorale. Bien peu de choses distinguaient les programmes des deux candidats, faisaient remarquer les commentateurs. Et Clinton le démocrate, qui avait l'avantage sur son concurrent républicain, d'être en poste et du coup, avait la possibilité, lui, de joindre le geste à la parole, ne s'était pas privé d'en faire la démonstration, en sabrant dans les aides sociales. Il a supprimé, par exemple, d'un trait de plume, les allocations de première nécessité dont bénéficiaient trois millions d'enfants.
Cette politique avait valu à Clinton d'être accusé, ironiquement, par ses adversaires, au cours de la campagne électorale, de faire du « républicanisme allégé ». Une façon pour les Républicains de dire que Clinton leur avait volé leur programme. Sauf qu'aujourd'hui, ils ne se montrent nullement mécontents d'un tel larcin, et ils n'ont pas lieu de l'être.
L'élection du 4 novembre ne va pas inverser cette orientation. Bien au contraire. D'autres projets consistant à remettre en cause ce qui existe encore en matière de protection sociale aux États-Unis restent à l'ordre du jour. Ainsi, par exemple, sous prétexte de faire face aux dépenses que les politiciens américains estiment excessives – on retrouve là-bas, un langage qu'on entend ici – on va s'en prendre aux dépenses sociales pour l'assurance maladie des personnes âgées et des indigents le programme Medicare, qui concerne la plupart des personnes âgées, et le programme Medicaid, un régime public d'assurance maladie destiné à 25 millions de personnes).
Ces mesures sont à l'ordre du jour du Congrès, constitué par les deux assemblées, la Chambre des représentants et le Sénat. Ces deux assemblées sont restées, à l'issue de cette élection, à majorité républicaine. Comme elles l'étaient depuis 1994, durant les deux dernières années du premier mandat de Clinton. Donc, la situation n'a pas changé sur ce plan. Mais il n'y aura pas, on peut le prédire, de véritable bras de fer entre le Congrès et la présidence sur la question de ces aides sociales puisque Clinton a annoncé, au cours de la campagne, qu'il entendait réformer ces deux programmes.
Les commentateurs évoquent, souvent pour s'en féliciter, la sagesse des électeurs américains qui auraient su, par leur vote, maintenir l'équilibre entre des assemblées « conservatrices », qui serviraient de garde-fou à une présidence qui pourrait avoir des velléités « réformatrices ». Cette appréciation n'a rien à voir avec la réalité. Car, en l'occurrence, il ne s'agit pas d'équilibre, mais de convergence, pour ne pas dire de connivence.
Clinton, réélu, va désormais pouvoir accentuer la politique de démantèlement des rares garanties dont disposeraient les pauvres, dans ce pays riche.
Et pour quoi tout cela ? Pour satisfaire les exigences de ces riches qui veulent l'être plus encore, pour aller dans le sens de ces bourgeois, petits ou grands, qui ne tolèrent pas que l'on dépense une part du budget de l'État pour des pauvres, tout comme ils acceptent mal qu'on laisse des droits, des possibilités de s'organiser ou de se défendre, aux pauvres et aux minorités.
Au soir de sa victoire, Clinton a réaffirmé sa foi dans « le rêve américain ». Mais pour la grande majorité des travailleurs, des pauvres, ce sera toujours le cauchemar. À moins qu'ils ne s'organisent pour s'opposer à la façon dont les capitalistes et les hommes politiques à leur service entraînent la majorité de la population dans la misère.
Lutte Ouvrière : 15 novembre 1996
Juppé dit que nous sommes opposés au changement, prouvons-lui le contraire
Cette semaine du 12 au 16 novembre, est une semaine d'actions revendicatives. Mais, malheureusement, les fédérations et confédérations syndicales se sont si peu donné la peine de les coordonner et de les unifier qu'il est évident que c'est voulu.
CGT et SUD appelaient à la grève à La Poste le 14 novembre. Force ouvrière appelle à des réunions d'information dans les entreprises le vendredi 15 novembre, pour le premier anniversaire de la réforme de la Sécurité sociale, autrement dit, du plan Juppé. Mais FO n'appelle pas à la grève dans toutes les entreprises comme le font les fédérations du secteur bancaire, dont FO, CGT, CFDT, CGC, qui organisent une journée d'action avec manifestation à Paris pour protester contre les 50 000 suppressions d'emplois prévues dans ce secteur.
Pourtant, le même jour, la CGT, les autonomes et la CFDT appellent le métro parisien à la grève « pour l'emploi, la sécurité, le pouvoir d'achat et le statut du personnel ». Enfin, une partie des journalistes seront en grève aussi.
Il n'y a que pour les manifestations qui devaient se dérouler le samedi 16, à Paris, comme dans les principales villes de province, qu'un semblant d'unité est réalisé. Mais un semblant car, pour ne donner qu'un exemple, Viannet, le secrétaire général de la CGT, ira, pour sa part, manifester à Aurillac dans le cantal.
Pourtant, que ce soit la Sécurité sociale, les licenciements, c'est-à-dire l'emploi, le pouvoir d'achat, cela concerne tous les travailleurs. Et les confédérations syndicales tardent beaucoup à proposer de regrouper et d'unifier les luttes. Luttes unifiées qui sont pourtant indispensables pour, dans la situation actuelle, porter un coup d'arrêt à l'offensive du patronat et du gouvernement.
Comment lutter « pour l'emploi » ou « pour le pouvoir d'achat » en laissant au patronat, qu'il soit de droit divin ou qu'il le soit par la volonté de l'État, décider des investissements, des désinvestissements, des fermetures d'entreprises, des rachats, absolument librement et sans aucun contrôle de sa gestion par la population et les travailleurs ? Les scandales, lorsqu'ils sont révélés, n'éclairent qu'une toute petite partie des souterrains par lesquels transitent les finances et les décisions économiques du grand capital.
Oui, il faut imposer la transparence sur les comptabilités, les mouvements de fonds des grandes entreprises, privées ou publiques. Il faut la publicité des comptes en banque des principaux actionnaires et gestionnaires des grandes entreprises. Il faut que la population laborieuse puisse contrôler les décisions économiques d'aujourd'hui, qui engagent l'emploi de demain.
Tout cela serait facile pour les travailleurs. Ce sont des travailleurs qui enregistrent les comptes en banque, les virements, les mouvements de fonds et en connaissent les destinataires. D'autres écrivent tout le courrier et en connaissent le contenu. Ce sont des travailleurs qui contrôlent les entrées de matières premières et les sorties de produits finis, qui contrôlent les méthodes, les unités de production et les temps de travail. Ce sont des travailleurs encore qui transportent toutes les marchandises et en connaissent donc les circuits.
Il suffirait de supprimer le secret commercial et d'imposer dans les faits, sinon dans la loi, la levée du secret professionnel dans les entreprises. Aujourd'hui, on peut être poursuivi si on révèle tout ce qu'on en sait. Mais les lois n'ont changé que parce qu'on les a pratiquement fait changer dans la réalité. C'est au travers de mouvements sociaux qu'on change les lois et c'est au travers de mouvements sociaux d'importance, conséquents, réalistes, que nous pourrons imposer les changements vitaux pour notre avenir à tous dont celui de la jeunesse travailleuse.
Alors, il faut saisir l'occasion des mouvements programmés cette semaine pour y participer et nous adresser aux militants et aux responsables syndicaux, comme au patronat et au gouvernement : il faut que cela change et nous ferons changer les choses !
Lutte Ouvrière : 22 novembre 1996
Peugeot, Renault payés pour licencier ?
Il a fallu que Le Canard enchaîné s'en mêle pour que la lettre à Juppé, envoyée en commun il y a quatre mois par Calvet, PDG de Peugeot-Citroën et Schweitzer, PDG de Renault, ainsi que les tractations secrètes qui s'en sont suivies, soient portées à la connaissance du public. Se plaignant du vieillissement des effectifs de leurs entreprises, les deux PDG proposent « un plan d'exception », visant à mettre en préretraite, en cinq ou dix ans, quelque quarante mille travailleurs au fur et à mesure qu'ils atteindraient l'âge de 53, voire 51 ans.
Les préretraites n'étant financées qu'à un tiers par les entreprises et deux tiers par l'État, la raison d'être de la démarche des deux entreprises est évidemment de réclamer de l'argent au gouvernement. Combien ? La modique somme de 20 milliards. L'équivalent du budget annuel du RMI. Sans parler d'un manque à gagner du même ordre pour la Sécurité sociale. Et les deux PDG de brandir la concurrence des usines japonaises dont les effectifs sont plus jeunes. Et Calvet d'afficher son cynisme en évoquant l'usure des travailleurs de plus de cinquante ans.
La grande majorité des travailleurs concernés quitteraient certainement bien volontiers les chaînes de Citroën, de Peugeot ou de Renault, les cadences qui tuent à petit feu, l'arrogance des chefs, les brimades, les heures supplémentaires imposées par les pressions de la maîtrise ou les journées de travail allongées, pour beaucoup, par les transports.
Mais il faut un culot monstre de la part des PDG de deux des plus importantes entreprises de ce pays, des plus riches aussi, et qui font, depuis plusieurs années, des bénéfices considérables, pour annoncer ainsi un plan de suppression massive d'emplois. Et, qui plus est, ils demandent à l'État de financer ce plan !
En contrepartie, les deux PDG ont évoqué l'éventualité d'embaucher quatorze mille jeunes. Mais à supposer même qu'ils embauchent ce qu'ils promettent, ce qui n'est même pas sûr, quatorze mille embauches pour quarante mille préretraites, cela fait vingt-six mille suppressions d'emplois. Autant de jeunes en plus qui ne trouveront pas de travail. Et les politiciens pérorent sur la jeunesse déboussolée ou sur le « mal des banlieues », pendant qu'un ancien policier devenu juge, veut mettre en prison les chanteurs d'un groupe qui chante ce mal à sa façon !
Calvet et Schweitzer ne parlent pas de « licenciements secs ». Mais c'est toujours la même politique criminelle du grand patronat qui détruit massivement des emplois dans un pays qui compte déjà cinq millions de chômeurs ou de demi-chômeurs.
Parce que Peugeot-Citroën ou Renault ne peuvent pas faire autrement ? La sinistre plaisanterie !
Peugeot est réputé pour avoir accumulé un trésor de guerre de 60 milliards en vue d'éventuels bons coups financiers. Et combien de milliards empochés, année après année, par la famille Peugeot et par les grands actionnaires ? Et combien de milliards gaspillés par Renault en rachats douteux d'entreprises et en spéculations ?
Deux des plus importantes entreprises de ce pays viennent donc d'illustrer qu'il est impossible de s'attaquer au chômage en laissant le patronat diriger dans le secret, et totalement à sa guise, les entreprises et toute l'économie. Il faut interdire à Peugeot et à Renault, et à tous leurs semblables, la suppression ne serait-ce que d'un seul emploi. Il faut que chaque départ soit compensé par au moins une embauche et au moins au même salaire.
Mais au-delà, il faut mettre fin au droit des patrons de décider souverainement ce qu'ils font dans leurs entreprises comme dans l'économie.
Il faut imposer un contrôle sur les entreprises, comme sur les comptes de leurs propriétaires, actionnaires et dirigeants. Et, au lieu de laisser l'État donner encore et toujours aux entreprises, il faut enfin les contraindre à prendre sur les profits et sur les fortunes accumulées de quoi résorber le chômage. Cela exige de créer un rapport de forces favorable aux travailleurs ? Certainement. Mais c'est la seule voie.
Lutte Ouvrière : 29 novembre 1996
Vive la grève des routiers !
Depuis plus de dix jours, la lutte des chauffeurs-routiers salariés est au premier plan de l'actualité. Et comme dans le cas de la grève des cheminots puis de l'ensemble de la fonction publique, de l'automne dernier, tous les sondages montrent que ce mouvement, en dépit des perturbations qu'il peut apporter dans la vie quotidienne de beaucoup de gens, bénéficie de la sympathie de la plus grande partie de la population. Ce n'est pas seulement que les bas salaires, les horaires infernaux, les conditions de vie que subissent les chauffeurs-routiers font que leurs revendications paraissent entièrement justifiées. Ce n'est pas seulement que tous les usagers de la route (et qui ne l'est pas, peu ou prou, de nos jours ?) ne peuvent qu'approuver des revendications dont la satisfaction améliorerait aussi la sécurité routière.
C'est que toute la population laborieuse, qui subit depuis des années les attaques incessantes du gouvernement et du patronat contre son niveau de vie, en peut que se sentir solidaire de la lutte engagée par les travailleurs de la route. D'autant plus que les chauffeurs-routiers font la preuve chaque jour de leur détermination et qu'ils ont su trouver des moyens de lutte leur permettant, malgré leur dispersion au sein de petites entreprises, de peser suffisamment sur la vie économique pour que le gouvernement se soit senti obligé de proposer ses bons offices d'intermédiaire entre eux et leurs patrons.
Ce sont les employeurs qui avaient donné l'exemple de l'utilisation des barrages routiers constitués avec des poids lourds, lors du mouvement contre le permis à point de 1992, ou lors des toutes récentes opérations pour obtenir un prix spécial pour leur gazole. Ils avaient, dans ces occasions, utilisé leurs chauffeurs salariés comme troupes. Ceux-ci ont eu bien raison de reprendre la méthode à leur compte, contre des patrons qui peuvent difficilement, aujourd'hui, crier que ce sont des procédés inadmissibles !
En multipliant ces barrages, les chauffeurs-routiers ne se contentent pas de faire pression sur leurs propres employeurs. Ils font aussi pression sur les patrons de toutes les entreprises, en particulier de celles qui travaillent « à flux tendu » (sans stock) et qui ont besoin des camionneurs pour apporter pièces ou matières premières dans leurs usines, ou emmener les produits finis. Ces gens-là sont puissants. Ils sont les mieux placés pour faire pression à leur tour sur les gouvernements auxquels mille liens les attachent, comme sur les patrons des entreprises de transport.
Ces barrages, en particulier les barrages « filtrants » qui laissent passer les véhicules particuliers mais bloquent le trafic des camions, constituent une forme de lutte qui demande des initiatives, de l'organisation et qui est plus difficile à organiser qu'un simple arrêt de travail. On le voit quand on rencontre sur sa route un de ces barrages « filtrants », ou dans les images que montre la télévision. Il y a effectivement un grand nombre de militants des syndicats de routiers qui sont engagés à la base de cette lutte pour qu'elle gêne le plus possible les grandes entreprises, tout en restant populaire. Tout comme il y a un nombre considérable de routiers prêts à braver les longues heures d'attente sur les barrages, les intempéries, les journées loin de la famille, pour assurer le succès de leur mouvement. Il faut espérer qu'à l'étage au-dessus, les dirigeants des syndicats, des confédérations, feront preuve de la même détermination et n'accepteront pas que patrons et gouvernants s'en sortent en ne lâchant que des miettes.
Quoi qu'il en soit, les chauffeurs-routiers, en s'en prenant de fait à tous les patrons du pays pour contraindre leurs propres patrons à céder, ont raison. Ils doivent d'autant plus pouvoir compter sur notre complète solidarité. Et leur lutte vient à point rappeler quelle peut être la force de tous ceux qui font marcher la machine économique, quand ils utilisent, pour exiger leur dû, la place qui est la leur dans la société.