Article de M. Pierre Pasquini, ministre des anciens combattants et victimes de guerre, dans "Le Figaro" du 22 novembre 1996, sur son opinion à propos du groupe rap "Nique ta Mère" (NTM), intitulé "Colère d'un "ringard".

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Une réalité nouvelle et inattendue vient de s’imposer à moi : j’ai pris conscience, depuis certains commentaires qui ont suivi le procès du groupe musical Nique Ta Mère, d’appartenir à une catégorie de citoyens dénoncés comme « ringards ».

Sans le secours des sondages d’opinion, je ne sais quelle prémonition me fait pourtant admettre en certitude que ces « ringards » constituent la grande majorité de la population de ce pays et qu’il sera de plus en plus difficile de leur faire prendre des vessies pour des lanternes et de leur faire croire que des décadents représentent les progrès de la culture.

C’est un fait qu’à l’heure actuelle la société qu’ils ont connue perd tous ses repères essentiels : l’autorité du père de famille est sérieusement ébranlée ; celle du pédagogue contestée, quelquefois par la violence, et celle de la religion ne permet plus, ou si peu, de connaître les notions du bien et du mal, quand elle ne les inverse pas d’elle-même.

Je lis que Nique Ta Mère – ah ! la belle appellation – appartient à une frange de la musique rap désignée sous le terme générique de « gang-sta » (rap de gangsters).

Les paroles de la chanson qui a provoqué le trouble et qui évoquent la police sont suggestives :

« … Police, véritable gang organisé. Comment peut-on défendre l’État quand on est soi-même en état d’ébriété, souvent même mentalement retardé ? » « J’enc… et je pisse sur la police… Donne-moi des balles pour la police… »

Les journaux sont pleins de l’émotion de ceux qui évoquent Baudelaire, de ceux qui défendent les « programmes culturels », de ceux qui dénoncent les atteintes à la liberté d’expression et à l’intolérance.

Tandis que la Ligue des droits de l’homme affirme sa solidarité, ce concert d’indignations et de protestations fait naître en moi un sentiment de culpabilité ; j’ai un peu honte de me sentir seul à penser à une pauvre jeune femme du nom de Sandrine, policier de son état, qui, il y a quelques jours, a été volée, tailladée au cutter et violée cinq fois dans une rame de RER, en plein après-midi.

Oui, je me sens « ringard » de penser qu’entre cette chanson et ce viol, il puisse y avoir le moindre lien.