Interviews de M. Jean-Pierre Chevènement, président du Mouvement des citoyens, dans "Les Echos" du 6 mai 1997, "La Croix" du 8, "Le Point" du 10 et article dans "la Tribune" du 13, sur les propositions de son mouvement en vue des élections législatives notamment sur l'Union économique et monétaire, et sur les relations avec les autres partis de gauche.

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Média : Energies News - Les Echos - La Croix - Le Point - Les Echos - Ouest France - Presse régionale

Texte intégral

Les Échos - 6 mai 1997

Les Échos : Vous avez dit récemment : si la gauche arrive au pouvoir pour faire la même politique que la droite, ce n’est pas la peine. Qu’est-ce, pour vous, une vraie politique de gauche ?

Jean-Pierre Chevènement : Pour dire que la gauche arrive au pouvoir pour faire la même politique que la droite, ce n’est pas la peine, je n’étais pas tout à fait seul. Les électeurs qui ont abandonné la gauche en 1993 n’étaient-ils pas de cet avis ? Et la victoire de la gauche aujourd’hui ne dépend-elle pas pour beaucoup de sa capacité à les convaincre, qu’en 1997, ils ne risquent pas la même déception ?

Le premier devoir de la gauche est de servir l’égalité. Cet impératif de justice sociale n’est pas celui du nivellement, mais celui de la solidarité. La société française est devenue plus inégalitaire qu’elle ne le fût jamais. La part des salaires dans le PIB qui était de 73,9 % en moyenne au cours de la période 1971-1980 n’était plus que de 68,88 % en 1992. C’est une régression considérable. Elle résulte à la fois du chômage et de la progression plus rapide des revenus du capital. Soit dit en passant, elle est une cause importante des déséquilibres des comptes sociaux, financés pour leur plus grande part par des cotisations assises sur les salaires.

S’il était nécessaire de permettre aux entreprises de reconstituer leur marge après le deuxième choc pétrolier, il ne l’était pas de choisir et de maintenir une politique de surévaluation monétaire et d’argent cher qui a étouffé l’investissement et étranglé les PMI et les entreprises artisanales (qui sont les plus porteuses d’emplois, mais n’ont pas d’accès direct aux marchés financiers), non sans alourdir la dette publique d’un poids tel qu’il empêche l’État de faire son métier, qui est d’assurer le fonctionnement des services publics et d’investir dans l’avenir.

La politique économique de la gauche devrait donc consister à mettre la monnaie, donc le crédit, au service de l’emploi, en utilisant les marges de croissance que donnent à la France la fin de l’inflation et le suréquilibre de son commerce extérieur, pour relancer la consommation et l’investissement. Cette politique de croissance comporte naturellement la décision de rompre avec l’obsession du franc fort, qui soude notre monnaie à la monnaie la plus surévaluée du monde, comme l’a fait remarquer tardivement, mais justement, M. Valéry Giscard d’Estaing.

Elle implique évidemment de rompre le carcan des critères de Maastricht qui, réduisant les choix économiques à leur seule dimension financière, portent des conséquences sociales tellement intolérables qu’aucun des pays membres de l’Union, sauf le Luxembourg, ne les aura respectés.

Une politique de gauche est avant tout à mes yeux une politique républicaine. C’est-à-dire qu’elle récuse tout à fait la constitution en France et Europe d’un pouvoir monétaire indépendant des gouvernements, c’est-à-dire de la démocratie.

Les Échos : Vous dites qu’il est possible de créer 3 millions d’emplois en trois ans. Concrètement, comment vous y prenez-vous ?

Jean-Pierre Chevènement : La France compte aujourd’hui 5 millions de chômeurs réels selon les experts de l’ancien Centre d’études des revenus et des coûts. C’est un gâchis pour la jeunesse et pour l’avenir, un boulet pour l’économie, un facteur de démoralisation et de repli pour la société tout entière. Cette situation nourrit des comportements de précaution. Il faut impérativement en sortir. Là est l’intérêt général.

Peut-on remettre ou mettre au travail des millions de gens en quelques années autrement que pour et par la guerre, comme à la fin des années 30 ? Là est le défi.

La base de tout est de renouer avec un cercle vertueux de croissance. Cela n’est possible que sous les conditions indiquées plus haut (politique de change réaliste notamment), de préférence dans le cadre d’une initiative européenne de croissance impulsée parallèlement par la Grande-Bretagne, la France, l’Italie et l’Allemagne où des élections générales auront lieu en 1998. La croissance est nécessaire, mais elle n’est pas suffisante pour remettre deux à trois millions de personnes en quelques années dans le circuit de l’activité. Une mobilisation citoyenne pour l’emploi est nécessaire. Les entreprises dont l’intérêt n’y participeront que si elles trouvent des marchés et des contreparties.

Les cotisations Assedic représentent aujourd’hui 9 % du montant des salaires nets. La conversion de ces dépenses passives en dépenses actives permettent en principe de financer l’embauche par les entreprises d’un salarié nouveau par tranche de dix salariés actuellement au travail.

Une telle mesure ne peut évidemment être mise en œuvre que par une grande conférence sur les salaires et l’emploi. Cette conférence fixerait, à partir de l’évolution passée et prévisible des gains de productivité branche par branche, les moyens à mettre en œuvre dans chacune d’entre elles, par une convention passée entre chaque entreprise et l’Assedic. Le dispositif législatif de ce processus fixerait les modalités d’un aménagement du temps de travail, en vue de moduler celui-ci en fonction du volume d’activité au cours de l’année, autour d’une moyenne hebdomadaire de trente-cinq heures. Ce serait une approche réaliste et féconde de la question du temps de travail qui ne peut être abordée indépendamment des conditions de la compétition internationale.

Les Échos : Votre leitmotiv, depuis 1992, c’est le refus obstiné de faire la monnaie unique. Mais y a-t-il une alternative crédible à défendre, à un an des échéances ?

Jean-Pierre Chevènement : La marche forcée à la monnaie unique voit les obstacles s’accumuler sur sa route. S’il n’est pas ajourné, on voit clairement que ce projet risque d’exploser en plein vol. L’attachement quasi religieux à la force du mark professé par l’opinion publique allemande lui interdit d’admettre dans l’opération de transsubstantiation de sa monnaie-reine en euro, ces facteurs de fragilité que seraient l’intégration de la lire et celle de la peseta. Ainsi la fusion monétaire scellerait-elle la division de l’Union. Y a-t-il un gouvernement français digne de ce nom qui puisse l’accepter ?

Redonner la priorité à l’emploi rend, par ailleurs, absolument nécessaire de retrouver des moyens d’ajustements monétaires entre des économies nationales dont la situation est naturellement contrastée. Les monnaies respectives des pays membres de l’Union doivent donc subsister. Mais l’équilibre des relations économiques au sein de l’Union européenne demande que les parités entre ces monnaies soient organisées. Il n’y a pas, d’un côté, le paradis supposé d’une fixité totale au sein de l’euro et, de l’autre, l’enfer d’une fluctuation généralisée. Il y a place pour un système monétaire progressivement resserré, mais comportant des marges d’ajustement. À terme, une monnaie commune à tous les pays européens – l’écu – laissant subsister les monnaies nationales, mais s’imposant progressivement comme monnaie de règlement international, serait une voie infiniment plus féconde que la monnaie unique, projet hautement aléatoire et puissant facteur de risque dans les relations internationales aussi bien au sein de l’Europe qu’entre l’Europe et ses partenaires extérieurs. L’idée de constituer une identité politique à partir d’une monnaie, c’est du jamais vu. Il faut savoir donner du temps au temps. Curieusement, la construction européenne est le seul domaine où François Mitterrand n’a pas su le faire. Il faut envisager de relancer la construction européenne à partir d’une autre priorité qui ne saurait être que la croissance et l’emploi.

Les Échos : Une rupture avec l’Allemagne sur la question de la monnaie unique ne serait-elle pas de nature à remettre en cause des années d’effort de pacification entre les deux pays ?

Jean-Pierre Chevènement : La mise en œuvre de la monnaie unique, aujourd’hui, rencontre-t-elle plus d’obstacles en France qu’en Allemagne ? Certainement pas. La monnaie unique est une concession arrachée par François Mitterrand au chancelier Kohl. Le Président français pensait ainsi ligoter en quelque sorte la surpuissance du Gulliver allemand, surgie de la réunification, dans les bandelettes des Lilliputiens communautaires. Ce dessein différait autant de celui du chancelier Kohl que la situation de la France diffère de celle de l’Allemagne, mais il rencontrait néanmoins le souci du chancelier d’habiller la prépondérance allemande aux couleurs de l’Europe. Je ne mets en cause la sincérité d’aucun des deux. Mais je pense justement que l’entente franco-allemande est d’une importance trop décisive pour l’avenir de l’Europe pour reposer sur un contresens. J’entends par là que l’Allemagne restera longtemps encore incapable de concevoir la possibilité de mettre en œuvre une politique européenne autonome par rapport à celle des États-Unis. À l’inverse, la conception française de la République fondée sur les valeurs de laïcité et d’égalité, à travers notamment le développement de politiques publiques, peut servir au rayonnement de l’Europe et la mise en œuvre de ses atouts spécifiques dans le monde (qualité de la ressource humaine, cohésion sociale). Insérer aujourd’hui la France au sein de l’Europe fédérale ne peut se faire qu’au prix de la République. En effet, au contraire de la République qui donne sa cohérence à l’exigence de la citoyenneté, le fédéralisme est, par excellence, une forme politique qui perpétue la coexistence des inégalités, et les accroît au risque de fractures sociales, régionales communautaristes ou ethniques. Le grand danger pour l’avenir de nos sociétés est l’anomie et le chaos social. Le remède c’est la République. Coopération plutôt qu’intégration, monnaie commune plutôt que monnaie unique, structure politique confédérale plutôt que fédérale, développement des politiques communautaires plutôt que démantèlement des services publics, le projet européen de la France, loin d’être celui d’un repli national, doit être celui d’une ouverture, pour la France et pour l’Europe, sur l’universel.

Les Échos : Derrière vos attaques contre Maastricht, n’y a-t-il pas le refus de voir que la mondialisation est devenue un phénomène inéluctable et que la France a intérêt à changer d’horizon pour résister ?

Jean-Pierre Chevènement : Justement, l’ouverture sur le monde n’est pas ce que l’on est convenu d’appeler la mondialisation, laquelle n’est en fait que l’accomplissement de l’hégémonie mondiale du capital financier. La construction politique de l’Europe était censée éviter cela, mais sa submersion par le libéralisme l’a transformée dans une entreprise d’empêchement ou de démolition des politiques communes, politique agricole comprise. Il est temps que les Européens comprennent que le libre-échange ne peut pas fonctionner, sans provoquer une régression sociale généralisée en Europe entre celle-ci et des pays entièrement dépourvus de législation sociale, ou qui ne la respectent en rien. Cela ne veut pas dire élever une muraille de Chine entre l’Europe et le reste du monde, mais protéger le marché intérieur de celle-ci, à l’instar de ce que font les États-Unis et le Japon. Cela signifie aussi inciter les pays émergents, comme la Corée en a donné l’exemple, à préférer le développement de la démocratie et du syndicalisme à celui du dumping social.

Les Échos : Lionel Jospin a beaucoup évolué ces derniers temps sur l’Europe et les critères de Maastricht. Sa position actuelle vous paraît-elle de nature à sceller un vrai rassemblement de gauche ?

Jean-Pierre Chevènement : Les positions de Lionel Jospin sur l’Europe ont évolué effectivement dans la bonne direction. Les faits, c’est-à-dire les conséquences de la politique qui découlent des choix de Maastricht, sont désormais reconnus par un nombre croissant de nos concitoyens. Je me réjouirai toujours de la capacité du Parti socialiste à changer d’avis, quand c’est pour le bon motif et dans la bonne direction. Il lui reste sans doute à reconnaître que le passage à la monnaie unique changerait tellement d’avenir, qu’il ne serait pas raisonnable de sauter le pas sans poser aujourd’hui clairement la question au peuple. Il lui resterait aussi à s’apercevoir que, comme je l’ai déjà remarqué, la politique et l’autorité monétaire ne doivent pas échapper au contrôle de la démocratie.

Les Échos : Vous semblez, par moment, avoir du mal à vous situer dans le clivage traditionnel droite-gauche. Fin 95, vous avez paru vous rapprocher de Philippe Séguin. Le vrai combat actuellement n’est-il pas entre les pro et les anti-Maastricht ?

Jean-Pierre Chevènement : Le clivage traditionnel droite-gauche doit se retremper dans celui qui sépare les républicains des libéraux. Il existe des républicains de droite, mais c’est la gauche républicaine qui peut seule donner à l’esprit et au combat pour la République toute sa cohérence. Pour ma part, je souhaite que les républicains de l’autre rive ne préfèrent pas la droite à la République. Charles Pasqua et Philippe Séguin sont capables – ils viennent encore de le montrer – d’avoir des paroles fortes, le premier pour réclamer un renversement des priorités : l’emploi avant la monnaie, le second pour flétrir le côté non seulement asocial, mais franchement antisocial de la construction maastrichtienne. Mais curieusement, ils n’en tirent pas les conséquences et semblent continuer à soutenir les candidats de M. Juppé. Or, en quoi consiste le gaullisme, sinon à faire passer avant les intérêts à court terme de son camp, l’exigence de la République ? Aujourd’hui, c’est l’heure, car l’occasion de réorienter la construction européenne ne repassera pas.

 

La Croix - 8 mai 1997

La Croix : Trouvez-vous normal que le président de la République fasse part de son choix lors d’une campagne ?

Jean-Pierre Chevènement : Je ne vais pas le critiquer chaque fois qu’il ouvre la bouche pour ne rien dire, ou plutôt chaque fois qu’il prend la plume pour ne rien écrire. Il a le droit de s’exprimer. Mais permettez-moi de considérer que sa tribune est creuse. On voit qu’elle a été rédigée par des spécialistes de la communication, et non par des gens qui se sentent en charge de l’État.

La Croix : Avant que Jacques Chirac n’écrive aux Français, vous lui avez vous-même envoyé une lettre. Vous lui demandiez de « dissiper l’ambiguïté entre les élections législatives et le passage à la monnaie unique ». Êtes-vous satisfait ?

Jean-Pierre Chevènement : En aucune manière. Jacques Chirac confirme qu’il veut avoir les mains libres lors des prochaines échéances européennes : pour la Conférence intergouvernementale, et plus encore pour l’abandon du franc pour la monnaie dite unique. Il est en dehors du sujet. Et sa tribune est un non-événement. Qui, par exemple, préconise en France l’immigration clandestine ? Qui ne souhaite pas défendre l’ordre républicain ? Qui a fait de ces sujets un enjeu de la pré-campagne, si ce n’est le gouvernement avec le projet de loi Debré ? Ne s’agissait-il pas, alors, de tisser des liens avec l’extrême droite ?

La Croix : Jacques Chirac parle de la nécessité de « solder l’ardoise » en faisant implicitement référence au bilan socialiste dont vous êtes vous-même comptable…

Jean-Pierre Chevènement : Tout est fait pour travestir la vérité et occulter les enjeux. Un seul exemple : le président semble découvrir l’alternance école-entreprise comme moyen de formation. Je ne l’ai pas attendu pour, en 1985, créer les baccalauréats professionnels, considérés aujourd’hui par tous comme une éclatante réussite. Qu’a fait François Bayrou depuis quatre ans qu’il est ministre de l’éducation nationale ? Il incarne le sommet de l’immobilisme.

La Croix : Quoi qu’on pense de la tribune présidentielle, elle marque un tournant dans la course électorale. Comment la gauche et le MDC vont infléchir leur propre campagne ?

Jean-Pierre Chevènement : Le « tournant », c’est que nous attendions quelque chose et que la montagne a accouché d’une souris. Nous, nous allons rester sur notre ligne : éclairer les électeurs sur le bilan de la droite et expliquer comment cette politique s’intègre dans des choix ultra-libéraux. Nous refusons le passage à la monnaie unique aux conditions de M. Kohl. Au nom de l’euro, la protection sociale et le droit du travail sont remis en cause. Nous ne l’acceptons pas.

La Croix : Vous êtes signataire d’un accord avec le PC et d’un autre avec le PS. Robert Hue a exprimé le souhait que des ministres communistes participent à un gouvernement de gauche. Vous-même, y êtes-vous disposé ?

Jean-Pierre Chevènement : À la différence d’autres, nous ne sommes ni la filiale, ni la succursale de quiconque. Le MDC a une stratégie d’alliance diversifiée. Nous sommes une gauche républicaine, avec un programme et une ligne. Nous espérons au moins doubler le nombre de nos députés (NDLR : 4 actuellement). Lionel Jospin a évoqué un gouvernement pluriel. Le moment venu, nous examinerons sur le fond notre participation à cet éventuel gouvernement.

 

Le Point - 10 mai 1997

Le Point : En cas de victoire de la gauche, y aura-t-il des ministres MDC dans le futur gouvernement ?

Jean-Pierre Chevènement : Nous voulons donner à la gauche une chance de victoire qui se traduise par une réorientation de fond de notre politique et, par conséquent, de la construction européenne. Si les conditions mises par le PS à la réalisation de la monnaie unique ne sont pas réunies, nous proposons un projet de relance à la fois national et européen sur la base d’une politique monétaire réaliste et flexible. Cette discussion se nouera au moment opportun. De son résultat dépendra la participation du Mouvement des citoyens à un éventuel gouvernement de gauche. La fermeté de la France et la victoire de la gauche après celle des travaillistes britanniques peuvent modifier en profondeur la donne européenne.

Le Point : Comment expliquez-vous l’absence de l’Europe dans cette campagne ?

Jean-Pierre Chevènement : Jacques Chirac a toujours occulté le débat européen. Il a voulu, une nouvelle fois, couper court et profiter du mois de mai entrecoupé de ponts pour emballer les Français au sens propre, sans qu’ils puissent réfléchir aux implications de l’engrenage que constitue la marche forcée vers la monnaie unique. Mais, que le président le veuille ou non, le débat de fond est là.

Le Point : Partagez-vous l’analyse de votre ami Philippe Séguin, qui fait peser exclusivement sur la gauche la mise en œuvre de la politique maastrichtienne ?

Jean-Pierre Chevènement : Je n’apprécie pas cette manière de botter en touche. Ce discours était acceptable en 1993. Il ne l’est plus aujourd’hui. On ne peut pas tenir ce raisonnement et soutenir un gouvernement dont le programme est l’application même du traité de Maastricht dans ses conséquences les plus extrêmes : abandon de la souveraineté monétaire, budgétaire et politique de la France, et la disparition programmée de la République. J’aimerais que Philippe Séguin fasse passer l’intérêt de la République avant celui de la droite. Qu’il fasse campagne à Epinal ou alors qu’il désigne ses candidats qui ne peuvent pas être ceux de monsieur Juppé.

Le Point : Comment réagissez-vous aux propos de François Hollande, qui n’exclut pas de nouvelles privatisations ?

Jean-Pierre Chevènement : J’ai toujours cru au rôle que pouvait jouer un secteur public fort dès lors que certaines orientations claires étaient données. Mais je n’ai jamais mégoté sur ce qu’on a appelé la « respiration du secteur public ». Je crois qu’il faut aller à l’essentiel. Il se résume en trois points : que la banque de France redevienne la Banque de la France, qu’une politique de crédit digne de ce nom puisse s’appliquer et que soit sauvegardé l’intérêt stratégique de la France. Pour le reste, tout est affaire de circonstances.

 

Tribune - mardi 13 mai 1997

Les priorités de Jean-Pierre Chevènement

« L’avantage d’une campagne courte, c’est qu’il faut aller à l’essentiel. L’essentiel, pour nos compatriotes, c’est l’emploi. C’est sur ce terrain-là qu’il s’agit de les convaincre que la gauche peut réussir. Pour réussir, il faut s’attaquer aux racines du mal :

1) Un franc surévalué, aligné sur le mark, qui coûte cher à ceux qui produisent, qui vendent ou qui consomment.

2) Un libre-échange dogmatique, imposé par la Commission de Bruxelles qui met en concurrence les salariés entre eux.

3) Une libération totale des mouvements de capitaux qui favorise les délocalisations industrielles et la spéculation.

4) Une politique monétaire et budgétaire restrictive qui étouffe la croissance, casse l’investissement, bride la consommation.

On le voit, les causes principales qui font que la France et l’Europe subissent un chômage de masse sont liées au type de construction européenne actuellement en œuvre.

Chirac propose de poursuivre dans cette impasse. La vraie raison de la dissolution est là. Il veut, après les élections, pouvoir soumettre le pays à une austérité sans précédent, sans risque de sanction électorale, le tout pour respecter le calendrier de l’euro.

Le peuple doit faire échec à cette entreprise, il doit refuser de donner carte blanche à celui qui combattait, il y a deux ans, la fracture sociale et présente aujourd’hui aux Français la facture sociale.

Pour gagner, la gauche doit mettre du carburant citoyen dans son moteur pour mobiliser et susciter l’adhésion.

L’évolution du Parti socialiste sur l’Europe va dans le bon sens. Mais il faut aller plus loin et dire clairement qu’une crise européenne vaut mieux que de poursuivre dans la voie d’une monnaie unique dont les Allemands ne veulent qu’à leurs conditions, c’est-à-dire en amplifiant encore la rigueur, même au prix d’un désastre social.

Sans changement de cadre européen, il n’y aura pas de possibilité de changer de politique.

La France doit continuer d’assumer son histoire républicaine et défendre ses valeurs : cohésion sociale, service public, laïcité, citoyenneté, rôle de l’État républicain correcteur des inégalités et garant du long terme.

La France ne doit pas se fondre dans une petite Europe placée sous le contrôle de la Banque centrale de Francfort, de la Commission de Bruxelles et de la Cour de justice de Luxembourg.

Elle doit faire vivre la démocratie républicaine, c’est-à-dire l’idée que le peuple est souverain et que les représentants élus du peuple doivent réellement diriger le pays et non se débarrasser de leurs responsabilités au profit des banquiers, des techniciens et des juges.

Pour relever la gauche, il faut s’appuyer sur la France. Pour sortir la France de l’impasse, il faut une gauche pluraliste, offensive, bref une gauche citoyenne et en mouvement. »