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« La générosité oui, mais à condition de… »
Les temps changent, mais les mots restent les mêmes pour exprimer les aspirations et les revendications de ceux qui militent à gauche. Il y déjà là un facteur d’incompréhension dans le nécessaire débat sur l’avenir. Le reportage de Martine Gilson et de Daniel Carton le montre bien.
Aux injustices qui demeurent vient s’ajouter un chômage massif qui désespère la jeunesse, marginalise une partie de la population et réveille tous les populismes.
« Faire payer les riches. » Certes, nous avons besoin d’un système fiscal plus équitable qui proportionne la contribution de chacun à ses moyens, afin de permettre de développer les indispensables biens publics (éducation et santé notamment) au service de tous. Mais, dans une société où les riches ne représentent que 10 % de la population et les pauvres 20 %, ne faut-il pas aussi faire appel à la contribution des classes moyennes ? C’est notamment vrai pour réformer la Sécurité sociale, sans abandonner pour autant les principes de solidarité et d’égalité d’accès aux soins.
Trop demander de l’État, n’est-ce pas ignorer qu’avec ou sans construction européenne, les marges de manœuvre de l’État-nation ont été réduites, de facto, par la mondialisation. Bien entendu, l’État doit redevenir l’animateur du développement économique et social et corriger les imperfections du marché, voire les insuffisantes de la concertation entre les partenaires sociaux. Mais, il le fera bien, à condition de ne pas espérer déplacer les masses considérables de financement ou encore de changer la société par décret. C’est une question de mesure pour éviter tout à la fois une étrange passivité motivée par l’obsession monétariste ou un activisme non suivi d’efforts concrets et positifs des citoyens.
Intégrer la construction européenne dans sa stratégie de transformation sociale, c’est déjà un progrès par rapport aux pensées dominantes d’il y a vingt ans. Mais encore convient-il de tenir compte de ce qui a déjà été réalisé au niveau européen en matière de coopération et de solidarité. Car, on avance qu’à partir d’une juste appréhension du réel. De même et contrairement aux arguments de certains « y a qu’à », ne peut-on raisonnablement en appeler à une formule magique dont seule l’Europe aurait le secret. Beaucoup de politiques français sont pris dans leurs contradictions. Ils veulent une Europe forte, active et « sociale », mais avec des institutions faibles, de façon à justifier leur allergie à Bruxelles. Facile et pas cohérent.
Dans ces conditions, faut-il renoncer à proclamer notre volonté d’une politique généreuse ? Pas du tout. Mais à la condition d’accepter les efforts qui doivent nous conduire à renforcer notre puissance économique, à l’échelon national comme à l’échelon européen (d’où l’impérieuse nécessité d’un gouvernement économique en face du pouvoir monétaire). Tel est le préalable à toute politique, qui pourra ensuite déployer toutes les innovations nécessaires pour réintégrer les marginaux dans la collectivité nationale, profiter des effets du progrès technique pour bâtir une société du temps choisi, et ainsi étendre les opportunités de travail et d’emploi.
La gauche peut prétendre à la générosité si elle devient le levain dans la pâte sociale, si elle renonce à la tentation d’une mécanique enclenchée d’en haut. Un extraordinaire travail militant est indispensable pour sortir du désenchantement actuel, pour rapprocher les citoyens de ceux qui prétendent les diriger, pour recréer de vastes possibilités de participation à la construction d’une société meilleure et d’une Europe plus proche des citoyens.
Je suis têtu, diront certains. Mais, je persiste à penser que rien n’est possible pour la gauche si elle ne s’acharne pas à remettre la société en mouvement. Aujourd’hui, la droite pratique un étatisme désordonné et confiscateur. À la gauche de se situer au sein de la société, afin que celle-ci révèle ses trésors de générosité.