Interview de M. Jacques Godfrain, ministre délégué à la coopération (RPR), à RMC le 13 novembre 1996, sur l'action du gouvernement et la proposition française d'aide humanitaire au Rwanda.

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Texte intégral

P. Lapousterle : J’aimerais avoir votre sentiment de ministre lorsque votre ami C. Pasqua parle de déconfiture pour parler de l’action du Gouvernement. Votre ami a-t-il tort ?

J. Godfrain : D’abord, oui, c’est vrai, C. Pasqua est un ami, un fidèle compagnon. Mais, quand on est dans une majorité, on a tous les droits, mais on a aussi quelques devoirs. Le devoir de solidarité est essentiel pour justifier les droits.

P. Lapousterle : Il a oublié ses devoirs ?

J. Godfrain : La solidarité, c’est une chose très importante. Nous avons tous été élus ensemble à un moment donné. Il faut gouverner ensemble et appuyer ceux qui gouvernent ensemble. C’est une règle.

P. Lapousterle : Ne vous sentez-vous pas un peu seul au Gouvernement lorsque vous entendez les critiques à répétition de MM. Pasqua, Séguin, Balladur et Léotard, par exemple, et que vous voyez les sondages qui vous sont assez défavorables ?

J. Godfrain : Nous avons tous voté à un moment donné pour J. Chirac, sur sa personne, mais aussi sur son programme. Le programme de J. Chirac est un programme, à l’évidence, de réformes. J. Chirac a proposé aux Français des réformes. Que fait le Gouvernement ? Des réformes. Quand on fait des réformes, comme A. Juppé le fait avec le Gouvernement, il faut s’attendre à une chose au bout de 14 mois, c’est que ceux qui sont des ultra-conservateurs – il y en a quand même beaucoup en France – soient mécontents. C’est normal : quand on fait des réformes, on ne satisfait pas les conservateurs. Mais, ceux qui espéraient les réformes et qui les voient en cours n’en voient pas encore les résultats aujourd’hui. Donc, de leurs côtés, n’espérons pas non plus une très forte popularité, puisque les résultats ne sont pas encore là et ne peuvent pas être encore là. Donc, aux deux bouts, nous n’avons pas le soutien, à 90 %, de la population, parce que nous avons choisi la réforme. Je le répète : ce Gouvernement a été désigné pour une période qui lui permettra le moment venu de présenter ses résultats.

P. Lapousterle : C’est une mauvaise passe que vous traversez ? Tout va s’arranger demain ?

J. Godfrain : Bien sûr ! Il ne peut pas en être autrement, parce que nous sommes au milieu du gué. Au milieu du gué, c’est là où le courant de l’eau est le plus fort, mais c’est là aussi où il faut savoir continuer pour aller sur l’autre rive.

P. Lapousterle : Il ne faut rien changer ?

J. Godfrain : Il ne faut pas changer d’équipage au milieu du gué. C’est un vieil adage de la sagesse française.

P. Lapousterle : Quand vous voyez ce matin le sondage CSA publié par Politique Opinion et qui, pour la première fois, donne la gauche gagnante si les élections avaient lieu demain, comment réagissez-vous ?

J. Godfrain : Ça ne m’inquiète pas, parce que la vieille tradition démocratique, c’est qu’une élection fait un gouvernement, pas un sondage.

P. Lapousterle : Vous êtes robuste ! Mais faudrait-il que le Président de la République intervienne rapidement pour mettre de l’ordre dans les rangs de la majorité ?

J. Godfrain : Bien sûr, le Président de la République doit toujours s’exprimer : il est la clé de voûte de nos institutions. On est dans une majorité : il faut qu’il y ait aussi une diversité. C’est une vieille tradition de la Ve République que la majorité ne soit pas monolithique et que l’on ne soit pas le petit doigt sur la couture du pantalon. Je crois qu’enrichir le débat, même parfois par des propos un peu grinçants, n’est pas une mauvaise chose. Simplement, au moment de prendre ses responsabilités, il faut que tout le monde soit là : lorsqu’on vote la confiance à l’Assemblée nationale. Vous savez que d’ici la fin de l’année, il y aura ce genre de vote. Nous ne sommes nullement inquiets sur la solidité de la majorité.

RM P. Lapousterle  C : Et quand « diversité » apparaît comme « pagaille » aux yeux des Français, ce n’est pas inquiétant ?

J. Godfrain : Tout est question de présentation.

P. Lapousterle : Ça fait des jours et des jours qu’on répète à chaque heure que s’approche la plus grande catastrophe humanitaire de tous les temps. Les jours passent, et pour le moment, il ne se passe rien. Est-ce inquiétant, grave et scandaleux ?

J. Godfrain : À la limite, c’est scandaleux, mais il s’est quand même passé une chose importante : une fois de plus, c’est la France qui a pris les devants, non pour elle-même, pour être leader…

P. Lapousterle : Oui, mais au niveau de la parole !

J. Godfrain : Au niveau de la responsabilité des pays européens d’abord, puis de la communauté internationale. C’est lors du sommet franco-espagnol que l’Espagne a pris une part très forte de responsabilité à nos côtés pour lancer l’idée d’une force humanitaire. Ensuite, ce fut lors du Sommet franco-britannique que la Grande-Bretagne nous a rejoint. Il n’y a pas d’heure sans que le Président Chirac ne soit en contact avec nos amis européens pour les convaincre. Résultat : l’Union européenne à une position qui est très proche de celle que nous lancions il y a une dizaine de jours. À la Commission, je dois dire que Mme Bonino est très en pointe sur ce dossier. Et puis, il y a aujourd’hui la position américaine, celle de l’Afrique du Sud. Hier, A. Juppé recevait le Premier ministre d’Afrique du Sud qui sera très certainement partie prenante dans ce débat. Bref, il n’y a pas de jours sans que nous soyons convaincants vis-à-vis de nos alliés.

P. Lapousterle : Mais, il y a entre 1 000 et 1 500 morts par jour, et on attend toujours ! Vous faites état de contacts, mais…

J. Godfrain : Ce sont plus que des contacts.

P. Lapousterle : Est-on à quelques heures d’une intervention ?

J. Godfrain : C’est de moins en moins à exclure. Dans les heures qui viennent de s’écouler, le Canada s’est porté partie prenante pour diriger les opérations. Dans un premier temps, il n’a pas été entièrement approuvé par nos amis. Aujourd’hui, ce matin, je pense que le Canada pourrait être effectivement un pays-clé dans cette affaire.

P. Lapousterle : N’est-ce pas un échec pour la France que les États-Unis soient la clé de voûte de toute cette affaire, que sans eux rien ne se fasse ?

J. Godfrain : Si les États-Unis s’engagent dans cette affaire, ce sera au contraire un succès pour la France, parce qu’il a fallu beaucoup de temps, d’énergie, pour les convaincre. Si W. Christopher est à Paris aujourd’hui, c’est pour prendre des décisions pour la politique, car il sait qu’en matière africaine, la France est experte.

P. Lapousterle : La France a été récusée par le Rwanda.

J. Godfrain : Comme je l’ai dit à Bruxelles, il y a 48 heures, les positions ont nettement évolué. Le Rwanda a peut-être eu le sentiment que nous voulions prendre la tête de tout, être le leader. Pas du tout : nous avons d’abord défini notre position comme strictement humanitaire. Il ne s’agit pas de faire une expédition militaire. Il ne s’agit pas d’envisager une opération menée exclusivement par la France. Pas du tout. Nous sommes un parmi les quatre. Simplement, nous avons pris la tête de l’appel à la communauté internationale.

P. Lapousterle : La France fera-t-elle partie de cette force multinationale ?

J. Godfrain : Je pense que la France sera très utile. Elle a mis tout son poids pour décider. Elle mettra tous ses moyens pour être très utile dans cette opération.

P. Lapousterle : Les Français s’intéressent de moins en moins à l’Afrique.

J. Godfrain : Oui. La coopération française, ce n’est pas loin de 300 000 emplois en France. Ce sont des milliers de Français qui vivent en Afrique. Ce sont des filières de production qui nous intéressent, comme la filière coton. Je pense aussi que les liens historiques entre l’Afrique et la France sont importants. J’ajoute que si l’Afrique est trop en désordre un jour, à ce moment-là, nous aurions des répercussions sur le territoire français. Donc, la coopération, c’est beaucoup plus que l’argent qu’on dépense : c’est aussi des emplois en France ; c’est aussi le ministère de la Paix.

 

RMC : Cela fait des jours et des jours qu’on répète à chaque heure que s’approche, en Afrique, la plus grande catastrophe humanitaire de tous les temps. Les jours passent et pour le moment, je dis bien pour le moment, il ne se passe rien. Est-ce que c’est inquiétant, grave et scandaleux ?

Jacques Godfrain : À la limite, c’est scandaleux. Mais, il s’est quand même passé une chose importante. Une fois de plus, c’est la France qui a pris les devants, et non pas pour elle-même, non pas pour être leader.

RMC : Qui a pris les devants au niveau de la parole ?

Jacques Godfrain : Il a fallu mettre devant leurs responsabilités les pays européens d’abord, et puis la communauté internationale. C’est lors du sommet franco-espagnol que l’Espagne a pris une part très forte de responsabilité à nos côtés pour lancer l’idée. Pour l’idée d’une initiative humanitaire, ensuite, ce fut lors du sommet franco-britannique que la Grande-Bretagne nous a rejoints. Il ne se passe pas d’heure sans que le Président Chirac ne soit en contact avec nos amis européens pour les convaincre. Le résultat, aujourd’hui, est que l’Union européenne à une position qui est très proche de celle que nous lancions il y a une dizaine de jours. Au sein de la Commission, je dois dire que Mme Bonino, qui est italienne, mais qui est fonctionnaire européen, est très en pointe sur ce dossier. Et puis, il y a, c’est vrai aujourd’hui, la position américaine et la position en Afrique du Sud. Hier, Alain Juppé recevait le Premier ministre de l’Afrique du Sud, M. Mbeki, qui sera très certainement partie prenante aussi dans ce débat. Bref, il ne se passe pas d’heure, de jour, où nous ne soyons convaincus vis-à-vis de nos alliés.

RMC : Mais, il y a entre 1 000 et 1 500 morts par jour, et on attend toujours. Vous faites état de contacts, mais…

Jacques Godfrain : Plus que des contacts.

RMC : Est-ce qu’on est à quelques heures d’une intervention ce matin ?

Jacques Godfrain : C’est de moins en moins à exclure. Vous savez que, dans les heures qui viennent de s’écouler, le Canada s’est porté partie prenante pour diriger les opérations. Dans un premier temps, il n’a pas été entièrement approuvé par nos amis. Je pense que le Canada pourrait être effectivement un pays clé dans cette affaire.

RMC : Est-ce que ce n’est pas un échec pour la France que ce soit finalement les États-Unis qui…

Jacques Godfrain : Pas du tout.

RMC : …soit la clé de voûte de toute cette affaire, que sans eux, rien ne se fasse

Jacques Godfrain : Si les États-Unis s’engagent dans cette affaire ce sera au contraire un succès pour la France, parce qu’il a fallu beaucoup de temps, d’énergie pour les convaincre. Si aujourd’hui M. Warren Christopher est à Paris, c’est bien ici même qu’ils seront pour prendre des décisions pour la suite. Car, il sait qu’en matière africaine, la France est experte, en quelque sorte.

RMC : La France a été récusée par le Rwanda, par exemple…

Jacques Godfrain : Oui, comme je l’ai dit à Bruxelles, il y a 48 heures, les positions ont évolué. Le Rwanda avait peut-être eu le sentiment que nous voulions prendre la tête de tout, être leader. Ce n’est pas le cas. Nous avons d’abord défini notre position comme strictement humanitaire. Il ne s’agit pas de faire une expédition militaire. Il ne s’agit pas d’envisager une opération menée par la France exclusivement. Nous sommes un pays parmi les autres. Simplement, nous avons pris la tête de l’appel à la communauté internationale.

RMC : Est-ce que, de toute façon, la France fera partie de cette force multinationale ?

Jacques Godfrain : Je pense que la France sera très utile à ce moment-là. Elle a mis tout son poids pour décider. Elle mettra tous ses moyens pour être très utile dans cette opération.

RMC : La France, les Français s’intéressent-ils à l’Afrique ?

Jacques Godfrain : La coopération française représente – il faut le savoir – environ 300 000 emplois en France. Des milliers de Français vivent en Afrique. Des filières de production nous intéressent : je pense à la filière coton, par exemple. Je pense aussi que les liens historiques entre l’Afrique et la France sont importants. Et, j’ajoute que si l’Afrique était trop en désordre un jour, à ce moment-là, il y aurait une répercussion sur le territoire français. Donc, la coopération, c’est beaucoup plus que l’argent dépensé. C’est aussi des emplois en France. C’est aussi le ministère de la Paix.