Texte intégral
Mesdames,
Mesdemoiselles,
Messieurs,
Je suis heureux d’accueillir, dans les salons de l’Hôtel de ville, l’Institut des hautes études de défense nationale.
Comme maire de Paris, d’abord, puisque la capitale abrite depuis cinquante ans ce qui fut, avant la guerre, le Collège des hautes études de défense et qui est aujourd’hui l’IHEDN.
Comme chef du gouvernement, aussi, car le Premier ministre, responsable de la défense nationale, ne peut qu’apprécier le rôle de votre institut dans la mise en œuvre de notre politique de défense.
Il était tout à fait naturel que vous rendiez un hommage solennel à son premier directeur, l’amiral Castex, qui fut, comme vous l’a rappelé ce matin l’amiral Hughes, son véritable fondateur.
En cinquante ans, le domaine d’action de l’institut s’est étendu. Action dans le cadre des sessions nationales, mais aussi plus récemment des sessions régionales, création des associations regroupant les anciens auditeurs, concours apporté aux enseignements de défense, organisation du prix Vauban, constituent un apport considérable. Par son ouverture à tous les secteurs de la nation par la réflexion qu’il suscite sur les problèmes de défense, par la contribution qu’il apporte au développement de l’esprit de défense, l’IHEDN est à coup sûr un élément essentiel de notre politique de défense.
Qu’il me soit donc permis d’adresser mes félicitations et mes remerciements à l’ensemble des cadres de l’institut et à ceux des associations, en particulier au directeur actuel, l’amiral Hughes, et au président de l’Union des associations, M. Quinio. Je sais tout ce que l’institut doit au dévouement de ceux qui organisent et animent les sessions nationales et régionales et les vingt-six associations d’anciens auditeurs. Vous pouvez être fiers de l’œuvre accomplie qui témoigne de la vitalité, de l’originalité et du rayonnement de l’IHEDN.
Je voudrais saisir l’occasion de cette rencontre avec vous pour exprimer trois convictions qui inspirent l’action du gouvernement :
- L’accord des Français sur la défense est un capital inestimable, qui renforce la position de la France dans le monde.
- Il n’y a pas de défense crédible sans efforts.
- La France doit contribuer à l’épanouissement d’une volonté européenne dans le domaine de la défense.
L’accord des Français sur la politique de défense, définie il y a plus d’un quart de siècle par le général de Gaulle, est une chance pour la France. A l’heure où certains de nos voisins connaissent de graves débats sur les questions relatives à leur sécurité, notre pays est perçu par tous nos amis et partenaires comme un allié sûr et solide qui a su forger ce capital irremplaçable que constitue le consentement de tous les citoyens aux exigences de la défense.
La nécessité de maintenir coûte de coûte l’indépendance de la nation, la confiance du peuple tout entier dans son armée, l’acceptation de l’effort financier qu’exige le maintien d’une défense moderne impressionnent tous ceux qui, de près ou de loin, alliés ou adversaires, savent bien que la défense d’un pays ne se juge pas seulement sur le nombre de ses chars ou de ses missiles, mais au moins autant sur son unité face aux périls, expression de sa volonté de survivre.
Comment ne pas voir dans le courage, la ténacité et la véritable mobilisation dont a su faire preuve le pays tout entier lors de la vague d’attentats terroristes, une manifestation, exemplaire, de cette volonté de défense qui anime les Français ? Ceux qui, à tort, ironisent sur un consensus, qui serait de façade, seraient bien inspirés de méditer les leçons de l’histoire : une nation divisée dans ce domaine est une nation qui risque de mourir, parce que ses divisions lui font perdre de vue la nécessité de l’effort et la gravité des défis qui sans cesse l’assaillent.
Je veux cependant souligner devant vous que l’accord des Français sur leur politique de défense, en même temps qu’il consolide la position de la France dans le monde, constitue, pour un gouvernement responsable, une raison d’agir. Qu’on me permette de rappeler qu’une défense moderne exige un effort continu et suffisant et qu’il n’y a pas de sécurité crédible sans une stratégie des moyens cohérente et puissante. Telle est la raison pour laquelle j’ai tenu, dès mon entrée en fonction, à préparer une nouvelle loi de programmation militaire. Il était en effet nécessaire de reprendre les voies de l’effort. La croissance retenue pour les crédits d’équipement militaire témoigne de la volonté du gouvernement de donner à nos armées les moyens financiers de leur modernisation. Ainsi, des décisions essentielles comme le lancement d’une seconde composante nucléaire sont-elles désormais inscrites dans la loi.
Mais la France, qui a su forger seule les moyens de son indépendance, est une puissance européenne. A ce titre, elle est solidaire de ses voisins et alliés, dont la sécurité commande à bien des égards la sienne.
C’est pourquoi j’ai déjà eu l’occasion de dire qu’elle devait contribuer à l’épanouissement d’une volonté européenne dans ce domaine essentiel de la défense. Les événements récents imposent aux Européens un sursaut qui peut être salutaire.
Nos conversations récentes avec le Premier ministre britannique et le Chancelier de la République fédérale d’Allemagne ont révélé une parfaite identité de vues sur les dangers d’une situation où l’Europe occidentale tend à apparaître comme l’enjeu des forces qui la dépassent.
La France entend saisir toutes les occasions pour favoriser l’émergence d’une volonté européenne de défense.
C’est pourquoi elle a proposé, lors de la dernière session ministérielle de l’UEO., la promotion d’un enseignement européen de défense. Forte de l’expérience de cinquante ans de l’IHEDN, elle est prête à inaugurer, dès 1988, la première session européenne de hautes études de défense qui permettra, selon une formule qui a fait ses preuves, de convier, dans une même enceinte, des responsables civils et militaires des pays européens à réfléchir ensemble sur des thèmes d’intérêt commun. Quand on sait la contribution essentielle que l’IHEDN a su apporter à l’apparition d’un accord profond des Français sur les affaires de défense, comment ne pas voir, dans cette initiative, un ferment décisif pour forger une prise de conscience des nations européennes sur les exigences de leur défense ?
Enfin, je ne voudrais pas terminer sans évoquer devant vous la nécessité d’une démarche prospective qui inspire vos réflexions dans le cadre de l’IHEDN car la défense, permanente et globale, exige que soient prises en compte les grandes mutations de notre temps.
Bien sûr, il n’est pas question ce soir de dresser en quelques mots la liste des défis auxquels se trouve confronté notre pays. Mais je voudrais vous convaincre, s’il en est besoin, de l’urgence d’une réflexion qui prenne en compte le changement.
C’est une des grandes leçons que nous a léguée Fernand Braudel : « Une nation ne peut être qu’au prix de se chercher elle-même sans fin, de se transformer dans le sens de son évolution logique, de s’opposer à autrui sans défaillance, de s’identifier au meilleur, à l’essentiel de soi. »
A cet égard, il me paraît tout à fait indispensable de réaffirmer la valeur du passé du sens de l’histoire. Définir le passé de la France c’est situer les Français dans leur propre existence.
Le deuxième point sur lequel me paraît devoir s’appuyer votre réflexion concerne le progrès explosif de la technologie. Quel avenir porte en elle cette révolution technique ? Quel sort réserve-t-elle à l’Occident ? Comment s’adapter à la complexité, la comprendre, en exploiter toutes les ressources au profit d’une action efficace ? Là est sans doute le problème stratégique de notre temps, car la complexité est au cœur du réel, elle est au cœur de toute action politique.
Comment s’adapter enfin à la vulnérabilité croissante de nos démocraties, de l’Europe, provoquée par l’émergence d’un monde multipolaire stratégiquement fragmenté et par l’intensification de l’interdépendance entre les Etats.
Telles sont, Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs, quelques unes des grandes questions qui se posent à nous. C’est pourquoi je vous invite, en soulignant les propos tenus ce matin, avec son immense talent, par mon ami Maurice Schumann, à poursuivre votre réflexion sur l’évolution de notre défense.
Pour cette réflexion, exigeante, il n’y a qu’une seule attitude, faite du sens de la grandeur de la France et du sens de l’effort, faite aussi d’espoir car, selon le mot superbe de Georges Bernanos, « la vocation de notre pays n’est pas de donner la richesse au monde, c’est d’y maintenir l’espérance ».