Texte intégral
Mon général,
Monsieur le Président,
Messieurs les officiers généraux,
Mesdames et messieurs,
« Bannir le conformisme tout en respectant le devoir de réserve » : c'est ainsi, mon général, que vous avez défini à l'instant l'objectif que se sont fixés, il y a cinq ans, les créateurs du prix Maréchal Lyautey, l'ADDIM et son président le général Biré.
Ce souci me paraît plus que jamais d'actualité. Il serait en effet impensable que la refondation de notre outil de défense n'entraîne pas un renouveau de l'expression des militaires. Il est indispensable que dans tous les domaines, stratégique, tactique, opérationnel, ou dans celui des ressources humaines, les militaires prennent leur part à l'effort d'accompagnement intellectuel de la réforme.
Aujourd'hui, la réflexion de l'institution militaire sur elle-même est incontestablement nécessaire, incontestablement légitime. Elle l'est, d'abord, du point de vue du lien qui doit unir l'armée et la nation. Au moment où nous engageons la professionnalisation des forces, le silence des militaires reviendrait à conforter les vieux clichés sur la « grande muette ».
Au contraire, leur participation au débat sur les questions de défense doit exprimer fortement qu'il n'existe aucune coupure entre la communauté militaire et le reste de la nation. Elle doit en outre enrichir le dialogue fructueux qui se noue entre l'armée et les experts, les universitaires, les journalistes qui s'intéressent aux questions de défense. Elle doit enfin permettre de diffuser, non seulement un esprit de défense, mais aussi une culture de défense faite d'intelligence critique et de réflexion constructive.
Nécessaire du point de vue du lien armée-nation, la réflexion personnelle des militaires sur la défense est aussi essentielle pour les armées. Il serait fort dommageable qu'elles négligent d'exploiter le potentiel remarquable qui existe chez les officiers et les sous-officiers. Il serait regrettable que les militaires ne cherchent pas à engager une réflexion théorique à partir de leur expérience vécue. Rappelons-nous les paroles du général Beaufre : « la faillite intellectuelle française en 1940, analogue à celle de l'armée prussienne à Iéna, a été le fruit d'un conformisme d'une armée qui avait été victorieuse en 1918 ». Méditer cette leçon de l'Histoire, c'est avoir la volonté de relever les défis d'aujourd'hui, d'anticiper ceux de demain, de ne jamais prendre un retard intellectuel néfaste pour la défense et la sécurité de notre pays.
J'avais déjà insisté l'année dernière sur l'avantage qu'il y a à laisser les militaires réfléchir et discuter publiquement, sereinement et librement des questions de défense. La sélection de cette année témoigne, s'il en était besoin, qu'il ne s'agit pas de « paroles verbales ».
Ainsi, comme l'a souligné le général Schmitt, l'originalité du Colonel Thomann ne l'a pas empêché, bien au contraire, de recevoir le premier prix. Le nouveau contexte géostratégique, l'engagement des forces terrestres pour répondre à des situations de crise intermédiaires entre guerre et paix nécessitent une organisation à la fois souple et modulaire. C'est à partir de ce constat que le colonel Thomann a imaginé une nouvelle structure de commandement de l'armée de terre. Je ne reviendrai pas sur le détail de l'article, le général Schmitt l'a fait brillamment ; mais j'en soulignerai deux grandes qualités. La première, c'est la capacité de tirer parti de l'expérience acquise lors des derniers engagements de la France dans des opérations extérieures. La seconde grande qualité, c'est la volonté de s'adapter en permanence aux situations nouvelles. La démarche du colonel Thomann s'inscrit donc tout à fait dans la philosophie qui inspire la réforme de notre défense : être capable de tirer toutes les conséquences des évolutions stratégiques, être en mesure d'assurer, dans toutes les configurations et en toutes circonstances, la défense, la sécurité et l'indépendance de notre pays.
Bannir le conformisme, bannir la crainte d'aborder des sujets qui portent naturellement au débat : le deuxième prix témoigne également de cette préoccupation. Le lieutenant de vaisseau Pierre Marionnet a choisi, en effet, un thème qui touche au coeur du commandement et de la discipline militaire, puisqu'il s'interroge sur l'alliance de la conscience et des convictions individuelles avec les devoirs du combattant.
Il note à mon avis fort justement que « le service des armes, la défense du pays, et, s'il le faut, le sacrifice de soi, n'ont de sens que s'ils sont l'accomplissement d'un engagement libre et réfléchi pour des valeurs parfaitement cernées et clairement perçues ». Le général Schmitt a rappelé que les lois et règlements militaires de notre pays procèdent de la morale et du respect de l'homme. Mais nous le savons tous : le meilleur règlement de discipline générale n'empêchera pas, parfois, dans des circonstances exceptionnelles, un dilemme de se poser ; il n'empêchera pas que soit engagé l'exercice d'une pleine responsabilité militaire, mais aussi personnelle. Je songe, ici, au cours professé par Lucien Febvre au collège de France à l'issue de la seconde guerre mondiale sur le thème « honneur et patrie ». Inspiré par le choix tragique que firent en sens contraire des marins français à l'automne de 1942, il a suscité chez cet historien des réflexions qui demeurent précieuses sur le sens du devoir dans les temps de crise et d'inquiétude.
Avec le troisième prix décerné aux ingénieurs en chef de l'armement Tandéo et Pautasso, nous changeons radicalement d'univers, puisque nous abordons la peinture des navires. Ce sujet est traité avec compétence et humour. Mais comme l'a indiqué le général Schmitt, le choix d'une peinture est tout aussi important que celui d'un armement ou d'un système de propulsion. Loin d'être une composante mineure de la défense, la peinture participe réellement à la protection et à l'efficacité de notre système de défense.
J'ai particulièrement apprécié, à cet égard, que soit souligné le rôle de la peinture dans la réduction des signatures radar, infra-rouge, visibles et acoustiques ou encore son rôle dans la capacité à gagner de la vitesse.
Je viens de souligner combien les lauréats du prix Lyautey ont été justement distingués. Je ne saurais manquer d'évoquer les finalistes que sont l'aviateur Bénétau, le colonel Robinet, le lieutenant-colonel Clouet, et le capitaine Lignac, dont les articles remarquables ont traité de sujets ou de débats qui sont au coeur de l'actualité. Je ne saurais non plus manquer de citer le numéro de la revue « L'armement » consacré au thème éthique et armement. Le choix de son rédacteur en chef, Olivier Legrand, de réunir des personnalités civiles, militaires mais aussi des personnalités religieuses qui représentent de véritables références morales me paraît tout à fait judicieux.
Le prix Lyautey est désormais une institution. Je souhaite rendre un hommage mérité à l'ADDIM, l'association pour le développement et la diffusion de l'information militaire, ainsi qu'à son président le général Biré.
La sélection du prix Lyautey constitue en effet, une véritable pédagogie de ce que doit être l'expression des militaires.
Elle constitue un véritable appel à prendre la plume pour traiter avec compétence, imagination et esprit critique, sans jamais toutefois trahir le devoir de réserve, les sujets qui intéressent la défense de la France.
Elle constitue enfin, une incitation à régénérer la riche tradition de notre pays en matière de pensée et d'écrits militaires, tradition dont le maréchal Lyautey, soldat et académicien, est l'une des plus brillantes figures.