Article de M. Bernard Stasi, vice-président de Force démocrate, dans "Le Figaro" du 13 novembre 1996, sur les hésitations de la communauté internationale à l'envoi d'une force d'intervention au Zaïre, et sur les relations de la France et de l'Europe avec l'Afrique, intitulé "Zaïre : hypocrisie et lâcheté".

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Média : Emission Forum RMC Le Figaro - Le Figaro

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Allons-nous laisser passer l’occasion de montrer que l’Union européenne est au service de la paix et de la dignité de l’homme ?

Une fois de plus, l’Afrique révèle, à ses dépens, l’état de déliquescence morale dans lequel se trouve la communauté internationale.

Certes, la politique des nations et l’action des organisations internationales ne sauraient être inspirées exclusivement par des sentiments nobles et généreux. Mais rarement avons-nous assisté, sur la scène mondiale, à un tel festival d’hypocrisie, de cynisme et de lâcheté.

Les tragiques événements du Zaïre offraient au président Clinton, réinvesti de la confiance de ses concitoyens, l’occasion de mettre aussitôt sa légitimité renouvelée et son autorité renforcée au service de la paix et de la vie, l’occasion de montrer que cette Amérique forte et généreuse, déterminée à assumer ses responsabilités dans le monde, dont il parlait avec éloquence dans ses discours, était pour lui, non pas seulement un slogan électoral, mais une forte conviction et une vraie ambition.

Il est avéré aujourd’hui que ceux qui dénonçaient le récent voyage en Afrique du secrétaire d’État Warren Christopher comme une tournée électorale destinée à amener l’électorat noir à de bonnes dispositions à l’égard du candidat démocrate n’avaient pas tort de mettre en doute la sincérité de l’intérêt porté par ledit candidat, aujourd’hui réélu, au continent africain.

Mais le président Clinton attend peut-être que la télévision ait diffusé, venant du Zaïre, des images encore plus tragiques, encore plus bouleversantes, encore plus insupportables pour que la décision d’envoyer des militaires américains en Afrique ne risque pas d’indisposer un trop grand nombre de citoyens américains. Si c’est le cas, il n’aura pas, hélas, à attendre longtemps…

Certains de nos partenaires européens contribuent également, par leur attitude, à la scandaleuse indignité dont fait preuve la communauté internationale, face à un drame d’une telle ampleur.

Prétextant le passé colonialiste de la France, qui la disqualifierait pour prendre des initiatives concernant l’Afrique, ils refusent de répondre à l’appel que notre pays, associé à l’Espagne, a lancé en vue de la constitution immédiate d’une force d’intervention internationale, destinée à permettre l’acheminement de l’aide humanitaire.

Certes, l’histoire de la colonialisation française a comporté quelques pages sombres et, dans ses relations avec ses anciennes colonies, la France a commis bien des erreurs au cours de ces dernières années.

La France en Afrique

Il n’en demeure pas moins que la France est le pays européen le plus sincèrement et le plus constamment attaché au développement du continent africain. Nul ne devrait oublier, en Afrique ou ailleurs que, sans le vigoureux combat mené par le président Chirac en 1995, les crédits européens destinés à l’Afrique dans le cadre du FED auraient été sensiblement diminués pour les années à venir, sous la pression de ceux de nos partenaires qui dissimulent à peine leur sentiment que l’Afrique est une cause perdue. Pour les dirigeants de ces pays, l’Union européenne a une meilleure utilisation à faire de ses ressources financières que de tenter de porter secours à un continent à la dérive, à des pays condamnés, par la fatalité ou par leurs propres inconséquences, à végéter jusqu’à la fin des temps.

Nous ne devons donc pas  nous laisser culpabiliser, notamment à propos de l’opération « Turquoise ». Certains la dénoncent comme ayant été une entreprise aux arrière-pensées néocolonialiste, faisant semblant d’oublier que si la France, en 1994, était intervenue seule au Rwanda, c’est parce que tous nos partenaires, auxquels nous avions demandé de s’engager à nos côtés, s’étaient dérobés. Sans doute est-il vrai que l’opération « Turquoise » a mis provisoirement à l’abri quelques auteurs du génocide dont les Tutsis ont été victimes. Mais cette intervention a sauvé plusieurs dizaines de milliers de vies humaines, comme le reconnaissent aujourd’hui toutes les organisations humanitaires, même celles qui, à l’époque, avaient émis des réserves ou des critiques sur l’initiative française. Aurait-il mieux valu laisser périr tous ces innocents pour ne pas courir le risque de sauver aussi quelques criminels ?

Au moment où, aux yeux de ses  habitants, l’Europe est essentiellement perçue à travers les contraintes imposées par la marche vers la monnaie unique, allons-nous laisser passer l’occasion de montrer aux citoyens européens, mais aussi à l’opinion publique internationale, que l’Union européenne a l’ambition et la capacité d’être une puissance au service de la paix, de la solidarité entre les peuples et de la dignité de l’homme ?