Interviews de M. Edouard Balladur, député RPR, à France 2 le 3 mars et dans "Le Parisien" le 6 mars 1998, sur les élections régionales.

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Circonstance : Elections régionales du 15 mars 1998

Média : France 2 - Le Parisien - Télévision

Texte intégral

France 2 le 3 mars 1998

D. Bilalian : Vous êtes bien vu par le Front national (Allusion faite à la suite du reportage de M. Darmont, Ndlr)

E. Balladur : Ma position est parfaitement claire : j'ai dit et répété que si nous avions la majorité relative le soir des élections en Île-de-France, je serai candidat ; si nous ne l'avions pas, je ne serai pas candidat pour éviter toutes les conversations plus ou moins secrètes, les subterfuges et les compromis. Donc, ma position est parfaitement claire. Quant aux sondages, il y a des sondages assez contradictoires. Que montrent-ils ? Ils montrent que l'affaire est difficile. Je le savais parfaitement lorsque je m'y suis engagé. Nous avons refait une partie de la différence. Il nous reste encore du chemin à faire.

D. Bilalian : J'ai pour vous une  bonne nouvelle et une mauvaise. Par laquelle commence-t-on ?

E. Balladur : Par celle que vous voudrez !

D. Bilalian : La bonne, donc : un sondage Sofres sorti dans Le Figaro d'aujourd'hui vous donne vainqueur avec 35 % des intentions de vote, contre 33 à la gauche et 16 au Front national. Vous revenez de loin !

E. Balladur : Oui, mais, et la mauvaise nouvelle ?

D. Bilalian : La mauvaise nouvelle, c'est que dans Paris, vous n'avez pas la majorité. Paris, c'est à peu près la moitié des conseillers régionaux : 42 % à la gauche, 36 % à vos listes. Les affaires qui entourent la gestion de M. Tibéri vous ont-elles porté tort ?

E. Balladur : Sur les sondages, ils sont contradictoires dans une certaine mesure. Ils marquent quand même une amélioration de notre position. Il nous reste 15 jours pour que cette amélioration soit confirmée, et je vais m'y employer de toutes mes forces. Parlons carrément des affaires, puisque apparemment c'est le seul sujet que les socialistes et les communistes ont trouvé pour faire campagne, ce qui tendrait à prouver d'ailleurs qu'ils n'ont pas grand-chose à dire. J'aimerais bien qu'on dise très clairement finalement ce qu'on a à reprocher à la liste que j'ai constituée à Paris et pour Paris.

D. Bilalian : On dit que vous ne pouvez pas afficher comme ça une sorte de virginité : vous êtes le successeur de M. Giraud.

E. Balladur : Écoutez, il s'agit d'une campagne régionale, pour la région. Deuxième point : tout le reste, ce sont des ragots, plus ou moins des médisances. Si les juges...

D. Bilalian : Il y a des affaires en justice, tout de même !

E. Balladur : Attendez : les affaires en justice, attendons les jugements. Je trouve que la gauche fait une campagne qui n'est pas digne de l’Île-de-France ou digne de Paris, une campagne du niveau caniveau, si vous me passez l'expression. J'ai constitué une liste d'hommes et de femmes nouveaux. Il y a six sortants sur 42 ; il y a 18 femmes sur 42. Il n'y a sur cette liste personne qui ait quelque chose à se reprocher, personne. Est-ce que vous êtes bien sûr que ceux qui nous critiquent, prétendent jouer les professeurs de morale, n'ont rien à se reprocher sur aucune de leurs listes ?

D. Bilalian : Ils n'étaient pas au pouvoir en Île-de-France.

E. Balladur : Oui, mais on peut avoir quelque chose à se reprocher, même si on n'est pas au pouvoir en Île-de-France.

D. Bilalian : Ces élections arrivent à un moment où la situation économique est plutôt favorable, contrairement à celle que votre majorité avait laissée l'été dernier lorsqu'on a dissous l'Assemblée nationale. Ces élections n'arrivent-elles finalement pas un peu trop tôt pour vous ?
 
E. Balladur : Il n'est pas dans notre pouvoir d'en changer la date. De toute manière, ce sera un jugement national. Le soir du 15, vous ferez tous des commentaires pour voir si nous avons fait mieux ou moins bien que ce qui a été fait l'année dernière. Le Gouvernement bénéficie effectivement en ce moment de ce qui semble être une embellie de la situation économique, ce qui prouve d'ailleurs que nous n'avions pas si mal géré le pays quand nous le leur avons laissé, et qu'il vaut peut-être mieux nous succéder que leur succéder - j'en parle d'expérience pour leur avoir succédé en 1993. Et puis, ils s'attachent très soigneusement à cacher les conséquences de leur action. Je vais vous donner deux exemples : les socialistes et les communistes ont fait une réforme des allocations familiales qui retire les allocations à 350 000 familles. Quand est-ce qu'on le constatera financièrement? Au mois d'avril, une fois l'élection passée. Deuxièmement : pour la première fois depuis très longtemps, les feuilles d'impôt ne seront envoyées qu'à la fin du mois de mars.

D. Bilalian : C'est une grève du service informatique.

E. Balladur : Oui, excellent motif ! Mais comme par hasard, ce sera également après le 15 mars. Bref, tous ces petits subterfuges montrent bien que le Gouvernement sait parfaitement que, sur toute une série de points, la politique qu'il a menée est contraire aux intérêts de notre pays. Nous allons et nous sommes en train de le démontrer. Les Français le comprendront-ils ou ne l'admettront-ils pas ? Ce sera l'un des enjeux avec les enjeux régionaux, bien entendu.

D. Bilalian : Ne craignez-vous pas que cette élection soit comme une deuxième sanction, après celle des élections législatives ?

E. Balladur : Non, ce n'est pas ma crainte. Je pense que ce qui est en cause, c'est de savoir si nous offrons pour la région des objectifs qui mobilisent les habitants de l’Île-de-France. Nos objectifs, je les résumerai en deux points très simples : lutter contre la violence urbaine, faire en sorte qu'on puisse prendre le métro ou les trains de banlieue sans crainte ; deuxième sujet d'inquiétude : l'emploi et la formation des jeunes. Nous allons bouger l'apprentissage. C'est ça le vrai problème, et non les campagnes d'intoxication qui tendent à rabaisser le débat public de façon largement déviée.

LE PARISIEN le 6 mars 1998

Le Parisien : Quelles sont, à vos yeux, les attentes prioritaires des habitants de l’Île-de-France ?

Édouard Balladur : Les problèmes principaux de la région sont ceux de la violence urbaine, d'une part, de l'emploi et de l'apprentissage, de l'autre. J’ajoute que, au vu des réalités, j'ai vérifié la nécessité impérieuse d’une plus forte décentralisation.

Le Parisien : Quels seraient vos objectifs ?

Édouard Balladur : Diminuer la délinquance et la criminalité d'un tiers en six ans ; doubler le nombre des apprentis, tout en contribuant à réduire le chômage, également d'un tiers.

Le Parisien : Que peut la région ?

Édouard Balladur : La région doit et peut faire un puissant effort en matière d'investissements destinés à la sécurité. Exemple : les systèmes de vidéosurveillance à l'entrée des gares, des lycées ou encore dans les transports en commun. Mais la région ne peut agir que si l’État s’engage, de son côté, à fournir les personnels adéquats. C'est pourquoi je propose un contrat de sécurité entre l’État et la région. Pour la région, cela représenterait 250 millions d'investissement par an, durant six ans.

Le Parisien : Êtes-vous favorable aux polices municipales ?

Édouard Balladur : Oui, sans hésitation, à voir le travail qu’elles accomplissent et l’accueil qu’elles reçoivent.

Le Parisien : La gauche dit ou suggère qu’il faut en Île-de-France tourner la page des « affaires »…

Édouard Balladur : Cela ne concerne en rien la liste que j'ai constituée à Paris. J'ai délibérément choisi, en effet, pour une étape nouvelle de l'action régionale, donc pour tourner la page, une équipe nouvelle, ne comprenant que six sortants sur quarante-deux candidats. Qu'a-t-on à leur reprocher ? Rien. Pas un, par-exemple, n'est mis en examen : toutes les listes, notamment à gauche, peuvent-elles en dire autant ? Avant de donner des leçons de morale, il vaut mieux balayer devant sa porte.

Le Parisien : Ces élections seront-elles aussi un test national ?

Édouard Balladur : On n'appelle pas trente-six millions de Français aux urnes sans que cela ait un sens national. L’opposition, à cette occasion, doit donc démontrer son aptitude à représenter une espérance pour l’avenir. Ces élections doivent être, pour nous, la première étape du redressement.

Le Parisien : Plusieurs clignotants économiques viennent de passer au vert. S’agit-il d’une véritable sortie de crise ?

Édouard Balladur : « Sortie de crise » : n'utilisons pas de mots excessifs !... Nous avons déjà connu pareille embellie en 1987-1988. C'était le fruit de la politique libérale que nous avions conduite. Et cela a été la même chose au cours des années 1993-1997. Ce qui prouve, au passage, qu'il vaut mieux nous succéder que de succéder aux socialistes !... Disons que, aujourd'hui, on note une reprise de la croissance, de la consommation et de l'investissement. On ne  peut que s'en réjouir.

Le Parisien : Les socialistes revendiquent, au moins pour partie, cette embellie...

Édouard Balladur : Qu'ont-ils fait sinon augmenter les impôts de 50 milliards et les dépenses publiques de 25 ?

Le Parisien : Comment consolider cette reprise ?

Édouard Balladur : En ne répétant pas les erreurs commises par les socialistes pendant les années 1988-1990 ! Il faut affecter le surplus de la croissance aux réformes indispensables, afin que la France prenne du muscle, libérer notre économie, assouplir les réglementations qui pèsent sur le travail et diminuer les charges sur les bas salaires. Il faut, enfin, réformer les régimes sociaux, sous peine d'avoir à assumer le risque de leur explosion financière.

Le Parisien : Bruno Mégret vous propose un accord : le soutien du FN en Île-de-France contre  le vôtre en Provence-Alpes-Côte d'Azur...

Édouard Balladur : Je n'entre pas dans ce genre de marchandages.

Le Parisien : Jean-Marie Le Pen vient de redire qu'il préférait Lionel Jospin aux leaders de la droite...

Édouard Balladur : Il faut reconnaître qu’il est conséquent avec lui-même puisque c'est grâce au maintien des candidats FN dans de nombreux départements que la « gauche plurielle » est devenue majoritaire à l'Assemblée. Je note en passant que, si nos candidats n'avaient pas été battus, et que nous avions conservé la majorité, les lois Pasqua-Debré dont le FN déplore l'abandon n'auraient pas été remises en cause.

Le Parisien : La porte éventuelle par la droite de l’Île-de-France serait-elle un « tremblement de terre », comme dit Charles Pasqua ?

Édouard Balladur : Ces élections sont un combat national. Leur résultat, quel qu'il soit, aura, c'est évident, des conséquences sur les futures élections, municipales comme législatives. L'enjeu est clair : c'est la gauche ou nous. Il n'y a pas de troisième solution. Toute voix qui ne se porterait pas sur nos listes favoriserait, en fait, les listes de gauche. Que tous ceux qui envisagent de disperser la leur au profit de listes dissidentes y réfléchissent bien !