Texte intégral
Date : 3 avril 1997
Source : Force Ouvrière hebdo
1er mai : ne pas se tromper…
On se souviendra ou en prendra connaissance de la réaction d’Édouard Daladier, qui de retour de Munich, s’inquiétait de l’accueil qu’il allait recevoir de la foule venue l’attendre au Bourget. Aujourd’hui encore, la référence aux accords de Munich de 1938 entre la France (Daladier), l’Angleterre (Chamberlain), l’Italie (Mussolini) et l’Allemagne (Hitler) sonne aux oreilles des démocrates comme un exemple de faiblesse des démocraties face à un pouvoir ou à des puissances ne respectant pas les règles de la démocratie.
Rappelons qu’à cette époque les différents pays étaient confrontés aux conséquences de la crise mondiale de 1929, une crise économique et sociale à l’origine de la montée des idées racistes, xénophobes et antisémites et de l’arrivée au pouvoir de dictateurs dans différents pays.
En France même, les années 30 furent particulièrement agitées, les gouvernements se succèdent (Bloc national, Cartel des gauches, Poincaré, Front populaire, Daladier) jusqu’à la déclaration de guerre puis le gouvernement de Vichy.
Comme l’Histoire l’enseigne, ce sont toujours les crises structurelles et leurs effets en termes de chômage, d’inégalités sociales, de pauvreté qui sont à l’origine de la montée des idées extrémistes : la misère est le premier ennemi de la démocratie et bien souvent la cause des guerres.
Dénoncer et combattre efficacement ces idées imposent dès lors que l’on s’attaque à leurs racines, à leurs causes. Si le combat se résume à condamner l’apparence ou la représentation de ces idées, il risque même d’être contre-productif. Ainsi, combattre le Front national en tant que tel sans lutter activement contre le chômage, les inégalités, les modes de répartition des richesses, la politique économique restrictive, s’inscrit également dans une forme de faiblesse. Affirmer combattre les idées, voire l’idéologie du Front national parce qu’il y a des élections politiques en vue et ne rien faire, ou se contenter d’accompagner la politique économique à l’œuvre, relève plus d’une démarche politicienne opportuniste que d’une volonté réelle de supprimer l’alimentation de ces idées.
Considérer que le libéralisme économique est inéluctable, qu’il n’y a que deux politiques économiques possibles, que la seule voie possible de la construction européenne est celle en vigueur, c’est aussi refuser les débats et, d’une certaine façon, mépriser les individus.
Pour le syndicalisme indépendant, c’est en revendiquant, en négociant, en agissant, en résistant qu’on défend le progrès social, la démocratie, la liberté et que l’on combat efficacement le racisme, la xénophobie et l’antisémitisme.
Ce n’est pas en acceptant la politique économique restrictive et en l’accompagnant, en signant n’importe quel accord révisionniste et en donnant des gages aux employeurs, ou plus simplement en se réclamant du partage du travail et de la flexibilité sans en dire le nom.
Comment s’étonner, comme le fait par exemple la CFDT dans son dernier magazine, que le Front national récupère de manière vicieuse certains slogans syndicaux tels celui de la CFDT « vivre et travailler au pays » ou celui plus habituel de la CGT « produisons français » ?
Comment ne pas penser que les périodes de crise structurelle sont celles où renaissent quatre notions : « Race, Corps, Terre, Nation. »
Pour toutes ces raisons, il importe que le syndicalisme indépendant reste activement dans son rôle de défense et de représentation des intérêts des travailleurs.
C’est aussi le vrai sens du 1er Mai, journée internationale de revendication et d’expression des aspirations des travailleurs.
Comment ne pas sourire – si ce n’était pas aussi sérieux – quand on entend certains, parfois syndicalistes, appeler à manifester contre le Front national le jour de la fête du travail, alors que l’appellation de fête du Travail, fut instaurée en France par Pétain pour contrer la notion de 1er Mai revendicatif ?
C’est en luttant contre le chômage et l’exclusion, en revendiquant de augmentations de salaires, une Sécurité sociale solidaire et égalitaire, une relance de l’activité économique, une réduction de la durée du travail sans perte de salaire, une répartition différente des richesses et des gains de productivité qu’on militera efficacement pour les droits des travailleurs, le progrès social, la démocratie, la paix et la liberté et que le syndicalisme restera le syndicalisme, c’est-à-dire indépendant, responsable et déterminé.
Date : 9 avril 1997
Source : Force Ouvrière hebdo
Le syndicalisme hausse le ton
Transports routiers, Banque, Poste, Finances : ce sont là quelques-uns des secteurs où des journées d’action ou grèves sont en cours ou programmées.
À l’origine de ces actions, les questions d’emploi, de conditions de travail et al père e confiance des travailleurs concernés sur leur avenir à laquelle il faut ajouter – quand c’est la cas – de vives inquiétudes sur l’évolution du service public.
Tout se passe comme si le rouleau compresseur de la politique économique restrictive ne devait pas être arrêté, écrasant l’emploi, les conditions de travail, la rémunération, l’égalité de droit des citoyens.
La croyance aveugle aux « lois du marché », le dogme du libéralisme économique, supportent le débat, la confrontation, la représentation d’intérêts collectifs, c’est-à-dire le fonctionnement normal de la démocratie.
Cela se traduit concrètement dans les relations sociales, en particulier dans les méthodes du gouvernement mais aussi du patronat.
On le voit sur le dossier de la Sécurité sociale où, en novembre 1995, le gouvernement a décidé de sa contre-réforme en secret et, sur un sujet qui en découle dans le conflit des internes, il engage une amorce de dialogue et publie simultanément au Journal Officiel l’agrément des conventions médicales contestées.
On le voit sur le décret de 37 où le gouvernement, répondant aux sollicitations du patronat bancaire de l’AFB, extirpe un projet de décret, et le notifie aux syndicats.
Du côté patronal, on constate à nouveau que les fédérations patronales des transports ne respectent pas leurs engagements pris lors du conflit (pour trouver solution à celui-ci) et font tout pour restreindre la possibilité de départ anticipé des chauffeurs routiers.
Du côté du CNPF, aucune négociation interprofessionnelle nouvelle n’est prévue, si ne ce n’est le contrat d’expatriation.
Anesthésie ou volonté délibérée ?
Toujours est-il que cela n’est pas sain.
Comment s’étonner dès lors que le syndicalisme hausse le ton et que l’expression concrète du rapport de forces devienne de plus en plus une réalité ?
Tout le monde sait ou sent que la crise que nous traversons n’est pas conjoncturelle ni passagère : c’est une mutation, de caractère structurel qui pose de manière aiguë le problème de la répartition des richesses et des richesses et des gains de productivité, ce qui couvre par définition la nature de la politique économique, le niveau de la consommation, la durée du travail, notamment.
Ce sont là des conditions indispensables pour qu’effectivement le chômage recule, la consommation et l’activité repartent, l’espoir revienne pour tous les travailleurs actifs, chômeurs et retraités.
C’est aussi pourquoi nos revendications sont étroitement liées et cohérentes.
Pour certains commentateurs, ces revendications ne seraient pas « modernes » car non innovantes. Mais la rentabilité est-elle innovation ? Comment peut-on faire croire que l’on pourra régler les problèmes en continuant les saupoudrages des aides à l’emploi, en prônant le partage du travail et des revenus, en refusant de tirer les conséquences d’une augmentation importante de la productivité du travail ?
Ce n’est pas un hasard si globalement l’investissement des entreprises est à la traîne bien que leur situation financière se soit nettement améliorée puisqu’elles sont maintenant « prêteuses » sur les marchés financiers. Comme les ménages qui le peuvent, elles font de l’épargne.
Mieux, d’avis d’experts comptables, il y a des entreprises qui considèrent que le retour sur investissement le plus rapide et le plus efficace est le licenciement du personnel.
Le gouvernement a beau considérer que la croissance est plus riche en emplois, il oublie de signaler que nombre de créations ou de remplacements sont précaires, ou à temps partiel subi, flexibilité oblige.
Cela signifie que la confiance n’est pas au rendez-vous. Mais la confiance ne se décrète pas, elle se constate.
En la matière, les pouvoirs publics et le patronat ont une part importante de responsabilités. Encore faut-il qu’ils acceptent de les prendre. De notre côté, nous sommes condamnés à ne pas lâcher la proie pour l’ombre. Nous continuerons à défendre et promouvoir les revendications, y compris par la mobilisation, des revendications qui, bien entendu, demeurent, nonobstant la campagne électorale engagée pour les législatives.
Comme à l’accoutumée, Force Ouvrière restera dans son rôle de syndicat, pleinement et sans ambiguïté.
Date : 30 avril 1997
Source : Force Ouvrière hebdo
Pas de répit pour les revendications, vive le 1er mai 1997
Chacun peut constater que la campagne des législatives part sur les chapeaux de roues, vraisemblablement parce qu’elle sera relativement courte.
Il va de soi que Force Ouvrière, fidèle de la tradition d’indépendance, ne donnera aucune consigne de vote. Mais cela ne signifie pas, bien entendu, que nous allons taire les revendications des travailleurs, nos analyses et positions, car la vie et les problèmes demeurent, dissolution ou pas, qu’il s’agisse du chômage, du pouvoir d’achat, de la protection sociale, de l’avenir du service public ou des modalités de la construction européenne.
De fait, la situation économique et sociale est au cœur des réalités et des préoccupations et c’est en ce sens qu’il n’y aura pas demain, post électoralement, d’état de grâce.
Il est ainsi significatif d’examiner les différentes perspectives en matière de déficit budgétaire pour 1997 en France ou en Europe. Selon les organismes français, européens ou internationaux, le critère de 3 % est réalisé ou plus ou moins dépassé. Il faut d’abord souligner que les modes de calcul prêtent à discussion pour chaque pays et a fortiori par comparaison entre les pays. Nous devons nous rappeler que l’économie n’est pas une science exacte, mais lorsqu’on affiche 295 milliards de déficit budgétaire (hors déficit social et nonobstant les recettes exceptionnelles comme la soulte France Télécom), c’est en arithmétique élémentaire plus de 3 % de 7 900 milliards de PIB en 1996, enfin à Paris… mais apparemment pas à Bruxelles. Ensuite, deux conséquences méritent cependant d’être soulignées.
La première tient à la nature de la politique économique à mettre en œuvre pour obtenir une réduction du déficit budgétaire. De ce point de vue, en France comme ailleurs, c’est l’austérité qui est retenue avec comme terrain de prédiction les salaires, la flexibilité et la protection sociale collective, le social servant alors d’ajustement.
C’est pourquoi nous avons d’ores et déjà déclaré que nous n’accepterions pas un nouveau tour de vis dont par définition les travailleurs actifs, chômeurs ou retraités feraient les frais.
La deuxième conséquence tient à la configuration à venir de l’Europe. Peut-on sérieusement imaginer qu’un pays comme l’Italie, un des six pays fondateurs de l’Europe, soit écarté et, conjointement, envisager sans précaution l’entrée d’autres pays ?
C’est aussi pour toutes ces raisons et parce que nous voulons que l’Europe ne soit pas détournée de ses objectifs originels, que nous nous sommes inscrits, à Force Ouvrière, dans la journée d’action de la Confédération européenne des syndicats qui doit avoir lieu, sous des formes diverses, dans les pays de l’Union européenne.
D’ici le 28 mai, Force Ouvrière fera entendre sa voix sur toutes ces questions.
Pour autant, et parce que nous ne voulons pas prendre le risque d’une interprétation, voire d’une récupération contradictoire avec l’indépendance syndicale, nous ne ferons pas de manifestation de rue comme prévu initialement. Rappelons en effet que le 28 mai se situe entre les deux tours des élections législatives. D’autres mouvements sectoriels (par exemple : finances – La Poste), ont par ailleurs été ajournés.
D’autant que certaines déclarations laissent supposer que des hommes politiques justifient la dissolution par la nécessité de relégitimer les décisions politiques et de dénoncer ce qui s’y opposerait, en l’occurrence les actions syndicales… une telle tentative aurait un caractère totalitaire.
En reportant sine die les manifestations de rue du 28 mai, nous marquons notre détermination à respecter scrupuleusement l’indépendance syndicale.
Pour autant, nous nous exprimerons et encouragerons les militants à reprendre et faire connaître les informations que nous leur adresserons prochainement.
À n’en pas douter, le syndicalisme libre et indépendant va devoir se faire entendre clairement pour faire valoir les revendications et aspirations des travailleurs.
C’était d’ailleurs le sens profond du discours de la Confédération Force Ouvrière à l’occasion du 1er mai et ce, dans la tradition originelle : le 1er Mai n’est pas la fête du travail, il doit rester un jour de solidarité internationale et de revendications sociales.
Vive la solidarité ouvrière, vive la CGT-Force Ouvrière.