Texte intégral
Jean-Pierre Defrain : Forte de sa victoire, même étroite, aux élections régionales, la gauche plurielle a aussi quelques petits problèmes qui risquent de faire tanguer le bateau dans la répartition des fauteuils. Allez-vous continuer de faire un procès d’intention à la droite concernant le Front national ?
Daniel Vaillant : Il ne s’agit pas de faire un procès d’intention : il y a les déclarations d’intention et la réalité. On le découvrira vendredi. »
Jean-Pierre Defrain : Il y a les déclarations officielles du RPR et de l’UDF…
Daniel Vaillant : … qui me satisfont. Ils ont raison, parce que la crise est telle à droite – elle est majeure : on le voit dans le scrutin des régionales, et plus au niveau des cantonales. C’est le plus mauvais score de la droite à des cantonales. J’entendais Nicolas Sarkozy hier soir à votre antenne. Il a raison de dire qu’il y a un problème de crise identitaire. C’est le problème de la droite, y compris les formes d’organisation qu’elle prendra. Ce n’est pas à moi de lui donner des conseils, mais je crois qu’il pose les vrais problèmes. Je crois que les dirigeants nationaux du RPR et de l’UDF ont raison de considérer qu’un fauteuil de président ne justifie pas de perdre son âme. Or je pense que s’ils commettaient l’erreur de laisser des personnages locaux arranger des majorités de circonstance avec le Front national, oui, ce serait terrible, ce serait un séisme de plus à droite. Il y a pour cela de bons moyens. La gauche ne prend aucun risque. Elle ne présentera pas de candidats dans les régions où elle n’a pas clairement la majorité relative. Elle fera en sorte que le premier tour décante la situation et permette de voir les rapports de forces dans les régions où il y a des égalités, comme en Bourgogne, en Rhône-Alpes, en Bretagne, en Franche-Comté, en Poitou-Charentes. Mais il n’y aura pas de risques de pris pour qu’un président de gauche soit élu avec des voix du Front national. Ces manipulateurs sont capables de tout ! Donc, on ne prendra pas le risque, y compris aux cantonales : on enlèvera nos candidats, comme le candidat d’Orange-Est l’a fait, au profit du RPR, de la droite républicaine, car il faut faire barrage au Front national. »
Jean-Pierre Defrain : C’est un message que vous lancez à la droite pour qu’elle vous renvoie la balle de la même manière ?
Daniel Vaillant : Non. Je ne demande pas à la droite de renvoyer la balle. Je lui demande de prendre conscience que la démocratie française, que le rôle même de l’opposition et son avenir – il est légitime que les partis de la droite républicaine pensent à leur avenir ; et je ne le fais pas du tout en mauvais conseilleur – seraient largement obérés s’ils commettaient l’erreur fatale de serrer la main qui et tendue par le Front national, et notamment par M. Mégret.
Jean-Pierre Defrain : Comment interprétez-vous l’accord lancé hier par le Front national à la droite ?
Daniel Vaillant : C’est une manœuvre supplémentaire pour faire échouer la droite et la diviser. Je pense que fondamentalement ces gens sont hostiles à la gauche, ce qui me rend plutôt fier d’être de gauche. Mais ils tendent également des pièges à droite, car l’objectif du Front national, c’est la conquête des pouvoirs et la conquête du pouvoir. La droite doit absolument en tenir compte. Je pense notamment que, quand ils font des candidatures de témoignage, il faut qu’eux-mêmes disent clairement que dans le cadre d’un second tour, si le candidat de la droite – en Picardie par exemple, M. Baur, ou M. Blanc – tente une récidive par rapport au Front national, il y a beaucoup d’élus de la droite républicaine qui suivront les consignes de leur parti et qui ne voteront pas pour lui au deuxième tour.
Jean-Pierre Defrain : Venons-en maintenant à l’essentiel, qui concerne aussi la gauche, la gauche plurielle. Donc, on vient de l’apprendre à l’instant, Mme Blandin, dans le Nord, ne briguera pas un renouvellement de sa présidence dans le Nord-Pas-de-Calais. En fait, c’est votre score de dimanche, l’hégémonie du PS, qui a fait comprendre aux Verts, qu’ils devaient réviser à la baisse leurs ambitions ?
Daniel Vaillant : Non, il n’y a pas « d’hégémonie du PS » et la stratégie du rassemblement a été positive pour tout le monde. Vous savez, je constate que nos amis écologistes Verts, qui ont choisi le camp du progrès, le camp de la gauche – c’est très important pour la vie politique française – ils constatent qu’ils ont des élus – environ 75 élus sur les listes de rassemblement, ils en ont très peu sur les listes autonomes – ils ont donc fait le bon choix en étant dans la majorité plurielle. Et en même temps, moi je veux rendre hommage à M.-C. Blandin, qui tient compte de ce que les électeurs ont exprimé ; elle a toute sa place dans l’exécutif du Nord-Pas-de-Calais. Je crois qu’il est clair que les électeurs ont voulu que ce soit M. Delebarre, elle en tient compte, ça ne m’étonne pas d’elle. Elle a été, je crois, une très bonne présidente du Nord-Pas-de-Calais ; les électeurs décident que ce soit M. Delebarre ; je peux vous garantir que tout sera fait pour qu’elle puisse continuer son travail dans une équipe, dans la transparence comme le faisons autour de Lionel Jospin au Gouvernement.
Jean-Pierre Defrain : Peut-être que les Verts ne partagent pas tout à fait cet avis concernant votre analyse, puisque N. Mamère dit : « Nous, nous n’avons pas besoin que de strapontins, on espère autre chose. »…
Daniel Vaillant : Je crois que ce n’est pas un problème de strapontins, c’est un problème de responsabilité d’être engagé dans un travail de fond ; et au Gouvernement et dans les régions. Je pense que, un des enjeux des politiques régionales, en partenariat avec l’Etat, c’est un vrai challenge. C’est un vrai devoir pour la gauche qui est de reconquérir les milieux populaires et ouvriers en engageant des actions concrètes pour réduire l’insécurité, réduire l’exclusion, régler les problèmes des quartiers dans les zones les plus difficiles. C’est un challenge qui vaut bien de participer à des exécutifs ; on a toute sa place et pas des strapontins.
Jean-Pierre Defrain : Justement l’apparition, le renforcement de Lutte Ouvrière et de l’extrême-gauche au scrutin dimanche, ne vous inquiète-t-il pas ? N’êtes-vous pas en train de vous faire déborder ? Et l’apparition aussi d’une extrême-gauche qui serait une épine dans le pied de la gauche plurielle ?
Daniel Vaillant : S’agissant d’Arlette Laguiller c’est pas une apparition.
Jean-Pierre Defrain : Non, mais qu’elle soit élue…
Daniel Vaillant : Non, mais qu’elle soit élue, dans un scrutin proportionnel c’est honnêtement le seul créneau pour les candidats d’extrême-gauche qui ont bien le droit d’exister après tout. Et puis, il y a sans doute, dans cette société, des gens qui pensent qu’il faut bouger plus fort, et qu’il faut, à la limite, tourner toutes les pages à la fois. Mais je constate d’ailleurs, que dans les élections cantonales, les candidats d’extrême-gauche n’ont pas fait les scores qu’ils ont fait aux régionales, car c’est un type de scrutin qui permet d’avoir des sièges quand on vote. Donc, je pense qu’il faut relativiser tout cela ; et ce que j’espère c’est, qu’y compris les élus conseillers régionaux d’extrême-gauche, sauront où est leur main gauche et où est leur main droite.
Jean-Pierre Defrain : Vous avez entendu Arlette Laguiller qui a dit « que la politique menée par le Gouvernement c’était pratiquement celle qui était menée précédemment par les gouvernements de droite. » Donc, elle a attendait autre chose…
Daniel Vaillant : Oui, mais comme Arlette Laguiller, qui est une bonne dialecticienne, elle pourrait aussi comprendre que, notamment dans toutes les régions où il y a un risque de voir une alliance Front national – droite – je dirais finissante –, elle ne peut pas, à mon avis, ne pas se rendre compte que ses électeurs ne comprendraient pas que, en s’abstenant ou en ne participant pas au vote, ou en présentant soi-même une candidature de témoignage, on facilite l’accession à des responsabilités dans les exécutifs régionaux, des gens du Front national.
Jean-Pierre Defrain : Cette élection régionale ne modifiera pas le programme de la politique du Gouvernement comme le souhaite M. Hue ?
Daniel Vaillant : Non, je crois que ce succès de la gauche plurielle aux élections régionales et beaucoup aux élections cantonales – et j’attends le deuxième tour avec impatience et d’ailleurs nous lançons un appel commun des formations de la gauche plurielle pour le second tour des cantonales – mais je crois que c’est surtout un scrutin de confirmation, qui montre à quel point le Gouvernement a raison de poursuivre sa politique méthodique, de gauche, de justice sociale, mais aussi de tout faire pour que la croissance augmente dans ce pays, que le chômage recule. C’est le mandat que les Français nous ont confié le 1er juin 1997. Ils l’ont confirmé par leurs votes de dimanche dernier.