Texte intégral
Europe 1 : Qui a tué les deux Français du Congo ?
J. Toubon : Personne ne le sait. Ce que nous croyons savoir, c’est qu’il s’agit d’un acte isolé. En tout cas, nous l’espérons et il ne paraît pas y avoir, aujourd’hui, de menace générale sur la communauté française. En tout cas, vous le savez, notre ambassade et nos forces, qui sont de l’autre côté du fleuve, ont pris toutes les dispositions.
Europe 1 : Il y a un conseil des ministres, tout à l’heure : envisagez-vous une protection spéciale des 800 ressortissants français qui sont inquiets. Est-ce que vous encouragerez leur départ de ce Congo ?
J. Toubon : Comme je viens de vous le dire, les dispositions sont prises. Je ne crois pas qu’il faille paniquer car, encore une fois, il semble que ce soit un acte isolé, une exception. Maintenant, il est clair que nous jugerons le nouveau pouvoir aux actes. Nous avons, dans cette affaire, quatre préoccupations principales : premièrement, le retour du processus démocratique ; deuxièmement, l’unité du pays ; troisièmement, la stabilité de la région ; et enfin, essayer de sauver les réfugiés.
Europe 1 : Le retour du processus démocratique avec Kabila ?
J. Toubon : C’est aujourd’hui, le pouvoir qui est en place. Je rappelle que, selon la doctrine du général de Gaulle, la France ne reconnaît pas les gouvernements, elle reconnaît les États.
Europe 1 : On ne reconnaîtrait pas le régime Kabila ?
J. Toubon : Nous n’en avons pas besoin selon notre doctrine constante.
Europe 1 : Le Président Chirac a donc mis en garde contre les risques de cohabitation. On assiste à un début de dramatisation du vote ?
J. Toubon : Je crois que c’est un peu excessif d’employer le mot de « dramatisation. » Ce qui est vrai, c’est qu’aujourd’hui, trois jours avant le premier tour, premièrement, pour être sur le terrain constamment et à l’écoute d’une manière générale, je crois que le scrutin est serré et qu’il serait bien imprudent pour nous, la majorité, d’être faraud, d’être triomphaliste. Je pense qu’il faut que nous nous battions jusqu’au bout pour faire triompher l’idée que si l’on veut qu’en France, la croissance, l’activité, l’emploi repartent, il faut que la majorité soit reconduite, soit renforcée et que le pouvoir du président et du gouvernement soit ressourcé. Donc, voilà notre enjeu principal. Pour le reste, s’agissant de la cohabitation, il est absolument évident qu’on ne peut pas penser que J. Chirac pourra faire tout ce qu’il a à faire, dans les cinq ans qui restent de son septennat, avec un gouvernement socialiste comme il le ferait avec un gouvernement de l’actuelle majorité.
Europe 1 : Vous avez entendu L. Jospin qui a aussitôt cherché à rassurer : « L’Europe ne pose pas de problème de fond, a-t-il dit. En cas de cohabitation, la France ne parlerait que d’une seule voix. » Est-ce que la réponse vous convient ?
J. Toubon : Il est évident que le Président de la République est le principal responsable pour tout ce qui concerne la politique extérieure du pays, pour tout ce qui concerne la France en Europe et dans le monde. Mais je ferai deux remarques. La première, c’est que l’Europe, ce n’est plus de la politique extérieure. L’essentiel est fait par les ministères et le Gouvernement comme si c’était de la politique intérieure et là, il est clair que les socialistes et les communistes risquent de faire n’importe quoi ! Pourquoi ? Parce que ce qui me frappe, c’est qu’en fin de campagne, plus personne ne sait ce que veut L. Jospin et ce que veulent les socialistes et les communistes. J’ai été extraordinairement frappé, dans la journée d’hier, des déclarations successives de M. Rocard et de L. Jospin lui-même qui, sur les privatisations, sur l’Europe, sur les salaires, prennent exactement les positions contraires de celles qu’ils ont prises au début de la campagne.
Europe 1 : Peut-être ont-ils l’impression qu’ils approchent du pouvoir ?
J. Toubon : Aucun électeur ne peut être convaincu par des repentirs. Ce qui convainc les électeurs, ce sont des convictions et des projets. Et je crains fort que L. Jospin n’ait pas beaucoup de convictions autres qu’opportunistes et très peu de projets.
Europe 1 : Donc, la cohabitation provoquerait, comme dit J. Chirac, des dommages irréparables, une crise inévitable, disait A. Juppé. Avec la cohabitation, cela se passerait mal, c’est ce que vous voulez dire.
J. Toubon : La cohabitation est une mécanique que la Constitution permet. Elle a été expérimentée de 1986 à 1988 et de 1993 à 1995. Mais elle n’est pas le système qui donne à la France, à l’intérieur comme à l’extérieur, la plus grande vigueur et la plus grande puissance. Or, pour retrouver la croissance et pour construire l’Europe dans l’intérêt de la France, nous avons besoin d’une très grande vigueur et d’une très grande puissance.
Europe 1 : Donc, tout ira bien et la France tiendra ses engagements, comme dit J. Chirac, si les Français lui apportent un fort soutien ?
J. Toubon : C’est la moindre des choses. Je crois que nous sommes aujourd’hui engagés, en Europe, dans quelque chose sur lequel on se méprend. Quand on parle des contraintes de Maastricht, des critères de convergence, tout cela, c’est le détail ! L’essentiel est qu’à travers l’Union économique et monétaire, à travers la monnaie unique, on se donne l’instrument de faire de l’Europe, de l’économie européenne et donc de l’économie française, un pôle majeur dans le monde, alors qu’aujourd’hui – les derniers résultats de l’économie américaine, qui ont été publiés hier, le montrent encore – il y a dans le monde une économie dominante, une monnaie unique qui s’appelle le dollar et il faut que cela change. Il faut que demain, il y ait une autre monnaie qui, assise sur l’économie de la plus grande zone économique du monde qui est l’Europe, puisse être concurrentielle avec le dollar. Autrement dit, l’euro n’est pas un instrument de contrainte, mais c’est un instrument de développement et de pouvoir et c’est pour cela que nous y sommes engagés, nous, les gaullistes.
Europe 1 : Au passage, le Chancelier Kohl a déclaré qu’il ne voyait pas pourquoi on reparlerait de l’euro. D’abord, il donne un sacré coup de mains à son ami Chirac et, d’autre part, il répond, l’air de rien, à L. Jospin et il entre dans la campagne française, non ?
J. Toubon : Il dit très exactement ce qu’il faut dire. Les socialistes ont dit qu’on allait renégocier. Le Chancelier Kohl a dit ce que nous avons dit et d’ailleurs ce que disent tous les pays, à savoir qu’il n’y a rien à renégocier. J’ajoute que ceux qui veulent renégocier sont ceux qui ont signé. Il y a quand même un tout petit paradoxe. Quand j’entends Mme Guigou qui a, si j’ose dire, rédigé les critères de convergences, venir nous expliquer qu’il faut les renégocier, je sourirais doucement si ce n’était pas si sérieux.
Europe 1 : Je suis très heureux de vous entendre, ce matin, et très en forme, parce qu’on ne peut pas dire qu’on vous ait vu et entendu. Je suis sûr que vous avez beaucoup à faire dans le XIIIe arrondissement, à Paris. Mais cela veut-il dire que les affaires, la justice ont disparu de la campagne ?
J. Toubon : Je crois que non. D’abord, parce que c’est un des arguments principaux qu’utilisent, de manière parfaitement diffamatoire, les socialistes dans leur campagne et y compris contre moi, dans ma circonscription. À quoi, je réponds, comme le faisait V. Hugo en son temps, il y a un siècle et demi, « se laisser calomnier est une des forces de l’honnête homme. » Et puis, d’autre part, parce que la justice est, à mon avis, l’une des trois grandes réformes qui est devant nous pour l’avenir et qui est constitutive de ce retour à l’idéal républicain qui est, au bout du compte, l’objectif. L’objectif n’est pas l’allégement des charges ! La croissance est, bien sûr, le levier nécessaire, mais le retour à l’idéal républicain passe par la réforme de la défense qui est en cours, par une réforme profonde de la protection sociale qui fasse que la protection sociale soit de nouveau ce qu’elle doit être depuis le Conseil national de la Résistance, depuis 1945, c’est-à-dire une protection républicaine, c’est-à-dire égale en droit pour tous. Et enfin, la réforme de la justice, c’est quoi ? C’est que les Français se réconcilient avec leur justice, car il n’y a pas de démocratie si les citoyens n’ont pas le sentiment qu’ils trouveront un juge, que ce juge jugera rapidement et qu’il rendra une décision équitable et reconnue de tous.
Europe 1 : Donc le mois prochain, le travail de la commission Truche n’ira pas à la trappe ?
J. Toubon : Dans quinze jours, après le deuxième tour, ce sera l’une des tâches primordiales du nouveau Gouvernement. Croyez-moi, je sais ce dont je parle.
Europe 1 : Les socialistes ont violemment attaqué le maire RPR de Paris, personne ne leur répond. Les attaques contre le maire, J. Tiberi, sont-elles toutes injustifiées ?
J. Toubon : La réponse à la campagne des socialistes, elle sera donnée par la justice elle-même lorsqu’elle aura à juger. Je voudrais bien, tout de même, que dans cette affaire, comme dans toutes les autres, on respecte les principes essentiels qui sont ceux de la présomption d’innocence et de la dignité des hommes et des femmes.
Europe 1 : Pendant deux ans, J. Chirac et son Premier ministre ont gouverné dans un accord parfait. Avec quel autre Premier ministre RPR, J. Chirac s’entendrait aussi bien, en dehors de vous ?
J. Toubon : Cela, il faut lui poser la question. Je voudrais vous rappeler que nous ne sommes plus sous la IVe République. Ce ne sont plus ni les partis politiques, ni l’Assemblée nationale qui désignent le chef du gouvernement, c’est le Chef de l’État qui le choisit parfaitement librement et j’ai dit, là-dessus, des choses très claires. Pour J. Chirac, tout est ouvert, mais il est tout à fait clair qu’il faut aussi être logique. Si le bilan de tout ce que nous avons fait, si les projets que nous avons présentés sont soutenus par les électeurs, je pense que nous avons toute légitimité à poursuivre, à approfondir et à renforcer l’œuvre que nous avons entamée.
Europe 1 : Avec A. Juppé ?
J. Toubon : Avec A. Juppé et avec tous les autres.