Interviews de M. Alain Madelin, président de Démocratie libérale, sur France 2 le 22 mars 1998, à RTL le 23 et le 27, sur la restructuration de l'UDF et l'élection des présidents de région UDF grâce aux voix du Front National.

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Média : Emission L'Invité de RTL - France 2 - RTL - Télévision

Texte intégral

France 2 - dimanche 22 mars 1998

B. Schönberg : On vous a assez peu entendu pendant cette campagne. La première question que j'ai envie de vous demander, c'est si vous reconnaissez - implicitement en tous cas - les accords qui ont été passés entre des élus UDF et…

A. Madelin- « Non. Je reste fidèle à ce que j'ai dit au sein de l'opposition. Dans cette campagne électorale, je ne souhaite pas d'alliance sous quelque forme que ce soit, sous la table ou sur la table, avec le Front national. Et beaucoup de France et beaucoup de nos électeurs ne comprennent pas cela. Il y a un problème un peu particulier qui s'est posé : c'est que beaucoup de Français ne comprennent pas davantage que la gauche étant minoritaire dans ce pays, - les résultats de dimanche dernier l'ont montré - on livre en quelque sorte sur un plateau un certain nombre de régions aux socialistes et à leurs alliés, voire aussi des régions aux communistes, en récusant par principe, - par principe -, les voix du Front national qui peuvent faire barrage à la gauche, dès lors que ces voix résultent manifestement, - il faut vérifier - d'aucun accord et d'aucune compromission. Et c'est là où le piège se referme en quelque sorte : d'un côté, les électeurs qui disent : il ne faut pas faire ça, et puis d'autres qui disent : on ne ya quand même pas perdre ces régions. Et moi je dis que ces électeurs-là, il ne faut pas rester sourd, aveugle et inerte, par rapport à ce qu'ils expriment. Et si l'on voulait ne pas comprendre, ne pas les entendre, eh bien, on prend le risque d'amputer durablement l'opposition, - quoi ! un quart, un tiers de son électorat - et à ce moment-là, on laisse de fait le Front national face aux socialistes et on se sert du Front national comme une sorte de fil à découper l'opposition, et ça, à mon avis, la chose la plus dangereuse pour l'avenir et le meilleur service à rendre et au Front national d'un côté, et aux socialistes de l'autre. Alors, lorsque Monsieur Mégret, il y a un instant, propose une sorte de donnant-donnant, - alors ça, c'est un accord - entre "j'échange la région PACA contre la région parisienne", j'ai envie de répondre le mot de Cambronne à Monsieur Mégret, parce que ça, ce n'est pas possible. Et puis lorsque je vois une candidature qui s'avance, je crois que ce n'est pas sérieux d'essayer de diviser l'opposition en PACA. Mes amis qui se risqueraient dans cette aventure se tromperaient, parce qu'on ne peut pas gérer la région PACA en partageant le pouvoir de fait avec Monsieur Mégret et Monsieur Le Pen. Mais les questions, il faut les . regarder j'allais dire région après région, et en essayant de comprendre ce qu'ont voulu nous dire un certain nombre d’électeurs. »

B. Schönberg: Donc, vous êtes sur la même ligne que Monsieur Bayrou qui, ici même, disait qu'il n'y avait pas de possibilité d'accord avec le Front national ? Vous êtes sur la même ligne que Monsieur Leotard ?

A. Madelin- « Je n'entends pas dessiner l'avenir de la France, - un avenir que je voudrais libéral, et je voudrais essayer de représenter, au fond, le centre modéré et libéral dans ce pays -, je n'entends pas dessiner cet avenir avec le Front national. Pourquoi ? Parce que le Front national, et ce qu'expriment ses dirigeants, les thèses xénophobes, protectionnistes, qui combattent les solutions libérales, je ne me reconnais pas dans tout cela. Mais dans le même temps, je dis : attention à ne pas exiler ses électeurs qui, eux, souhaitent qu'on puisse bénéficier des voix du Front national, dès lors qu'elles sont données sans : accord et sans compromission. C'est la raison pour laquelle…. »

B. Schönberg : Est-ce que c'est un langage clair ? Est-ce que ce n'est pas un double langage finalement ? Vous dites que les électeurs ne comprennent pas ?

A. Madelin- « C'est une situation compliquée qui appelle ou qui est peut-être un langage un peu compliqué. En attendant, en ce qui me concerne, je sens le besoin d'une profonde remise en cause. Et je ne me sens pas capable de décider comme cela, autoritairement, de l'avenir, tout de suite. Et en ce qui me concerne, j'entends faire fonctionner la démocratie. L'UDF prendra ses décisions. Je respecterai bien sûr les décisions de I'UDF, mais avec ma formation politique, Démocratie libérale, j'entends faire fonctionner Démocratie : c'est-à-dire écouter, c'est-à-dire dialoguer, c'est-à-dire expliquer, c'est-à-dire convaincre, essayer d'entraîner vers un autre avenir que l'avenir que nous préparent les socialistes. »

B. Schönberg : Ça veut dire qu'il y a encore un UDF ce soir L'UDF existe toujours, ce soir ?

A. Madelin- « Je ne voudrais vraiment pas que le Front national divise l'opposition, ce serait vraiment un service à rendre et au PS et au Front national, et moi je voudrais vraiment faire fonctionner cette démocratie, avec celles et ceux qui ont envie de cela, qui attendent cela, dans les départements, dans les régions. Qu'ils viennent avec nous, à Démocratie libérale. On va essayer de dessiner cet autre avenir sur des bases, je crois que je viens d’expliciter. »

A. Chabot : Pour bien comprendre, vous avez félicité J. Blanc, vous avez félicité C. Millon. Est-ce que vous avez félicité Monsieur Humbert qui a démissionné après avoir été élu avec des voix du Front national, qu'il refuse ?

A. Madelin- « D'abord, méfiez-vous des rumeurs journalistiques. Où avez-vous que j'ai félicité ? Vous avez interrogé, il y a un instant Monsieur Millon. Vous a-t-il que je le félicitais ? »

A. Chabot : J'ai cru comprendre que vous l'avez...

A. Madelin- « Non. Il vous a dit que, comme je l'ai fait pour J. Blanc, je me suis enquis, - c'était ma responsabilité - des conditions dans lesquelles nous avons vu ces votes, pour être sûr qu'ils ne résultent pas d'un accord, d'une compromission. Je mets moi-même en garde mes amis sur l'extrême difficulté de gérer une région en étant minoritaire. Mais s'il y a le moindre signe d'accord, d'échange, de donnant-donnant, une participation sous une forme ou sous une autre, à la gestion d'une région, alors là, oui, vraiment. Cela mérite d'être condamné. Mais vous avez écouté C. Millon, il y a un instant. Je crois que c'est un homme de conviction. »

B. Schönberg : Il a été suspendu, C. Millon, quand même.

A. Madelin- « Oui, mais on va l’écouter. »

A. Chabot : Vous irez jusqu'à l'exclusion ou pas ?

A. Madelin- « Je vais l'écouter. Je crois que C. Millon est un homme de conviction et de valeur, et le fait de le suspecter à priori d'abandonner ses convictions et ses valeurs, de renoncer à quoi que ce soit de ce qui fait ce qu'il est, aujourd'hui, pour faire plaisir au Front national, je crois vraiment que c'est un procès d’intentions. »

A. Chabot : Et vous soutenez F. Léotard dans son combat contre le Front national en PACA ?

A. Madelin- « Je viens de vous dire ce qu'il en était en PACA. Je ne pense que cette région bien évidemment puisse être échangée contre la région parisienne, c'est absurde. Et aussi je ne pense pas qu'il puisse y avoir une autre solution en PACA, une sorte de combine qui ferait que la région serait gérée avec Messieurs Mégret et Le Pen. Je ne le souhaite pas pour cette région, et je crois que cela serait une faute politique. »

A. Chabot: Et vous dites que nulle part, là où il y a des présidents UDF qui ont élus, ils ne doivent pas donner de postes dans l'exécutif, de responsabilité...

A. Madelin- « Je le dis. Le reste va se discuter entre nous, calmement, et va se discuter dans les régions. Je veux faire fonctionner la démocratie à la base, avec celles et ceux qui nous font confiance, et qui sont nos militants, nos électeurs. C'est ce que je vais faire. Mais pour le reste, bien évidemment C'est une condition minimum. Pas d'accord de gestion avec le Front national. »

RTL - lundi 23 mars 1998

O. Mazerolle
Beaucoup de leaders de droite ont choisi une ligne que l'on pourrait qualifier de stratégique : non aux voix du Front national. Vous avez choisi une ligne, plutôt tactique, il faut voir comment cela s'est passé, dites-vous. Quels sont vos objectifs ?

A. Madelin- « Je reste fidèle à ce que j'ai dit et ce que j'ai dit notamment chez vous, il y a une dizaine de jours. Je crois qu'il ne peut pas y avoir d'accord ou d'alliance avec le Front national parce que ceux qui pensent que l'on pourrait trouver une solution de facilité pour l'opposition par une sorte d'arithmétique, d'addition, à mon avis, se trompent. Ce que l'on gagnerait d'un côté, on le perdrait de l'autre. Et puis, je ne veux pas que l'on pense dans l'opposition que l'on puisse se dispenser des efforts de rénovation. Nous devons compter sur nos propres forces et seulement sur nos forces pour dessiner un autre avenir que l'avenir socialiste. Mais j'avais dit aussi, souvenez-vous, puisque vous m'interrogiez sur ce qu'avait dit, à l'époque, P. Vasseur que, dès lors qu'il n'y avait ni compromis, ni accord, il n'y avait pas de raison de principe à récuser les voix du Front national. Je pensais, d'ailleurs, à ce moment-là, que la question ne se poserait pas parce que le Front national ne donnerait pas gratuitement ses voix. Depuis, le Front national a changé d'avis, par tactique, bien sûr et aussi, sans doute, sous la pression de ses électeurs. Et il a permis l'élection d'un certain nombre de présidents d'exécutif. Dès lors qu'il n'y a ni accord, ni compromission, ceci mérite un examen cas par cas. »

O. Mazerolle
Vous ne croyez donc pas que la droite vit un moment historique qui l'oblige à trancher oui ou non, mais sans rien au milieu ?

A. Madelin- « Je crois que c'est un psychodrame tout cela. Le problème n'est pas là. Je crois que la droite, le centre et les libéraux doivent se déterminer par rapport à des problèmes de fond et ne pas se laisser diviser sur la question du Front. Vous savez, derrière cette révolte de la base d'une partie de nos électeurs et d'un certain nombre d'élus contre le sommet, il y a une grande interrogation. Est-ce que nous pouvons rester sourds et aveugles à ce qu'expriment ces électeurs dès lors qu'ils acceptent les voix du Front national, mais encore une fois sans compromis, sans accord pour faire barrage à la gauche et à l'extrême gauche. Est-ce que l'on doit laisser la Picardie à des communistes, beaucoup de Français ne le pensent pas ! Et si aujourd'hui, nous réagissions brutalement, on prendrait le risque d'amputer l'électorat de l'opposition d'une part importante, 30 % ou peut-être plus et dès lors, ce serait assurément le meilleur service à rendre au Parti socialiste, et aussi au Front national. Je crois qu'il y a là quelque chose d'extrêmement dangereux. Comme tous les hommes politiques, je reçois beaucoup de courrier et j'ai apporté juste une lettre mais il y en a des centaines dans le même sens : "le Président Mitterrand a réussi à diaboliser le Front national et vous continuez de tomber dans le piège. De grâce, réveillez-vous ! Par votre prise de position irresponsable, ne faites pas d'un électeur RPR-UDF un futur électeur. Front national ». Je ne veux pas d'un Front national à 25 % parce qu'à ce moment-là, l'avenir de la France est bien gris. »

O. Mazerolle
Vous ne croyez pas qu'il y a des moments où il faut se battre sur des valeurs ? Or J.-M. Le Pen parle d'inégalité des races, de préférence nationale !

A. Madelin- « Nul ne peut être plus clair que moi sur cette question. Le Front national combat les libéraux, les libéraux combattent le Front national. Il existe, effectivement comme vous venez de le rappeler, une certaine xénophobie rampante, un protectionnisme, des propos sur l'inégalité des races des dirigeants du Front national qui font que, je le dis clairement, il ne peut pas y avoir d'alliance avec le Front national. Et je ne souhaite pas du tout contribuer à dessiner un avenir pour mon pays avec le Front national. Le problème, ensuite et maintenant, est : peut-on continuer comme cela dans une stratégie qui a échoué. L'opposition a fabriqué elle-même un piège dans lequel elle est enfermée aujourd'hui. Il serait temps de se réveiller. »

O. Mazerolle
Un élu d'un parti politique endosse l'idéologie de son parti. Vous ne croyez donc pas, comme le dit R. Barre, qu'accepter les voix de ses élus c'est leur donner une respectabilité démocratique inespérée ?

A. Madelin- « Il faut faire attention de ce point de vue-là bien évidemment. Mais, on passe d'un extrême à l'autre. Entre la position, somme toute modérée, que j'exprimais chez vous à savoir pas d'accord, pas d'alliance avec le Front national mais s'ils veulent nous donner leurs voix, s'ils en ont assez de faire la courte échelle à la gauche, et bien, ils nous donnent leurs voix. S'ils ne veulent pas nous les donner et continuer à faire élire les socialistes, eh bien, ils continuent à faire élire les socialistes. Je tiens à vous rappeler, que si J. Chirac est Président de la République, c'est parce qu'il y a 2,5 millions d'électeurs venus du Front national qui, au second tour, lui ont apporté leurs voix. Si L. Jospin est à Matignon aujourd'hui, c'est parce que dans 47 circonscriptions, le Front national a contribué à faire élire 47 députés socialistes. »

O. Mazerolle
Demain, le bureau politique de l'UDF va se réunir. Vous vous opposerez à l'exclusion des cinq membres de l'UDF qui ont été élus avec les voix du Front national ?

A. Madelin- « Nous verrons ce que nous déciderons ensemble. »

O. Mazerolle
Est-ce que vous, vous vous opposerez à leur exclusion ?

A. Madelin- « Je prendrai acte des décisions de l'UDF. Quant à moi, je sens le besoin d'une remise en cause et avant de prendre toute décision, je vais essayer de faire fonctionner la démocratie de la base au sommet. C'est un problème de méthode. Ecouter, dialoguer, expliquer, convaincre dans les départements, dans les régions. Je voudrais ainsi avec celles et ceux qui veulent… »

O. Mazerolle
Mais cela prend du temps ! Demain, qu'est-ce que vous allez faire ? Vous allez voter pour ou contre l’exclusion ?

A. Madelin- « Je ne sais pas si la question sera posée. J'ai écouté le secrétaire général de l'UDF, C. Goasguen, qui dit que nous ferons un examen situation après situation. Vous parlez de C. Millon. Sa région est une région qui ne pouvait pas tomber à gauche et qui devait rester à l'opposition, au profit du doyen d'âge. La question est ailleurs. Avant de faire un procès à C. Millon, qui peut penser, sérieusement, que mon ami C. Millon, qui est un homme de courage, d'honneur, puisse transiger en quoi que ce soit sur ses valeurs ! J'en ai assez que l'on fasse des procès d'intention et une grande partie de notre . électorat en a assez que l'opposition se laisse dicter sa conduite par le parti socialiste, par F. Hollande peut-être parce que M. Dumas est empêché aujourd’hui. »

O. Mazerolle
Est-ce que votre parti, Démocratie libérale, restera membre de I'UDF de toute façon, quoi qu'il advienne ?

A. Madelin- « Evidemment. Je n'entends pas du tout diviser. Encore une fois, nous ferions une erreur, me semble-t-il, si l'opposition voulait aujourd'hui se diviser, se démarquer sur cette question du Front national. Les Français l'attendent sur autre chose. Puisqu'un piège nous est tendu, puisque nous sommes déjà tombés dedans, je suggère de réfléchir avant de se laisser enfermer dans ce piège. »

O. Mazerolle
Aujourd'hui, on va voter en Provence et en Ile-de-France. L'élection d'un membre RPR-UDF à la présidence de région dans ces deux endroits avec les voix du Front national, est-ce que cela vous paraît possible ?

A. Madelin- « J'ai donné clairement ma réponse. Cela dit, je répondrais le mot de Cambronne à M. Mégret qui proposait d'échanger une région contre l'autre. Là, ce serait un accord, là ce serait indigne. »

O. Mazerolle
Dans les deux cas ?

A. Madelin- « Dans les deux cas. »

O. Mazerolle
Donc pas de président RPR-UDF en Ile-de-France.

A. Madelin- « La réponse est close. C'est un échange. Là, nous rentrons dans le marchandage avec le Front national. Je crois qu'il faut mettre les électeurs, et éventuellement les élus du Front national, face à leurs responsabilités. Ils votent pour nous comme aux présidentielles ; ils votent pour les socialistes comme pour les législatives ; ils votent dans une région pour nous ou contre nous. L'opposition doit être elle-même, elle doit se déterminer par elle-même et ne doit se mettre ni à la remorque des socialistes, ni sous la dépendance du Front national. »

RTL - vendredi 27 mars 1998

O. Mazerolle
F. Bayrou a annoncé la création d'un nouveau parti unitaire, regroupant, dit-il, les républicains, les démocrates et les libéraux. Vous êtes prêt à le suivre ?

A. Madelin- « F. Bayrou a tenté un coup de force pour casser l'UDF. Je pense que c'est un mauvais coup. C'est un coup monté, parce que l'on déjeune ensemble avec les responsables de composantes, on tient un bureau politique et pendant ce temps-là, on monte cette opération. Il est clair que je ne marche pas dans ce coup-là. Et que ce qui a, depuis vingt ans, permis à l'UDF d'exister, cahin-caha, c'est une sorte de pacte de confiance entre plusieurs familles, dont la famille démocrate-chrétienne, la famille indépendante, républicaine, libérale, la famille radicale. Alors libre à F. Bayrou de chercher à refonder un grand courant centriste, dans une démarche identitaire. L'UDF, c'est cela mais ce n'est pas que cela. Et d'ailleurs, cela me rappelle, vous savez l'opération qui avait été tentée en 1988 : à l'époque, ils avaient fondé un groupe UDC - Union du Centre - à l'Assemblée nationale, dont on sait depuis, par l'histoire, les mémoires des uns et des autres, que c'était un groupe qui manœuvrait en coulisses avec M. Rocard. Mais ce sera donc sans moi et sans Démocratie libérale ; car je n'ai ni l'envie, ni le droit de dissoudre le courant libéral, de le mettre à la remorque d'un parti centriste. Je considère que ce n'est pas une marche avant, mais une marche arrière, car la France a besoin de quelque chose de plus noble, de plus fort. Les Français en ont assez des solutions chèvre-chou, et il me semble qu'un grand courant libéral a aussi beaucoup de choses à dire dans ce pays. »

O. Mazerolle
Ce qui veut dire que l'opposition est en passe de se retrouver éclatée en trois partis : RPR, Centre et Libéraux ?

A. Madelin- « C'est vrai que le contrat de confiance entre nous, à l'UDF, est, ne disons pas brisé, mais sérieusement écorné par la façon dont cela a été fait. Pourra-t-on refaire un nouveau contrat de famille, au sein d'une nouvelle UDF, en recoller les morceaux ? Nous allons voir, je l'espère, je vais voir avec le président de l'UDF. Mais les choses sont claires : il y a donc un courant de cette opération, d'un nouveau parti centriste, annoncé par M. Bayrou ; il y a le courant libéral, que j'entends plus que jamais affirmer, et je voudrais peut-être en dire un mot ; il y a la famille gaulliste. Je crois qu'il y a besoin aujourd'hui d'unité. Et le problème, c'est de savoir si on fait un grand mouvement unique, une grande confédération, le RPR d'un côté, une nouvelle UDF de l’autre ? Tout est ouvert sur ce point mais l'objectif doit être simple : quelle est la meilleure solution pour faire gagner l'opposition. La gauche et l'extrême gauche sont minoritaires dans ce pays, et voilà que l'on perd depuis deux fois en un an. Beaucoup de Français en ont assez ! Il faut donc agir pour unir, et unir sur un projet clair et fort pour battre la gauche. Pour moi, ce projet ne peut être qu'un projet libéral - c'est pour cela qu'on a un rôle moteur -, et non pas un projet chèvre-chou. La grande idée moderne aujourd'hui, partout dans le monde, c'est la confiance dans l'Homme, dans sa liberté, dans sa responsabilité. C'est cela qui est le moteur de la prospérité, de l'emploi, du progrès social. C'est la seule idée forte qui peut faire reculer les socialistes: Toutes les autres politiques ont échoué. La seule politique que l'on n'a pas vraiment essayée dans ce pays, et qui réussit ailleurs, c'est la politique libérale. Je ne vais quand même pas aller diluer ce courant - qui me parait être un courant porteur pour l’avenir - dans une opération politique, pour le noyer au Centre. Le Centre c'est un espace géographique, ce n'est pas une dynamique politique. »

O. Mazerolle
Mais F. Bayrou place la ligne de séparation, sur la position par rapport à l'extrême droite, sur le refus des voir des élus du Front national. Vous, cela ne vous paraît pas être un point fondamental ?

A. Madelin- « Sur ce point, c'est un mauvais procès et c'est se servir d'une campagne politique, médiatique de déstabilisation orchestrée par la gauche et l'extrême gauche pour l'introduire à l'intérieur de l'opposition et pour l'introduire à l'intérieur de I'UDF pour diviser l'opposition. Depuis le début; Démocratie libérale, ma formation, est claire. Nous avons dit : ni accord, ni compromission avec le Front national. Nous combattons clairement la doctrine, les propos du Front national. »

O. Mazerolle
Mais dans un premier temps vous étiez contre l'exclusion des présidents de région qui avaient accepté les voix du Front national puis, ensuite, vous avez accepté leur exclusion.

A. Madelin- « Puis-je vous faire remarquer que parmi ces présidents de région - il y en a cinq à l’UDF - il y en a deux qui appartiennent à la formation de M. Bayrou. Ce que je refuse en revanche c'est d'ouvrir avec la gauche et l'extrême gauche, le procès de ceux qui estiment, sans accord ni compromission, ne pas s'être fait élire avec les voix du Front national. Depuis le début, je leur ai dit : ce n'est pas une bonne position. Il vous faudra démissionner. Mais je refuse de participer à la curée, je refuse d'hurler avec les loups de la gauche et de l'extrême gauche déchaînés. D'ailleurs, j’ajoute : assez d’hypocrisies ! En 1992, un ministre de gauche, il se trouve que c'était à l'époque - déjà ! - J.-P. Soisson, a été élu à la tête de la région Bourgogne grâce au Front national. Vous avez vu les manifestations d'aujourd'hui et quel a été le propos du Président de la République de l'époque, F. Mitterrand : « Ah ! J.-P. Soisson, quand on a la Bourgogne on la garde !" En 1986, on a fait introduire 70 (sic) députés Front national à l'Assemblée nationale ! Donc je n'accepte pas de hurler avec les loups. »

O. Mazerolle
On entend beaucoup, dans la classe politique, dire : A. Madelin dit qu'il n'aime pas l'extrême droite mais, dans sa jeunesse, il a eu des tentations. Où en êtes-vous aujourd’hui ?

A. Madelin- « Je suis un libéral, profondément libéral, et les libéraux combattent les thèses des dirigeants du Front national. Tout ce qu'il représente, ce n'est pas nous. »

O. Mazerolle
En quoi vous révulse le Front national ?

A. Madelin- « Sur sa doctrine profonde, sur sa conception de l'Homme. Le libéralisme, qu'est-ce que c’est ? C'est une conception de la liberté, de la responsabilité de l'Homme, donc de l'égale dignité de tous les êtres humains, c'est-à-dire que tous les propos qui, par nature, laissent penser qu'il puisse y avoir une inégalité des hommes ou une inégalité des races, je les rejette avec mépris. Tous les propos qui consistent à essayer de refermer notre pays sur lui-même, à jouer sur ses peurs, je les combats, même s'ils peuvent avoir, ici et là, des succès populaires. Avez-vous vu dans une de mes propositions, le moindre clin d’œil, le moindre pas, depuis des années, vers le Front national ? Je suis d'une intransigeance totale. La grande différence c'est que, c'est vrai, un grand nombre d'électeurs du Front national sont des gens qui sont venus de nos rangs, et je ne veux pas les diaboliser avec le Front national parce que j'estime que si je fais cela, je perds toute chance de dialoguer avec eux. A l'inverse d'autres, qui diabolisent volontiers l'ensemble du Front national et de ses électeurs, et qui en rajoutent sur un certain nombre de thèmes, sur un certain nombre de valeurs, sur un certain nombre de thèmes comme la sécurité ou sur l'immigration pour séduire le Front national, je n'ai jamais fait cela en ce qui me concerne. Donc, il me semble que la stratégie qui est la mienne n'est pas une mauvaise stratégie. J'invite à réfléchir les donneurs de leçons à ce qui se passerait pour notre démocratie si un certain nombre de Français qui, aujourd'hui, ont une réaction de dégoût, ou de rejet pour la politique, qui estiment que vraiment l'opposition est la plus bête du monde, si un certain nombre de gens qui ont voté pour le Front national, ne revenaient pas vers nous parce que l'on aurait été sourd et aveugle. Cela, ce serait un vrai péril et c'est ce péril-là que je veux conjurer et je crois que les libéraux ont beaucoup de choses à dire, beaucoup de choses à faire, c'est la raison pour laquelle je ne laisserai pas diluer le grand courant libéral dans une sorte de magma central. »