Texte intégral
S. Attal : Le président de la République, hier, a voulu faire écran entre certains députés récalcitrants du RPR et son Premier ministre, c’est assez inhabituel sous la Ve République, est-ce que c’est bien prudent pour un président ?
C. Millon : Dans ces débats publics, le pouvoir émane du président de la République, c’est le président de la République qui fixe les orientations, c’est le président de la République qui donne les impulsions, c’est lui qui trace les grandes lignes de la politique gouvernementale, une politique qui, ensuite, va être déclinée par le Gouvernement. Il est pour le moins normal que le président de la République fasse savoir qu’il n’est pas question que l’on puisse, d’un côté, critiquer le gouvernement et vouloir épargner le président de la République de l’autre. Ce n’est pas vrai. Et ce dysfonctionnement, que certains voudraient provoquer, est un dysfonctionnement qui pousserait le gouvernement à être inefficace. Or, aujourd’hui, on n’a pas le droit d’être inefficace, il y a le problème du chômage, il y a le problème du redressement économique, il y a la question des réformes dans le monde éducatif ou dans le domaine de la Sécurité sociale : il faut les engager, il faut arrêter les états d’âme. Je crois que certains députés se regardent trop le nombril actuellement, ils feraient mieux de regarder un petit peu les problèmes de leurs concitoyens.
S. Attal : Vous reconnaissez qu’on a été plus habitué à des présidents de la République qui essayaient plutôt de se mettre à l’abri des coups ?
C. Millon : Oui, mais c’est peut-être une différence, J. Chirac a un courage que chacun lui reconnaît, il sait prendre des risques : la situation politique aujourd’hui mérite qu’il prenne un risque, il le prend. Je crois que l’on ferait bien de saluer en réalité sa détermination, sa détermination de redresser la France.
S. Attal : Mais si les piques continuent contre A. Juppé, il faudra interpréter ces attaques contre le président, maintenant ?
C. Millon : Que chacun prenne ses risques.
S. Attal : Quand vous demandez à l’UDF, qui est votre formation politique d’origine, de se fondre dans une majorité présidentielle organisée, vous pensez à quoi, à un parti unique ?
C. Millon : D’abord, je n’ai jamais utilisé le mot fondre. J’ai dit que, dans la Ve République, le pouvoir émane du président de la République. Et ce qu’il me paraîtrait souhaitable et normal – comme cela s’est fait depuis la création de la Ve République –, c’est qu’il y ait la constitution d’une majorité présidentielle organisée autour du président et du gouvernement qu’il désigne. D’ailleurs, ça rejoint votre dernière remarque : si, aujourd’hui, le président de la République est obligé de rentrer dans le jeu, c’est parce que cette majorité présidentielle n’est pas organisée, elle ne fait pas son travail. Et je souhaite que UDF et RPR, au lieu de se préoccuper de petits jeux tactiques à échéance de 5, 6, 10 ans, se préoccupent d’organiser la majorité pour qu’elle soit là, soit au Parlement, soit dans le pays afin de soutenir la politique du gouvernement et d’expliquer.
S. Attal : Et cette majorité présidentielle organisée, c’est la caserne, comme disait F. Léotard ou on peut s’exprimer et avoir des débats ?
C. Millon : Je crois qu’une majorité présidentielle organisée peut être un lieu de dialogues, un lieu de confrontations, d’expériences, d’innovations ou d’idées. Ce n’est pas obligatoirement la caserne, comme certains le suggèrent. Je suis persuadé, convaincu, que s’il n’y a pas une organisation de la majorité présidentielle – je crois que l’histoire de la Ve République est là pour l’illustrer – vous aurez un gouvernement et une majorité qui ira à hue et à dia, ce que je ne souhaite pas pour mon pays car la France, actuellement, mérite un gouvernement qui soit stable, décidé, déterminé, pour pouvoir faire face aux grands défis qu’elle doit relever.
S. Attal : Cela peut aller jusqu’au « bouillonnement » que souhaitait É. Balladur ou il faut baisser un peu le feu ?
C. Millon : Bien sûr que je suis pour le bouillonnement, je suis pour les innovations, je suis pour les expériences, je suis pour les propositions. En tant que président du conseil régional, j’ai dû lancer dix expériences et dix innovations depuis dix ans. C’est normal, c’est naturel, c’est même utile, mais cela ne se fait pas dans un esprit de critique systématique ou d’amertume. Or, aujourd’hui, je crois qu’il faut qu’un certain nombre de parlementaires sachent qu’ils n’ont pas été élus pour simplement gérer une circonscription ou gérer un poste, ils ont été élus pour pouvoir faire partie d’une majorité présidentielle afin que la France réussisse sa lutte contre le chômage, sa relance économique, sa lutte contre le déficit de la Sécurité sociale et sa garantie d’un système de solidarité et de santé.
S. Attal : Quel est le sens de la confiance que va demander le Premier ministre ? Des mauvaises langues évoquent déjà le précédent de J. Chaban-Delmas qui, en 72, avait une confiance écrasante et qui avait dû démissionner six semaines plus tard.
C. Millon : Il va demander aux députés : dites-moi si vous me soutenez sans états d’âme pour pouvoir mener cette politique qui est loin d’être facile. La France est dans une passe difficile, le capitaine se tourne vers son équipage et lui dit : on est bien ensemble, on va essayer de passer ce cap. Voilà ce que fera le Premier ministre quand il demandera la confiance de l’assemblée.
S. Attal : On va parler de l’OTAN et des efforts de la France pour obtenir des concessions des Américains, notamment sur le commandement et, en particulier, le commandement sud de l’OTAN, celui de Naples, que les Français voudraient bien voir revenir à un officier supérieur français. Pour l’instant, on a l’impression que c’est une fin de non-recevoir des Américains.
C. Millon : Votre analyse n’est pas tout à fait exacte. La France, le 5 décembre 1995, a fait savoir qu’elle était prête à prendre sa place, toute sa place, dans l’Alliance atlantique, à condition que cette alliance soit relevée. Ça veut dire quoi ? Que dans l’Alliance atlantique, l’identité européenne de défense, à savoir l’Europe à travers sa défense, soit reconnue. Et cela a un certain nombre de conséquences. D’abord, au niveau de l’organisation des forces – et cela a été accepté à Berlin en 95 – c’est la mise en place des groupes de forces interarmées multinationales.
S. Attal : Qu’on puisse intervenir sans les Américains, par exemple ?
C. Millon : Non, qu’on puisse faire des groupes de forces, en fonction des théâtres et que, dans certains groupes de forces, il n’y ait pas les Américains ; mais il faut qu’il y ait les moyens de l’OTAN qui soient accordés à ces groupes de forces. Ceci a été accepté et aujourd’hui, les états-majors en définissent les modes d’emploi. Deuxièmement : savoir à qui le commandement suprême de l’OTAN, en Europe, allait être attribué. Il était convenu qu’il serait attribué à un Américain et que ce dernier aurait un adjoint européen.
S. Attal : Et les Américains n’en veulent pas.
C. Millon : Mais si, c’est admis ! Un adjoint européen donc, qui aurait une mission spéciale : celle d’être un adjoint du commandement suprême américain pour l’Europe, mais aussi, qui aurait des fonctions spéciales pour les problèmes européens, dans le cadre de l’UEO. Il y a six mois, cette proposition n’était pas acceptée. Après débats, confrontations, après convergence sur certains points, après solution des divergences, aujourd’hui, il y a une quasi-unanimité pour accepter ce point-là.
S. Attal : Et M. Perry qui dit que : « le commandement sud de l’OTAN doit rester américain » ?
C. Millon : C’est autre chose. Il y a un troisième point : le découpage du commandement en Europe. Les Américains, et d’autres, souhaitaient trois commandements. On leur a dit qu’il valait mieux deux commandements : un nord et un sud. C’est maintenant accepté. Sur trois points essentiels donc, aujourd’hui, il y a convergence de vues. Dernier point, c’est vrai, où il n’y a pas convergence de vues dans l’état actuel des choses : c’est le commandement sud. Nous souhaitons, nous, qu’il revienne à un Européen. Les Américains disent que ça pose des problèmes. Je suis persuadé que, durant les semaines ou les mois qui viennent, on va étudier cela pour que, effectivement, il y ait rénovation de l’Alliance atlantique et identification d’une politique de défense européenne.