Texte intégral
Europe 1 le vendredi 27 mars 1998
J.-P. Elkabbach : Il n’y a quinze jours, vous étiez, croyait-on, un chrétien social, un homme de conviction, de bons sentiments, sincère à la limite de la naïveté. Aujourd’hui, en acceptant les voix des élus du Front national, c'est-à-dire le tabou majeur, vous êtes vilipendé, blâmé, lâché par vos amis, cerné, coincé. Où est voire porte de sortie ?
C. Millon : La conviction. Je veux convaincre qu'il y a un problème majeur dans la société politique française : la montée régulière de l'extrême-droite. Je remettrai en jeu mon mandat de président de la région lorsque cette question de l'extrême droite aura été prise en cause, ou prise en main, ou prise à l'étude, par les plus hautes autorités de l'Etat, et lorsqu'on pourra démontrer qu'il est absolument indispensable de mettre en œuvre d'autres procédures pour pouvoir prendre en compte les 4 ou 5 millions de voix qui aujourd'hui se portent sur le Front national.
J.-P. Elkabbach : Cela veut-il dire que dès la semaine prochaine, si le Président de la République et le Premier ministre donnent le sentiment qu'ils mettent en chantier cette réforme du mode de scrutin, vous remettrez votre mandat en jeu ou vous partirez ?
C. Millon : Je remettrai mon mandat en jeu si la région est ingouvernable. Si la région est gouvernable, je ne vois vraiment pas pourquoi je le remettrai en jeu. Je dis simplement que si j'ai fait cet acte provocateur, c'est pour pouvoir amener la société politique française à s'interroger d'une manière claire, nette et précise sur le statut de l'extrême droite.
J.-P. Elkabbach : Mais avant le 15 mars, vous n'aviez pas prévenu les électeurs de Rhône-Alpes que, pour la présidence, vous accepteriez les voix de l'extrême droite. Vous les avez trompés !
C. Millon : Je, n'ai pas accepté les voix de l'extrême droite. C'est un certain nombre de conseillers régionaux qui ont décidé de soutenir de projet que je portais en tant que candidat à la présidence. C'est complètement différent. Il faut revenir à des choses simples : en France, il n'existe pas de mandat impératif. Les conseillers régionaux n'obéissent pas à des directives de partis. Lorsqu'on est élu conseiller régional, on est conseiller régional d'une région. Ces conseillers régionaux ont décidé de porter leurs voix sur un homme en fonction de son projet. Mais je le dis d'une manière très claire : je n'ai pas renoncé à mes convictions, j'appliquerai mon programme, que mon programme, tout mon programme. Il n'y aura dans l'exécutif de la région que des personnes qui partagent mes convictions et mon idéologie.
J.-P. Elkabbach : Personne ne le croit !
C. Millon : Très bien ! Lorsque je suis conforme à la mode, tout le monde me croit ; lorsque je touche un tabou, personne ne me croit. C'est très dangereux, car si demain on ne veut pas résoudre cette question du Front national, on verra peu à peu monter dans l'opinion publique une révolte, une vraie révolte. Ces 4 ou 5 millions de personnes qui sont là, inquiètes, désespérées, malheureuses et qui, souvent, par dépit, vont voter pour le Front national, elles deviendront demain 10 millions. Et puis, un jour, on ira à une élection présidentielle et on aura· deux candidats au second tour, un représentant de la gauche, l'autre celui de l'extrême droite. Ce jour-là, on dira « On aurait mieux fait de se poser la question à temps ». Donc, je repose une double question : est-ce qu'on va continuer à vivre dans une hypocrisie totale, où la gauche s'alimente de l'extrême droite et où l'extrême droite s'alimente· de la gauche ?
J.-P. Elkabbach : Donc, c'est Millon qui va nous sauver, qui va sauver la République ?
C. Millon : Pas du tout ! Je suis très modeste. Je pose simplement une question. Je l'avais déjà posée depuis des mois et des mois. C'est la raison pour laquelle Je ne comprends pas mes amis qui me mettent en contradiction avec ce que j'avais fait avant. Avant, j'avais posé la question de la grande formation de droite. J'avais posé la question avec une certaine vigueur du Front national quand j'étais président du groupe UDF. Je n'avais pas obtenu de réponse.
J.-P. Elkabbach : Etes-vous d'accord avec le Président de la République qui traite le Front national de parti raciste et xénophobe ?
C. Millon : Il y a dans le Front national, et surtout parmi ses dirigeants, des personnes qui sont racistes, antisémites et xénophobes...
J.-P. Elkabbach : B. Gollnisch, dans la région, qui a voté pour vous...
C. Millon : C'est pour moi une horreur. Je suis clair. Je ne suis ni xénophobe, ni raciste, ni antisémite. Mais je pose la question suivante : si un parti est xénophobe, raciste, antisémite, peut-il continuer à toucher des subventions de la part de l'Etat pour financer son fonctionnement ? Peut-il continuer à avoir accès aux médias comme les formations politiques républicaines ? Je pose la question du statut de l'extrême droite.
J.-P. Elkabbach : Vous dites : le Front national a-t-il une légitimité ? Pour vous, pas les dirigeants. Mais on voit que le parti, les voix ont une légitimité. Alors trois, quatre questions. Premièrement, est-ce que l'on peut gérer à votre avis, les régions et les départements avec des alliances avec le Front national ?
C. Millon : Il n'y a pas d'alliance avec le Front national pour ce qui est de la région Rhône-Alpes. Il n'est pas possible de gérer une région avec une alliance avec le Front national.
J.-P. Elkabbach : Est-ce que l'on peut s'entendre avec le Front national dans le cadre, éventuellement, de législatives ?
C. Millon : Non.
J.-P. Elkabbach : Est-ce que l'on pourra, un jour, gouverner avec leur soutien, sans les faire participer, à un Gouvernement de la France et je pose cette question à C. Millon, qui a eu une majorité au Conseil régional avec les voix des élus du Front national ?
C. Millon : A la région Rhône-Alpes, j'ai une majorité sans les voix de Front national puisque la droite parlementaire est majoritaire, et en sièges, et en voix. Le problème ne se pose pas du tout ainsi. Actuellement, c'est un faux procès que l'on est en train de faire. On est en train de condamner sans entendre ! On est en train de juger sans écouter ! La droite parlementaire a 61 sièges, la gauche a 60 sièges, et la gauche se récupère avec un indépendantiste savoisien. II faudra enfin que dans cette région, on sache que c'est la droite parlementaire qui est majoritaire.
J.-P. Elkabbach : Est-ce que pour C. Millon, le Front national c'est mieux que la gauche ? Le Pen et Mégret sont-ils préférables à L. Jospin et à M. Aubry ?
C. Millon : Je n'ai pas à comparer. Moi, je suis un homme de droite qui veut un grand parti de droite, qui défend des convictions de droite qui empêchent l'extrême droite de monter et qui permettent d'être une alternance à la politique de la gauche. Je suis un partisan d'une grande démocratie, où il y a une alternance, une alternance entre une gauche et une droite. Or actuellement, tout est fait pour que la droite disparaisse, et que l'on ait, d'un côté, une gauche et de l'autre côté l'extrême droite.
J.-P. Elkabbach : R. Barré dit, ce matin, dans Le Figaro que la démission serait l'acte de clarification nécessaire aujourd'hui. Vous lui répondez ?
C. Millon : Je dis à R. Barre que je remettrai mon mandat en jeu quand je jugerai cela souhaitable et nécessaire au niveau national c'est-à-dire lorsque le problème de l'extrême droite aura été posé - au niveau régional quand il se posera la question de la gestion de la région.
J.-P. Elkabbach : C'est-à-dire dès la semaine prochaine si vous ne réussissez pas à vous installer avec votre exécutif et avoir la majorité, dès la semaine prochaine ?
C. Millon : Mon exécutif est installé.
J.-P. Elkabbach : A propos de ce qui est en train de se faire. Est-ce qu'il faut refonder l'UDF ou l'UDF est déjà morte ?
C. Millon : Je crois qu'actuellement, on assiste à des jeux d'appareils qui me préoccupent un peu, car je crois que le problème n'est pas là. Le problème est de savoir si on est capable, en face d'une gauche qui sait s'organiser, de mettre une droite qui sait s'organiser. J'ai l'impression que l'on assiste plus à des jeux d'appareils ou des jeux d'ambition qu'à une véritable réflexion sur le paysage politique français.
J.-P. Elkabbach : Vous allez adhérer au parti de F. Bayrou ?
C. Millon : La question aujourd'hui n'est pas là.
J.-P. Elkabbach : Au RPR, s'il voulait de vous, parce que je ne crois qu’aujourd’hui plus personne ne veut de C. Millon.
C. Millon : C'est dommage, car je crois que je pose les vrais problèmes.
J.-P. Elkabbach : Dernière question, quand vous entendez « Millon, trahison ! Millon, démission ! », est-ce que cela vous laisse indifférent ou vous vivez cela comme un cauchemar personnel ?
C. Millon : Ce n'est pas un cauchemar mais une immense tristesse car je constate que, dans notre pays, aujourd'hui, lorsque l'on pose des questions, il y a des questions qui sont interdites, qui sont tabous.
J.-P. Elkabbach : Vous avez posé le problème ! Il ne vous reste plus qu’à partir, à dire, je m’en vais ! Le problème est posé et il sera réglé par d’autres, avec vous aussi et dans vos propres partis de droite mais sans donner ses chances au Front national !
C. Millon : Je ne donne aucune chance au Front national. J’attends la réponse depuis des années et des années. Je continuerai à provoquer sur cette question. Elle me parait essentielle pour l’avenir de la démocratie française.
France 2 le dimanche 22 mars 1998
B. Shönberg : Par souci de clarté, d'abord quelques questions très concrètes : avez-vous, oui ou non, rencontré B. Gollnisch, comme il l'affirme, mercredi dans votre propre bureau ou ne dit-il pas la vérité ?
C. Millon : Mercredi dernier, j'ai proposé deux rendez-vous : un rendez-vous à Monsieur Gollnisch, un rendez-vous à Monsieur Queyranne, afin d'organiser la session de vendredi. Monsieur Gollnisch a accepté de venir au rendez-vous, puisqu'il était à Lyon. Ça s'est fait en public. Les huissiers ont reçu Monsieur Gollnisch, l'ont introduit dans mon bureau afin qu'on prépare la session. Monsieur Queyranne étant à Paris, il m'a téléphoné suite à un téléfax que je lui avais fait parvenir, pour pouvoir, avec lui, voir comment préparer la session. Il n'y a ni plus ni moins.
B. Shönberg : Alors, toujours des questions très rapides. On essaye de répondre par oui ou par non.
C. Millon : Oui, mais on ne peut pas toujours répondre par oui ou par non.
B. Shönberg : A. Madelin qui est sur ce plateau vous a félicité, je crois. Que vous a-t-il dit ?
C. Millon : A. Madelin ne m'a pas félicité. Il s'est mis en rapport avec moi. Il m'a interrogé sur les conditions de l’élection... Je lui ai précisé qu'il n'y avait ni accords secrets, ni transactions, ni marchandages. Qu'il y avait simplement un certain nombre d'élus qui avaient pris acte du programme électoral que j'avais défendu durant toute la campagne électorale, qui avaient pris acte de ma déclaration de candidature et qui avaient décidé en conséquence de porter leurs voix sur mon nom. Je précise d'ailleurs que j'étais en égalité parfaite avec Monsieur Queyranne, puisque c'était 61 voix contre 61, et que Monsieur Queyranne profitait d'une voix d'un séparatiste savoyard, ce qui est assez étonnant pour un ministre de la République.
A. Chabot : C. Millon, vous dites ce soir à nouveau qu'il n’y a pas eu d'accord avec le Front national. Alors, est-ce un hasard si votre programme correspond tout à fait aux six points évoqués par le Front national qui conditionnait son soutien à ces propositions ?
C. Millon : Madame Chabot, pendant des mois, j'ai expliqué qu'il fallait mettre en politique la culture avec le chèque-culture qui existe déjà dans la région ; pendant des mois, j'ai expliqué qu'il fallait accentuer la sécurité dans les lycées, ce qui est déjà fait aujourd'hui dans la région Rhône-Alpes avec le permis de réussir ; je souhaite le développement de la transparence de la gestion des collectivités et j'ai d'ailleurs été moi-même, et mon exécutif, félicité par la Chambre régionale , des comptes pour la transparence de la gestion passée ; j'ai mis en œuvre une politique de stabilisation fiscale depuis quatre ans, etc… Donc, Monsieur Gollnisch n'a fait qu'une, seule chose : il a constaté que, dans la gestion qui· avait été effectuée avant, dans le programme que j'ai défendu durant la campagne électorale, et dans la déclaration de candidature, il y avait des points qui correspondaient aux aspirations de son groupe. Un point, c'est tout. Je n'ai eu ni accord ni transaction.
B. Shönberg : Un mot de réaction, Monsieur Millon [après passage à l’antenne de la déclaration de R. Barre, ndlr]. Est-ce que, par exemple, ce soir, vous êtes prêt à démissionner ?
C. Millon : Tout d'abord, je précise qu'il n'y a pas reconnaissance du Front national dans ce qui s'est passé à Lyon ; deuxièmement, je précise qu'i n'y a pas d'alliance avec le Front national ; que ce sont simplement des élus, qui sont des élus du Conseil régional, qui ont porté leurs voix sur mon nom pour pouvoir mettre en œuvre un programme, Donc, il n’est pas question pour moi de travailler sous la pression de tel ou tel groupe ou d'être l'étage de tel ou tel groupe. J'appliquerai un programme, un point, c'est tout.
B. Shönberg : Monsieur Bosson parle de déshonneur, et en aucun cas, vous n'êtes prêt à démissionner ? Vous n'avez pas répondu à ma question.
C. Millon : Mais je ne pense pas avoir fait un acte de déshonneur. J'ai fait un acte réfléchi, j'ai fait un acte que j'ai posé, car je pense évidemment en France, aujourd'hui, qu'on va arrêter de faire, j'allais dire, des guerres de suspicion. Là, il y a simplement des voix qui se sont portées sur un homme, parce qu'il portait un programme, que son passé, je crois que mon passé le démontre, que son passé démontre à l'évidence qu'il n'y a ni connivence, ni alliance avec le Front national.
A. Chabot : Vous êtes un proche de R. Barre. Quand vous l'entendez, ce soir, condamner ce qui s'est passé dans votre région, je pense que vous êtes touché ; de même, vous avez eu, je crois, J. Chirac au téléphone. Que vous a dit le Président de la République ?
C. Millon : C'était un entretien privé, d'abord et deuxièmement je suis bien sûr touché par les remarques de R. Barre ou de J. Chirac. Mais je précise encore une fois qu'il n'y a pas d'alliance, il n’y a pas eu de transactions, il n'y a pas eu de marchandages ; qu'il y a un programme politique, que sur ce programmé, des conseillers régionaux, - car en droit français, le conseiller régional élu est conseiller régional, il n'est pas membre d'un parti politique – des conseillers régionaux ont donné leur soutien à un président.
B. Shönberg : Alors, une toute dernière question, Monsieur Million : J.-M. Le Pen réclame, ce soir, son dû et réclame la présidence de la région PACA. Vous vous sentez une part de responsabilité ?
C. Millon : Je ne me sens absolument pas concerné, car l'élection du conseil régional de Rhône-Alpes n'a rien à voir avec une quelconque transaction entre des formations politiques. Je le dis et je le répète, l'élection qui me concerne a été effectuée en fonction d'un programme dont j'assure la totale responsabilité.