Texte intégral
La bataille la plus importante : réformer notre système d’éducation de façon à mettre le savoir à la portée de tous…
Dans ce climat fait de morosité et d’inquiétude, nombreux sont les docteurs qui se penchent au chevet de la France. Parmi eux, deux hommes de grand talent : un scientifique, Claude Allègre, et un journaliste, Denis Jeambar, ont choisi le dialogue pour nous faire part de leur diagnostic et de leurs remèdes.
Leurs cibles favorites sont l’économisme, la technocratie bruxelloise, la classe dirigeante française, qu’ils nomment « la noblesse d’État », et les médias, en lesquels ils voient la Haute Société Médiatique, plus préoccupée de son nombrilisme que de servir la démocratie par une rigoureuse analyse des faits et une pédagogie du citoyen.
Tout cela n’est pas faux, même si la tentation du bouc émissaire les conduit à laisser entendre aux lecteurs qu’en luttant contre ces excès, il serait facile de redresser la pente funeste qui conduit notre pays à sous-estimer ses possibilités et à ne pas faire fructifier ses talents et ses richesses. Ainsi dénoncent-ils l’illusion mathématique qui réduirait l’économie politique à des postulats discutables et à une focalisation sur quelques indices, soulignant que la gestion de l’économie est un art. Comment ne pas être d’accord avec eux pour replacer l’homme au cœur de l’économie et pour sortir du couple monnaie-budget auquel se ramènent les raisonnements et les interventions de l’État ? C’est bien cela, la pensée unique, qui néglige la palette des actions susceptibles de nourrir un développement soutenable et créateur d’emplois.
De même, quand on a constamment, comme moi, plaidé et agi au niveau européen pour la création d’un ensemble politique capable de défendre ses intérêts, notamment vis-à-vis de ce qu’il faut bien appeler l’impérialisme américain, comment ne pas souscrire à leur plaidoyer pour une Europe puissante et généreuse à la fois, dotée d’institutions politiques claires et responsables démocratiquement ? Mais nos pamphlétaires oublient que, pour unir ces vieilles nations européennes, la voie de l’intégration économique s’est avérée la seule possible et que les « technocrates bruxellois » ne font que proposer et que ce sont les gouvernements nationaux, réunis en Conseil, qui disposent. Et ils veulent bien reconnaître que ma formule d’une fédération des États-nations est la seule qui permette de préserver nos identités nationales et de clairement distinguer ce qui doit rester de compétence nationale de ce qui, parce que l’union fait la force, doit être décidé et entrepris au niveau européen.
Quant à la descente en flammes de la noblesse d’État, elle est, depuis cinquante ans, le sport favori des politiques de tous bords. Curieusement, cependant, l’étranger nous envie ces élites qui ont joué un rôle essentiel dans l’adaptation de notre pays aux nouvelles données scientifiques et géopolitiques, remédiant parfois à l’insigne faiblesse des politiques. Il n’en demeure pas moins que notre pays doit absolument ouvrir les voies d’accès aux responsabilités. Deux chapitres viennent cependant démentir le sentiment que nos auteurs en sont réduits à une incantation sur la nécessité de revenir au politique, seul capable d’embrasser toute la réalité complexe d’une société, de transcender les difficultés liées aux intérêts acquis et donc de désembourber le char français.
L’un de ces chapitres explique lumineusement en quoi l’accélération du progrès scientifique bouleverse notre appréhension du monde, de la société et de la vie. « La science change le monde », affirment-ils. Elle nous aide à voir loin et large. Elle exige une attitude empreinte d’une certaine humilité, une entrée de tous dans la société cognitive et une mobilisation prioritaire de nos ressources humaines et financières. Il s’agit véritablement d’une condition vitale pour assurer l’avenir français.
Ce qui conduit tout naturellement Claude Allègre et Denis Jeambar à traiter avec pertinence de ce passeport pour la réussite et de cet instrument indispensable à l’égalité des chances qu’est l’éducation. Ils plaident raisonnablement, et en ménageant les transitions nécessaires, pour un allongement de la durée des études réparties tout au long de la vie. Ils veulent des têtes bien faites, aptes à maîtriser les changements qui affecteront la vie professionnelle, en concentrant l’enseignement primaire sur les fondamentaux, parmi lesquels l’écriture, la lecture, le calcul, l’aptitude à comprendre l’univers scientifique. Courageusement, ils démontrent « l’importance fondamentale de l’acquis et de l’apprentissage », s’inscrivant ainsi contre les défenseurs d’une élite étroite et favorisée par l’inné… ou l’héritage. Ils rendent un hommage mérité à Bertrand Schwartz, auquel moi-même je dois tant pour m’avoir guidé vers la création, il y a vingt-cinq ans déjà, du droit à la formation permanente. Le savoir doit être réhabilité, réformé et détaché d’un lien exclusif avec la vie professionnelle (1).
Au total, si les auteurs n’ont pu – goût de la provocation aidant – échapper à des simplifications abusives, ils n’en invitent pas moins les Français à se secouer et à revendiquer toute leur part dans la chose publique.
(1) Voir le rapport pour l’Unesco : « l’Éducation : un trésor est caché dedans » (Éditions Odile Jacob – 1996).