Texte intégral
France 2 le lundi 16 mars 1998
D. Bilalian : Le FN met dans l'embarras un certain nombre de présidents de droite en difficulté, et on sent que vous avez des propositions à leur faire, différentes de celles qui étaient faites les semaines dernières.
B. Mégret : Notre position est très simple : il n'est pas question en effet d'alliances nationales avec les états-majors du RPR et de l'UDF. Mais si, au plan local - régional en l’occurrence -, un certain nombre d'élus du RPR et de l'UDF de bonne volonté, veulent faire barrage à la gauche socialo-communiste, nous sommes, nous sommes d'accord pour dialoguer avec eux. Et ce dialogue peut se traduire par un soutien, en quelque sorte un soutien sans participation du FN. Mais à condition bien sûr, que l'exécutif en question prenne en compte une partie de notre programme, afin que les intérêts de nos électeurs soient pris en compte.
D. Bilalian : Quand vous dites « une partie » ça veut dire que vous renonceriez à un certain nombre de vos idées fortes comme la préférence nationale. Des choses qui sont inadmissibles a priori, d'après ce qu'on sait, du côté du RPR ou de l’UDF.
B. Mégret : Il y a dans les préoccupations qui sont les nôtres, la sécurité, la baisse des impôts ; mais c'est vrai que nous sommes des gens réalistes, nous sommes des gens pondérés. Et dans la mesure où nous ne sommes pas en situation dominante, il n'est pas question pour nous d'imposer la totalité de notre programme. Donc, une partie seulement, et notamment celle qui est la plus susceptible d'un consensus. Sur la préférence nationale, bien sûr que ça n'est pas moi - qui ait suggéré qu'elle soit mise en œuvre à Vitrolles - qui vais dire qu'il faut renoncer à la préférence nationale. D'ailleurs pourquoi ne l'accepteraient-ils pas ! en 1984 à Paris, ils l'ont fait. Mais nous acceptons tout à fait de ne pas mettre ce point-là en avant, dans le cadre de ces soutiens sans participation qui pourraient être mis en oeuvre dans les régions.
D. Bilalian : Mais qu'est-ce qui vous amène à évoluer, à adoucir si je puis dire, votre position par rapport à la droite modérée ?
B. Mégret : Il ne s'agit pas d'adoucir, mais simplement de prendre en compte la dimension très importante qu'est en train de prendre le FN, qui s'impose maintenant comme, en quelque sorte, le deuxième pôle structurant de la vie politique française face à la gauche. Et maintenant qu'il s'agit éventuellement d'un soutien sans participation, eh bien nous sommes des gens…
D. Bilalian : Quand vous dites « soutien sans participation » c'est pendant toute la législature de conseil régional ? Vous êtes d'accord pour ne pas revenir sur un certain nombre d'autres positions, vous vous mettez d'accord sur une sorte de contrat exécutif ?
B. Mégret : Ça pourrait être sous cette forme-là. Ce qui nous permettrait de juger, et de vérifier que l'exécutif en question applique bien le programme qui est le nôtre et sur lequel ils se seraient engagés.
D. Bilalian : Pensez-vous qu'un certain nombre de présidents peuvent être intéressés et lesquels ?
B. Mégret : Moi je le pense, je ne vais pas vous révéler quoi que ce soit, c'est à eux de le faire. Mais il y a actuellement quatre ou cinq présidents de région potentiels, qui manifestement sont intéressés, qui nous l'ont fait savoir.
D. Bilalian : Vous proposez cela dans des régions où vous êtes une force d'appoint, mais en revanche par exemple comme en PACA, là, est-ce que vous le proposez aussi ?
B. Mégret : En PACA la situation est très différente, car actuellement... Enfin on ne sait plus très bien où on en est avec M. Léotard ; il est candidat, il ne l'est pas, on ne sait plus où on en est. De toute façon il y a d'un côté le candidat de la gauche, de l'autre le candidat du FN. Le problème est un peu inverse : est-ce que les conseils régionaux RPR-UDF, vont voter pour la gauche ou vont voter pour le FN.
D. Bilalian : Est-ce que J.-M. Le Pen est d'accord avec votre proposition ?
B. Mégret : Tout à fait, puisqu'il a annoncé lui-même tout à l'heure, les six mesures que nous souhaitons voir prises en compte par les exécutifs que nous pourrions soutenir.
D. Bilalian : J. Lang vous avez entendu ce que vient de dire B. Mégret. Quelle serait votre réaction en cas d'accords, acceptés par un certain nombre de présidents de droite en difficulté ?
J. Lang : Je crois qu'il ne faut pas que la droite ou les leaders de la droite, localement en particulier, ajoutent le déshonneur à la défaite. La défaite a été constatée hier ; je crois que ce serait très grave pour la droite française d'accepter ce baiser mortel. Pour nous, les choses sont claires depuis l'origine, elles sont d'une clarté biblique : nous reconnaissons que la présidence revient au parti qui a obtenu la majorité relative ; et nous mettons en accord ces engagements et nos actes. Par exemple, en Auvergne, nous reconnaissons le droit…
D. Bilalian : Imaginons par exemple, une région comme la Picardie, où le président socialiste serait peut être élu grâce aux voir. communistes. Là, on entend des responsables du RPR ou de I'UDF dire : là…
J. Lang : Mais ça n'a rien à voir. Une alliance claire, nette, qui a été négociée, discutée, ratifiée par le pays en juin dernier, une nouvelle fois approuvée hier par un grand nombre de Français, cette alliance est au gouvernement, ça n'a absolument rien à voir avec une alliance avec une droite dite « républicaine » et un parti d'extrême droite. Je crois que nous assistons en ce moment, de la part de certains caciques locaux, certains notables, à des marchandages - jusqu'à présent en coulisses, sous la table -, à présent presqu''à ciel ouvert, qui se soumettent au chantage du FN - j'imagine d'ailleurs que M. Mégret doit en rire un peu d'une certaine façon -, qui jouent la danse du ventre devant les leaders du FN, qui sont prêts à ramper pour sauver quelques malheureux sièges de président. C'est manquer de dignité ! Et je crois que ce qui compte en démocratie, c'est de respecter l'engagement pris devant les électeurs. Autrement, c'est un viol ou un vol des voix des électeurs, c'est un véritable détournement. Il n'est pas normal que, dimanche, les Français aient voulu que la gauche gouverne dans plusieurs régions, dans de nombreuses régions et que vendredi, à la suite de combines, le vote des Français soit remis en cause ! J'ajoute que de nombreux électeurs de droite seraient eux-mêmes révoltés par de telles combinaisons. Il ne faut pas oublier que dans ce pays il y a 85 % des gens, des électeurs, qui ne veulent pas du FN. Donc, je dis aux leaders de la droite : refusez ce baiser mortel ! Refusez cette alliance mortelle ! Et j'attends, nous attendons, que les leaders de la droite nationale, se dressent comme un seul homme pour désavouer ces tentatives de présidences-magouilles, disent non à ces arrangements, et disent oui au respect des électeurs !
B. Mégret : M. Lang a une très curieuse conception de la démocratie, parce qu'il essaye de fausser le résultat des élections et le jeu qui résulte de la composition des assemblées. Il essaye de mettre en place, avec le RPR et l'UDF, une autre règle du jeu : on se met d'accord entre nous, on ne tient pas compte des électeurs du FN. Mais c'est une façon d'exclure 15 % du peuple français de la démocratie. Et de surcroît, ceux qui exercent un chantage actuellement, c'est évidemment pas le FN qui n'est demandeur de rien, il n'a rien à protéger, rien à défendre ; c'est le PS et le PC qui exercent un espèce de chantage ahurissant sur les leaders du RPR et de l'UDF. Le plus ahurissant d'ailleurs, c'est que ces leaders s'y soumettent docilement et servilement.
J. Lang : Je répète qu'il y a la loyauté à l'égard des électeurs. La plupart des responsables de la droite classique, ont dit tout au long des derniers jours, qu'ils n'accepteraient pas ce genre d'alliances avec le FN, à commencer par M. Balladur et quelques autres hauts responsables. Je crois que le minimum que l'on doit aux électeurs, c'est le respect des engagements. Et on ne comprendraient pas que le vote des Français d'hier, qui est un vote pour le changement, se traduise vendredi prochain par le retour au pouvoir de leaders locaux dont le pays ne veut plus. Et je dis que la droite républicaine serait souillée et salie par ce type d'alliances, et c'est d'ailleurs ce que cherche le FN : à souiller et à salir la droite républicaine.
RTL le jeudi 19 mars 1998
O. Mazerolle : Lors d'un meeting à Auch, vous avez réclamé, hier, des actes concrets aux dirigeants de la droite. Alors quand P. Séguin exclut l'ancien secrétaire général du RPR J.-F. Mancel, est-ce un acte concret qui corrobore son engagement ?
J. Lang : C’est un acte concret et je crois qu'il faut qu'au cours des prochaines heures, d'autres actes concrets suivent cette initiative. De quoi parle-t-on ? Parce que finalement, on pourrait penser qu'il s'agit comme cela d'une sorte d’exagération ; dimanche dernier, les électeurs se sont prononcés clairement, soit en faveur de la droite républicaine dans certaines régions, soit en faveur de la gauche dans d'autres régions. De manière globale, on le sait, une dynamique de succès a été créée à gauche. Le Front national, c'est un parti - il ne faut pas l’oublier - de la haine, de la violence, du mensonge, de l'exclusion, qui n'hésite pas à répondre, par exemple, à des invitations d'anciens nazis ; et c'est un parti qui, très étrangement, sollicite l'électorat populaire et qui en même temps, dans son programme, est favorable uniquement aux privilégiés. Par exemple, il préconise la suppression de l'impôt sur les grandes fortunes ou il est favorable à la multiplication des licenciements. Face à ce danger, il est important que les partis républicains, de droite et de gauche se dressent comme un seul homme contre l'extrémisme de droite. D'abord, dimanche prochain, les électeurs eux-mêmes. Dans les cantons, ne l'oublions pas, il y aura dimanche prochain une élection dans les départements et là, nous pouvons très largement l'emporter. Mais dès demain, les élus républicains doivent se comporter en fidélité avec leurs engagements et en effet, vous avez raison, j'ai dit et redit hier, il n'y a pas d'amour, il n'y a que des preuves d'amour. Il faut agir concrètement et nous jugerons sur les résultats. Et je constate que s'il y a, dans la droite républicaine, des personnages qui ont déjà perdu leur honneur, il y a en revanche des hommes d'honneur. Vous receviez, hier matin, à ce micro, l'un de nos concurrents dans la région Centre, M. Donnedieu de Vabres, qui s'est remarquablement comporté. Il est un homme de droite républicain…
O. Mazerolle : Vous croyez l'aider en le couvrant de compliments comme ça ?
J. Lang : Non, je crois l'aider, je ne crois ni le servir ni l'aider, je veux reconnaître... La politique, c'est quand même le respect des électeurs et le respect des personnes. Je respecte M. Donnedieu de Vabres, je respecte R. Barre qui lui-même, dans un canton, a indiqué qu'il demandait le retrait d'un candidat de droite parce que le Front national risquerait de l'emporter. Et je constate que des premiers pas ont été accomplis par P. Séguin et N. Sarkozy et il faut le dire. Mais il faut agir jusqu'à demain avec énergie et efficacité.
O. Mazerolle : Tout de même, en faisant campagne sur ce thème, est-ce que la gauche ne risque pas - comme le relèvent beaucoup d'éditorialistes d’ailleurs - de valoriser le rôle du Front national, le renforcer encore dans l'esprit des électeurs ? Après tout, c'est le Front national qui détermine les choses.
J. Lang : Mais excusez-moi, il y a eu jusqu'à dimanche dernier... On n'a pratiquement pas parlé du Front national jusqu'à dimanche dernier…
O. Mazerolle : Oh, beaucoup quand même.
J. Lang : Oui, mais enfin disons l'essentiel de notre campagne était de dire : vous êtes assez heureux du Gouvernement de L. Jospin, consolidez-le et surtout, mettez à la tête des régions des équipes nouvelles, renouvelées, en particulier par des femmes, pour permettre à ces régions de fonctionner en harmonie avec la majorité nationale. Même chose d'ailleurs pour les départements. Mais depuis dimanche dernier, la situation est différente puisqu'il s'agit, en particulier demain, d'élire des présidents de région. Nous avons dit qu'il y avait une règle simple, une règle républicaine simple : là où un parti républicain a la majorité, c'est lui qui assume la présidence. Cela vaut pour la droite comme cela vaut pour la gauche. Et je crois que c'est une question de respect de la volonté populaire. 85 %, ne l'oublions pas, des électeurs ne veulent pas du Front national. Et s'allier avec les élus de ce parti, c'est commettre une sorte de vol à l'égard des électeurs, une sorte de viol, de détournement ou de hold-up.
O. Mazerolle : Tout de même, si les électeurs du Front national sont pour la plupart des électeurs de droite, admettre l'idée que l'alliance Front national plus élus de droite à la majorité, n'est-ce pas reconnaître d'une manière générale que la France est plutôt à droite qu'à gauche ?
J. Lang : Mais c'est une question. Le Front national se situe à l'extérieur même de notre vie démocratique normale, ne reconnaît pas véritablement nos valeurs, a une action fondée sur l'exclusion, sur l'excommunication, sur le rejet, sur la haine. Ecoutez, je ne veux pas grossir les choses, mais avant la guerre, lorsque certains partis extrémistes en Allemagne ont pris le pouvoir, malheureusement, il faut le rappeler, ce sont des partis républicains qui ont fait la courte échelle, inconsciemment et de bonne foi parfois, à ces partis extrémistes. Aujourd'hui, le Front national, très pervers, très habilement il faut dire animé, développe une stratégie de l'enveloppement vis-à-vis de certains élus de droite telle l'araignée qui enserre sa proie dans sa toile, le Front national fait les yeux doux aux élus de droite pour mieux les dévorer en les déshonorant et pour sauver quelques miettes, quelques sièges, bref pour un plat de lentilles, certains élus locaux de droite sont prêts à vendre leur âme.
O. Mazerolle : Pouvez-vous nous expliquer, alors que la gauche a été sur plusieurs années au pouvoir depuis 1981, même le plus grand nombre d'années, pourquoi la France est-elle toujours tentée par le Front national ?
J. Lang : Ça, c'est un sujet très grave, et ce n'est pas seulement la gauche d'ailleurs, c'est l'ensemble des partis républicains qui doivent se poser la question. Comment faire reculer ce mouvement extrémiste qui profite de l'inquiétude dans certains milieux pour…
O. Mazerolle : Il n'y a pas de responsabilité de gauche dans cette affaire ?
J. Lang : Sans doute, mais sans doute.
O. Mazerolle : Par exemple, quand J.-P. Chevènement dit hier, l'occupation d'églises par des sans-papiers, c'est du pain béni pour le Front national, la gauche ne disait pas ça du tout l'an dernier… ?
J. Lang : Je ne connaissais pas cette citation, je la récuse, je ne l'accepte pas ; se battre pour la justice, se battre pour l'humanité, ce n'est pas faire le jeu des extrémistes. Je crois qu'on ne peut pas non plus tout - alors vous avez raison - juger en fonction du Front national. Là, nous sommes confrontés à une conjoncture qui a lieu demain et ce qui se prépare dans certaines régions d'alliances mortelles entre certains élus de la droite classique et les élus du Front national soulève le cœur. J'imagine que le général De Gaulle se retourne dans sa tombe, c'est le retour au vichysme ; voilà des élus de droite, certains, le plus petit nombre possible, qui vont à la soupe du Front national, qui renient ce qu'est l'esprit de la République.
O. Mazerolle : Mais vous n'y allez pas un peu fort quand même en laissant entendre qu'on est peut-être dans une répétition des années 20 ou 30 ?
J. Lang : Non, j'ai bien pris la précaution, en évoquant cela, de vous dire : « toutes proportions gardées ». Je ne vous ai pas dit que c'était comparable mais rappelons-nous qu'il y a des réflexes qui font que, pour sauvegarder un petit pouvoir et par hostilité à un autre parti, on peut être tenté - c'est ce qui se passe avec les élus de droite locaux - de faire la courte échelle à un mouvement extrémiste. Ce que je vous dis à l'instant, au fond la plupart des grands dirigeants de droite républicains responsables - qui savent qu'aujourd'hui leur avenir-même est en cause, car dans tout cela, il y a un risque d'implosion de la droite française - vous diraient, dans leur langage, à peu près la même chose. Encore une fois, n'oublions pas qu'il y a 85 % de Français qui récusent, qui refusent ce parti de l'extrémisme et d'un parti de la division et de la haine.
France 2 le vendredi 20 mars 1998
B. Schönberg : Apparemment, il y a eu une véritable fronde des élus locaux contre les appareils politiques. Est-ce que ça veut dire que personne ne vous écoute plus ? Est-ce qu'il y a encore une droite aujourd'hui en France ?
F. Bayrou : Il s'est passé aujourd'hui quelque chose de très grave, et ce n'est pas la peine de dire le contraire. Il s'est passé quelque chose qui pose une question, naturellement à l'opposition et ses dirigeants, mais aussi à l'ensemble du jeu politique, et peut-être au-delà. Je pense par exemple que les médias n'y sont pas extérieurs. La question se pose à tous. Cette question, elle va naturellement entraîner une réponse qui sera une reconstruction de l'opposition sur des bases nouvelles. Du moins, je le crois. La question qui se pose, c'est d'une part, qu'un certain nombre d'élus de l'opposition n'ont pas saisi ou perçu la gravité des choix qu'ils allaient faire. Ils ont cru que c'était des choix locaux, limités à des arrangements locaux. En réalité, c'était beaucoup plus grave et profond : c'était une transgression de quelque chose à quoi beaucoup de Français adhérent beaucoup plus que leurs idées politiques, dans une partie de leur âme. La deuxième chose : pourquoi ce choix s'est-il fait de cette manière ? Je crois qu'il faut avoir le courage de le dire : il y a eu une poussée très forte de la base, des électeurs, de ceux qui s'adressent aux élus, de ceux qui leur parlent, en disant : « tout de même, la gauche est ultra-minoritaire, et vous n'allez pas laisser les régions à la gauche ! ». Comme s'il y avait un sentiment d'exaspération à l'égard des leçons constamment répétées, sur un ton raisonneur et supérieur qui paraissent ne pas prendre en compte la sensibilité et les problèmes des gens. C'est au moins autant à l'égard de ce système donneur de leçons qu'à l'égard des instructions que les états-majors ont données ou que les responsables ont données, c'est contre cela que la révolte a eu lieu. Cette révolte, elle s'adresse à tout le monde. Elle s'adresse, par exemple, à M. Jospin qui a fait hier une intervention, à mon avis, très mal-venue, mal à propos. Elle s'adresse à vous autant qu'elle s'adresse à nous. Je ne veux pas en éluder la responsabilité. Nous avons notre part de responsabilité. Mais tout le monde doit en prendre sa part.
J. Lang : C'est le jour du printemps. C'est vraiment un beau jour. C'est un jour triste. C'est un printemps triste et sombre pour la démocratie française. On peut comme on veut tourner autour du pot, les choses sont là : en démocratie, il y a une règle claire : quand on prend un engagement devant le peuple, on le respecte. L'engagement qui a été pris par la droite républicaine, comme par la gauche face aux électeurs, pendant des semaines et des semaines, c'était que là où un parti aurait la majorité relative, il revendiquerait la présidence ; là où l'autre aurait la majorité relative, il revendiquerait la présidence, ce que nous avons mis en application, parce que là où nous étions minoritaires, nous avons cédé la place à la droite républicaine. Cela ne s'est pas produit aujourd'hui. Un grand nombre d'électeurs, y compris d'électeurs de droite, ont le sentiment d'avoir été floués, trompés. Ils ont le sentiment qu'on leur a menti, puisqu'un pacte a été conclu localement, région par région, avec les élus d'un parti néo-fasciste.
B. Schönberg : J. Lang, une question sur quand même la part de responsabilité de la gauche dans ce que beaucoup appellent déjà « un vendredi noir », est-ce que le Front national n'a pas été aidé depuis fort longtemps - en tout cas certains le croient - par précisément la gauche socialiste ?
J. Lang : Cette question, je veux bien y répondre si vous m'accordez du temps, qui est cette légende absurde qui ne repose sur rien. Permettez-moi un instant, si vous me laissez le temps, je vous répondrai à cette question qui est une contre-vérité absolue propagée de rédaction en rédaction. Aujourd'hui, il y a un mauvais coup qui est porté à la République et il faut que les paroles soient en harmonie avec les actes. Je crois que le président de Franche-Comté a donné l'exemple, il démissionne. Il me semble que les hauts dirigeants de la droite devraient demander aux cinq présidents de droite qui ont été élus avec les voix du Front national, en infraction avec l'engagement pris devant le peuple, de démissionner à leur tour et que l'on procède à de nouvelles élections. Je voudrais aussi dire que ce qui s'est passé aujourd'hui révèle une situation qui est très grave, dans plusieurs régions - et je l'ai constaté moi même dans la région Centre, certains élus de droite sont devenus des frères siamois, je dis bien des frères siamois de la droite néo-fasciste. Et là, il y a un vrai problème pour la droite elle-même qui se trouve aujourd'hui en lambeaux ou en miettes. Le troisième point que je voudrais dire c'est qu'il y a eu heureusement, notamment dans la région où je suis, dans le Centre, et ailleurs aussi en France, et notamment cet homme de la Franche-Comté, des hommes d'honneur qui, dans cette circonstance, ont réussi à se conduire avec dignité et ne sont pas allés à la soupe. Enfin, je voudrais dire à M. Le Pen ou plutôt à ceux qui nous écoutent que c'est lui le minoritaire : 85 % des Français ne veulent pas du Front national et aujourd'hui par des combines, par des combinaisons, par des magouilles, voilà que M. Le Pen et le Front national qui ne représentent que 15 % ont réussi à se faire l'arbitre d'une situation…
B. Schönberg : C'est un mode de scrutin que vous avez mis en place et d'ailleurs, M. Bayrou, que l'opposition et d'ailleurs la majorité de l'époque n'a pas non plus changé. Vous avez donc tous les deux une part de responsabilité dans ce que vous appelez ces combines ?
J. Lang: C'est un sujet sur lequel il faudra en effet revenir. Je suis convaincu, pour avoir, en accord avec L. Jospin, préparé un texte sur la rénovation de la démocratie, qu'il faut absolument dans les régions et dans les départements instituer un mode de scrutin qui précisément permettent de dégager une majorité et d'échapper définitivement à ce type de combines sous la table et en coulisses. Je voudrais dire aussi enfin qu'il y a une possibilité pour le peuple français de dire son sentiment. C'est dimanche prochain puisqu'il y a, ne l'oublions pas, des élections dans les départements. Il est très important que les électeurs français qui ont été floués par ces combines d'aujourd'hui puissent dimanche prochain dire non au Front national, non aux élus qui les ont trompés et fassent barrage par conséquent à l'extrémisme. Et je crois que si dimanche, comme je le pense, se produit un sursaut républicain, ce sera un pas en avant important vers cette rénovation que nous appelons de nos vœux.
B. Schönberg : F. Bayrou, vous parliez tout à l'heure et vous évoquiez vous-même la question qu'il y a entre la base, comme l'on dit, et les responsables politiques comme vous. Il semble aussi que chez les responsables politiques il y ait des divergences. A. Madelin dit ce soir qu'il ne faut rester ni sourd ni muet ni aveugle face ce débat qui ne comprennent pas qu'on récuse le principe d'un accord avec le Front national. Il y a divergence de fond entre vous et lui ?
F. Bayrou : Si cette déclaration ou d'autres signe vient qu'on approuve ce qui est arrivé, vous le savez, je ne serai pas sur cette ligne. Je suis en désaccord, je ne peux pas approuver ce qui est arrivé, il y a ce soir un grand nombre de Français de droite et du centre qui sentent bien qu'un risque considérable a été pris. Et il a été pris contre leur intérêt La gauche a joué avec le Front national comme avec une grenade qu'on se lançait dans le jeu. Elle a fini par exploser, elle explose contre tout le monde, pas seulement contre les responsables de la droite et du centre ; elle explose contre la gauche, elle explose contre une certaine, comment dire, solidarité de la société française. Je pense qu'il est très important de savoir et de sentir qu'il y a une attente des Français qui n'a pas été prise en compte. Je dis que c'est une attente populaire, je dis que c'est une attente de bon sens, qu'un certain nombre de politiques qui ont été conduites, de leçons qui ont été données sur un ton sentencieux aux Français étaient en décalage complet avec ce qu'ils ressentaient de la vie. Si on ne retrouve pas cela, si on laisse s'accuser - je sais bien que c'est fini, donc il faut aller très vite, mais je voudrais que l'on retienne ça -, si on continue à laisser s'aggraver, s'accuser le fossé entre ceux qui se ressentent comme le peuple et ceux qui croient être des élites lointaines, à ce moment-là nous aurons d'autres accidents. Et si je devais fixer à ceux qui ont respecté leur parole à droite et au centre une mission prioritaire, c'est précisément celle-là : que l'on essaie de retrouver les gens qui se sont sentis floués pendant un certain temps des messages qu'ils avaient envie d'adresser, qu'on les entende, qu'on parle avec eux et que l'on renoue le lien. C'est ce lien renoué qui sera à mon avis la meilleure garantie de succès pour ceux qui respecteront leurs valeurs et leur parole.