Texte intégral
Jean-Pierre Elkabbach : Dans quinze jours, c’est donc le vote régional à conséquences nationales. Après votre meeting d’union et de combat au Zénith, la droite va-t-elle gagner ?
François Léotard : « Gagner, il n’est pas certain qu’on ajoute aux vingt régions que nous détenons une ou deux. Mais je pense que nous pouvons conserver la totalité, ou l’immense majorité des régions que nous avons. Je suis confiant pour ma part. »
Jean-Pierre Elkabbach : Les vingt régions ?
François Léotard : « Je suis confiant. Les vingt, peut-être pas les vingt. On va voir. Il y aura peut-être des endroits où nous gagnerons, d’autres où nous perdrons. Mais, je ne suis pas du tout dans l’esprit de pessimisme que j’ai ressenti il y a maintenant plusieurs mois, au moment même où je me suis engagé d’ailleurs, parce que je crois que nous avons courageusement, P. Séguin et moi, en tout cas mené ce combat. »
Jean-Pierre Elkabbach : Au Zénith, MM. Séguin et Balladur ont mis en garde les Français et les électeurs : ne mettez pas vos œufs dans le même panier, dit l’un, ne donnez pas toutes les clefs, tout le trousseau de clefs à la gauche. C’est assez drôle d’entendre cela, parce qu’on n’a jamais entendu cette recommandation, ces scrupules, quand la droite - c’est une question aussi classique - tenait simultanément l’Élysée, Matignon, la Présidence de l’Assemblée, et vingt des vingt-deux régions ! Pourquoi alors ?
François Léotard : « Non. Moi ce que j’ai dit, c’est qu’il n’y a pas d’élection, dans les quatre ans qui viennent, qui ait une dimension nationale forte. Il va y avoir les élections européennes, c’est autre chose. Mais pendant quatre ans, les Français ne vont pas voter sur des sujets majeurs pour l’avenir de leur pays. Et donc, il faut qu’ils fassent attention que cette élection-là, le mandat qui va être donné aux régions, cela va durer six ans, c’est-à-dire pendant ces six années, vous avez les municipales, les cantonales, les législatives, et la présidentielle. Ne donnons pas des outils politiques qui seront des clones du gouvernement dans chacune des vingt-deux régions françaises aux socialistes. »
Jean-Pierre Elkabbach : Mais en quoi une décentralisation plus équilibrée, et plus de régions gérées par la gauche, qui relaient la politique de Jospin, c’est une catastrophe ?
François Léotard : « Mais, décentralisation, cela veut dire contre-pouvoirs. C’est cela la réalité. Cela veut dire que l’on résiste d’une certaine manière, ou on agit d’une certaine manière différemment du pouvoir d’État. À Paris, il y a les socialistes. Ne mettez pas les socialistes dans les régions. Si on veut croire à la décentralisation, c’est-à-dire à un équilibre… »
Jean-Pierre Elkabbach : Mais je reprends ma question, vous ne l’avez pas dit avant ? Quand vous aviez les vingt régions, l’Élysée, Matignon, etc., etc.
François Léotard : « Parce que la gestion de l’État au niveau national était moins idéologique qu’elle ne l’est aujourd’hui. Et que là, vous avez une équipe qui a une idéologie très forte, c’est son droit, avec les communistes, et que je crois qu’il faut maintenir dans les régions françaises, des contre-pouvoirs, des zones de liberté, d’autonomie politique. Moi, je suis pour la décentralisation. »
Jean-Pierre Elkabbach : Parce que vous pensez qu’on n’a encore rien vu, venant de la gauche, sur le plan idéologique, sur le plan de la fiscalité, sur le plan de la pression… ?
François Léotard : « Je crois que sous des airs avenants, la doctrine de ce gouvernement est une doctrine très dure, très rude, très marquée par l’idéologie socialiste et communiste. Et que nous avons, pour ce qui concerne la droite républicaine, à résister à cette tendance, à cette démarche, à cette perspective. »
Jean-Pierre Elkabbach : Alors, la droite résiste, s’oppose, vous le dites. Le CNPF vitupère quand il peut. Et pourtant les résultats économiques ont l’air plutôt bons, la Bourse de Paris connaît dix-sept records en deux mois, est-ce que la gauche plurielle, quand on la regarde, finalement ça marche ?
François Léotard : « Vous savez, est-ce que la gauche plurielle est à l’origine de la hausse du dollar ? Non. Est-ce qu’elle est à l’origine de la reprise dans le monde ? Non. Est-ce qu’elle est à l’origine de la baisse des taux d’intérêt ? Non. »
Jean-Pierre Elkabbach : Elle l’a empêchée ?
François Léotard : « Oui, en grande partie, oui. Oui, oui, parce que la loi sur les 35 heures, la fonctionnarisation du travail, ou l’étatisation du travail, notamment des jeunes, ce sont des contre-performances. Cela va contre l’évolution de tout le monde industrialisé autour de nous. Donc je pense que s’il y a croissance, c’est d’abord au grand étonnement des socialistes, et ce n’est pas eux qui sont les jardiniers de la croissance. »
Jean-Pierre Elkabbach : Vous voulez dire que les vrais résultats de la politique actuelle de L. Jospin, on les verra plus tard ?
François Léotard : « On les verra, hélas. »
Jean-Pierre Elkabbach : Ils seront bons ou mauvais ?
François Léotard : « De votre impôt sur le revenu, ou de ce que sont en train de faire nos auditeurs aujourd’hui, c’est-à-dire rédiger leurs feuilles d’impôt, cela interviendra après les élections régionales. Prenez l’exemple de la mise sous condition de ressources des allocations familiales, cela interviendra après les élections régionales. Prenez l’exemple de l’amputation des crédits de la Défense, cela interviendra après les élections régionales. Et donc, il y a eu beaucoup de tricheries, beaucoup d’hypocrisie dans cette affaire. »
Jean-Pierre Elkabbach : À Marseille, la gauche plurielle a rassemblé hier soir près de 5 000 militants. Et F. Hollande a prédit : « le 15 mars, l’UDF va mourir à Marseille. »
François Léotard : « Je laisse à M. Hollande le soin de rédiger la nécrologie de l’UDF. J’aimerais mieux faire celle du PS. »
Jean-Pierre Elkabbach : Il y a quelques-uns de vos proches, F. Bayrou, et même A. Madelin, qui disent qu’ils s’en foutent à propos des régionales, eux-mêmes. Ils ont l’air, eux-mêmes, d’écrire le bulletin nécrologique de l’UDF !
François Léotard : « Hier, premièrement, autour d’E. Balladur, vous aviez plusieurs milliers de personnes, plus de 5 000 d’ailleurs, qui étaient là, très chaleureuses, et très attentives. Deuxièmement, l’UDF, vous le verrez, conservera, à mon sens, une majorité des régions. Je le crois. Elle restera, à l’intérieur de l’actuelle opposition, la famille qui aura le plus de pouvoir local. Et troisièmement, nous avons l’intention, j’ai l’intention parce que moi je me suis battu, c’est vrai, de faire en sorte que le combat politique ne cesse pas le lendemain des élections régionales. Nous avons devant nous une élection européenne très importante pour nous, à l’UDF, qui va avoir à traiter de l’entrée de la France dans l’euro, du Traité d’Amsterdam de l’Europe politique, de la politique extérieure européenne. Et bien, j’ai bien l’intention de prendre ma part dans cette bataille-là. »
Jean-Pierre Elkabbach : Comment expliquez-vous que dix mois après la claque de la dissolution, l’opposition, pour le moment, ait l’air de rapetisser, et que la taille de J. Chirac grandisse ?
François Léotard : « Tout d’abord, le président de la République reste naturellement une référence pour l’opposition. Naturellement, il est issu de nos rangs, si j’ose dire, et nous partageons les mêmes valeurs. Deuxièmement, l’opposition parlementaire, je ne crois pas, elle n’a pas réduit. Elle est celle que les électeurs ont dessiné le soir du mois de juin 1997. Ce que nous devons faire, par contre, c’est aller plus loin dans l’intergroupe entre les deux familles politiques, aller plus loin dans les relations entre les dirigeants politiques - ce que nous avons fait pendant cette campagne avec P. Séguin -, aller plus loin dans la rédaction d’un projet alternatif à ce que fait aujourd’hui la gauche plurielle. »
Jean-Pierre Elkabbach : Quels que soient les résultats, il faudrait une structure, je ne sais pas si on doit dire, plus confédérale et unie ?
François Léotard : « Je le crois. Je le crois et il faut que dans les périodes difficiles, et c’est une période difficile, nos électeurs sachent que nous sommes capables de nous unir, de faire front commun, contre la gauche et bien sûr contre, aussi, le Front national. Nous sommes parfaitement en mesure de le faire. Cela veut dire beaucoup d’abnégation de la part des dirigeants, beaucoup de volonté de faire équipe. Vous avez vu dans les matchs récents que, lorsqu’il y a une bonne équipe, eh bien elle gagne. »
Jean-Pierre Elkabbach : C’est ce que vous a dit J. Chirac, hier, parce que j’ai cru comprendre que les chefs de partis de droite, il les reçoit. Il a vu M. Séguin avant-hier, il voit M. Bayrou aujourd’hui, vous hier. Est-ce que l’Élysée, c’est comme une tente à oxygène, il distribue des vitamines pour le combat de dimanche ?
François Léotard : « Non, non. Pas du tout. Il a, bien entendu, un rôle à jouer considérable. C’est celui qui lui a été donné par les Français, et c’est d’arbitrer et de conduire l’État. Nous avons un rôle beaucoup plus modeste, mais il est naturel que nous ayons des relations franches, fécondes, et si vous me le permettez, amicales. »
Jean-Pierre Elkabbach : Deux questions de fond : tous les dirigeants de gauche que j’ai entendu hier à Marseille, même quand ils vous critiquent, vous, politiquement, vous rendent hommage, rendent hommage à la fermeté de votre opposition radicale à Le Pen. Elle est incontestable. Mais ils n’en disent pas autant de certains UDF qui eux sont prêts à pactiser avec les diables. Qu’est-ce que vous allez leur faire et est-ce que l’UDF a encore la force de sanctionner ceux qui vous désobéissent à vous le chef ?
François Léotard : « Bien sûr, on l’a déjà fait et on continuera à le faire. Ce que je crois surtout c’est que la gauche est vraiment dans une situation d’imposture intellectuelle. Comme elle n’a pas grand chose à dire sur les régionales elle agite l’affaire du FN tous les matins, les midis, le soir et même la nuit ».
Jean-Pierre Elkabbach : Mais dans votre région, c’est sensible.
François Léotard : « Oui, bien sûr mais on a pris des positions claires. Cela suffit maintenant qu’ils arrêtent. Comme s’il n’y avait que ce sujet en France. Ils le font monter en faisant cela. Est-ce que c’est ce qu’ils veulent ? Qu’ils arrêtent : il faut quand même qu’ils prennent conscience de leurs responsabilités aussi pour un parti qui est devenu le premier parti ouvrier de France. »
Jean-Pierre Elkabbach : Mais vous êtes sûr de vous, vous êtes sûr de vos co-listiers en PACA ?
François Léotard : « Alors là je peux vous le dire. Vous le verrez. On en est à quelques jours - les gens se souviendront de ce que j’ai dit -, vous verrez qu’il ne se passera rien qui soit de nature à laisser entendre qu’il y a une collusion en PACA entre le FN et nous. Vous verrez, c’est dans quatre jours. »
Jean-Pierre Elkabbach : Vous qui connaissez la rumeur, la justice, la presse, vous qui avez souffert d’une sorte de présomption de culpabilité, qu’est-ce que vous pensez du traitement réservé à R. Dumas dans l’affaire Elf.
François Léotard : « Il y a quelque temps, quand quelqu’un était mis en examen il était déjà condamné. Maintenant c’est avant même qu’il ne soit mis en examen. De grâce - je ne le dis non pas à vous mêmes que je connais mais aux médias en général, à la presse en particulier - ce n’est pas à la presse de rendre la justice, ni d’ailleurs aux hommes politiques. Que chacun fasse son boulot. Il y a des magistrats, c’est leur rôle. Ils ont des dossiers, ils ont des arguments, ils ont des éléments, il y a les droits de la défense, il y a une présomption d’innocence. Qu’on essaye dans ce pays de respecter le droit, le droit français, ce n’est quand même pas difficile. »
Jean-Pierre Elkabbach : Vous qui avez été ministre, quand vous entendez parler de commissions de faveur, en faveur de tel ou tel, et on dit que c’est monnaie courante, cela vous surprend vous ?
François Léotard : « Je suis surpris de l’ampleur des chiffres qui sont évoqués. Inutile de vous le dire. Je suis surpris de cette espèce de réseau que je vois apparaître dans la presse. Encore une fois ce n’est pas à moi de rendre la justice. »
Jean-Pierre Elkabbach : Sur les commissions etc, c’est une surprise pour vous ou est-ce que vous connaissiez cela ?
François Léotard : « Tout le monde sait que dans le domaine du commerce extérieur, il y a des intermédiaires étrangers, généralement non français, qui tirent profit d’un certain nombre de transactions extérieures, tout le monde le sait, en général avec l’aval du ministère des Finances. Le problème est de clarifier pour qu’il n’y ait pas de corruption du côté français. Mais en général ces étrangers-là qui servent d’intermédiaires reçoivent des commissions et le ministère des Finances en est généralement informé. »
Jean-Pierre Elkabbach : On les arrose quoi.
François Léotard : « Encore une fois, c’est aux ministres successifs des Finances de dire ce qu’il en est pour voir s’ils ont vraiment contrôlé les choses. Je me permets de rappeler que D. Strauss-Kahn était ministre de l’Industrie au moment où ces affaires d’Elf sont apparues. Posez lui la question. »