Interview de Mme Arlette Laguiller, porte-parole de lutte ouvrière, à RTL le 7 août 1996, sur les perspectives de la rentrée sociale et la préparation des élections législatives de 1998.

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RTL : Vous faites une tournée politique. Peu de politiques travaillent comme vous pendant les vacances ?

A. Laguiller : Je ne sais pas, mais je crois que c’est une période où il y a beaucoup de mauvais coups portés contre les travailleurs. Quand on travaille chez Myris, qu’on rentre de vacances pour recevoir sa lettre de licenciement ou quand on travaille au Crédit Lyonnais et qu’on attend le comité central de début septembre pour savoir s’il y aura des licenciements, on est en fait préoccupé pas tant des vacances, même si on est en vacances, que de son avenir. C’est pourquoi, il y a beaucoup de monde qui vient.

RTL : Qui vient vous écouter ?

A. Laguiller : Ce sont les gens de la ville ou je vais, en majorité des travailleurs, des chômeurs, beaucoup de gens qui viennent témoigner de leur difficulté d’être au RMI, des jeunes qui parlent des stages bidons qu’on leur fait faire et qui ne débouchent sur aucun emploi. Il y a cinq millions de personnes qui sont soit chômeurs, soit semi-chômeurs. Cette situation inquiète le monde du travail qui est un peu désespéré et qui vient écouter, peut-être avec intérêt, les mesures d’urgence que je propose.

RTL : Quelles sont-elles ?

A. Laguiller : On voit que l’argent existe : quand on voit toutes ces affaires, tous ces hommes politiques qui sont inculpés, ces grands patrons qui sont mis en examen parce qu’il y a de la corruption, il y a des pots-de-vin. Ça, c’est un tout petit bout de l’iceberg. Ces centaines de millions et de milliards qui sont distribués en pots-de-vin, on se dit : combien gagnent les corrupteurs ? L’argent est là, l’argent qui pourrait servir à créer des emplois, alors que le patronat continue, au contraire, à profiter du chômage pour augmenter ses bénéfices, licencier, faire pression sur les travailleurs pour qu’ils acceptent la flexibilité, par exemple.

RTL : Vous proposez une redistribution de force de l’argent ?

A. Laguiller : Je pense que, depuis 20 ans qu’on nous parle de crise, la richesse globale de la société s’est agrandie. C’est la répartition qui a changé. Cette répartition, elle s’est faite au détriment de la classe ouvrière. Il faut absolument un sursaut du monde du travail.

RTL : Que pensez-vous des arrêtés municipaux anti-mendicité ? Et les recours déposés par les associations qui représentent les SDF ?

A. Laguiller : Ils ont vraiment raison de se défendre. C’est honteux. De toute façon, ça ne sert à rien. On peut essayer de ne pas voir la misère, mais elle est partout. Ce ne sont pas les arrêtés qui pourront empêcher que des gens qui n’ont plus rien en viennent à mendier. Il y a peut-être une pression d’une partie de l’électorat sur ces maires, qui fait qu’ils prennent ce genre d’arrêté. Mais je crois d’abord que ces arrêtés ne sont pas légaux pour la plupart. Les associations ou les sans-domicile fixe qui attaquent ont bien raison de le faire. J’espère qu’ils gagneront.

RTL : Pensez-vous qu’une mobilisation sociale globale est possible à la rentrée ?

A. Laguiller : Je l’espère. En novembre et en décembre derniers, ça a redonné espoir à l’ensemble du monde du travail, même si c’est seulement une partie de la classe ouvrière, celle du service public, qui a fait grève. Mais la lutte des cheminots qui a été relayée – je m’en rends compte dans toutes les villes de province où on a connu des manifestations supérieures à mai 1968 – prouve qu’il y a eu un réel mécontentement. Peut-être que ça n’a pas été le réel troisième tour social qu’il aurait fallu mais j’espère bien, parce que tous les mauvais coups qui sont portés contre la classe ouvrière… Regardez encore cette affaire de diminution de 500 francs de la prime de rentrée scolaire qui va toucher les familles les plus pauvres. Tous les mauvais coups sont portés contre le monde du travail.

RTL : Quel pourrait être le scénario de la rentrée ? D’où ça pourrait partir ?

A. Laguiller : Il n’y a pas de « grève-mode d’emploi ». De nombreuses professions appellent. Des syndicats y appellent dès le mois de septembre. Nous, au Crédit Lyonnais, nous appelons à faire grève le 12 septembre contre les suppressions d’emplois. J’espère que ces mouvements ne vont pas rester isolés, corporation par corporation, mais qu’au contraire, on aboutira à une généralisation de ces mouvements. C’est la seule façon de faire payer le patronat et faire changer de politique le Gouvernement.

RTL : Que pensez-vous des 37 médailles obtenues par la France aux JO ?

A. Laguiller : Pour moi, c’est que le meilleur gagne. Je me moque complètement de la nationalité des gens qui gagnent. Je trouve qu’il y a une exploitation nationaliste qui est assez odieuse et qui ne fera pas oublier les problèmes du chômage, même si beaucoup de travailleurs ou de chômeurs ont pu regarder à la télévision, les exploits des athlètes qui ont été souvent merveilleux – c’est une campagne nationaliste et chauvine : on ne dit pas « c’est tel champion qui a gagné », mais « c’est tel pays qui a gagné » : je trouve ça ridicule. Dans cette période de montée réactionnaire des idées nationalistes, des idées où on voit des guerres, des conflits régionalistes, nationalistes, ethniques ou religieux, vraiment, il faut cesser avec ça, il faut combattre le nationalisme.

RTL : C’est quand même une image de la France qui gagne, non ?

A. Laguiller : Je préférerais qu’on batte d’autres records et qu’on n’ait plus cinq millions de chômeurs dans ce pays.

RTL : Quel est l’objectif politique de Lutte ouvrière pour les législatives de 1998 ?

A. Laguiller : Lutte ouvrière sera présente en 1998, dans quelle proportion, je ne sais pas encore. Franchement, ce n’est pas ça qui nous préoccupe actuellement. Les législatives, c’est dans deux ans. La classe ouvrière ne va pas attendre encore deux ans à souffrir comme ça, sans compter que je ne vois pas très bien quelle perspective il y a en 1998.

RTL : Vous ne croyez pas à une alternative de gauche ?

A. Laguiller : Non. Si je fais ces meetings en ce moment, ce n’est pas pour préparer 1998 : c’est pour donner des objectifs aux futures luttes de la classe ouvrière, parce que je sais qu’il n’y a que les luttes qui peuvent changer les choses, pas les élections.

RTL : Comment définissez-vous votre fonction dans la vie politique française ?

A. Laguiller : Lutte ouvrière est la seule organisation à défendre des objectifs d’urgence pour en finir avec le chômage, cesser toutes les aides au patronat. Que l’État crée des centaines de milliers d’emplois dans les services publics, au lieu d’en supprimer comme il le fait, comme avec la suppression de 8 000 à 9 000 emplois, dont 2 500 dans l’enseignement. Qu’il y ait un contrôle et une transparence de toutes les comptabilités des entreprises. J’étais dans les Landes récemment : Turboméca va supprimer 650 emplois. C’est un trust qui fait d’énormes bénéfices. Vraiment, ça suffit.

RTL : Quelle impression vous fait le sous-commandant Marcos qui a organisé une grande rencontre contre le néolibéralisme dans les montagnes du Chiapas ?

A. Laguiller : Je n’ai pas été tentée d’y aller. Je ne sais pas exactement ce que veut et ce que propose le commandant Marcos. Ce que je sais, c’est que des gens souffrent au Mexique, les Indiens, la classe ouvrière mexicaine. Je suis solidaire de toutes les luttes qui peuvent être menées là-bas. Sur le constat que peut faire Marcos, oui, bien sûr, il a raison dans beaucoup de choses. Il y a toujours eu des modes : un jour, c’était Guevara, le lendemain, Ho Chi-Minh, quand ce n’était pas Ben Bella ou Castro. Modestement, j’essaie, ici, de faire mon travail de militante révolutionnaire pour essayer déjà de changer les choses.