Texte intégral
MINUTE le 18 MARS 1998
Laurent FLETCHER : Pour ne pas faire alliance avec le Front national, l'opposition UDF-RPR met en avant une différence sur les valeurs, comment jugez-vous cette notion ?
Jean-Marie Le Pen : Je crois que c'est une échappatoire, car le RPR et l'UDF n'ont jamais énoncé leurs valeurs. Dans le débat d'hier à la télévision, on a vu M. Bayrou répéter de façon hystérique : « Un homme est un homme, un homme est un homme... » Nous n'avons jamais nié qu'un homme soit un homme. Au cours d'un de mes discours de Paris, au Palais des Congrès, j'ai énoncé la longue liste des valeurs du Front national. Elle commence par le Décalogue, elle passe par l'article II de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, qui comporte la formule platonicienne de l'amour du beau, du vrai et du bon, du bien. Nous prônons l'amour de la patrie, le respect du travail, la défense de la famille, de l'honneur, etc. En face de cela, on ne nous oppose rien. Aucune valeur énoncée. On nous dit : nous n'avons pas les mêmes valeurs que vous, parce que vous parlez de l'inégalité des races, mais nous n'avons jamais parlé d'inégalité des races quant à leur dignité et à leurs droits. Simplement nous constatons de façon évidente que, dans un certain nombre d'activités spécifiques, les races sont différentes. Ils nous font un procès, mais de quelles valeurs veulent-ils parler ?
Laurent FLETCHER : Dans le même esprit, ''UDF et le RPR se présentent comme une droite « républicaine » par opposition au Front national. Comment se situe le Front national par rapport à cette définition ?
Jean-Marie Le Pen : Mais c'est un accaparement extravagant! La République, c'est la chose de tous, ce n'est pas la chose de ceux qui s'en déclarent propriétaires. Le Front national est aussi républicain que le sont tous les partis qui souscrivent à la Constitution. Nous avons toujours respecte les règles constitutionnelles et légales et jamais on n'a pu nous prendre en faute sur les valeurs de la République. Je dirais que ce sont nos adversaires qui mettent en cause le caractère un et indivisible de la République, qui la dépouillent de sa souveraineté nationale en la livrant à l'euro-mondialisme et qui acceptent de voir sa monnaie, instrument de sa souveraineté, disparaître, qui laissent s’affaiblir l'armée nationale sans laquelle il ne peut pas y avoir de défense des frontières et du territoire. Ce sont les voleurs qui crient au voleur !
Laurent FLETCHER : Quand on regarde les résultats d'hier, on constate que la droite pourrait l'emporter dans 20 des 22 régions s'il y avait une alliance avec le Front national. Au RPR et à l'UDF, on parle aujourd'hui de « recomposition ». S'il y avait recomposition, s'il y avait la possibilité d'une « droite plurielle », comme il existe une « gauche plurielle », le Front national serait-il susceptible d'en faire partie ?
Jean-Marie Le Pen : Autrement que sur un plan strictement électoral, à l'occasion d'un second tour, pour permettre sur uns et uns et aux autres d'être représentés dans les institutions de la République, je ne le crois pas, car il faudrait que le RPR et l'UDF fassent un grand chemin pour rompre avec les positions de la gauche sociale-démocrate qu'ils ont pratiquement adoptées, et se rapprocher des valeurs nationales dont le Front national est le défenseur. Il peut y avoir dans l'appréciation des valeurs de la Nation et de la République des différences, voire des divergences, mais il devrait y avoir un fond commun, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.
L’application du principe de la discipline nationale dans les élections à deux tours, au même titre qu'il existe à gauche une discipline républicaine, c'est cela le respect des institutions démocratiques, le respect de la volonté du peuple, de la souveraineté nationale. Je rappelle que la norme de gouvernement des assemblées, c'est la majorité absolue et non pas une majorité relative qui n'est qu'une minorité institutionnelle. Et, quand deux grandes coalitions se mettent d'accord pour concéder à l'autre le gouvernement par la minorité, je crois que c'est une insulte faite à la loi du gouvernement majoritaire.
RTL le mercredi 18 mars 1998
Jean-Pierre Defrain : J.-F. Mancel est exclu du RPR par P. Séguin en raison de ses déclarations favorables à un accord avec le Front national. Quelle est votre réaction ?
Jean-Marie Le Pen : "C'est un bon point pour Mancel qui, en d'autres temps, a été un adversaire résolu du Front national quand il était le porte-parole et au secrétariat général de cette formation."
Jean-Pierre Defrain : Êtes-vous d'accord pour accueillir un homme politique comme M. Mancel, mis en examen, vous qui avez toujours dénoncé les politiciens corrompus ?
Jean-Marie Le Pen : "Ce n'est pas de cela qu'il s'agit. Il s'agit de l'élection du président de la région. A ma connaissance, M. Mancel n'est pas candidat à la présidence de la région."
Jean-Pierre Defrain : Oui, mais il fait accord avec le Front national !
Jean-Marie Le Pen : "C'est son avis, et il a raison de l'exprimer. Si on veut écarter du débat politique tous les RPR et tous les UDF qui sont mis en examen, c'est par centaines qu'il faudra les exclure."
Jean-Pierre Defrain : Mais s'il accepte de venir dans votre formation ?
Jean-Marie Le Pen : "Mais il n'a pas dit qu'il viendrait dans une formation ! Alors, ne me faites pas un procès qui n'est pas le mien."
Jean-Pierre Defrain : Quel but poursuit le Front national en proposant à la droite un programme minimum ?
Jean-Marie Le Pen : "Je voudrais faire remarquer une chose très importante : ces élections régionales révèlent aux yeux du public, de l'opinion, qu'il y a un mystère dans la politique française, et que ce mystère, c'est le tabou dont est victime le Front national, l'exclusion dont on ne donne d'ailleurs jamais les raisons, et dont on dit aujourd'hui qu'elle est matérialisée par une ligne jaune. Ça me rappelle quelque chose ! D'autre part, je voudrais dire que les Français constatent que la gauche est minoritaire dans 20 régions ; par conséquent, elle n'a pas de vocation à en conquérir la moitié, et que depuis 1984, la droite RPR-UDF, prisonnière du tabou d'exclusion lancé par la gauche contre le Front, a perdu 4 millions de voix en 15 ans. Ces élus et militants de base refusent aujourd'hui une nouvelle capitulation et pensent qu'il est temps de briser le carcan qu'acceptent les chefs nationaux de l'opposition. Le Front national, dans l'intérêt supérieur de la France, est prêt à participer à cette libération de la politique française."
Jean-Pierre Defrain : Ce préambule fait, on notera que dans ce programme minimum, il manque ce qui était pour vous au cœur de vos convictions : la préférence nationale. C'est quelque chose que vous abandonnez ?
Jean-Marie Le Pen : "Il ne s'agit pas du tout d'abandonner la préférence nationale ! Ce n'est pas un programme de gouvernement du Front national que nous faisons."
Jean-Pierre Defrain : C'est un programme minimum que vous proposez !
Jean-Marie Le Pen : "Pas du tout. C'est l'adhésion à un minimum de propositions qui puissent permettre aux élus du Front national de voter en faveur de candidats de l'opposition actuelle, c'est-à-dire de la majorité des régions. Nous ne faisons pas un programme de gouvernement. Nous avons l'intention de voter pour ceux qui déclareront publiquement leur adhésion aux conditions que nous leur avons soumises, qui sont pour eux des conditions acceptables. Les Français apprendront ainsi que les deux grandes formations dites nationales de l'opposition refusent absolument la préférence nationale, c'est-à-dire que les Français soient considérés chez eux comme des citoyens de premier rang. Peut-être que les gens ne le savaient pas ; maintenant grâce à cela, ils le sauront."
Jean-Pierre Defrain : Donc, l'abandon de la préférence nationale, c'est plutôt une tactique ?
Jean-Marie Le Pen : "Ce n'est pas un abandon ! C'est une tactique, bien évidemment. Quand on veut faire un accord avec les gens, on ne met pas dans cet accord des clauses rédhibitoires."
Jean-Pierre Defrain : Le Front national change de stratégie et oublie certains de ses engagements ?
Jean-Marie Le Pen : "Non, pas du tout, puisqu'il n'est pas candidat à la direction de ces régions."
Jean-Pierre Defrain : Vous avez toujours dénoncé les magouilles. Or vous venez de nommer dans chaque région un membre du Front national chargé de négocier et de prendre contact avec le RPR et l'UDF ?
Jean-Marie Le Pen : "C'est la règle de la démocratie. Je vous rappellerais qu'il y a un principe qu'oublient d'ailleurs tous nos adversaires : c'est celui de la légitimité démocratique, laquelle découle du principe de la majorité absolue. Le fait de se partager à la majorité relative des responsabilités est tout à fait antidémocratique. Alors, bien évidemment, quand il y a différents partis désignés par un mode de scrutin proportionnel, il est bien évident que pour arriver à un accord de constitution d'une majorité, il faut bien des conversations. Les parlements sont faits pour parler. Comme ce sont de petits parlements régionaux, il faut parler. A mon avis, l'un des crimes contre la démocratie en France, c'est le refus de parler avec le Front national, ou même le refus de le laisser parler."
Jean-Pierre Defrain : Dans ces petits parlements régionaux, il n'y plus la bande des quatre ; maintenant on va parler de la bande des cinq, puisque vous parlez avec le RPR et l'UDF ?
Jean-Marie Le Pen : "Non, non. Il n'y a pas que cela."
Jean-Pierre Defrain : C'est une droite qui n'existait pas, selon vous, il y a encore quelques jours ?
Jean-Marie Le Pen : "Mais nous parlons à l'échelon régional et départemental, dans des élections locales, dont les enjeux sont évidemment beaucoup moins politiques qu'ils ne le sont à l'échelon national. Mais le Front national, mouvement national, n'a pas renoncé à son programme politique national. Et s'il s'agissait d'entrer dans un gouvernement ou de soutenir un gouvernement, il est bien évident qu'il ne pourrait pas ne pas tenir compte des principes généraux de sa philosophie politique."
Jean-Pierre Defrain : Avez-vous la certitude que vos adhérents soient en accord avec ce programme minimum ? Quelqu'un que vous connaissez bien, comme S. Maréchal, déclarait, ce matin, qu'il n'était pas convaincu par ces tentatives d'alliances avec la droite républicaine ?
Jean-Marie Le Pen : "S. Maréchal n'a pas pu vous dire ça. Il vous a dit qu'il avait exprimé sa différence au sein du bureau politique, mais il s'est rangé, bien sûr, à la décision générale dont j'ai été le porte-parole dans une déclaration en forme solennelle."
Jean-Pierre Defrain : Vous ne renoncez pas à vos objectifs : c'est toujours de faire exploser la droite, le RPR et l'UDF ?
Jean-Marie Le Pen : "Ce n'est pas l'objectif. C'est une constatation. J'ai dit depuis plusieurs années déjà que la série d'échecs que cumulaient à la fois la droite et la gauche allait conduire tôt ou tard à l'implosion de ces partis. Nous sommes en train d'assister... je l'ai dit tout à l'heure : 4 millions de voix perdues sous l'égide de M. Chirac, perdues par la droite parlementaire. Et pendant ce temps-là, le Front national, malgré les handicaps et les obstacles divers qui sont dressés sur sa route, lui, continue de progresser. Ce qui, reconnaissez-le, pour un parti politique, est rare !"
Jean-Pierre Defrain : Chirac, c'est toujours pire que Jospin ?
Jean-Marie Le Pen : "Ah je crois, oui. Je l'avais dit aux élections présidentielles. J'avais dit : je pense qu'il sera pire que Jospin, et je crois qu'il ne m'a pas démenti depuis. D'ailleurs, il est l'artisan de cette exclusion du Front national qui fausse toute la politique française et qui empêche la droite d'exercer ses responsabilités. La gauche, depuis 1974, n'aurait jamais dû revenir au pouvoir si M. Chirac n'avait été l'artisan de cette exclusion au seul bénéfice de la gauche."
Jean-Pierre Defrain : Vous ne pensez pas que vous êtes en train de jeter la confusion parmi les électeurs, même de droite, parce qu'ils ne savent plus ! Vous êtes d'accord avec des alliances au niveau local, mais au niveau national, c'est différent, etc. ?
Jean-Marie Le Pen : "Ce dont je suis sûr, c'est que les électeurs du Front national, eux, ont confiance dans les gens qui les dirigent, et suivront leurs consignes et leur mot d'ordre, j'en suis persuadé. Parce que nous ne les avons jamais trompés."
Europe 1 le mercredi 18 mars 1998
Jean-Pierre Elkabbach : Le RPR et l'UDF, chacun à sa place et ensemble, lancent donc, contre vous, une nouvelle stratégie offensive qui sonne comme un réveil : ni alliance, ni complaisance, ni compromission, plus des exclusions. Votre coup a raté ?
Jean-Marie Le Pen : "Pas du tout. Je crois que l'offre qu'a faite le Front national de voir respectée la volonté des citoyens français - complètement d'ailleurs oubliée -, par les énarques et les bureaucrates qui dirigent les partis politiques, la volonté des Français est majoritairement à droite. La gauche est minoritaire dans toutes les régions, sauf le Limousin. Partout ailleurs, la droite devrait garder ou emporter même une région Nord."
Jean-Pierre Elkabbach : C'est-à-dire que vous avez joué cette fois le gentil Chaperon rouge - "en rentrant les griffes", si vous me permettez, et "les grandes dents" ; mais vous ne parvenez ni à séduire ni à convaincre parce qu'on repousse nettement - je ne sais pas si vous avez entendu P. Séguin qui était excellent hier ; on repousse nettement vos avances.
Jean-Marie Le Pen : "Je crois que les dirigeants de l'UDF et du RPR ne sont pas libres. Et j'en vois la preuve dans le fait qu'ils sont incapables d'expliquer à leurs électeurs, la raison pour laquelle ils ne veulent pas accepter les voix du Front national. C'est quelque chose de surréaliste, de kafkaïen."
Jean-Pierre Elkabbach : Peut-être qu'ils n'ont même pas à leur dire, les Français, dans leur majorité, surtout quand on les interroge dans les sondages et même dans les élections le savent...
Jean-Marie Le Pen : "Je ne le crois pas, et je crois que le sondage qui fait état d'une grande majorité de Français qui sont hostiles à l'accord avec le Front national est truqué. Et d'ailleurs, on le verra bien. Et on le voit bien dans les partis politiques RPR et UDF : la majorité des militants est en faveur d'accords avec le Front national. Et sur le terrain, ces gens-là ne voient pas ce qui les sépare - à part peut-être sur l'Europe, sur un certain nombre de points politiques, comme c'est normal entre des formations politiques différentes ; ils ne voient pas la raison pour laquelle on écarterait le Front national, alors que la gauche accepte le parti communiste, dont on sait la réputation sanglante et navrante !"
Jean-Pierre Elkabbach : Parce que, comme dirait le Général de Gaulle : "Vous êtes ce que vous êtes."
Jean-Marie Le Pen : "Oui mais quoi justement ? Qu'on le dise ! Je crois que les Français vont se rendre compte d'une chose..."
Jean-Pierre Elkabbach : M. Séguin a dit hier ce qu'avait dit il y a quelque temps M. Juppé : "C'est un mouvement xénophobe, raciste, antisémite."
Jean-Marie Le Pen : "Tout cela est faux ! Nous sommes francophiles. C'est sans doute ce qui nous met à l'index de la vie politique française ; nous sommes pour la France, contre l'Euro mondialisme, contre Maastricht, cela c'est vrai."
Jean-Pierre Elkabbach : M. Le Pen, est-ce que, concrètement, est-ce que vous ferez élire ceux qui voudraient bien, mais qui sont surveillés et qui seront désavoués, punis par leurs chefs ?
Jean-Marie Le Pen : "Oui, et ça sera en plus une des raisons pour lesquelles nous le ferons. Il est bien évident que nous soutiendrons ceux qui s'opposeront à l'oukase des Parisiens et des politiciens du RPR et de l'UDF."
Jean-Pierre Elkabbach : En Picardie, par exemple ?
Jean-Marie Le Pen : "Je crois oui, là, que le parti communiste va avoir une déception. Il risque d'avoir une grosse déception parce que le Parti socialiste donne au Parti communiste une région que, probablement, la gauche ne va pas garder, ne va pas avoir."
Jean-Pierre Elkabbach : M. Blanc en Languedoc-Roussillon ?
Jean-Marie Le Pen : "M. Blanc a toujours manifesté qu'il était d'accord pour recevoir les voix d'où qu'elles viennent. Il les préférerait sans doute venant du Parti communiste, mais s'il doit prendre celles du Front national il les prendra."
Jean-Pierre Elkabbach : Donc lui, ça va ?
Jean-Marie Le Pen : "Je ne sais pas. Je pense que..."
Jean-Pierre Elkabbach : Dans le Centre ?
Jean-Marie Le Pen : "Eh bien j'ai entendu M. Donnedieu de Vabres, m'apprendre d'ailleurs, que ses amis avaient voté en faveur d'un accord, en tout cas de l'accord avec le Front national."
Jean-Pierre Elkabbach : Est-ce que vous confirmez que M. Limousi, à Castres, ou avec M. Mancel, dans l'Oise, il y a des accords de désistement réciproque ?
Jean-Marie Le Pen : "Non, je sais qu'il y a des négociations. Mais il y en a partout, M. Elkabbach, il y en a partout. En particulier sur le plan des cantonales dont on ne parle pas. Dans beaucoup de départements, il y a des accords de désistement réciproque, comme c'est normal dans une élection à deux tours, c'est la règle. Au premier tour on choisit, au deuxième tour on écarte. Alors s'il y a une majorité de Français qui veulent écarter la gauche, évidemment, il faut qu'il y ait accord avec le Front national."
Jean-Pierre Elkabbach : Est-ce que, ce matin, - en dépit des réponses musclées, fermes, que vous avez entendues, de la contre-attaque de ceux qui vont ont dit qu'ils s'affirmaient comme la droite de la raison, de l'éthique, de l'espoir - est-ce que ce matin, M. Le Pen, vous maintenez l'offre des voix de vos élus - moyennant un programme plutôt édulcoré - mais est-ce que vous maintenez votre offre ?
Jean-Marie Le Pen : "Je la maintiens ; c'est la ligne qui a été définie par le bureau politique lundi. Elle est maintenue, elle sera maintenue."
Jean-Pierre Elkabbach : Mais le Front national renonce donc depuis lundi à la formule : la préférence nationale ?
Jean-Marie Le Pen : "Pas du tout, la préférence nationale fait partie du programme du Front national. Mais, nous ne sommes pas majoritaires dans le pays. Si nous étions majoritaires, nous appliquerions la préférence nationale. Mais il est important que les Français sachent que l'un des points de désaccord fondamental entre l'UDF-RPR et le FN, c'est la préférence nationale. Nous, nous disons : les Français d'abord. Le RPR et l'UDF disent : les Français après."
Jean-Pierre Elkabbach : Donc la formule n'est pas caduque ?
Jean-Marie Le Pen : "La formule n'est pas caduque. Non, elle reste valable."
Elle est valable à l'échelle nationale mais pas dans les régions ?
Jean-Marie Le Pen : "Bien sûr. Nous, nous proposons un programme, un certain nombre de conditions minimales. Nous sommes minoritaires, nous n'allons pas imposer notre programme pour obtenir une majorité dans les régions."
Jean-Pierre Elkabbach : Donc vous et le FN, vous vous faites minimalistes, c'est-à-dire petits, petits, pour vous rallier à la droite comme des auxiliaires ou des supplétifs de la droite ?
Jean-Marie Le Pen : "Non, nous faisons comme c'est normal au deuxième tour d'élections, un compromis laissant les compromissions dont parlent le RPR et l'UDF aux magouilles qu'ils ont entre eux et avec la gauche."
Jean-Pierre Elkabbach : Mais des compromis avec des concessions, cela ressemble à des compromissions. Vous faites comme les autres !! Je ne vois pas en quoi vous êtes différent...
Jean-Marie Le Pen : "Non. Le compromis n'est pas une compromission. Ce que je trouve scandaleux pour ma part, c'est qu'on ne tienne pas compte du fait que c'est le fait majoritaire qui créé la légitimité de gouvernement. Or, se mettre d'accord à l'avance avec le Parti socialiste pour faire des gouvernements minoritaires, ne pas jouer le jeu de la démocratie et tenir à l'écart et mépriser quatre millions de citoyens français qui se sont exprimés, c'est cela que je trouve le véritable scandale et la véritable preuve de la décadence de la Vème République."
Jean-Pierre Elkabbach : La légitimité majoritaire, dans les Alpes Maritimes, la liste Le Pen est devancée par la gauche, par le RPR-UDF et vous obtenez moins de voix qu'en 1992.
Jean-Marie Le Pen : "Mais vous plaisantez. Je suis arrivé premier à Nice, en effet très près du RPR-UDF. Le Front national, après ces élections, est le deuxième parti français, derrière le parti socialiste, devant le RPR et devant l'UDF."
Jean-Pierre Elkabbach : Est-ce que vous avez renoncé à ce qui fut jusqu'ici votre mot d'ordre : ni gauche ni droite ?
Jean-Marie Le Pen : "Pas du tout, mais nous sommes dans une élection à deux tours."
Jean-Pierre Elkabbach : On dirait que vous voulez sauver la droite ?
Jean-Marie Le Pen : "Non, nous ne voulons pas faire d'alliance structurelle avec la gauche, bien sûr, ni avec la droite décadente et en perdition. Et ce ne sont pas les éclats de voix du capitaine qui se croit dans un film d'Hollywood face aux vagues et pousse des grands coups de gueule alors que bateau est en train de couler."
Jean-Pierre Elkabbach : Donc l'objectif : on est une force d'appoint mais on reste la force de destruction de la droite à terme ?
Jean-Marie Le Pen : "Nous restons la force de gouvernement futur pour la France et nous nous y préparons et nous préparons les contacts avec les gens de droite les plus intelligents, les plus réalistes qui rejoindront le combat commun quand le RPR et l'UDF auront fait la preuve de leur nuisance."
Jean-Pierre Elkabbach : Le recours reste le Front national ?
Jean-Marie Le Pen : "Oui, je pense. Le Front national sera le noyau du recours."
Jean-Pierre Elkabbach : Autant qu'ils le sachent. Purifier le passé pour préparer l'avenir, c'est la mission sacrée que donne Jean-Paul 2 à l'église catholique. La Shoah, l'holocauste, c'est une tâche indélébile pour les catholiques, et le Pape dit : l’Église catholique exprime ses regrets pour la méfiance, l'hostilité dont les juifs ont été victimes de la part des chrétiens. Est-ce que vous vous sentez concerné ?
Jean-Marie Le Pen : "Pas du tout. C'est le problème du Pape et de celui de l’Église."
Jean-Pierre Elkabbach : Mais en tant que catholique ?
Jean-Marie Le Pen : "Je ne me sens aucune responsabilité dans ce qui s'est passé pendant la guerre. L'attitude que j'ai prise, que ma famille a prise était au-dessus de tout soupçon. Par conséquent, je ne me sens pas de culpabilité et donc pas de repentir."
Jean-Pierre Elkabbach : Ponce Pilate, on se lave les mains.
Jean-Marie Le Pen : "Pas du tout. Je prends toutes mes responsabilités au contraire. Je ne suis pas le Pape."
France 2 le Vendredi 20 mars 1998
Béatrice Schönberg : Ce soir, lorsque vous regardez ces élections, c'est la stratégie du Front, celle de B. Mégret qui a marché partout ?
Jean-Marie Le Pen : "Il n'y a pas de stratégie de B. Mégret au Front national : il n'y a qu'une seule stratégie, celle qui est définie par le bureau politique et celle qu'expriment ses responsables, et d'abord son président."
Béatrice Schönberg : Pourquoi ne pas avoir fait cette stratégie Mégret plus tôt ?
Jean-Marie Le Pen : "Ce n'est pas la stratégie de B. Mégret. Je sais que dans les médias, on veut absolument imposer cette idée, mais ça ne marche pas. Ceci, c'est votre opinion, votre problème, pas le nôtre !"
Béatrice Schönberg : Pourquoi ne pas avoir tenté cette stratégie plus tôt, lors d'élections précédentes ?
Jean-Marie Le Pen : "Nous faisons ce que nous croyons devoir faire au moment où nous le faisons, et sous notre responsabilité. Il y avait un fait évident : c'est que la gauche était minoritaire dans pratiquement toutes les régions. Ce qui était une combine, ce qui était une tricherie, c'est de s'être partagé les régions au bénéfice de celui qui arriverait en tête des minoritaires entre le RPR, I'UDF et la gauche plurielle socialo-communiste. Or nous estimons que la règle de la démocratie, c'est la recherche de la majorité absolue dans une assemblée. C'est cette recherche éminemment démocratique et républicaine qui a abouti aujourd'hui à la victoire des adversaires, des socialo-communistes, comme le souhaitaient d'ailleurs les électeurs français de ces mouvements."
Béatrice Schönberg : Qu'allez-vous demander dans les régions où vos élus ont permis à des hommes de l'UDF d'être responsables de la région ?
Jean-Marie Le Pen : "A obtenir ce qui nous était refusé jusqu'à présent, à savoir le respect de nos millions d'électeurs qui sont des citoyens à part entière et non des citoyens à demi-part, qui ont droit eux aussi d'assumer des responsabilités dans la conduite de leurs affaires. Ce n'est là que le moindre des respects de la démocratie et de la République dont ces gens-là ont à la bouche en permanence les mots qui sont vidés de substance quand ils les appliquaient dans la politique courante."
Béatrice Schönberg : Ce soir, est-ce une victoire pour le Front national ?
Jean-Marie Le Pen : "Je pense que c'est une victoire pour le Front national, puisque la stratégie qu'il a établie a obtenu pratiquement dans toute la France la défaite des socialo-communistes, ce qui était l'objectif recherché par le mouvement et appuyé par les millions de ses électeurs."
Béatrice Schönberg : Présenterez-vous lundi un candidat en PACA ou bien aurez-vous fait un accord avec quelqu'un de droite ?
Jean-Marie Le Pen : "J'aurai à faire une réflexion sur ce sujet, car j'ai assisté tout à l'heure dans votre journal à la présentation d'un très court extrait dans ma bouche qui disait exactement l'inverse de ce que j'avais dit: en effet, j'ai dit qu'il y avait eu une opération de style factieux ; ce n'était pas, bien sûr, la suspension de la séance : c'était la tentative organisée à l'initiative du Garde des Sceaux actuel au bénéfice d'un Garde des Sceaux ancien, tous les deux socialistes, pour essayer d'imposer une espèce de soviet, comme à la Douma en 1917, et siéger sans la présence du doyen d'âge qui avait levé la séance. C'est cela qui était factieux. C'est cela qui était anti-démocratique. Je rappelle que le président de séance a répondu à une demande faite par le représentant du groupe RPR-UDF, que pendant la séance, M. Léotard a été battu, qu'il s'est résigné à cette défaite et qu'il ne s'est révolté contre elle qu'en séance publique, quand il devait rendre compte à ses alliés socialistes de la défaite du pacte secret qu'il avait conclu au déjeuner avec Mme Guigou et M. Vauzelle !"
Béatrice Schönberg : Oui ou non, serez-vous candidat lundi une troisième fois ? Ou bien y aurait-il une alliance ?
Jean-Marie Le Pen : "Demain est un autre jour ! Nous verrons bien ce que nous ferons lundi."
TF1 le 22 mars 1998
Jean-Marie Le Pen : "Mesdames et Messieurs, décidé à faire barrage à la vague socialo-communiste et fort de ses résultats aux élections régionales et cantonales, qui ont prouvé qu'il constituait la seule force réelle d'opposition nationale, le Front national a tendu la main aux élus RPR-UDF. Grâce à cette politique d'ouverture, cinq régions qui étaient initialement destinées à tomber dans l'escarcelle de la gauche ont pu être sauvées. Ce soir, les résultats confirment le bien-fondé de notre attitude. Je me réjouis de voir que l'union des patriotes peut sauver le pays de la mainmise des socialo-communistes. Aux élections cantonales, il est très net que les consignes du Front national ont permis de battre des socialistes et des communistes, mais aussi un certain nombre d'élus RPR et UDF qui s'étaient déclarés comme ennemis résolus du Front national.
Voilà pourquoi je propose aux conseillers généraux et conseillers régionaux RPR et L'DF de poursuivre sur cette lancée, sans se laisser intimider par leurs états-majors qui ont, depuis longtemps, administré la preuve de leur incompétence et de leur sectarisme. Mais la confiance, cela ne se mendie pas. Ça s'établit sur une base de réciprocité. Le Front national a fait preuve ces jours derniers de sa bonne foi et de sa bonne volonté. Aussi, je demande, ce soir, aux élus locaux RPR et UDF, de soutenir ma candidature à l'élection de président de la région Provence-Alpes-Côte-D’azur - le Front national étant arrivé en tête dans cette région en voix comme en sièges. A cette condition, les conseillers régionaux et généraux du Front national aideront les élus RPR et UDI à faire barrage partout ailleurs, à la gauche socialo communiste. L'UDF l'a déjà compris dans cinq régions. Au RPR de comprendre, ce soir, s'il veut conserver demain l'Ile-de-France, et les autres régions qui restent en suspens.
Le pacte immoral et antidémocratique qui avait été conclu - véritable Yalta politique -entre la gauche et la droite est un pacte tout à fait contraire aux règles de la République. Il est établi par des états-majors politiques avant les élections, et alors que ce sont des élus qui doivent se déterminer librement. En PACA, nous sommes arrivés en tête des non marxistes, il est donc tout à fait naturel que nous demandions que les élus RPR et UDF nous donnent le même traitement que nous leur avons appliqué. Pourquoi nous croyons cela ? C’est parce que nous croyons que nous sommes des citoyens qui leur sommes égaux. Nous ne croyons pas être au-dessus d'eux, nous croyons avec nos 3,4 millions de voix aux élections régionales, être aussi respectables que quiconque. Il dépendra de ces élus de décider si, demain, ils voudront remettre les quatre ou cinq régions qui restent à la gauche conformément aux vœux de Messieurs Bayrou et Séguin. Mais ceci est un véritable complot contre la République, parce que la règle de la moralité républicaine c'est la recherche de la majorité plus une voix. Or, vous, vous avez déterminé une autre règle qui est de distribuer à votre convenance les régions à ceux qui ont la principale majorité relative. C'est cela qui est scandaleux et immoral."