Interviews de M. Hervé de Charette, ministre des affaires étrangères, accordées aux radios, à Euronews, France 3 et Radio France internationale le 29 juin 1996, sur les élections en Bosnie, la préparation de la conférence internationale sur le terrorisme et le processus de paix au Proche-Orient.

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Circonstance : Sommet des pays industrialisés (G7) à Lyon du 27 au 29 juin 1996

Média : Euronews - France 3 - Radio France Internationale - Télévision

Texte intégral

Entretien du ministre des affaires étrangères, M. Hervé de Charrette, avec des radios françaises (Lyon, 29 juin 1996)

Q. : Monsieur de Charette, concernant la Bosnie, un document spécial a été adopté par les chefs d'État et de gouvernement...

R. : ...oui, par les chefs d'État et de gouvernement, parce que la Bosnie c'est l'actualité, c'est un sujet très important. Ce document spécial rappelle tout ce qui est important pour nous, c'est-à-dire la fixation de la date des élections au 14 septembre, l'élimination de Karadzic de toute influence politique de Bosnie-Herzégovine dans les meilleurs délais, conformément d'ailleurs à ce que nous avons décidé à la conférence de Paris il y a maintenant six mois. Et puis nous avons lancé l'idée, qui a été agréée, qu'il faudrait un plan de consolidation de la paix pendant les deux années qui viennent, disons de juillet 9 juillet 98, pour tout ce qui concerne les applications civiles des accords de Paris, notamment le retour des réfugiés, la reconstruction, la mise en place des institutions civiles en Bosnie-Herzégovine. Tous les accords allant jusqu'à la fin de l'année, il faut maintenant fixer une perspective pour les deux années qui viennent, période dans laquelle nous aurons encore à guider un peu la main des responsables de Bosnie-Herzégovine.

Q. : Est-ce que c'est vraiment le final pour Karadzic ? S'il ne se retire pas du pouvoir, qu'est-ce qui se passe ?

R. : Notre haut représentant sur place, M. Carl Bildt, demande que, s'il ne se retire pas, il puisse y avoir des sanctions. Et, de ce point de vue, il a été soutenu par les chefs d'État et de gouvernement. J'estime en effet indispensable que ce soit la fin de l'influence de Karadzic, qui a les mains rouges de sang et qui est l'un des responsables majeurs de cette épouvantable crise, de cette épouvantable tragédie. Il faut qu'on en tienne compte.

Q. : Les sanctions pourraient intervenir quand ?

R. : Les sanctions interviendront, selon un processus un peu compliqué d'ailleurs, mais elles interviendront si Karadzic ne se retire pas définitivement de toute responsabilité politique sur place.

Q. : Une autre question, le terrorisme. Il en a beaucoup été question pendant le sommet et les Américains, notamment, voulaient appuyer un petit peu cet aspect-là des choses, et souhaitaient – on a vu un document circuler beaucoup ici sur le G7 – que les 40 propositions d'Halifax contre la criminalité organisée deviennent les 40 propositions également pour le terrorisme. Il n'en est rien dans la déclaration finale. Est-ce que vous avez eu un petit différend ? Est-ce que les Américains sont mécontents aujourd'hui ?

R. : Je n'ai pas senti cela. Simplement, il était tout à fait légitime, après l'attentat tragique dont les soldats américains ont été victimes en Arabie Saoudite, qu'ils souhaitent avoir l'appui et la solidarité de la communauté internationale, et le Président Chirac les en a assurés tout de suite. Nous avons pris une décision importante, sur proposition française, de réunir une conférence sur le terrorisme avec les ministres des affaires étrangères des pays qui étaient aujourd'hui présents. Elle se tiendra dans la deuxième quinzaine de juillet, et sera pour nous l'occasion d'affirmer notre détermination à travailler ensemble – ça n'est pas nouveau mais il est bon de le marquer très clairement à l'égard de la communauté internationale et à l'égard de nos peuples – et en même temps de bien regarder ensemble les mesures concrètes qui peuvent être prises. Soyez certains que, dans ce domaine, on va évidemment travailler à renforcer le travail qui existe déjà entre tous les services spécialisés, de police, de surveillance de la circulation et de l'émigration, d'espionnage, enfin tout ce qui permet de pourchasser les responsables des mouvements terroristes.

Q. : Quand même, les Américains ont quelque raison de ne pas être très contents aujourd'hui, ces 40 propositions d'Halifax ne concernent pas nommément le terrorisme ?

R. : Je ne suis pas sûr que ceux qui nous écoutent comprennent bien de quoi il s'agit. Il ne faudrait donc pas les entraîner dans des détails techniques. Je ne crois pas que les Américains expriment quelque déception que ce soit. J'ai eu à l'instant même Warren Christopher au téléphone et il était enchanté de ce sommet, je peux vous le dire.

Q. : Le sommet s'est terminé sur une déclaration sur la Bosnie. C'est quoi l'objectif ? C'est donc d'accentuer la pression... ?

R. : C'est une très importante déclaration sur la Bosnie, qui marque la détermination des grands pays du monde et de la communauté internationale à assurer l'application des accords de Paris jusqu'au bout, c'est-à-dire les élections le 14 septembre prochain, la transparence et l'accès aux médias propres à assurer des élections démocratiques, qui ne seront sans doute pas parfaites, mais en tout cas suffisamment solides pour donner la légitimité nécessaire à ceux qui seront élus, et puis l'élimination de toute responsabilité concernant Karadzic, dont nous sommes convenus qu'il devait abandonner toute fonction, et qu'il devait en même temps, naturellement, renoncer à être candidat à quelque mandat que ce soit.

Q. : Mais pourquoi est-ce que ça n'est pas plus précis, on ne reprend pas la date du 1er juillet ?

R. : Mais parce que nous avons très expressément dit que ceci relevait directement de la responsabilité de Carl Bildt et qu'il appartiendrait à Carl Bildt de nous demander, le cas échéant, si les choses n'allaient pas, comme lui-même pourra le juger sur le terrain – il est sur place, il est à même de juger –, de fixer non seulement la date mais aussi les modalités et de nous demander des sanctions en cas de non-exécution de ce qui est l'application stricte des accords de Paris. Et nous avons dit que nous le suivrions.

Q. : Est-ce qu'on peut parler d'un ultimatum, même s'il n'y a pas de date ?

R. : Appelez cela comme vous voudrez. En tout cas, la détermination de la communauté internationale est absolument formelle.

Q. : L'homme à abattre, c'est donc Karadzic ? Et très vite ?

R. : S'il vous plaît, n'employez pas des mots comme celui-là. Ce que nous voulons, c'est l'élimination de Karadzic de toute responsabilité dans la vie politique. C'est très clair.


Entretien du ministre des affaires étrangères, M. Hervé de Charette, avec « Euronews » (Lyon, 29 juin 1996)

Q. : Monsieur le ministre, six mois après les accords de Paris sur la paix en Bosnie, et à trois mois des élections prévues dans ce pays, quelles sont les prises de position du G7 ?

R. : Le G8, puisque la Russie était présente quand nous avons parlé de ce sujet, a marqué, je crois, la détermination des plus grands pays du monde pour que les accords de Paris soient appliqués strictement et, pour l'instant, cela concerne en effet non seulement la date des élections, le 14 septembre, mais aussi le processus démocratique qui va conduire ces élections, l'accès à la télévision et aux médias, l'égalité des droits des différents candidats, etc.

Cela concerne, en second lieu, l'élimination politique de Karadzic de toute fonction des maintenant et, évidemment, de toute candidature aux élections. Il serait inimaginable que celui qui a du sang sur les mains, et qui devrait être pour toute cette tragédie devant le tribunal pénal international, puisse parader dans les rues de Bosnie.

Enfin, troisième point très important : la France a proposé une période de consolidation de deux ans pour tous les aspects civils de Bosnie-Herzégovine, que ce soit le retour des réfugiés, très nombreux, que ce soit la reconstruction et la mise en place d'une juridiction civile en Bosnie-Herzégovine. Cette idée d'un plan de consolidation de deux ans pour suivre la période qui va s'achever selon les accords de Paris, doit être mise en œuvre. Cette proposition française est maintenant agréée par la communauté internationale.

Q. : Autre thème qui a été un peu ajouté à l'ordre du jour initialement prévu : le terrorisme.

R. : Non, cela n'a pas été ajouté, c'était expressément prévu parmi les thèmes. Ce qui s'est passé, c'est que l'épouvantable attentat dont les soldats américains, en grand nombre malheureusement, ont été victimes en Arabie Saoudite, a rendu nécessaire que, dès l'ouverture de ce sommet jeudi soir, les chefs d'État et de gouvernement examinent ce sujet en priorité. C'était un peu normal par solidarité à l'égard des Américains, pour montrer aussi à tout le monde dans la communauté internationale, et d'abord aux auteurs de ces crimes, que nous sommes décidés à combattre le terrorisme, à le pourchasser partout, par tous les moyens légaux, et avec une parfaite solidarité et coopération entre tous les pays réunis aujourd'hui.

Q. : Autre grand thème des débats diplomatiques, le processus de paix au Proche-Orient après la victoire de la droite en Israël. Quels sont vos craintes ou vos espoirs ?

R. : Je crois que c'est pour l'instant une période d'attente et d'observation. C'est vrai qu'il y a un nouveau gouvernement en Israël, et celui-ci n'a pas encore fixé sa position à l'égard du processus de paix. Mais justement, en période d'attente et d'interrogation, d'inquiétude aussi de la part des pays arabes qui sont, eux, très attachés à ce processus de paix, il était très important que la communauté internationale rappelle, ce qu'elle a fait aujourd'hui autour du Président Chirac, que nous tenons à la poursuite de ce processus de paix sur la base de toutes les décisions déjà prises, de façon à pousser les autorités israéliennes à aller dans cette voie. Je crois que chacun comprend que c'est une période dans laquelle il y a des hésitations, et donc ceux qui ont depuis longtemps des responsabilités internationales majeures doivent marquer la voie de façon très claire.

Q. : Monsieur le ministre, la France peut-elle être satisfaite de ce sommet de Lyon ?

R. : Très sincèrement, je le crois. D'abord, parce qu'il a été très bien organisé, c'est ce que m'ont dit toute les délégations et tous mes collègues de façon très chaleureuse. Les Lyonnais ont réservé à tous nos amis, à tous nos hôtes, un accueil formidable, très chaleureux, très sympathique, et qui a impressionné Warren Christopher, l'Américain, qui a impressionné le Japonais, le Russe, l'Allemand. Donc, merci aux Lyonnais de ce très bon travail, de cet accueil chaleureux. Et puis, sur le plan politique, je crois que nous avons atteint les objectifs que nous nous étions fixés, c'est-à-dire, je le rappelle, d'abord montrer que la mondialisation de l'économie doit aller au bénéfice de tous, au bénéfice des chômeurs chez nous, comme au bénéfice des pays les plus pauvres, et montrer qu'il y a une cohésion des grands pays du monde, qui travaillent ensemble et qui, sur les grands sujets du monde, la paix, la guerre, le développement, sont d'accord.


Entretien du ministre des affaires étrangères, M. Hervé de Charette, avec « FR3 » (Lyon, 29 juin 1996)

Q. : Mais en ce qui concerne Karadzic, est-ce qu'on peut dire que d'un moment à l'autre, l'homme va être arrêté s'il ne se retire pas du pouvoir ?

R. : Les huit pays réunis autour du Président Chirac aujourd'hui ont marqué la détermination de la communauté internationale à ce que les criminels de guerre soient jugés et, en particulier, que M. Karadzic soit éliminé du pouvoir des maintenant, à la fois pour que la campagne électorale, qui commence en Bosnie-Herzégovine, puisse se dérouler sans sa présence ni son influence et que, bien sûr, il ne puisse pas être candidat. Tout cela est strictement conforme à ce que nous avons décidé dans les accords de Paris.

Q. : Et l'ultimatum ? Le communiqué d'aujourd'hui parlait d'un ultimatum fixe à lundi. Cela veut dire que lundi Karadzic s'en va, ou alors on le fait sortir par la force ?

R. : Nous sommes convenus que c'était en effet à M. Carl Bildt d'établir le calendrier. C'est lui qui est sur place et qui en a la responsabilité. Mais s'il y a une demande de sanctions, il sera appuyé et soutenu.

Q. : Sur Boris Eltsine : vous avez rencontré ce matin M Primakov. Est-ce que vous avez parlé de son état de santé, parce qu'hier on disait qu'il avait une extinction de voix, après c'était un malaise. Quelles précisions pouvez-vous nous donner sur l'état de santé de Boris Eltsine ?

R. : Je ne suis pas un très bon reporter médical, mais j'ai eu le sentiment, en parlant avec M. Primakov, que la campagne électorale se poursuivait normalement et que tout le monde en Russie ne pensait qu'à cette campagne électorale. Je n'ai pas eu d'écho autre que positif sur la santé de M. Eltsine.

Q. : Pas d'inquiétude particulière du côté de M Primakov ?

R. : Non.

Q. : Le Proche-Orient. Visiblement, les pressions exercées par les huit sur Israël sont claires : c'est la paix contre la restitution des territoires occupés, et puis respecter les engagements déjà pris par Shimon Peres.

R. : Oui. Je voudrais vous dire que nous avons longuement parlé de cette question avec mes collègues ministres des affaires étrangères hier. Nous nous sommes réunis spécialement pour parler de cela. Au nom de la France, j'ai insisté pour que nous rappelions à la fois les résolutions du conseil de sécurité qui ont été prises dans le passé et qui sont toujours valables, le principe de la terre contre la paix, qui est la seule base possible pour une négociation avec la Syrie et avec le Liban, et le respect des engagements qui ont été pris dans le cadre des accords d'Oslo, de Taba ou de Madrid.

Q. : Enfin, vous êtes parvenus, si j'ai bien compris, a un compromis avec les Américains pour inciter l'Iran à se comporter comme un pays normal, n'incitant pas les groupes extrémistes à faire du terrorisme, ne les soutenant ni matériellement ni politiquement.

R. : Il y n'y a pas de changement de ce point de vue. Les Américains ont une ligne qui est de ne pas avoir, en tout cas officiellement – parce que, officieusement, c'est un peu autre chose – de rapports avec l'Iran. Les Européens, pas seulement la France, pensent faut garder un contact. C'est ce que nous appelons le dialogue critique. Et, de ce point de vue, la déclaration faite ce matin par les chefs d'État et de gouvernement, confirme que nous sommes tous d'accord sur une idée commune : c'est qu'il faut en effet dire clairement à tous nos partenaires, quels qu'ils soient, que la lutte contre le terrorisme est notre priorité, que nous sommes décidés à le pourchasser partout, et à entraîner autant que faire ce peut la communauté internationale dans ce sens.


Entretien du ministre des affaires étrangères, M. Hervé de Charette, avec « RFI » (Lyon, 29 juin 1996)

Q. : Hervé de Charette, bonjour. À l'issue de ce sommet, on va se livrer à l'exercice ingrat du décryptage de l'ensemble de la déclaration politique, avec peut-être une impression tout au long de ces crois jours de travaux, d'un dialogue feutré, tendu parfois, entre délégations européenne et américaine sur la question du terrorisme. Alors une question...

R. : Je ne crois pas qu'on puisse dire cela.

Q. : La question est la suivante : l'Iran est cité dans la déclaration, est-ce que l'Iran est explicitement condamné ?

R. : Non, pas du tout. On ne peut pas désigner pour l'accuser un pays alors qu'il n'y aurait aucune preuve, et il n'y a pas de preuve de cette sorte qui n'ait jamais été exhibée par quiconque. J'ai vu des déclarations des dirigeants iraniens condamnant cet attentat, c'est le seul élément dont on dispose. On ne peut donc pas pratiquer la vie internationale par des condamnations comme cela. Il faut faire les choses sérieusement. Il n'y avait pas de désaccord entre les Américains et les Français. Franchement, je ne crois pas. La question du terrorisme était dans l'ordre du jour de nos travaux. Naturellement, le drame épouvantable que les soldats américains ont subi en Arabie Saoudite rendait légitime et nécessaire que les Américains nous demandent de traiter cela tout de suite. Nous l'avons fait. En effet, c'était aussi notre idée. Et dès leur arrivée, les chefs d'État et de gouvernement, à l'initiative du Président Chirac, ont consacré leurs premières rencontres, c'est-à-dire le dîner de jeudi soir, à parler de ce sujet et à publier une déclaration spéciale.

Q. : Vous ne pensez pas que pour des raisons de conjoncture électorale, notamment américaine, il y a de la part du Président Clinton la volonté de désigner un coupable ?

R. : Je n'ai pas en tout cas constaté que cela ait été le cas pendant nos délibérations. Non, nous avons pris ensemble, sur le terrorisme, sur proposition de la France, de réunir dans la deuxième quinzaine du mois de juillet une session ministérielle des ministres des affaires étrangères et des ministres spécialisés dans la lutte contre le terrorisme – pour nous ce sera le ministre de l'intérieur, Jean-Louis Debré – pour voir comment on peut resserrer notre dispositif. Il existe, notre dispositif, vous vous en doutez. La lutte contre le terrorisme, nous la faisons, nous, en France, tous les jours. Les Américains la font, les autres pays la font. Nous travaillons ensemble, bien entendu.

Q. : La lutte contre le grand banditisme et la grande criminalité n'était pas a priori destinée à servir à la condamnation de l'attentat de l'Arabie Saoudite...

R. : Ce sont des sujets un peu différents. Tout cela, ce sont des sujets qu'il ne faut pas trop mélanger. On travaille contre le terrorisme. Simplement nous avons dit que ce serait très important qu'on puisse tâcher de « resserrer encore les boulons », parce que, comme vous le savez, le terrorisme est le mal absolu de la vie internationale. C'est une sorte d'hydre qui repousse toujours quand on lui a coupé la tête. Il faut, hélas, rendre nos efforts encore plus efficaces, et c'est ce que nous avons décidé de faire.

Q. : Sur le Proche-Orient, encore une question, sur l'élection du Premier ministre Netanyahou. Y a-t-il une inquiétude sur l'évolution du processus de paix, des accords d'Oslo, ou non ?

R. : Je crois que oui, je crois qu'il y a cette inquiétude. D'abord elle existe dans le monde arabe. Au sommet du Caire, les dirigeants arabes ont montré leur préoccupation de voir se poursuivre le processus de paix, et ont exprimé certaines inquiétudes. À Lyon, nous avons fait une déclaration. Je peux vous dire que j'ai personnellement travaillé avec mes collègues ministres des affaires étrangères des huit pays, et beaucoup insiste sur l'importance de cette déclaration des huit. C'est le moment en effet de rappeler que le processus de paix est quelque chose de très important, qu'il faut appliquer les décisions prises, qu'il faut s'inspirer des règles et des principes fixés dans la résolution du Conseil de sécurité. On a fait cet acte qui, je crois, est important, qui devrait rassurer les pays qui s'inquiètent sur le processus de paix, et encourager Israël à aller dans cette direction.

Q. : C'est sans doute sur la question de la Bosnie que le texte de la déclaration fait l'objet de plus de sévérité. À propos de Karadzic, peut-on véritablement le traduire devant les tribunaux ? Est-ce qu'une résolution y suffira ?

R. : Quel était l'objectif ? L'objectif, c'était que les huit pays les plus importants du monde réunis à Lyon puissent marquer clairement et fortement la détermination de la communauté internationale à appliquer jusqu'au bout les accords de Paris. Ces accords de Paris prévoient dans la phase ou nous sommes des élections le 14 septembre prochain. Pour cela il faut qu'il y ait un minimum, je dirais plutôt un maximum d'ailleurs, de liberté de la presse, de libre accès à la télévision, de capacité de se déplacer, tous points qui ne sont pas encore malheureusement totalement résolus. Et puis il faut évidemment, comme c'est prévu dans les accords de Paris, que Karadzic qui est, tout le monde le sait, l'un des responsables, hélas, de cette tragédie, qui a du sang sur les mains, soit déféré devant le tribunal pénal international et qu'en tout cas – parce que cela dépend de nous directement – il ne puisse en rien participer à la campagne électorale, qu'il renonce à toute fonction politique, et enfin qu'il ne soit pas candidat aux élections. Sur ce point, il y a eu, vous avez pu l'observer, une grande détermination de la communauté internationale, qui a exprimé sa confiance à Carl Bildt et qui l'a laissé prendre toute initiative dans cette direction.

Q. : Est-ce que Paris est soutenu sur la question du plan de consolidation en deux ans après les élections sur la Bosnie ?

R. : Oui, je crois que c'est un événement très important. J'ai proposé ce plan de consolidation lors de la conférence sur l'ex-Yougoslavie qui s'est tenue à Florence le 14 juin dernier. Cela a été agréé le 14 juin et confirme cette fois-ci. De quoi s'agit-il ? Les accords de Paris mettent en place un dispositif qui dure un an, qui prend fin le 31 décembre 1996. Alors que fait-on après ? La proposition française est de dire qu'on a besoin de deux ans pour achever le processus, et en particulier pour poursuivre des sujets qui ne sont pas encore achevés, loin de là, à peine ébauchés d'ailleurs : le retour des réfugiés qui a à peine commencé, la reconstruction pour laquelle il y a encore beaucoup à faire et, bien entendu, la mise en place des institutions civiles. Et nous sommes convenus que, sur ce sujet, nous allions travailler ensemble, et que la France organiserait ce travail.

Q. : Est-ce que c'est la garantie qu'après le départ des soldats de l'IFOR fin décembre, il y ait toujours la prise en compte de la dimension dramatique de la question bosniaque ?

R. : Oui, c'est la garantie en effet que nous pensons, nous l'avons dit d'ailleurs aujourd'hui, que la principale responsabilité est désormais entre les mains des dirigeants locaux et de la population locale. Il ne faut pas croire que la communauté internationale sera éternellement la pour se substituer à eux. C'est à eux de vouloir la paix, mais nous montrons que nous sommes prêts pendant ces deux années, et pas au-delà, à accompagner cet effort de paix, cette bonne volonté, si elle existe – et quelquefois je finis par en douter. De ce point de vue, la communauté internationale accomplira tous ses devoirs.

Q. : Vous avez rencontré votre homologue russe ce matin, M Primakov. Le communiqué apporte son soutien aux réformes démocratiques en Russie. A-t-on des garanties de la bonne santé de M Eltsine ? Il y a des inquiétudes sur ce sujet. Vous avez des informations particulières là-dessus ?

R. : Je ne suis pas un bon expert médical. Je ne crois pas qu'il y ait d'inquiétude, en tout cas j'ai trouvé M. Primakov tout à fait serein et calme. Je vois bien que la presse se met à broder sur une information qui, après tout, n'est pas déterminante. J'ai senti, je le répète, M. Primakov tout à fait calme et serein.

Ce qui était important au cours des entretiens de ce matin avec M. Primakov, c'est que nous avons marqué notre détermination à travailler la main dans la main sur les grands sujets internationaux. J'irai en octobre à Moscou, ou M. Primakov m'a invité en visite officielle. Ce sera certainement le moment aussi de montrer que sur les grands dossiers de l'actualité du monde, nous travaillons vraiment en pleine entente.

Q. : On a eu l'impression, au cours de ce sommet, d'une Europe plus assurée d'elle-même. Jusqu'où peut-elle se déterminer par rapport aux États-Unis ? Je pense, par exemple, la question sur Cuba, les marchés réservés, Cuba ou l'Irak.

R. : Vous savez, l'Union européenne est tout à fait rassemblée autour d'une idée simple. Les projets de loi américains, la loi Helms-Burton et le projet de loi d'Amato, qui sont des réglementations, des législations nationales américaines, mais avec des effets sur les autres pays, constituent une violation directe des règles du commerce international. En plus, je pense que ce n'est pas une bonne solution et, de ce point de vue, l'Union européenne a marqué sa détermination. Les Américains sont toujours sur leur ligne, mais les Européens sont toujours aussi sur la leur, et probablement que cela conduira, si ces législations étaient confirmées, à des dispositions que les Européens prendront pour s'en protéger.

Q. : Vous reconnaissez donc l'existence de désaccords. Est-ce que vous avez parlé de la question du renouvellement du mandat de M Boutros-Ghali ?

R. : Non, on n'a pas parlé de cette question. Mais quand on réunit les huit chefs d'État et de gouvernement les plus importants du monde, ils ne sont pas toujours d'accord sur tout. Il y a forcément des intérêts divergents, c'est inévitable. Si vous réunissez huit personnes autour de la même table, vous n'aurez pas un seul et même avis. Ce qui est important, c'est d'abord qu'ils travaillent ensemble, qu'ils se connaissent personnellement, et le poids des relations personnelles dans la vie internationale est beaucoup plus grand qu'on ne croit, et plus grand que je ne le croyais avant d'être ministre des affaires étrangères. Et, en même temps, c'est très important aussi de montrer que, sur les grandes orientations, sur les grands sujets, la paix, la guerre, le développement, l'économie, ils sont d'accord et qu'ils font converger leurs vues. C'est cela l'essentiel. Alors, regardons l'essentiel et séparons l'essentiel de l'accessoire qui existe, et sur lequel il peut y avoir des différences et des divergences. Ce n'est pas tragique, c'est la vie.

Q. : Alors, un G7-G8 dans sa forme actuelle, c'est la bonne façon de procéder ?

R. : Disons d'abord que ce sommet de Lyon est un franc succès. Franc succès pour la communauté internationale, parce que cela s'est très bien passé, franc succès pour la France, qui avant la présidence du G8 cette année. J'ajouterai aussi franc succès pour les Lyonnais, qui ont été formidables, très accueillants, généreux, chaleureux. J'ai été tout à fait frappé que plusieurs de mes collègues, l'Américain, le Russe, le Japonais, l'Allemand, l'Anglais, m'ont remercié chaudement, et m'ont dit combien ils avaient apprécié l'accueil de la population lyonnaise. Merci aussi aux Lyonnais.

Q. : Les nouvelles technologies, Internet, RFI…, toutes les informations transitent maintenant par ces canaux. Vous avez une appréciation particulière à porter sur cette nouvelle forme de communication qui, pour l'instant, est encore massivement anglophone ?

R. : Écoutez, c'est très simple, très clair. La technologie de la communication évolue très vite. Chacun doit s'adapter. Il faut vous adapter. Il faut prendre les nouvelles technologies et en faire usage pour qu'elles servent en votre faveur. Deuxièmement, ayons bien à l'esprit une chose : c'est qu'Internet, si nous n'y prenons pas garde, ce sera la communication dans la langue unique du monde de demain, l'anglais. Il faut donc que nous nous battions pour y défendre le français, et nous avons beaucoup appelé nos amis espagnols, nos amis portugais – il y a 200 millions de personnes qui parlent portugais dans le monde –, nos amis japonais, à faire en sorte qu'il y ait une présence forte de nos langues sur Internet pour qu'Internet ne soit pas le monopole d'une seule langue. Et puis je voudrais vraiment adresser mes félicitations à RFI qui a fait une couverture magnifique de ce sommet, je sais que c'était compliqué, difficile, mais vous avez été présents, actifs, dynamiques, bravo !