Interviews de M. Bruno Mégret, délégué général du Front national, à RMC, TF1 et France 3 le 20, France 2 le 22 et RTL le 25 mars 1998, sur l'élection des présidents de conseil régional avec le soutien du FN, la question d'un soutien de la droite à l'élection de M. Le Pen à la présidence de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur et l'intervention télévisée de M. Chirac sur le Front national.

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Intervenant(s) : 

Circonstance : Intervention télévisée de M. Chirac sur le Front national le 23 mars 1998

Média : Emission Forum RMC FR3 - Emission Journal de 19h30 - Emission L'Invité de RTL - France 2 - France 3 - RMC - RTL - Site web TF1 - Le Monde - Télévision - TF1

Texte intégral

RMC – 20 mars 1998

Qu'avez-vous pensé de l'appel du Président de la République appelant hier ses amis politiques de l'opposition à rester attachés aux principes républicains et donc à refuser de se compter avec vous dans toute élection ?

- « D'abord, je suis très étonné que le Président de la République, après le Premier ministre, intervienne dans la désignation des présidents de conseils régionaux. On érige en affaire d'Etat ce qui est une affaire de lendemain d'élection. C'est tout à fait ahurissant. Quant aux principes républicains, permettez-moi de vous dire que je suis tout autant attaché aux principes républicains que M. Chirac, sinon bien davantage. C'est la même chose pour tous nos amis car je considère qu'il est tout à fait anti républicain de vouloir, comme ils essaient de le faire, s'arranger entre eux - gauche, états-majors RPR-UDF - pour redéfinir de nouvelles règles du jeu qui mettent de côté 15 % de l'électorat. Ce n'est pas la démocratie, cela. »

Vous conviendrez que, si aujourd'hui, dans certains conseils régionaux, les voix de droite et vos voix d'extrême droite sont mélangées, ce sera une première politique en France !

- « Les voix du Front national, vous voulez dire. »

C'est un changement politique important en France et il est peut-être normal que les dirigeants de la France s'en préoccupent.

- « Ils peuvent s'en préoccuper, bien sûr. Mais ils ne peuvent pas s'en préoccuper en hissant en affaire d'Etat une question qui est une question de représentation démocratique et en usant de grands principes moraux pour traiter de cette question alors que sur le terrain de la moralité nous n'avons vraiment aucune leçon à recevoir de ces états-majors qui, chacun le sait, sont impliqués dans toutes sortes d'affaires, encore actuellement au sein du Conseil constitutionnel et dans bien des institutions, hélas, de notre pays. Le fait que le Front national puisse envisager de soutenir des candidats RPR-UDF, pour peu qu'ils prennent une partie de notre programme, c'est une première en effet, une première qui va dans le sens de l'intérêt des Français. Car, je vous rappelle que ce que nous demandons c'est rien pour nous, aucun poste ! Ce que nous demandons, c'est qu'ils s'engagent à baisser les impôts, ou en tout cas, à ne pas les augmenter et à s'occuper de la sécurité. C'est quand même hallucinant qu'en France le fait qu'un mouvement politique essaie d'obtenir que ses partenaires s'engagent à baisser les impôts et à agir pour la sécurité crée un scandale. »

Avant les élections vous aviez dit que pour recueillir les voix du Front national dans les élections de président de région il fallait le dire ouvertement, donc que le candidat accepte vos voix et qu'il prenne en charge une partie de votre programme. Pensez-vous que ces conditions sont réunies ?

- « Oui, je pense que ces conditions sont réunies. Enfin, on le verra pour ceux qui accepteront, au bout du compte, cette proposition. »

Avec qui, aujourd'hui, ce matin, ces conditions sont-elles réunies ?

- « Je ne suis pas en mesure de vous le dire et puis, de toute façon, ce n'est pas à moi de le dire maintenant… »

Pourtant c'est dans quelques heures que l'on vote…

- « C'est à chaque intéressé de le dire dans sa région, en liaison avec nos amis. Mais je pense que cette condition sera respectée dans un certain nombre de régions, en effet. »

Il suffit maintenant de dire qu'on n'a pas envie de dire que les impôts augmentent et qu'on s'occupera un peu de sécurité pour recueillir les voix du Front national. Ce n'est pas très cher Monsieur Mégret quand même ?

- « Il s'agit, en l'occurrence, d'une question très particulière. C'est l'élection des exécutifs régionaux au lendemain d'une élection régionale où la France s'est retrouvée à droite et où les conseils régionaux étaient en passe de passer massivement à la gauche socialo-communiste. Nous sommes décidés, dans cette affaire, à faire barrage à la gauche socialo-communiste partout où c'est possible dès lors que les gens du RPR, enfin les élus locaux du RPR et de l'UDF, soient prêts à passer cet accord ponctuel avec nous. »

Vous faites dans cette affaire une contorsion assez importante parce que vous avez passé quinze ans, avec tous les élus du Front national, à vitupérer « la droite molle » et voilà que, d'un coup, vous allez traiter avec elle.

- « Non, attendez. Nous ne traitons avec elle que très ponctuellement. Nous ne nous engageons pas dans la gestion avec elle, nous restons en dehors. Nous soutenons sans participer et ce que nous soutenons, c'est précisément l'application de ce programme de baisse des impôts, d'amélioration de la sécurité, de renforcement de l'identité culturelle, de transparence de gestion. Nous ne changeons pas, quant à notre jugement sur le RPR et l'UDF qui, au niveau de ses états-majors, tels qu'ils ont gouverné la France dans le passé, ont été incapables de résoudre les problèmes de notre pays. Ils les ont même aggravés, qu'il s'agisse de l'immigration, du chômage, d'insécurité par exemple. Cela n'a pas changé. Mais nous sommes capables de hiérarchiser nos adversaires et nous sommes capables d'accords ponctuels d'autant qu'en fait, un nouveau clivage s'est instauré entre la base, et notamment les électeurs, les adhérents et les élus de base du RPR et de l'UDF, et leurs états-majors. »

N'avez-vous pas le sentiment d'avoir été bien intransigeant sur le plan des principes pendant des années et là de changer votre fusil d'épaule ?

- « Croyez-moi nous ne transigeons pas sur les principes et ce n'est pas à moi, par exemple, qui ait prôné l'instauration de la préférence nationale à Vitrolles-en-Provence, qu'il faut le dire. Nous restons totalement fidèles à nos principes, à l'application de notre programme. Mais nous appliquons notre programme quand nous sommes majoritaires, quand nous sommes au pouvoir, quand nous sommes en situation dominante et j'espère bien que nous le serons prochainement. »

Tout à l'heure, vous allez siéger au conseil régional de Provence-Alpes-Côte d'Azur. M. Léotard sera candidat au nom du RPR et de l'UDF, qu'allez-vous faire ? Voterez-vous pour M. Léotard pour faire barrage à la gauche, comme vous venez de le dire ?

- « Bien sûr que non. Là c'est une situation qui est claire puisque M. Léotard n'a pas satisfait aux conditions. M. Léotard ne veut pas passer d'accord avec le Front national, il l'a dit et redit. Donc il est bien clair qu'on ne votera pas pour lui. On votera pour notre candidat, pour J.-M. Le Pen. »

Et si votre candidat n'est pas en mesure de passer ?

- « Eh bien ça veut dire que M. Léotard - et c'est là que c'est ahurissant, pour voir à quel point d'absurdité ils sont arrivés -, qui ne voulait pas se présenter s'il n'avait pas la majorité relative, va se présenter spécialement pour être battu et pour être sur que M. Vauzelle, le socialiste, sera élu. Ils sont tombés sur la tête ! »

Quelle sera votre attitude au Front national vis-à-vis des exclus ou des démissionnaires éventuels des partis actuels de l'opposition ?

- « Nous sommes prêts à continuer à dialoguer avec ces gens-là, qui, je crois, ont pris conscience de la nouvelle donne politique française et de l'intérêt de la France. Je pense qu'il y a pour eux deux possibilités. Certains peut-être peuvent être tentés de venir chez nous. Nous ne sommes pas opposés à les accueillir… »

Ce n'est pas ce qu'ils disent.

- « Je respecte totalement leurs choix et leurs intentions. S'ils sont d'accord avec nos valeurs, avec notre programme, avec notre projet. Moi, ce qui me paraîtrait intéressant, au-delà de cela, c'est qu'ils créent une entité, une entité politique nouvelle qui soit un élément important de la rénovation de la droite à venir et qui puisse débattre avec nous. Parce qu'au fond, l'avenir du RPR et de l'UDF n'est pas le parti unique, ce ont deux nouveaux partis : l'un qui s'entende avec la gauche et l'autre qui s'entende avec le Front national. »

Y aura-t-il des restructurations politiques importantes à droite ?

- « S'ils ne le font pas, ils vont disparaître. Il est clair, qu'actuellement, c'est la décapilotade intégrale. »


France 3 - vendredi 20 mars 1998

Avez-vous l'impression d'avoir atteint votre but, qui était quand même un des premiers buts que vous aviez, de faire imploser la droite ?

- « Ecoutez, nous sommes en effet très satisfaits ce soir, d'abord parce qu'on a fait barrage à la gauche socialo-communiste dans cinq régions, et ça c'est très bon pour notre pays et puis aussi parce que - ne l'oublions pas - dans ces régions, les impôts vont être bloqués et l'insécurité va commencer à pouvoir diminuer. C'est d'abord pour cela que nous nous sommes engagés et que nous nous battons. Et puis enfin, c'est vrai que dans ces régions, les dirigeants RPR-UDF ont été amenés dans les cadres des accords qu'ils ont passés à reconnaître le Front national comme un mouvement républicain, démocratique, légitime et représentatif. Et ça, c'est un grand progrès pour la démocratie en France. »

Qu'attendez-vous précisément des présidents des conseils régionaux que vous avez fait élire avec vos voir, quelles sont les mesures concrètes que vous souhaitez qu'ils prennent ?

- « Vous avez noté que nous n'avons rien demandé pour nous, nous n'avons pas demandé des postes, des prébendes, nous avons demandé pour les Français. Et bien ce que nous souhaitons, c'est que les impôts n'augmentent pas dans ces régions et qu'après la stabilisation, on engage une diminution des impôts à la fin du mandat, que l'on puisse constater que les Français paient moins d'impôts qu'au début Nous demandons également qu'ils organisent dans les régions une action très énergique en matière de sécurité dans les transports publics, puisque les transports publics sont de la compétence des régions, également la sécurité dans les lycées puisque les lycées sont de la compétence des régions. Eh bien, déjà si on fait ça et puis un certain nombre d'autres choses comme l'identité culturelle de nos régions et de notre pays, ça sera déjà un beau résultat. »

Rapidement, sur le plan strictement stratégie politique, est-ce que vous pensez que ces tractations sont conformes aux idées que les Français se font de la démocratie ?

- « Mais je crois tout à fait, car nous sommes dans un pays qui est majoritairement à droite, dans l'écrasante majorité des régions il y a une majorité de droite. Ça aurait été tout à fait antidémocratique qu'elles soient dirigées par des gens de gauche ou par des communistes, comme en Picardie. »


TF1 - Vendredi 20 mars 1998

Est-ce que le Front national n'a pas changé de stratégie. Vous disiez autrefois que la gauche et la droite traditionnelle, c'était pareil ?

- « Oui, il s'agissait des appareils, c'est-à-dire qu'il s'agissait des états-majors nationaux de M. Sarkozy et de M. Hollande qui, d'ailleurs, vous l'avez dit, tiennent exactement le même langage. Mais là, il s'agit d'élections locales, ponctuelles, et je suis heureux qu'un certain nombre de responsables importants du RPR et de l'UDF, localement, aient choisi de passer des accords avec nous pour considérer ainsi d'ailleurs que le Front national est un mouvement républicain, démocratique, représentatif, légitime et c'est une victoire de la démocratie parce que, quand même dans cette affaire, les régions dont il s'agit, ce sont des régions où la gauche était minoritaire, où la droite était majoritaire et où il aurait fallu que l'exécutif soit de gauche. C'est ça qui était anti-démocratique. Nous n'avons fait que respecter le choix des électeurs et ce qui est hallucinant, c'est qu'on essaie, entre les états-majors de la gauche et de la droite RPR-UDF, de mettre en place des règles truquées qui écartent une partie des électeurs français. C'est cette manœuvre de bas étage qui a été empêchée. »

Pour arriver à cette situation, est-ce que votre programme n'a pas été en partie vidé de sa substance ?

- « Non. C'est vrai que n'y figure pas la préférence nationale. La préférence nationale est au cœur de notre programme, nous l'appliquerons lorsque nous serons en situation dominante, lorsque nous serons au pouvoir, comme nous le faisons dans les villes où nous exerçons pleinement les responsabilités. Mais nous avons simplement demandé à ce que soit pris en compte une partie de notre programme. Et c'est la deuxième grande bonne nouvelle de la journée, notamment pour les Français qui vivent dans ces régions : c'est que, à cause du Front national, grâce au Front national, les impôts vont baisser dans ces régions - en tout cas ils vont cesser d'augmenter dans un premier temps et ils vont baisser ensuite - et que la sécurité va être davantage prise en compte par les régions, notamment dans le domaine des transports publics, notamment pour les lycées et ainsi que d'autres mesures extrêmement bénéfiques pour les Français. Le Front national n'avait rien demandé pour lui. Nous n'avons demandé et obtenu que pour les Français. »

Peut-on attendre, après cette élection, que le Front national devienne un nouveau Front national comme il est devenu en Italie ?

- « D'abord je crois que ce qu'on vient d'entendre est totalement hallucinant (les interventions de F. Hollande et de R. Hue, ndlr), on a l'impression que certains sont tombés sur la tête parce que nous sommes dans un pays dont les habitants sont accablés par le chômage, les impôts, la précarité, la violence urbaine, la misère et on nous explique que ce qui menace la République c'est le fait que le Front national ait obtenu des accords avec le RPR et l'UDF pour baisser les impôts et améliorer la sécurité publique et quand ceux qui nous font cette leçon de morale sont les communistes qui sont le parti frère d'un parti anciennement soviétique responsable de dizaines de millions de morts, on croit rêver ! Tout cela est hallucinant. Le Front national, je le répète, est un parti républicain et sans doute beaucoup plus républicain que ceux qui ne cessent de tricher avec la démocratie pour essayer de nous exclure de la vie publique. Et le Front national, pour répondre à votre question, en effet est en train de prendre une nouvelle dimension et de se préparer à une seconde étape de son développement, c'est-à-dire l'étape de la prise en compte des responsabilités du pouvoir. Le Front national devient un mouvement de gouvernement. »


France 2 – Dimanche 22 mars 1998

B. Schönberg : Comment doit-on prendre ou interpréter ce soir la demande de J.-M. Le Pen, la tête de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur ? C'est un peu un pavé dans la mare de votre stratégie apparemment si bien huilée ?

- « Avant cela, je voudrais dire combien je trouve scandaleux l'espèce d'interrogatoire de police qu'on fait subir à Monsieur Millon. Monsieur Millon est un élu souverain, dans une assemblée souveraine, qui a rassemblé sur son programme une majorité d'élus souverains. C'est scandaleux de lui demander sa démission. Est-ce qu'on va demander la démission à Monsieur Jospin qui gouverne avec des membres du Parti communiste, lesquels sont compromis dans un génocide de plus de 85 millions de morts ? Alors, je crois qu'il faut reprendre raison. Il faut remettre les pieds sur terre et il faut considérer les choses avec beaucoup plus de modération. Ces accords qui ont été passés, de soutien sans participation, sont en effet des accords démocratiques, puisque dans les régions, il y a une majorité de droite. Il est scandaleux d'envisager qu'elles soient dirigées par la gauche. Dans la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, c'est le point singulier par rapport à toutes les autres régions, nous, le Front national, y sommes majoritaires dans cet ensemble de droite, puisqu'on a fait 432 000 voix, quand le RPR et l'UDF n'ont fait que 423 000 voix. Il est donc normal que cette fois-ci, ce soit le RPR et l'UDF qui nous apportent un soutien, au besoin dans participation, comme ils veulent. C'est la réciprocité, c'est la démocratie. »

B. Schönberg : Est-ce que le Front national irait jusqu'à demander à ses militants d'élire un président de gauche ?

- « Jamais de la vie, mais il n'a pas été question de cela. Pour l'instant, il est simplement question d'obtenir la réciprocité de ces accords de soutien sans participation, et notre candidat, J.-M. Le Pen, se présentera demain et nous espérons bien qu'il obtiendra une majorité de droite pour faire barrage à Monsieur Vauzelle et à la gauche socialo-communiste. »

A. Chabot : Quand même, Monsieur Mégret, ce n'est pas nous qui demandons la démission de C. Millon, mais que ce sont certains de ses amis politiques.

- « Je n'ai pas dit que c'était vous. »

A. Chabot : Question : est-ce que J.-M. Le Pen est le meilleur candidat, est-ce que, compte tenu de sa personnalité, finalement, il ne risque pas de poser un problème ? Il ne faudrait pas quelqu'un d'autre ? Vous par exemple ?

- « Ecoutez, ça n'est pas ni aux journalistes, excusez-moi de vous le dire, ni à d'autres partis de déterminer le candidat du Front national. Nous n'avons pas été dire : Monsieur Millon, non, mais en tel, oui. C'est J.-M. Le Pen notre candidat, point final, et je pense que c'est un excellent candidat. »

A. Chabot : Est-ce que vous pensez que votre stratégie est aujourd'hui en train de réussir ? Vous ne cachiez pas, il y a quelque temps, qu'il fallait casser l'UDF et le RPR. Vous pensez que vous êtes en train de réussir, aujourd'hui ?

- « Eh bien, vous savez, j'ai lu, j'ai entendu beaucoup de choses en termes de stratégies, de pièges. Tout cela, nous ne le vivons pas du tout comme cela. Nous le vivons de façon beaucoup plus simple. Nous pensons qu'il y a un danger de gauche et nous avons fait ce qu'il fallait pour essayer de lui faire barrage et nous l'avons fait, je le rappelle, non pas pour obtenir des places ou des postes pour le Front national, mais simplement pour obtenir des avantages pour les Français : une baisse des impôts, plus de sécurité. Donc, c'est très simple. Maintenant, ce qui est vrai, mais ça, ce n'est pas de notre fait, c'est qu'il y a maintenant, clairement, face à la gauche socialo-communiste qui constitue un pôle politique fort, un deuxième pôle qui est le pôle du Front national, deuxième pôle structurant, et entre les deux, il y a le RPR-UDF. C'est vrai qu'ils sont pris en tenaille, mais ça, c'est leur problème, et je pense d'ailleurs que la recomposition à droite, elle ne passe pas par un parti unique, elle passe par deux partis : l'un qui travaillera avec la gauche, et l'autre qui se tournera vers nous. »

A. Chabot : C'est-à-dire; vous lancez un appel, par exemple, à ceux qui vont être exclus de l'UDF et du RPR ?

- « Je pense que ceux qui vont être exclus du RPR et de l'UDF, qui sont finalement potentiellement très nombreux, comme on l'a vu dans ces sondages, jusqu'à 39 % au RPR, plus de 30 % à l'UDF, eh bien devraient en effet s'organiser, se structurer, pour organiser ce renouveau de l'opposition, c'est la seule voie possible. »

A. Chabot : Vous lancez, par exemple, un appel à certains responsables de l'opposition ou pas ?

- « Eh bien, oui. Je pense en effet que ceux qui n'ont pas été scandalisés par ce qui s'est passé, qui ont bien raison de ne pas l'être, car il n'y a rien, là, de scandaleux, et qui, par voie de conséquence sont en opposition avec leurs états-majors nationaux qui restent dans des lubies qui leur sont dictées par la gauche, ceux-là devraient se structurer en dehors des appareils classiques pour constituer la force politique importante qu'ils sont capables de mobiliser, et qui serait capable de s'entendre avec le Front national et ainsi de rénover l'ensemble de la droite face à la gauche. »

B. Schönberg : Cette information qui vous concerne et qui concerne précisément la Provence-Alpes-Côte d'Azur : G. Stellardo, RPR, adjoint au maire de Nice, est bien candidat à la présidence de la région. Il ajoute qu'il ne refusera pas le soutien de quiconque, et qu'il respecterait les voix qui viendront éventuellement soutenir sa candidature. Un moi de réaction, peut-être?

- « Vous savez, il y a eu tellement de rebondissements du côté de la Provence que je ne ferai pas de commentaire. Nous attendrons le dépôt des candidatures lundi matin. »


RTL – mercredi 25 mars 1998

Vendredi dernier, après l'élection de cinq présidents de région avec les voix du Front national, vous disiez que le Front national avait été reconnu comme un mouvement républicain, démocratique et légitime. Or, lundi, les candidats RPR et UDF ont refusé les voix du Front national et pas une seule voix de droite n'est allée sur J.-M. Le Pen en Provence. Après la victoire, c'est l'échec ?

- « Pas du tout. D'abord, ce que j'ai dit vendredi demeure vrai, car le Front national a été reconnu par beaucoup comme un mouvement républicain légitime. C'est bien normal. C'est la réalité. »

Même C. Millon, élu avec les voix du Front national, dit que ce parti est dirigé par « un fasciste des années 20 ».

- « Je crois que M. Millon a été très impressionné par les pressions qu'il subit de la populace dans la rue, de toutes sortes d'institutions, plus ou moins représentatives d'ailleurs. Je pense qu'il n'est pas habitué à cela. Il faut avoir une certaine indulgence pour M. Millon, même si ce qu'il a dit est tout à fait scandaleux, bien évidemment. »

Les électeurs aux cantonales, dimanche, semblent avoir désapprouvé cette politique d'entente entre la droite et le Front national, parce que dans beaucoup de cantons où il y avait eu une entente, cela n'a pas fonctionné.

- « Comment voulez-vous que cela fonctionne totalement lorsque tout cela se fait dans un contexte où l'ensemble des médias relayent des injonctions de dirigeants d'appareils politiques qui diabolisent ces accords ? Je pense que tout cela ne peut se faire que dans une dynamique nationale. Ce qui me paraît par contre très important, c'est que dimanche dernier, on a dit qu'il y avait eu une poussée de gauche à cause des accords RPR-UDF avec le Front national dans certaines régions ; c'est totalement faux. La vérité, c'est que la gauche a gagné un grand nombre de départements parce qu'il n'y avait pas eu d'accords aux cantonales de façon systématique, d'accords de désistement réciproque comme nous le proposions. »

Il y a eu pendant le week-end la demande de réciprocité de J.-M. Le Pen, qui a voulu se présenter à la présidence en Provence. S'est-il montré trop impatient, a-t-il voulu pousser les feux trop loin ?

- « Non. Il faut bien comprendre que le Front national n'a pas vocation, non plus, à être le supplétif des partis du RPR et de l'UDF. Le Front national est un mouvement légitime, de grande envergure, puisque c'est un mouvement qui est plus important que l'UDF et qui est à peu près au même niveau que le RPR. Donc, là, où nous avons beaucoup plus d'élus que le RPR et l'UDF, comme c'était le cas en Provence-Alpes-Côte d'Azur, où nous avons 432 000 voix, alors que le RPR et l'UDF n'en ont eu que 423 000, il était normal que cela fonctionne dans l'autre sens et que ce soit le RPR et l'UDF qui soutiennent le Front national. »

Quand on dit que par sa demande, J.-M. Le Pen a saboté votre stratégie ?

- « Pas du tout. Encore une fois, c'était une demande légitime. Le fait qu'il n'ait pas été suivi d'effet prouve simplement qu'il y a encore beaucoup de rigidités dans les appareils RPR et UDF. »

Ce reflux, c'est un rejet du Front national ou de J.-M. Le Pen ?

- « Il n'y a pas de reflux ! »

Pas de différence entre J.-M. Le Pen et le Front national ?

- « Il n'y a pas de différence entre le Front national et J.-M. Le Pen, puisque c'est lui le président du Front national ! Il n'y a pas de reflux. Nous avions proposé un certain nombre d'accords de soutien sans participation ; ils ont été acceptés dans certains cas. Nous ne nous attendions pas à ce qu'ils soient acceptés dans les autres cas. Ce n'est pas par hasard si c'est le lundi que les accords n'ont pas été suivis d'effet, puisque ceux qui avaient reporté l'élection ne voulaient précisément vraisemblablement pas avoir d'accords et avaient reporté à cette fin. »

En quoi la déclaration du Président de la République, qui qualifie le Front national de « parti raciste et xénophobe », constitue-t-elle, comme l'a dit J.-M. Le Pen, un appel à la violence contre les patriotes ?

- « Parce que cela justifie tous les comportements contre ceux qu'on exclut de la communauté nationale. Je voudrais dire combien cette déclaration de M. Chirac me paraît scandaleuse ! J'ai le sentiment qu'on n'a plus de Président de la République, puisque celui qui occupe ces fonctions s'est mis en contradiction avec l'éthique de la fonction présidentielle. Il se devrait d'être le Président de tous les Français, mais il a excommunié 15 % du peuple français. »

Non : il a condamné le Front national, pas les électeurs.

- « Cela, c'est une subtilité qui ne vaut pas, car les électeurs du Front national se reconnaissent dans le Front national. Ce n'est pas M. Chirac qui va dire le contraire et qui est habilité à dire le contraire. Donc, il a traité de raciste et de xénophobe 15 % du peuple français : c'est une attitude indigne d'un Chef d'Etat qui doit, au contraire, organiser la concorde intérieure, alors qu'il instaure la division et qu'il exclut une partie du peuple français. C'est extrêmement grave. Et en plus, c'est un mensonge : le Front national n'est pas raciste ni xénophobe. Je voudrais rappeler, si vous le permettez, à M. Chirac ce qu'on disait au général de Gaulle en 1948, dans ses conférences de presse. On posait au général de Gaulle des questions du genre "On a qualifié le RPF de fasciste et de totalitaire" ou encore "Espérez-vous arriver au pouvoir par des moyens légaux ?" ou encore "L'association capital-travail que vous défendez s'inscrit dans un certain corporatisme fasciste". Alors, cela veut dire quoi ? Cela veut dire qu'on nous accuse d'une chose totalement fausse, exactement comme on le faisait à l'encontre du général de Gaulle en 1948. Le Front national n'est pas plus fasciste que le RPF du général de Gaulle. M. Chirac, qui se prétend gaulliste, devrait le savoir ! »

Dans un livre récent, vous avez défini la préférence nationale comme la nécessité d'exclure du groupe celui qui n'a pas vocation à y appartenir et en an plus tôt, à Lyon, vous aviez déclaré dans un meeting « Le peuple français pourrait disparaître comme les espèces dont on modifie trop le milieu ». Que voulez-vous suggérer exactement ?

- « Je veux suggérer que le Front national est un mouvement patriote et que le patriotisme, cela consiste à préférer son pays. Si on préfère son pays, cela veut dire effectivement qu'on ne l'aime pas autant que tous les autres pays. Ce qui est très grave, c'est que pour nos adversaires, le fait de préférer son pays devient une forme d'exclusion et que l'exclusion, c'est du racisme. Cela veut dire qu'on assimile le patriotisme à du racisme, et c'est peut-être pour cela que M. Chirac traite le Front national de raciste, parce qu'il est patriote. Oui, nous sommes patriotes ! »

Quand J.-M. Le Pen dit qu'il croit à l'inégalité des races, le mot « inégalité » implique une hiérarchie ; or la hiérarchie entre les races, c'est très précisément la définition du racisme donnée par les dictionnaires.

- « C'est la raison pour laquelle nous ne soutenons pas cette thèse. J.-M. Le Pen a parlé des inégalités, ce qui change tout parce que s'il y a des inégalités, cela veut dire en réalité qu'il y a des différences. Comme on ne peut pas agréger tous les critères, on ne peut pas établir de hiérarchie entre les races. »

Donc, vous n'êtes pas d'accord avec J.-M. Le Pen ?

- « Je suis d'accord avec ce que je viens de vous dire, et on ne va pas reprendre une discussion sémantique sur cette question qui n'est pas un point du programme du Front national, je le rappelle. »

L'adoption d'un nouveau mode de scrutin rendra-t-il la vie plus difficile au Front national ?

- « On voit bien avec ce projet combien la classe politique est déboussolée. Ce n'est pas le problème ! Ils ne sont pas satisfaits du résultat des élections ; ils veulent changer une fois de plus le mode de scrutin. On manipule la démocratie en permanence. »

Croyez-vous toujours que la droite sera détruite ?

- « Ce que je pense, c'est que lorsqu'on exclut 15 % du peuple français, ce n'est pas le moment de mettre en place de nouveaux modes de scrutin qui vont contribuer encore plus à cette exclusion. Ceux qui pratiquent l'exclusion vont s'exclure eux-mêmes, parce qu'en effet, je pense que lorsqu'on présente aux Français le principal danger pour la République comme étant le Front national alors même qu'ils sont accablés par le chômage, l'insécurité, la violence, la pauvreté et la misère, les Français ne comprennent pas que cette classe politique ne se préoccupe que de combattre celui qui menace ses postes, alors qu'elle ne se préoccupe pas de combattre les fléaux qui l'accablent. »