Texte intégral
Quelle est votre première réaction à la mise en examen de Roland Dumas ?
- « Le moins qu’on puisse dire c’est qu’elle était annoncée, puisque depuis jours, voire même plusieurs semaines, la presse laissait entendre que cette mise en examen était irréversible, déjà faite avant même qu’elle ne soit signifiée à l’intéressé. Donc, pas de surprise. C’est vrai qu’on a le sentiment que la justice fait son travail. Et ça, nul ne viendra le lui reprocher. Peut-être avec un battage médiatique inutile, mais ça fait partie depuis trop de mois de l’accompagnement judiciaire. On ne peut que le déplorer. Maintenant c’est effectivement trop souvent le cas. Je vois bien où vous voulez en venir… »
Allons à l’essentiel, MM. Séguin et Léotard estiment que M. Dumas doit démissionner et vous ?
- « Je crois d’abord qu’il y a des principes qui doivent être affirmés. Le premier est que nul personnage de l’Etat n’est au-dessus ou au-dessous de la loi. Il doit supporter les instructions judiciaires. C’est le cas de M. Dumas qui est mis en examen, même s’il est président du Conseil constitutionnel. La justice de notre pays fait son travail, et le fait en toute indépendance. Le deuxième principe, c’est la présomption d’innocence, c’est-à-dire que même mis en examen, tout individu, qu’il soit humble ou puissant, est présumé innocent. Et c’est le Chef de l’Etat qui, d’ailleurs, répondant déjà à la menace d’une mise en examen de M. Dumas a rappelé ce principe. Il est excellent et il vaut pour tout le monde. Troisièmement, je crois que maintenant cette mise en examen – qui n’est pas encore confirmée, mais qui est annoncée suite au déplacement des juges – peut créer un débat qui ne peut être à mon avis que tranché par Roland Dumas. Car seul l’intéressé peut en décider. »
Alors, à titre personnel ?
- « Moi, je pense que comme président du Conseil constitutionnel, Roland Dumas sait mieux que d’autres ce qu’il a à faire.
Que lui conseilleriez-vous ?
- « Je n’ai pas à lui conseiller. Je crois qu’il est dans une instruction, il en connaît les éléments, il sait peut-être les autres stades de la procédure, il sait aussi qu’il conteste la méthode utilisée et surtout la juridiction. Je crois que c’est à lui maintenant de savoir comme Président du Conseil constitutionnel… »
Mais c’est une grande institution.
- « Absolument, une institution majeure dans notre République. C’est à lui de savoir maintenant ce qu’il a à faire comme individu et surtout comme président du Conseil constitutionnel. »
Vous ne voulez pas en dire plus.
- « Mais en dire plus laisserait supposer que la présomption d’innocence n’est pas un principe, et en dire moins laisserait supposer que ce n’est pas grave. Je vous le dis les deux : il y a une présomption d’innocence et c’est un phénomène grave. »
C’est la première fois qu’un président du Conseil constitutionnel est mis en examen, et donc plusieurs personnalités de l’opposition ont pris position.
- « Oui. Est-ce qu’elles l’on fait en cohérence avec les positions du Président de la République ? Je ne le crois pas. Ça ajoute à la division de l’opposition. Je crois que ceux qui s’expriment aujourd’hui le font davantage comme opposants, ce qu’ils croient être leur rôle, que comme acteurs de la vie publique. »
La motion de censure, purement tactique pour l’opposition, contraint néanmoins M. Jospin à se justifier sur des sujets comme la fonction publique ou la Sécurité sociale, où les réformes de structure n’ont pas avancé depuis un an.
- « C’est d’abord bien qu’il y ait un débat à l’Assemblée nationale. C’est le rôle de l’opposition de s’opposer. On en a parlé pour d’autres affaires. Aujourd’hui, l’opposition dépose une motion de censure et essaye de retrouver son unité alors que la semaine dernière elle faisait l’étalage de sa division, c’est bien la moindre des choses. Elle défend des arguments. Cette opposition considère qu’il ne fallait pas faire les emplois-jeunes ; la réduction du temps de travail ; qu’il ne fallait pas préparer l’euro comme cela a été le cas, c’est-à-dire sans faire de plan d’austérité ; qu’il ne fallait pas augmenter les dépenses de solidarité. C’est son droit le plus élémentaire. Aux Français de juger. Et Lionel Jospin défend la politique du Gouvernement, et je crois avec la solidarité de l’ensemble de la majorité plurielle. Car nous considérons que ce qui a été fait depuis dix mois est important, significatif, que cela rompt heureusement avec ce qui était fait depuis quatre ans, et c’est plutôt le sentiment des Français. Qu’on ait ce débat à l’Assemblée nationale est plutôt utile. »
Mais sur les mesures que vous venez à énumérer, la droite dit : certes mais elles sont vouées à l’échec à moyen terme, parce qu’elles vont plomber les finances publiques pour longtemps. Tout cela n’est pas cohérent avec l’entrée dans l’euro.
- « Pour l’instant, c’est-à-dire depuis dix mois, c’est nous la majorité plurielle, la gauche, qui avons préparé l’entrée de la France dans l’euro avec le respect des critères de Maastricht. Ce qui n’était pas le cas de la majorité précédente. Deuxièmement, c’est nous, en tout cas sous notre Gouvernement, que la croissance reprend, que la consommation redémarre. Nous avons encore des chiffres pour le premier trimestre de l’année. C’est sous notre majorité, notre Gouvernement que l’investissement reprend. C’est aussi dans cette période politique que les Français reprennent confiance dans leur économie, ont l’espoir que le chômage va enfin diminuer. Les statistiques qui sont connues aujourd’hui montrent que le chômage diminue, encore trop faiblement, mais à la fin de l’année, on sera sans doute au-dessous de trois millions de chômeurs. Alors la droite dit : vous allez aggraver le problème avec les emplois-jeunes. Non, les emplois-jeunes c’est déjà 60 000 jeunes qui sont dans un emploi. Nous trouvons que c’est plutôt bien. Deuxièmement, la réduction du temps de travail va créer des emplois. Elle n’en pas encore créé puisque la loi vient simplement d’être adoptée. La réduction du temps de travail sera un grand progrès et pas simplement sur le plan social, mais aussi sur le plan économique parce que cela créera des emplois. La droite a le droit de s’opposer, mais nous avons le droit quand même de penser que nous faisons une politique qui répond aux aspirations des Français. »
La droite dit : vous bénéficiez du retour de la croissance et des mesures mises au point par Alain Juppé.
- « Vous connaissez notre réponse. C’est que si la droite avait eu confiance dans la politique qu’elle menait elle n’aurait pas dissous l’Assemblée nationale. Il est vrai que si elle voulait retrouver un mandat devant le pays, c’est parce qu’elle voulait poursuivre voire même aggraver la politique qui n’avait pas marché. Si les Français avaient eu la conviction que la politique d’Alain Juppé était la bonne, je crois qu’ils n’auraient pas changé de majorité. Ça ne veut pas dire pour autant qu’on aurait la science infuse, qu’on saurait tout ce qu’il convient de faire. Non, il y a un dialogue à avoir avec la société, avec l’ensemble des partenaires, les acteurs sociaux, les acteurs économiques, c’est ce que nous faisons. Mais en même temps, notons et en toute objectivité, que depuis dix mois, le pays va mieux qu’il y a maintenant un an. »
Les Français attendent une baisse des impôts, vous pensez que c’est possible ?
- « Je crois que ce sera difficile, parce que lorsqu’on a à la fois à réduire le déficit public et à répondre à des dépenses de solidarité, ce n’est pas simple. Mais en même temps, nous voulons baisser les impôts, et nous voulons baisser ceux qui frappent tous les Français, c’est-à-dire plutôt les impôts de consommation et les impôts locaux. Parce que ce qu’il faut faire c’est baisser les impôts non pas des plus favorisés, mais de ceux qui ont envie de consommer et qui ne le peuvent pas. »