Interviews de MM. François Hollande, secrétaire national du PS, Robert Hue, secrétaire national du PCF, Jean-Luc Bennahmias, secrétaire national des Verts, Jean-Michel Baylet, président du Parti radical de gauche, et Paul Loridant, secrétaire général du Mouvement des citoyens, dans "L'Humanité Hebdo" du 5 mars 1998, sur l'action des régions en matière d'emploi et sur les élections régionales.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : L'Humanité Hebdo

Texte intégral

François Hollande – Secrétaire national du Parti socialiste

Les élections régionales représentent avant tout un enjeu local. Mais il est vrai que lorsque tous les Français votent le même jour, sur l’ensemble du territoire, les interprétations nationales ne peuvent pas être totalement absentes.

Si la droite veut faire de ce scrutin un test national, nous sommes prêts à relever le défi et à dire aux Français : « Avez-vous vraiment la nostalgie de la politique d’Alain Juppé et d’Edouard Balladur ? Voulez-vous moins de service public, moins de justice sociale, plus de libéralisme et de déréglementation ? ». Je crois fondamentalement, comme le reconnaît Philippe Séguin lui-même, que la droite n’est pas prête parce qu’en définitive elle n’a toujours pas compris le message que les Français lui ont adressée le 1er juin dernier.

A contrario, les Français ont le sentiment que les choses bougent enfin, que le Gouvernement s’attelle aux problèmes qui sont les leurs et qu’il respecte ses engagements : emplois-jeunes, citoyenneté, justice sociale. D’autres grandes réformes sont en préparation comme la réforme de la justice, la limitation du cumul des mandats ou la lutte contre les exclusions. Le contrat que l’ensemble de la gauche propose aux Français est de donner aux régions les moyens d’amplifier la politique du Gouvernement dans la lutte contre le chômage. Toute la région gagnée par la gauche sera une bonne nouvelle pour l’emploi.

Robert Hue – Secrétaire national du Parti communiste français

En juin dernier, les Françaises et les Français ont sanctionné la droite, son Gouvernement et sa politique. Le 15 mars, ils peuvent sanctionner la même politique faite par la même droite qui dirige vingt régions sur vingt-deux. Dans le même temps, ces élections seront profondément marquées des attentes à l’égard de la majorité et du Gouvernement de la gauche plurielle. Les enquêtes d’opinions et surtout le mouvement social lui-même – par exemple, le mouvement des chômeurs – confirment la profondeur de ces attentes.

Alors que la droite veut utiliser sa position quasi hégémonique pour s’opposer aux réformes et aux changements, la question de la majorité qui dirige les régions n’est pas déconnectée de la situation dans le pays et de la possibilité de la faire évoluer dans un sens favorable aux aspirations des Français. Les élections régionales sont perçues par une très large partie de l’électorat de gauche comme un moyen d’aller de l’avant ; comme une possibilité de donner un prolongement constructif aux législatives de juin 1997.

En ce sens, elles vont bien au-delà du test dont vous parlez. Elles peuvent avoir, en réalité, une grande portée nationale pour l’avenir, en incitant toute la gauche et les écologistes à hâter le pas dans la mise en œuvre de la politique nouvelle.

Jean-Luc Bennahmias – Secrétaire national des Verts

Ces élections seront évidemment un test sur la perception qu’ont les Françaises et les Français des différentes actions engagées par la majorité plurielle.

Des emplois-jeunes à la loi sur la réduction du temps de travail, en passant par la loi sur l’exclusion et les propositions sur le non-cumul des mandats, nos concitoyens peuvent maintenant juger sur des propositions réelles et des actes concrets qui doivent aboutir rapidement à une baisse significative du chômage et de l’exclusion, tout en redonnant un cadre citoyen à la politique.

En ce qui concerne les Verts, la reconnaissance des associations indépendantes de chômeurs ou proches des confédérations syndicales, l’émergence d’une politique culturelle moins élitiste, la priorité donnée aux transports collectifs, la redéfinition plus proche du terrain de l’aménagement du territoire, l’arrêt de Superphénix, l’abandon des projets du canal Rhin-Rhône et de la centrale nucléaire au Carnet, ainsi que la relance des activités de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) sont des points qui ne peuvent que nous réjouir. Il s’agit là de transformations des politiques publiques qui vont dans le sens du développement durable.

Jean-Michel Baylet – Président du Parti radical de gauche

On peut parler de six mois de politique gouvernementale nouvelle, et je ne pense pas que cela soit suffisant pour que les électeurs valident ou sanctionnent en mars 1998 des résultats.

En revanche, je crois qu’ils vont valider, approuver une méthode qui porte déjà ses fruits. Cette méthode, qui tranche totalement avec celle du précédent gouvernement de M. Juppé, est fondée sur l’écoute, l’analyse, la prise en compte de la diversité de la majorité, puis la recherche de l’équilibre dans la prise de décision. Et ça, c’est déjà une petite révolution.

Quant aux résultats des politiques engagées, s’ils ne sont pas encore suffisamment nets et nombreux pour emporter définitivement l’adhésion, ils offrent cependant tous les premiers signes de la réussite. Ils restent à confirmer, notamment sur le front du chômage. Il est clair qu’un bon score de la gauche aux régionales serait un encouragement. Et puis, il y a un autre test pour la gauche, c’est celui de l’union électorale. Pour la première fois, dans la plupart des départements, la gauche plurielle se présente unie aux électeurs. Quand on voit l’état de décomposition de la droite et quand on découvre au quotidien tous les dangers de l’extrême droite et du Front National, on se dit que de nombreux Français et de Françaises choisiront l’unité et la cohérence dans le changement. La gauche devrait donc progresser dans bien des régions.

Paul Loridant – Secrétaire général du Mouvement des citoyens

Les élections régionales du 15 mars permettront à chaque citoyen de faire des choix importants concernant leur vie quotidienne jusqu’en 2004. Mais au-delà, chacun doit mesurer l’enjeu national que constitue cette élection. Il s’agit, en fait, ou bien de confirmer le choix de cette majorité plurielle issue des élections du 1er juin 1997 et la nouvelle méthode du Gouvernement de Lionel Jospin, ou bien de se prononcer pour un retour d’une droite libérale sans ambition, telle que nous l’avons connue avec le Gouvernement Juppé.

Bien entendu, et c’est le principe même d’un Gouvernement pluriel, chacune des composantes de la gauche pluraliste ne peut être totalement satisfaite des actions engagées par le nouveau Gouvernement. Cependant, au-delà des aspects critiques, la volonté d’engager une action prioritaire en faveur de l’emploi et de la sécurité pour tous est essentielle et doit rassembler toute la gauche.

Quant au Mouvement des citoyens, s’il demande une réelle réorientation de la construction européenne en faveur de l’emploi et non de la monnaie, il se félicite du retour à gauche d’un discours républicain, volontariste, et d’une méthode de Gouvernement qui permet à chacun de s’exprimer en fonction de ses choix essentiels.

La droite qui se présente aujourd’hui devant les électeurs ne paraît avoir tiré aucune leçon de son échec électoral du mois de juin 1997 et ne propose aucun programme constructif.


L’Humanité Hebdo / 5 mars 1998

Q - Face aux urgences sociales, l’action des régions peut-elle jouer un rôle d’accélérateur ?

François Hollande
Avec les lois de décentralisation que la gauche a votées en 1982, les compétences des conseils régionaux et des conseils généraux sont devenues très importantes. Aujourd’hui, le sort des équipements collectifs, le cadre de vie des Français, la politique de logement, la formation professionnelle, la construction des lycées et des collèges relèvent de compétences essentiellement régionales et départementales.

La droite gère depuis douze ans vingt régions sur vingt-deux et 80 % des départements. Quels moyens la droite a-t-elle mobilisés pour l’emploi dans les collectivités qu’elle administre ? Aucun ! Comment pourrions-nous croire que la droite, qui s’oppose aux emplois-jeunes et à la réduction du temps de travail, sera à même, demain, de faire de l’emploi sa priorité dans les régions et les départements.

En définitive, depuis douze ans, les régions et les départements ne jouent pas le rôle qu’ils pourraient jouer. A chaque fois, la droite a préféré le saupoudrage et le clientélisme.

Robert Hue
La première urgence, c’est l’emploi. Et, indissociablement, la formation. Dès à présent, les conseils régionaux pourraient contribuer au succès du plan emploi-jeunes. En réalité : les majorités de droite sont davantage préoccupées de contrarier ce plan que de l’impulser. De même pour les 35 heures. On comprend que la droite aura davantage à cœur de les bloquer que d’accélérer !

Les conseils régionaux ont des compétences étendues dans des domaines qui conditionnent étroitement l’activité économique. L’échelon régional peut donc permettre de définir les besoins en emplois et les plans de formation, à partir d’une concertation élargie à tous les acteurs concernés, réunis dans des « conférences régionales ». Des fonds régionaux pourraient inciter et aider les entreprises et le secteur bancaire et financier à coopérer localement dans ce but.

C’est l’esprit de ce que j’ai appelé le « pacte unitaire pour l’emploi et la formation » : une démarche visant à mobiliser sur le terrain tous les moyens et toutes les compétences, toutes les énergies. Le cadre de la région y est particulièrement adapté. Je pense que ça répond en outre à ce besoin très fort « transparence », de contrôle par les citoyens de l’utilisation de l’argent public.

Jean-Luc Bennahmias
A l’instar de ce qui a été fait dans le Nord-Pas-de-Calais sous l’impulsion de la présidente des Verts, Marie-Christine Blandin, les régions peuvent aider les entreprises et leurs salariés, avec leurs organisations syndicales, à mener des politiques de réduction du temps de travail. Les régions doivent permettre, de manière extrêmement volontariste, l’accès à la formation professionnelle aux personnes ne disposant d’aucun diplôme.

Les régions peuvent aussi développer des initiatives d’aides au logement, de chèques de transport pour les chômeurs et les plus démunis, ainsi que des politiques visant à permettre aux familles en difficulté d’assurer l’inscription et le paiement de la cantine dans les lycées. Enfin, en menant une politique de requalification des quartiers, les régions peuvent permettre à toutes et à tous de résider dans un environnement de qualité loin des problèmes liés à l’amiante, au saturnisme ou encore aux dioxines.

Jean-Michel Baylet
Je crois d’abord que les régions doivent relayer la politique nationale en faveur de l’emploi. Aujourd’hui, que constatons-nous ? Vingt régions métropolitaines sur vingt-deux sont gérées par la droite, une droite qui a combattu les trente-cinq heures et le plan d’emploi pour les jeunes.

Or, les régions peuvent jouer un véritable rôle d’impulsion, d’innovation, de création, d’emplois nouveaux, de métiers nouveaux, de filières nouvelles, adaptés aux besoins spécifiques de la région, à sa culture, à ses caractéristiques économiques et sociales.

Il y a donc une nécessité de concordance, de cohérence, entre l’action nationale du Gouvernement et celle des conseils régionaux.

Après l’emploi, les régions ont un rôle éminent à jouer en matière d’éducation et de formation professionnelle qui doivent être, elles aussi, les meilleurs outils de préparation à l’emploi, à l’activité.

Enfin, l’autre priorité pour qu’une région ait un rôle positif face aux urgences sociales, c’est l’aménagement du territoire, au sens large. C'est-à-dire l’équilibre des territoires et leur développement, en milieu urbain et en milieu rural, que ce soit dans le secteur économique, pour les transports publics, pour le logement, et particulièrement le logement social, pour l’environnement et l’écologie, et principalement le traitement des déchets.

Paul Loridant
Chacun est bien conscient du caractère central prioritaire de la question sociale dans notre pays aujourd’hui. C’est bien entendu une politique économique offensive renouant avec la croissance et avec la consommation qui permettra de créer des emplois. Mais face à cette urgence, les régions peuvent mettre en place une véritable politique active de créations d’emplois passant par un renforcement de la compétitivité des entreprises et une augmentation importante des crédits d’investissement en faveur de l’intervention économique. Ces dépenses devraient notamment permettre la constitution d’un fonds régional finançant la mise à disposition auprès des PME-PMI de cadres de haut niveau. Elles devraient également aider à l’implantation de nouveaux services publics dans les zones nouvellement urbanisées et à la reconquête des centres-villes et des cités par les commerces de proximité.

Bien entendu, les régions peuvent aussi relayer l’action gouvernementale des emplois-jeunes en s’intégrant pleinement dans ce dispositif. Face à l’urgence sociale, l’aménagement du territoire, l’éducation, la formation et la politique des transports doivent également converger pour réduire les fractures consécutives à la politique économique menée dans notre pays depuis plus de vingt ans.

Q - Que diriez-vous à un électeur de gauche ou écologiste peu motivé pour voter le 15 mars ?

François Hollande
C’est le rassemblement de la gauche plurielle et des Verts qui a fait notre succès le 1er juin dernier et qui permet à Lionel Jospin de mener aujourd’hui une politique conforme à nos valeurs et à nos engagements. Nous devons nous servir de ce scrutin pour sanctionner une droite qui est l’unique responsable de l’absence de développement des infrastructures régionales, du recul des moyens alloués à l’aide au logement et à la formation.

Chacun possède, au travers de son vote, la possibilité d’infléchir la politique régionale et de peser sur les grandes orientations du pays. Les investissements des conseils régionaux représentent en effet l’équivalent du budget d’équipement civil de l’Etat. Le 15 mars, il n’y aura qu’un seul tour pour les élections régionales et chaque voix comptera. Nous nous sommes engagés à être utiles à nos concitoyens et à mettre les pouvoirs des conseils généraux et régionaux à leur service. Nous avons commencé à le faire au niveau de l’Etat. Je souhaite que les Français nous en donnent les moyens au niveau local.

Robert Hue
Je lui dirais que le 15 mars il faut confirmer le choix des législatives si on veut aller de l’avant.

Il est vrai que la droite est mal en point. Mais justement, elle voudrait bien pouvoir opposer le résultat de mars 1998 à la politique mise en œuvre depuis juin 1997. Et quand on voit comment le CNPF monte au créneau contre les 35 heures, met en cause les conventions collectives, on se dit que ce n’est pas le moment, on se dit que ce n’est pas le moment de relâcher l’effort.

Gagner des majorités à gauche dans les régions ne réglera pas tous les problèmes, comme par enchantement. Mais ça permettra de confirmer la volonté de changement, et ça devrait donner au mouvement social, aux citoyens, des nouveaux points d’appui. Quand je dis aller de l’avant, je pense à la nécessaire relance de la consommation par l’augmentation des salaires, des retraites et, j’y insiste, des minima sociaux. Et également à une réforme de la fiscalité et du crédit, au bénéfice des entreprises qui s’engagent à créer des emplois. Un bon résultat des listes d’union aux élections régionales et des candidats présentés par le PCF aux cantonales, y contribuera.

Jean-Luc Bennahmias
Titulaires de prérogatives larges, les régions disposent de budgets de plusieurs milliards de francs, qui touchent à la vie quotidienne des gens, notamment en ce qui concerne les lycées, la formation, les transports et l’environnement. Elles deviennent donc aussi importantes que les municipalités et les départements.

Actuellement à la tête de vingt régions sur vingt-deux, la droite classique tente d’imposer au cœur des politiques régionales un libéralisme de plus en plus dur accentuant ainsi la fracture sociale. Seule une forte mobilisation des gauches et des Verts peut changer cette situation et permettre ainsi de trouver de nouvelles bases favorisant une mise en place plus rapide des politiques décidées à l’Assemblée et au gouvernement.

Enfin, et ce n’est pas le moins important, aller voter c’est faire baisser les scores du Front national et de l’extrême-droite.

Jean-Michel Baylet
Je lui dirai que voter est un acte qui le concerne, lui, avant tout, parce que c’est son avenir et celui de ses enfants qui est en jeu. Une élection n’est pas un simple combat électoral où un camp gagne et où l’autre perd. C’est surtout le point de départ et le point d’arrivée d’une politique menée, bonne ou mauvaise, en faveur ou contre chacun d’entre nous.

Chaque citoyen est concerné tôt ou tard par les décisions prises. Il est donc concerné par chaque élection. Et je lui dirai également que l’abstention est une arme fabuleuse pour l’extrême-droite et le Front National.

Alors, ne pas voter, c’est aussi servir la soupe aux idéologies nauséabondes et à ceux qui veulent abattre la république et la démocratie.
Rien que pour cela, cela vaut la peine d’aller aux urnes le 15 mars, non ?

Paul Loridant
Alors que les Français se sont manifestés le 1er juin 1997 pour une autre politique renouant avec l’emploi et les valeurs de la République, la conservation par la droite de vingt des vingt-deux régions serait un obstacle à la mise en œuvre de ce changement.

Dans plusieurs régions, la droite est au pouvoir depuis plus de vingt ans et en Ile-de-France depuis le début de la décentralisation, menant des politiques de petits bras et de laisser-faire sans aucune ambition.

Depuis les lois de décentralisation, les régions ont un pouvoir important. Cette élection aura une incidence essentielle sur la vie quotidienne des Français, leurs transports, la formation de leurs enfants, la culture et l’aménagement du territoire de leur région. Enfin, pour que la gauche réussisse, elle a plus que jamais besoin du soutien des citoyens. Chaque voix doit peser pour que la gauche l’emporte largement et puisse se donner de nouvelles marges de manœuvre.


[Dernière colonne illisible]