Déclarations de M. Philippe Douste-Blazy, ministre de la culture, sur la vie et l'oeuvre de Manès Sperber et de Robert Bordaz, et sur les lauréats du concours "Ouvrez l'art", Paris les 10, 17 et 18 juin 1996.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Hommage à l'écrivain Manès Sperber à Paris le 10 juin 1996. Hommage à Robert Bordaz le 17 juin. Remise des prix du concours "Ouvrez l'art" le 18 juin 1996.

Texte intégral

Dévoilement d’une plaque à la mémoire de Manès Sperber (lundi 10 juin, onze heures)

Chère Jenka Sperber,

Cher Dan Sperber et chère Monique Canto-Sperber,

Cher Eric Ollivier,

Mesdames, Messieurs,

Nous voici réunis, devant cet immeuble de la rue Notre-Dame-des-Champs, qui fut son domicile parisien, pour nous souvenir, en présence de sa famille, de Manès Sperber.

Rappelez-vous, cher Eric Ollivier. Dès notre première entrevue au ministère de la Culture, vous m’avez parlé de Manès Sperber, de l’amitié qui vous liait depuis votre première rencontre. Rencontre insolite, avez-vous pu écrire, entre le jeune conservateur breton que vous étiez alors et le révolutionnaire venu de l’extrême-est de l’Europe qu’était pour vous Manès Sperber.

Vous m’avez parlé de l’homme et de son œuvre avec très singulière chaleur. La famille de Manès Sperber, ses amis, vous-même formiez le vœu qu’un geste soit fait pour sa mémoire, et j’ai tenu à ce que le ministère de la Culture s’associe pleinement à ce geste, aujourd’hui accompli.

Ecrivain européen, dit la plaque qui vient d’être apposée. Manès Sperber fut en effet, l’un et l’autre. Il fut un écrivain de l’Europe, c’est-à-dire de ses déchirements et de ses convulsions, de ses désillusions et de ses désespoirs, mais aussi de ses héroïsmes et de ses noblesses. Il le fut à la manière de Malraux, qu’il connut et qui l’appela auprès de lui, dès la guerre terminée, au ministère de l’Information. Il le fut pour en avoir été un des plus singuliers acteurs.

Né en 1905, à Zablotow, ville juive de la Galicie, Manès Sperber fut élevé dans un milieu profondément croyant et pratiquant. Sans doute s’écarta-t-il du judaïsme. Il ne cessa jamais, en même temps, de maintenir avec la religion de ses pères un dialogue à la fois plein de conflit et d’attachement. Lorsqu’il racontera la mort de son grand-père, dans quelques-unes des pages les plus émouvantes d’ »Au-delà de l’oubli », dernière partie de sa trilogie autobiographique, Manès Sperber, précisera bien les enjeux de ce dialogue. Dialogue plein du conflit qui opposait le messie de son grand-père, qui - je cite - « ne se décidait pas à venir, et le mien, qui était venu, mais n’étais pas le vrai, mais un antimessie. » Dialogue plein d’une foi messianique conservée, qui démontre la fidélité profonde de Sperber au judaïsme de son enfance.

C’est ce messianisme conservé, c’est cette fidélité, qui, je crois, plongèrent Manès Sperber au cœur des grandes passions politiques de l’Europe de son temps. L’adolescent réfugié à Vienne, plongé avec sa famille dans la misère, affronté à l’antisémitisme, saluera dans la révolution d’octobre l’aube des temps nouveaux.

Manès Sperber restera près de vingt ans un militant communiste de premier plan. Comprenant la réalité du stalinisme, il sera un des premiers à rompre avec son parti, et à combattre le communisme avec autant de détermination et de courage qu’il combattit le nazisme.

Manès Sperber fut un enfant de son siècle. Détaché du dieu de ses pères, il adora ceux que s’était inventés l’Europe moderne : l’Histoire, la Guerre, la révolution. Il fut le militant et le combattant que ces dieux-là exigeaient. Dans la désillusion et la douleur, et pour toutes les victimes - celles du stalinisme, celles du nazisme, celles du génocide qui fit disparaître le judaïsme de son enfance - Manès Sperber devint un témoin, c’est-à-dire un écrivain.

Comprenons le double témoignage que portent la trilogie romanesque de Sperber, « Porteurs d’eau », dont Arthur Koestler écrivait qu’elle était « le roman du Komintern », et sa trilogie autobiographique, « Et le buisson devint cendre ». « Moi seul ai été sauvé pour témoigner de tout devant toi, Job », pouvons-nous lire dans « Porteurs d’eau ».

Témoigner de quoi ? Que nos échecs et nos erreurs, que la puissance de l’injustice, de la tromperie et de la violence ne doivent pas nous conduire à renoncer à l’espoir, parce que ce renoncement, comme l’a si bien écrit Pierre Bouretz, un des meilleurs connaisseurs de Sperber, « ouvrirait sur un désespoir plus profond que l’abîme ». Sperber n’a jamais renoncé à aimer l’humanité. Comme vous l’avez écrit, Cher Eric Ollivier, « il l’a aimée et a combattu pour elle sans lassitude, même si beaucoup d’illusion l’avait quitté ».

« La lumière brille dans les ténèbres, mais elle ne les dissipe pas ; elle les délimite seulement », écrivait Manès Sperber. Il affronta de terribles ténèbres. Nous avons le devoir d’affronter les nôtres. Manès Sperber nous laisse, pour nous y aider, une brillante, chaude et douce lumière.

 

Allocution de monsieur Philippe Douste-Blazy, à l’occasion de l’hommage rendu à Robert Bordaz (lundi 17 juin 1996)

Mesdames,
Messieurs,
Chers amis,

C’est la mémoire qui nous rassemble, ce soir, dans cette grande salle du centre national d’art et de culture Georges Pompidou. C’est le souvenir d’un homme, disparu le 22 mars dernier, et dont le destin de serviteur de la fonction publique, pour reprendre ses propres termes, fut indissociable de l’une des très grandes aventures de la culture de notre siècle.

Cette aventure, c’est celle de la création de cette institution imaginée, conçue, passionnément voulue par le Président Georges Pompidou, de ce « centre culturel qui soit, à la fois, un musée et un centre de création, où les arts voisineraient avec la musique, le cinéma, les livres, la recherche audiovisuelle… »

Cet homme, c’était Robert Bordaz. Chargé, au mois de juillet 1970, de mettre en œuvre ce grand projet, c’est à lui qu’il revint de présider d’abord l’association de préfiguration, puis l’établissement du centre Beaubourg, enfin, à son ouverture, le centre national d’art et de culture Georges Pompidou. Il y consacra, de 1970 à 1977, sept années de sa vie.

Dix ans plus tard, dans un recueil de souvenirs publié sous le très beau titre « Pour donner à voir, au service des arts, du public et de l’Etat », Robert Bordaz devait donner de la culture l’une de ses définitions les plus justes et les plus belles - je le cite - « … le droit, le devoir et le bien de tous ».

Depuis près de vingt ans, le centre Georges Pompidou manifeste la générosité de cette définition et l’actualité des valeurs qui la sous-tendent.

C’est la confiance en la création et en les créateurs - je pense ici à ceux qui furent ses proches, à Jean Prouve, à Niki de Saint-Phalle, à Jean Tinguely, à Lannis Xenakis - je pense aussi, bien entendu, à Pierre Boulez.

C’est la conviction que la culture, et plus particulièrement les formes contemporaines de son expression, constituent un élément essentiel du rayonnement de la France.

C’est, enfin, l’optimisme, « l’optimisme vigilant », pour reprendre les mots de Pierre Boulez, de qui croit en l’homme, et se consacre avec enthousiasme à permettre à chacun, quelles que soient ses origines et sa situation, d’avoir accès au meilleur, au désir du meilleur.

C’est à ses proches, réunis ici, que vont mes pensées. A vous, Madame Robert Bordaz, qui avez partagé ce destin exemplaire.

C’est, aussi, à tous ceux qui, avec le même dynamisme, la même énergie, la même volonté, ont participé autour de lui à la grande aventure du centre Georges Pompidou. Certains ont, hélas, disparu. D’autres ont quitté le centre Georges Pompidou. D’autres, enfin, lui consacrent toujours leur passion et leurs efforts.

En leur nom à tous, je rends hommage à la mémoire de Robert Bordaz, et lui porte témoignage de notre vive et profonde gratitude.

 

Allocution de Philippe Douste-Blazy, ministre de la Culture, à l’occasion de la remise des prix du concours « Ouvrez l’art » (mardi 18 juin 1996)

Mesdames et Messieurs les directeurs régionaux,

Mesdames, Messieurs,

C’est pour moi une très grande satisfaction de recevoir, au ministère de la Culture, l’ensemble des personnes qui ont rendu possible cet évènement qui accompagne le changement de siècle.

C’est aussi un grand plaisir de remettre les diplômes aux nombreux lauréats de ce concours « Ouvrez l’art ».

Vous le savez, je suis très attaché au développement culturel de l’ensemble de nos régions. Je suis particulièrement sensible à toute opération qui peut favoriser la reconnaissance du travail accompli dans nos départements.

Destiné aux jeunes de quinze à vingt-cinq ans inscrits dans une école d’enseignement artistique, ou adhérent d’une bibliothèque, d’une médiathèque, le concours avait pour but de donner une première chance aux créateurs de demain.

Dix lauréats ont été désignés. Je suis heureux qu’ils soient avec nous aujourd’hui.

Le concours « Ouvrez l’art » est exemplaire.

En premier lieu, parce que toutes les disciplines artistiques sont concernées, théâtre, architecture, sculpture, cinéma, photographie, peinture, musique, danse, littérature, publicité. Chaque personne a pu ainsi trouver à exercer son talent.

Ensuite, parce que chaque discipline est parrainée par des personnalités de tout premier plan. Je les remercie d’avoir fait preuve de disponibilité, d’avoir soutenu les candidats dans leurs démarches, d’avoir favorisé les contacts avec le milieu professionnel.

Je leur suis reconnaissant d’avoir accepté cet exercice, parfois difficile, qui consiste à discerner et couronner de jeunes talents.

Merci à Jean-Claude Brialy, Jean-Pierre Buffi, Jean-Gabriel Coignet, Pierre Salvadori, Gilles Favier, Louis Cane, Didier Lockwood, Angelin Preljocaj, Patrick Raynal, Jacques Séguéla.

Merci à tous ceux qui ont fait connaître le concours, particulièrement France 3, NRJ et RFO dont le partenariat a été efficace.

Les jeunes lauréats ont fait l’objet d’une double sélection, régionale, puis nationale. Soixante-six projets, toutes disciplines confondues, ont été retenues par les jurys régionaux, puis examinés par les parrains. Le choix a été des plus difficiles ; le résultat est remarquable ; la diversité des travaux en témoigne magnifiquement.

Changeons de siècle, le thème du concours, a en effet stimulé les imaginations de nos jeunes créateurs.

Fabrice Besson, le lauréat pour la musique, a su concilier tradition et modernité. Son projet intitulé « Persépolis » met en valeur la cornemuse, en lui donnant une dimension intemporelle.

Laure Quiquempois est une adepte de la danse contemporaine, qui a décidé comme elle le dit elle-même - je la cite - « … danser sa vie », de vivre sa passion sur la musique de l’exigence et de l’authenticité.  

Catherine Gontier, s’est illustrée dans le domaine de la sculpture. Le jury a été séduit par la volonté affirmée de l’artiste d’établir un lien étroit et complice avec le spectateur et d’œuvrer pour un art résolument « ouvert ».

Jean-Luc Perreard est un récidiviste et le cinéma lui a, déjà, valu un prix au festival « vidéo-col » de Valence. Cette nouvelle distinction ne fait donc que confirmer un talent qui a trouvé sa voie.

Stéphanie Melet a choisi le théâtre et elle a décidée de monter sa propre troupe, pour se donner les moyens d’exprimer son art. C’est une passionnée et le jury ne pouvait qu’être séduit par la force de caractère alliée au talent.

Francky Lauret, originaire de l’île de la Réunion est un poète, et son expression poétique révèle déjà une grande maturité et un appétit de vivre étonnant.

Jonathan Jolles s’exprime à travers la réclame, témoin privilégié du siècle, puisqu’elle montre les comportements et nous renvoie l’image de notre société.

Franch Vaucelle a conçu un projet architectural inspiré par son environnement, le port toulousain de Saint-Sauveur. Il a su marier la tradition et les nouvelles technologies d’information et de communication.

Virginie Villemin fait preuve d’éclectisme en mêlant habilement la danse, la littérature et la peinture ; elle est lauréate pour la photographie.

Servane Jonard, lauréat en peinture, nous étonne par la maturité de son expression et par la maîtrise de son travail.

Je voudrais féliciter chaleureusement tous les lauréats et leur dire combien l’enthousiasme dont ils ont fait preuve manifeste la vivacité de la jeune création contemporaine et nous assure de grandes œuvres à venir.

Je souhaite que de telles manifestations se renouvellent ; qu’elles nous permettent ainsi, de découvrir les nombreux jeunes talents qui méritent d’être soutenus et encouragés par mon ministère.

Je vous remercie de votre attention.