Interview de M. Philippe de Villiers, président du Mouvement pour la France, à France-Inter le 5 mars 1998, sur l'exclusion sociale, la politique de l'emploi, l'Europe et la monnaie unique, l'Accord multilatéral sur les investissements (AMI), les élections régionales et sur la droite.

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Média : France Inter

Texte intégral

C'est du jamais vu en France depuis la guerre, une telle angoisse face à l'exclusion et la précarité ?

– « Oui, parce qu'en fait, ce qu'on appelle l'exclusion, c'est le non-emploi. C'est la cause principale de l'exclusion, et je crois, pour ma part, que depuis au moins une vingtaine d'années, on a privilégié l'utopie monétaire, l'utopie libre échangiste, l'utopie fiscale qui nous conduisent là où nous sommes, c'est-à-dire que l'emploi devient une variable d'ajustement. »

Quand le Président de la République dit hier, en Conseil des ministres, que c'est une priorité nationale, au-delà des clivages, diriez-vous, comme J. Barrot par exemple hier, que les bonnes idées font leur chemin, et que ce plan contre l'exclusion, amorcé par la droite et poursuivi par la gauche, c'est bien ?

– « J. Barrot raisonne en président de Conseil général, comme moi ; c'est-à-dire que par exemple, s'il s'agit de la couverture 100 % maladie, on aurait dû le faire depuis longtemps au niveau national, mais certains l'ont fait sur le plan départemental. Par exemple, nous, le conseil général de la Vendée, on l'a fait depuis deux ans. On a créé une mutuelle pour toutes les personnes exclues, pour qu'elles aient un accès direct aux soins. Mais s'il s'agit, plus généralement en amont, d'agir contre l'exclusion en termes d'emploi par rapport à l'économie, alors il faut agir sur les causes de l'exclusion, et non pas seulement sur les effets. Bien sûr, il est absolument indispensable de faire face aux situations de détresse criantes, et donc toutes les idées sont bonnes à prendre pour remettre dans le circuit de l'emploi ceux qui ont glissé au fossé. Mais on ne résoudra le problème qu'en allant aux causes, et je crois pour ma part que la cause, c'est une politique économique qui depuis trop longtemps, quels que soient, d'ailleurs, les gouvernements et leur sensibilité, n'est pas bonne. »

Là, il y a une vraie question posée, parce qu'il y a cette angoisse, et d'un côté, il y a un total désintérêt pour ces régionales. Est-ce que cela veut dire que les Français n'attendent rien de vous – quand je dis vous, c'est les politiques en général –, tant de droite que de gauche ? Est-ce qu'il y a un découplage entre l'opinion et, au fond, la responsabilité politique aujourd'hui ?

– « Je crois qu'il faut, quand on est un responsable public, écouter les gens, par exemple sur un marché, comme moi je l'ai fait, hier, au marché de Brou. Qu'est-ce que les gens disent ? "De toute façon, vous êtes tous pareils." Ce n'est pas tellement d'ailleurs une appréciation d'ordre moral ; cela veut dire : vous ferez la même politique. Alors pourquoi ? Parce que quand les gens voient le problème du maïs transgénique qui arrive chez nous, ils disent que de toute façon, les hommes politiques sont impuissants, cela se passe ailleurs. Le problème des Kurdes, le problème de l'immigration, cela se passe ailleurs, c'est Schengen. Le problème de l'emploi, la monnaie unique, cela nous dépasse, etc, etc. Je crois que la France est un pays qui se dépouille, qui se démet, qui se défait de la plupart de ses pouvoirs, et quand vous n'avez plus, chez vous – nous, les hommes politiques – le pouvoir de faire la loi, le pouvoir de contrôler les frontières, le pouvoir d'ajuster sa monnaie, le pouvoir d'ajuster son budget, et donc d'ajuster sa politique économique, il ne reste plus que des banderoles, avec des gens qui pleurent sous vos fenêtres, et qui disent : où est-ce que cela se passe ?

Je vous vois venir, là le coup de massue sur le projet européen !

– « C'est-à-dire qu'on se dépouille nous-mêmes au fil du temps : avec Schengen, Maastricht, Amsterdam, la monnaie unique ; de tous les pouvoirs qui permettent de répondre aux gens. Et il ne faut pas s'étonner ensuite que chasseurs et chômeurs défilent dans la rue, sans chercher d'ailleurs un interlocuteur, il n'y en a plus, il n'est plus là, il est ailleurs. »

Vous ne croyez pas que les gens ont conscience, quand même, de ce qu'on appelle tous, aujourd'hui, la mondialisation ? Et du fait, aussi, que l'économie est en réseau, qu'elle est mondiale et qu'on peut plus faire abstraction de cela, et qu'il faut donner donc peut-être à l'outil politique une dimension telle que, en dessous de la dimension européenne, on ne serait pas très puissant ?

– « Mais je crois que justement, l'Europe serait utile si elle était protectrice : l'Europe des nations, une Europe qui nous protège, qui protège notre sécurité, notre santé publique, plutôt que l'Europe décrite hier dans l'avant-dernière page du Monde, avec un article à la fois saisissant, intéressant et terrifiant, puisque après l'AMI il y a quinze jours, on nous propose maintenant tout simplement, une zone de libre-échange. C'est L. Brittain qui propose ce projet à la Commission de Bruxelles, sans que les Français soient au courant, pas plus d'ailleurs que les chefs d'Etat... »

C'est pire que l'AMI, cela encore ! C'est la taille au-dessus !

– « C'est pire que l'AMI, c'est une zone de libre-échange qui ferait finalement de l'espace européen – appelons ça comme cela, les économistes disent l'Euroland – une sorte d'annexe des Etats-Unis. Alors moi, je n'accepte pas qu'on prenne la mondialisation en tant que telle comme un phénomène inéluctable. La mondialisation des échanges, elle est, bien sûr inéluctable. Mais on attend de l'Europe la préférence communautaire, c'est-à-dire l'idée de faire entre nous une communauté de producteurs et de consommateurs, pour éviter les délocalisations. »

Mais face à ce projet américain – parce que l'AMI c'est quand même cela : un projet de mondialisation de la planète dans une perspective américaine – est-ce que justement, il ne faut pas une taille européenne, au minimum une taille européenne, en face de cela ?

– « Je crois qu'il faut une Europe qui soit protectrice. Il y avait, quand l'Europe a été créée, en 1957, un élément fondamental, sans lequel jamais le général de Gaulle n'aurait accepté de poursuivre la construction européenne : c'était ce qu'on appelait la préférence communautaire. Cela veut dire que l'on commence par consommer chez nous les produits qui sont fabriqués chez nous. Cela existe dans le monde. D'ailleurs, les Américains, eux, ils appliquent la préférence américaine. Les Japonais, ils appliquent la préférence japonaise. Nous, on applique la préférence américaine et la préférence japonaise. Regardez le marché automobile ! Donc si l'Europe doit être un espace ouvert à tous les vents, elle nous détruit. On le voit bien avec l'affaire du maïs transgénique, on le voit bien avec la "vache folle". On peut prendre des exemples dans les domaines de la santé publique, de la sécurité publique, du problème de l'immigration, et surtout le problème économique. Or le projet de la monnaie unique, c'est un projet qui va transférer nos pouvoirs, nos libertés, pour créer une zone rigide, au moment même où l'on voit bien que chaque peuple doit avoir sa monnaie, parce que la monnaie, c'est un instrument au service de l'économie. Il faut mettre la monnaie au service de l'emploi, et non pas l'emploi au service de la monnaie. C'est cela qui crée l'exclusion tous les jours. »

Comme les régionales nous renvoient à l'Europe, justement, où en êtes-vous ? Vous avez réintégré, au fond, la droite RPR-UDF ?

– « C'est-à-dire que nous avons intégré l'opposition. Cela ne nous a pas échappé. On se bat à partir du principe suivant : éviter que les grandes erreurs qui sont faites au niveau national ne soient reproduites au niveau des régions. Moi, je pars de l'observation des régions françaises et des départements français. Sur neuf départements les plus chargés en taxe professionnelle, il y en a sept qui sont dirigés par les socialistes et les deux régions les plus imposées, les plus endettées, c'est le Nord-Pas-de-Calais, région verte, et le Limousin, région rose. »

Si vous voulez faire battre la gauche, ce qui est évidemment dans votre projet, vous voulez le faire aussi avec le Front national ? C'est RPR, UDF plus Front national ?

– « On a toujours été très clair là-dessus. On a parlé de majorité absolue pour la droite classique ou de majorité relative. Moi, je veux faire battre la gauche et le Mouvement pour la France n'acceptera jamais d'être une France supplétive directe ou indirecte de la gauche socialo-communiste. »