Texte intégral
Propos sur la Défense – N° 57 - 13 février 1996
Entretien du ministre de la Défense à « RFI » (8 h 15)
Q. : Avec Daniel Dézesquel notre spécialiste des questions de défense, nous allons tenter de faire le point sur les grandes manœuvres qui sont en cours dans l'armée, le service national, nous évoquerons également le rôle de l'OTAN, l'engagement français en Bosnie et puis, dans un second temps, nous essaierons d'aborder des questions de politique intérieure. Tout de suite les questions de défense. Charles Millon, vous êtes un ministre de la Défense qui a toutes les chances de marquer son époque. Sous l'ère Millon, l'industrie de la défense va maigrir de 20 %, elle va devoir aussi se regrouper. Le service national va peut-être disparaître au profit d'une armée de métier et dans tous les cas, les années seront d'avantage professionnalisées. Pendant ce temps-là, Paris se rapproche de l'OTAN mais jusqu'où aller pour ne pas être militairement intégré, parce que si j'ai bien compris ce n'est pas l'objectif. Sans oublier qu'en ce moment 8 000 soldats français sont déployés en Bosnie sous commandement de l'OTAN. Si vous le permettez, première question. Il est sûr désormais que les armées seront d'avantage professionnalisées, c'est le souhait du Président Chirac, et dans tous les cas il va falloir fermer des casernes. Alors vous allez commencer par lesquelles, celles qui sont en France ? En Allemagne ? Ou encore celles qui sont en Afrique ? Et pour prendre un exemple précis, qu'est-ce qui justifie le maintien d'un petit millier d'hommes à N'Djamena au Tchad alors que la menace libyenne a disparu depuis longtemps.
R. : Tout d'abord il faut revenir sur le pourquoi de la professionnalisation. Les armées françaises doivent devenir plus professionnelles parce qu'elles ont des missions tout à fait spécifiques aujourd'hui à assumer, mission de projection, mission de prévention, et on s'est rendu compte à l'évidence, soit durant la guerre du Golfe, soit aujourd'hui en Bosnie, que l'armée devait être professionnelle pour être efficace, et c'est à partir de cette analyse et de ce constat qu'aujourd'hui il y a un certain nombre de propositions qui sont faites pour que notre armée évolue peu à peu vers une armée qui soit moins de conscription et plus professionnelle.
Vous m'avez posé une question concernant notre présence en Afrique, cette présence n'est en rien contradictoire avec une professionnalisation des armées car il est absolument nécessaire que nous ayons ce qu'on appelle des « bases avants » qui permettront la projection et le respect des accords de défense que nous avons conclus. Nos soldats sont à Djibouti, au Tchad, en Centrafrique. Il paraît peut-être souhaitable de revoir leur format pour s'adapter aux nouvelles conditions, mais il n'est pas question de supprimer ces implantations qui sont nécessaires pour notre politique de garantie de la paix dans ces parties du monde.
Q. : Pas question de les supprimer toutes ?
R. : Non, il est question peut-être de les aménager dans leur format et dans leur équipement, mais il n'est pas question de les supprimer.
Q. : Vous avez prôné un service civique, est-ce que cela implique un service national sous forme de coopération internationale humanitaire ?
R. : Qui dit armée professionnelle dit nécessairement une réflexion sur le service national. Aujourd'hui vous avez un service national qui enregistre 25 % d'exemption, qui n'est pas totalement universel ni totalement égalitaire puisque certains vont faire leur service national dans les armées, d'autres font leur service national dans la coopération, d'autres encore dans des entreprises comme volontaires pour service économique dans l'entreprise. Et qu'à partir de ce moment-là il y a une inégalité qui transparaît et une universalité qui n'est pas garantie. C'est à partir de ce constat qu'un débat est en train de s'engager sur : « comment faut-il faire évoluer le service national ? ». Alors certains nous diront : « il faut le supprimer », d'autres nous expliquerons qu'il convient de recréer les conditions de l'universalité et de l'égalité, en diversifiant les formes du service national et en amenant tous les jeunes à effectuer, durant une période de leur vie, un service pour la communauté nationale.
Q. : Vous avez milité pour un pilier européen de l'OTAN, je vous rappelle que le président de la République ne parle plus de pilier, mais de concept de pilier européen depuis son voyage aux États-Unis. C'est quoi un pilier européen de défense, d'une manière générale, peut-on parler d'une défense européenne tant qu'on n’a pas défini les intérêts vitaux qui unissent ces pays ? Les Français et les Allemands sont-ils aujourd'hui « à la vie, à la mort » ?
R. : Le pilier européen est une notion qui a été affirmé par le Président Kennedy. C'est lui qui, dans les années 60, a parlé d'un pilier européen. C'est vrai qu'il vaut mieux parler d'un concept que d'une réalité, le concept englobe une véritable démarche à laquelle nous tenons, c'est-à-dire la possibilité à l'intérieur de l'Alliance atlantique d'avoir un ensemble nord-américain et un ensemble européen qui se partagent les responsabilités de la défense.
Vous m'avez interrogé pour savoir si on allait voir apparaître une véritable démarche européenne. Je crois que oui ! On le voit déjà dans les faits à travers un certain nombre d'institutions, telles que l'Eurocorps, telle que l'Euroforce, le corps franco-britannique européen. Nous avons donc un certain nombre d'illustrations au niveau des institutions. Deuxièmement, il est inscrit dans le traité de Maastricht la conception et la mise en place d'une politique européenne de sécurité et de défense. Il sera nécessaire à partir des institutions existantes, et certains suggèrent de s'appuyer sur l'UEO, de construire mieux qu'on ne l'a fait jusqu'à maintenant une approche d'une défense européenne. Cette institution européenne en matière de sécurité et de défense devra elle aussi prendre toute sa place dans l'OTAN, c'est la proposition française.
Q. : A contrario, est-ce que l'idée de défense européenne n'est pas morte le jour où l'Union européenne a accueilli en son sein des pays neutres comme la Suède ?
R. : C'est un problème qui est posé évidemment, c'est la raison pour laquelle nous nous référons plus facilement à l'UEO qui ne comprend pas de pays neutres et qui permet de mettre en place une véritable institution de défense et de sécurité. L'Union européenne aura le débat sur le problème États neutres-États engagés pour leur défense à l'intérieur de l'ensemble européen.
Q. : 8 000 soldats français en Bosnie sous le commandement de l'OTAN. Globalement, ça se passe mieux avec l'OTAN qu'avec l'ONU, à part quelques accrocs et notamment celui-là : Radovan Karadzic et Radko Mladic, deux criminels de guerre notoires, sont en liberté. Je sais bien que si les troupes de l'OTAN les croisent, elles les arrêteront, mais pour être bien avec sa conscience dans les années à venir, ne faut-il pas aller plus loin et les débusquer là où ils se trouvent.
R. : Les forces de l'IFOR sont des forces militaires, ce ne sont pas des forces de police ; il n'a pas été prévu ni dans les accords de Dayton, ni dans le traité de Paris de conférer aux forces de l'IFOR une mission de police. Je crois qu'il faut respecter les accords, et surtout la mission qui est donnée aux hommes. Vous savez que la France depuis le début, c'est-à-dire dès l'émergence de ce conflit a insisté sur le fait que s'il fallait s'engager c'était pour faire respecter un certain nombre de principes et en particulier la dignité de l'homme, lutter contre la purification ethnique qui rappelait des heures noires de notre Europe, donc ce n'est pas elle qui, aujourd'hui, va remettre en cause le fait qu'un certain nombre de criminels de guerre soient poursuivis. Simplement, il convient que la communauté internationale, si elle veut que les décisions du Tribunal de La Haye soient mises en œuvre, prennent les moyens pour que soit une police internationale, soit une police spécifique, soit mise en place pour poursuivre ces criminels de guerre, car aujourd'hui il n'est pas possible, il n'est pas convenable de le demander à des forces militaires.
Q. : Il faut bien que quelqu'un le fasse, ce ne sont pas 300 policiers qui vont le faire !
R. : Dans l'accord de Dayton, il était prévu de mettre en place une police internationale. Je crois qu'il est urgent de la mettre en place.
Q. : MM. Karadzic, Mladic peuvent dormir en paix.
R. : Pas du tout, vous dites exactement l'inverse de ce que je viens de dire ! J'ai dit que MM. Karadzic et Mladic devaient être poursuivis comme cela est prévu, mais ce n'est pas à des forces militaires de se substituer à des forces de police.
Q. : Vous avez prôné un rapprochement des industries de défense entre Dassault et Aérospatiale, aujourd'hui Thomson cherche un partenaire, etc. Est-ce qu'il y a un groupe industriel de défense français qui a la taille européenne aujourd'hui ?
R : Aujourd'hui, on a la mise sur pied d'une industrie américaine de l'armement qui atteint un taux de compétitivité extraordinaire et qui peut complètement bouleverser l'espace économique en matière d'armement dans le monde. Les Américains ont un marché d'une amplitude tout à fait significative, un budget de défense extrêmement important, et c'est pour cette raison qu'on voit se mettre en place des groupes de dimension mondiale. C'est un défi qui est lancé aux entreprises britanniques, allemandes ou françaises. Il est absolument indispensable que dans les trois ans qui viennent il y ait, non seulement des restructurations nationales, c'est ce que nous avons enclenché dans notre pays, mais qu'il y ait des alliances européennes qui permettent aux industries européennes d'armement de concurrencer les industries américaines d’armement et ainsi de garantir l’autonomie de politiques de défense, qu’elles soient nationales ou européennes, à laquelle je faisais référence il y a quelques instants.
Propos sur la Défense – N° 57 - 17 février 1996
Entretien du ministre de la Défense sur « Canal+ » dans l’émission « L’Hebdo » (12 h 30)
(Extraits)
Q. : Les questions que posent les jeunes gens et les jeunes filles, que faire d'efficace pour aider l'Algérie, vu l'histoire des rapports entre la France et l'Algérie ? J'imagine que c'est un sujet de réflexion de votre part.
R. : Je crois que le problème se pose un petit peu différemment. Il faut d'abord s'interroger sur l'origine de ces attentats. Vous avez parlé des attentats à Londres et à Alger. Dans un cas comme dans l'autre, il y a une source commune : l'impression de mépris ou de non-respect d'idées, de religion de la part d'une certaine partie de la population ; ce sont les Irlandais qui considèrent qu'ils sont méprisés par les Anglais, qui ne sont même pas respectés dans leur spécificité, c'est-à-dire la religion catholique en l'espèce. Vous avez un certain nombre d'Algériens qui ont l'impression non seulement d'être méprisés, mais qui sont pour la plupart dans une situation de misère qui est telle qu'elle provoque la révolte et l'intégrisme. Si l'on veut répondre à ces situations et empêcher ce style de terrorisme, ce type d'intégrisme, il va falloir répondre par plus de considération. Et la considération, elle passe sur le plan économique à aider ces gens à sortir de leur situation de misère pour qu'ils arrivent à une situation d'aisance. C'est un objectif et c'est la raison pour laquelle la France n'a jamais renoncé à son aide économique, car ce serait pire qu'avant. Deuxièmement, il va falloir apprendre la considération et le respect, j'allais dire la tolérance, le respect des religions, le respect des croyances, car si on n’a ni le respect des croyances, ni le respect des religions, on provoque l'intégrisme, c'est ce qu'on constate dans le monde entier.
Q. : On parlera tout à l'heure des projets de réforme du service national, mais est-ce qu'il n'est pas aussi de la responsabilité du ministre de la Défense de profiter de cette période de conscription et du service national pour lutter efficacement contre le sida ? Est-ce que vous avez le sentiment que l'armée fait bien son travail sur la question ?
R. : Je crois que l'armée fait son devoir et que dans ce domaine-là, comme dans les autres, elle exerce non seulement ses capacités d'instruction mais aussi ses capacités d'influence, et ça fait partie des fonctions d'instruction et de formation qui sont inscrites dans le cadre du service national.
Q. : On parle beaucoup de vous dans l'actualité et je pense que ce n'est pas fini, car vous êtes finalement l'artisan d'un projet de réforme assez considérable sur le service national et sur le redéploiement des industries d'armement en France. On va d'abord parler du service national. Comment résumeriez-vous en quelques mots le grand débat de société que vous souhaitez sur la réforme du service national ?
R. : L'évolution du service national tient à deux raisons essentielles : la première est dans l'évolution même de la mission des armées et la deuxième dans la nature du service national :
L'évolution de la mission des armées : les armées ont aujourd'hui pour mission essentielle, selon toutes les études qui ont été effectuées, la dissuasion, la projection, c'est-à-dire aller sur des théâtres d'opération à l'extérieur de la France ou en marge de la France, la précaution et la prévention. On s'aperçoit que pour pouvoir assumer ces missions de dissuasion, de projection, de précaution et de prévention, il faut des hommes de plus en plus aguerris, de plus en plus spécialistes, il faut une armée professionnelle. On l'a constaté lors de la guerre du Golfe, on le constate aujourd'hui dans la guerre de Bosnie, qu'on n'en est plus, comme jadis, à la levée en masse symbolisée par Valmy, reprise dans la loi de la conscription en 1905 et qui a inspiré un certain nombre de stratèges. C'est la première raison qui nous amène à nous poser le problème de savoir si le service national, la conscription doivent être maintenus ou non.
La deuxième raison, c'est la nature du service national. Le service national reposait et repose encore sur deux principes : universalité et égalité. Universalité, ça signifie que le service national est universel pour toute une classe d'âge de jeunes gens et, deuxièmement, il doit respecter le principe d'égalité. Chacun doit avoir les mêmes droits et les mêmes devoirs, les mêmes charges, la même mission. Or on constate que depuis un certain nombre d'années l'universalité et l'égalité sont garanties difficilement.
Q. : Un peu moins de 25 % de jeunes exemptés du service national ?
R. : À peu près 25 % d'exemptés, avec le problème des reports et des missions qui sont différentes : certains font de la coopération économique, d'autres font un service militaire... Il n'y a pas en fait une égalité. À partir de ce constat-là, il y a un certain nombre de personnes qui ont suggéré, en disant : « Mais pourquoi n'allons-nous pas dans le sens d'autres pays comme la Grande-Bretagne, la Hollande ou la Belgique et ne renonçons-nous pas à la conscription ? ». Donc le débat est engagé et je crois que maintenant il faut qu'il se développe, que d'abord les jeunes disent leur point de vue, que ceux qui ont en charge la défense de la France et les armées françaises donnent aussi leur analyse, que toute la population en parle. C'est un débat qui concerne bien sûr les armées, la défense nationale, qui concerne bien sûr les classes d'âge qui vont faire le service national, c'est un problème de société. Est-ce que l'on va aussi profiter de cette période assez extraordinaire qu'est le service national pour pouvoir garantir une cohésion sociale et lutter contre cette fracture sociale réelle dont beaucoup parlent quand on traverse un certain nombre de nos régions ou un certain nombre de nos quartiers ?
Q. (un lycéen) : À propos du service civil ou civique, je pense qu'il faut en développer l'usage. Il faudrait que ce soit plus fréquent. Que pensez-vous d'un service civil européen ? Pensez-vous que ce soit la solution ? Je pense personnellement que ça ouvrirait les jeunes aux autres pays de l'Europe et ça irait dans le sens de la position du gouvernement sur la construction européenne.
R. : Je vais d'abord répondre à ce garçon qu'il faut d'abord trouver une solution au problème civil français, avant d'aborder la dimension service civil européen.
Je crois qu'il faudra développer de plus en plus de relations internationales et créer des services dans le cadre des coopérations internationales. Je suis totalement favorable à un grand débat et le Conseil économique et social a posé les bases de ce débat. On peut maintenant en discuter, on peut être d'accord, on peut être contre, mais il faut que ce débat ait lieu. (...)
(...) Quand il y a purification ethnique, quand il y a racisme organisé militairement, il faut bien réagir. Il faudra bien qu'il y ait une violence légitime. C'est étymologiquement le mot, une violence légitime pour pouvoir aller contre ces perversions, je prends cet exemple là parce qu'il vient d'être vécu en Bosnie-Herzégovine. Il faudra bien qu'il y ait des gens qui sachent manier les armes et qui sachent faire respecter les droits. Je veux bien que l'on critique, que l'on juge le service militaire ou le service national, qu'on juge les armées, mais je crois qu'il faut toujours penser qu'un jour, on peut avoir en face de soi quelqu'un qui atteint à notre intégrité, à notre liberté, à notre cohésion sociale et qu'il faudra bien à ce moment-là avoir les moyens de se défendre.
Q. : Mais entre les trois hypothèses, une armée mixte à la fois professionnelle et de conscription, une armée professionnelle avec un service civique tel que vous l'avez déjà un peu élaboré, réduit en temps et diversifié dans ses tâches et une armée professionnelle avec un service national qui serait purement volontaire, laquelle de ces trois hypothèses a d'emblée votre préférence ?
R. : Je vais être clair, je ne prendrai pas position car je souhaite, effectivement, un grand débat français et si le ministre de la Défense en exercice se prononce immédiatement, il faussera le débat. Donc je souhaite que les jeunes qui sont concernés, que les officiers, sous-officiers, les soldats fassent connaître leur analyse, que les experts disent ce qu'ils en pensent, ainsi que tous les citoyens, car cela concerne tous les citoyens.
Il faut dire aux téléspectateurs que la conscription n'a été ajoutée à notre arsenal législatif qu'en 1905, donc ce n'est pas très ancien. On l'a fait remonter historiquement à Valmy parce que c'est symbolique, c'est même emblématique, mais le service militaire n'est obligatoire que depuis 1905, un siècle. Cela est devenu un élément déterminant de notre société un élément même essentiel, substantiel, donc maintenant il faut en débattre.
Je crois très franchement qu'il ne faut pas regarder le problème simplement sous l'angle des fonctions de défense, il faut aussi regarder ça sous l'angle de la société, de la cohésion sociale et c'est en fonction de ces deux éléments qu'on pourra donner une réponse. Troisième élément, je crois que les jeunes pourront y répondre mieux que nous. Le service national peut être l'occasion d'une seconde chance pour un certain nombre de jeunes. Hier, il y a un rapport qui a été publié, qui dit que 20 % des Français sont plus ou moins illettrés. Est-ce qu'on ne peut pas profiter de cette période-là pour pouvoir demander à ceux qui ont eu la chance dans leur vie de faire des études supérieures, d'être formés, d'avoir eu un milieu familial, culturel stable, qui leur a permis de se préparer à la vie, de prendre en charge ceux qui n'ont pas eu cette chance et de leur ouvrir un chemin vers une meilleure formation, vers une meilleure éducation ?
Je crois qu'il convient de répéter tout au cours de l'émission que rien n'est figé et qu'il s'agit d'un débat que nous sommes en train de vivre et de mener et qu'on mènera durant un certain nombre de mois. Personnellement, je dis bien personnellement, je crois qu'il y a un certain nombre de fonctions sociales qui ne sont pas des fonctions marchandes qui pourraient donner lieu à un engagement et je vous donne l'illustration que j'ai donnée tout à l'heure. S'il y a véritablement 20 % d'illettrés – on peut penser que le rapport qui a été publié est un rapport qui est fondé –, il me paraîtrait sain pour notre société que ceux qui ont une formation puissent la dispenser durant quatre, six, huit ou neuf mois – ça c'est un autre problème, c'est le problème de la durée – à des jeunes qui n'ont pas eu cette chance. Je répète, ce n'est pas une fonction marchande. Donc, ça n'enlèvera rien au marché de l'emploi car c'est souvent une critique qui est faite au service dit civique ou civil et deuxièmement c'est une fonction qui est importante pour renforcer la cohésion de la nation, c'est la première illustration que je peux donner.
Il y a une autre illustration, c'est celle qui concerne toute la partie de l'aménagement de l'environnement, il y a des tâches qui coûtent très chères, qui ne sont pas sur le marché, mais qui pourtant sont utiles. Elles sont à la limite entre l'environnement, la protection de la nature et la sécurité, je pense à la surveillance des forêts par exemple dans les régions où il y a des feux de forêts chaque année, on s'aperçoit que, là, il y a une mission à assumer. Il faut savoir que dans des pays comme le Canada, ces missions sont assurées par des étudiants qui en ont fait leur petit job, mais est-ce qu'en France on ne peut pas dans ce cas-là demander qu'il y ait des missions de sécurité qui soient assumées ? Je pourrais continuer longtemps avec un certain nombre de fonctions ou de services mais je crois que vous soulevez un vrai problème, il ne faut pas que ces fonctions et ces services viennent empiéter sur le marché de l'emploi.
Q. : Une question reste : un an de jeunes au service national, c'est aussi des jeunes qui ne vont pas à l'ANPE et qui ne sont pas comptabilisés comme des chômeurs.
R. : Je pense que la question est une question qui est beaucoup plus vaste que le service national, c'est le problème de l'accès à la première expérience professionnelle.
Si vous voulez je reviendrai dans une autre émission en parler en tant que président de la région Rhône-Alpes puisqu'on a mis en place des plans d'accès à la première expérience professionnelle. Je suis d'accord avec vous, l'un des grands problèmes de la jeunesse, c'est la sortie des études et l'entrée dans la vie active. C'est un problème.
Là, je réponds : le service national peut servir car il peut permettre à un jeune dans le domaine de l'électronique, de la mécanique, du bâtiment, dans des domaines multiples, d'acquérir une expérience. Je vais prendre un exemple qui va peut-être faire sourire mais tous les jeunes qui sortent des écoles hôtelières qui viennent au service national et qui continuent dans leur fonction de restauration ou de service sont tous des jeunes qui sont pris en priorité dans tous les restaurants de France et du monde, ce qui nous montre que l'apprentissage qu'ils ont effectué durant le service national n'est pas obligatoirement nul. Au contraire, dans le cas précis, il est même valorisant.
Q. : Enfin, s'il faut garder une armée entière pour apprendre à faire la cuisine, c'est quand même beaucoup.
R. : Pas du tout, il ne faut pas ridiculiser, je n'ai pas dit cela.
J'ai dit simplement, qu'il faut peut-être réfléchir à cette période de la vie pour savoir si à côté de ceux qui sont engagés volontairement long, soit dans la gendarmerie, soit dans l'armée, soit dans la police, soit dans un certain nombre de secteurs de sécurité civile, il ne peut y avoir des possibilités offertes pour permettre à des jeunes d'avoir un véritable apprentissage de la vie et ainsi faciliter leur entrée dans la vie active. On poursuit deux objectifs à ce moment-là en renforçant la cohésion sociale et en donnant des atouts à l'individu, ce qui n'est quand même pas mauvais.
Q. : Ça va coûter beaucoup d'argent cette réforme ?
R. : Une fois de plus, je voudrais quand même bien remettre les choses en place parce que je ne voudrais pas qu'en sortant de cette émission, certains croient que la réforme est déjà faite. La réforme actuellement n'est pas engagée, sinon sur le plan du débat. Les échéances seront fixées au cours de l'année 1996 mais je rappelle quand même qu'actuellement il y a trois grandes orientations :
- premièrement, le maintien de ce qui est, c'est-à-dire une armée mixte, avec d'un côté des gens qui font un service militaire et d'autres qui font un service civil ;
- deuxièmement, une armée véritablement professionnelle avec des engagés volontaires à trois ou à cinq ans et à côté un service civique qui a d'ailleurs une dimension sécurité défense lui aussi ;
- troisièmement, une armée de métier avec d'un côté un volontariat pour pouvoir assumer un certain nombre de services tels qu'ils seraient définis par la législation.
C'est vrai que ces réformes coûteront de l'argent et qu'il est bien évident que quitter le service national tel qu'il existe aujourd'hui pour aller vers un service national avec une dimension civique ou civile beaucoup plus importante, cela amènera une augmentation du coût, mais à ce moment-là, ça ne relèvera pas du ministère de la Défense.