Texte intégral
Réunion informelle des ministres des Affaires Etrangères de l’Union Européenne
Conférence de presse du Ministre des Affaires Etrangères, M. Hervé de Charrette - 7 septembre 1996
Au cours de ces réunions, on ne prend pas de décision. Le principe même d’un « gymnich », c’est d’échanger des vues, de partager nos points de vue et nos analyses sur un certain nombre de sujets d’intérêt commun, notamment dans le cadre européen. Naturellement, nous avons évoqué la situation au Proche-Orient et nous avons chargé l’expert du président de l’Union européenne pour les six mois à venir, le président irlandais, de faire connaître à nos partenaires au Moyen-Orient les préoccupations qui sont les nôtres. J’ai fait part, pour ce qui me concerne, des inquiétudes des françaises sur la situation au Proche-Orient. Nous espérons que la rencontre entre M. Netanyahou et M. Arafat, qui, jusqu’à présent, n’a pas donné d’effet concret, sera susceptible dans les semaines qui viennent – et il y a urgence –, de déboucher sur des résultats pratiques concernant les sujets intéressant les rapports entre Israël et les Palestiniens.
Il en va de même des préoccupations, des inquiétudes du moment, des espoirs pour le futur, concernant le volet syrien et le volet libanais. J’ai constaté que nous avions pu nous mettre d’accord sur un point de vue, que nous avons d’ailleurs mis par écrit, et qui était à quelques mots près le document que j’avais proposé aux Irlandais il y a quelques heures.
Q. : Sur l’Irak ?
Hervé de Charette : Je dirais que nous avons échangé nos positions, qui étaient connues, puisqu’elles avaient été exprimées publiquement les jours passés. Il n’y avait pas de raisons qu’elles changent. Nous avons les uns et les autres deux souhaits qui m’ont paru utiles : d’abord, notre attachement à l’intégrité territoriale de l’Irak ; et en second lieu, notre désir que la résolution 986 soit mise en application dès que les conditions seront réunies. Ce sont les deux éléments qui m’ont paru les plus significatifs.
Q. : Qui seraient mis noir sur blanc dans une déclaration ?
Hervé de Charette : Non, cela relève de la présidence. Je répète qu’il n’y a pas, dans ce genre de rencontre, de documents actés, de décision formalisée. C’est le principe même de ces rencontres.
Q. : Est-ce qu’il a été exprimé une inquiétude vis-à-vis du rôle que joue la Turquie dans la région ?
Hervé de Charette : Nous avons rappelé notre attachement au principe de l’intégrité territoriale de l’Irak. C’est déjà beaucoup.
Q. : Et sur la Bosnie, vous allez en parler maintenant ? Vous avez quelques idées précises ?
Hervé de Charette : Nous avons abordé jusqu’à présent la situation au Moyen-Orient. Nous parlons pour le moment de la question de l’ex-Yougoslavie avec Carl Bildt : C’est donc sur ces deux points que je voudrais concentrer votre attention.
D’abord, sur le Proche-Orient. On essaie d’analyser ensemble les problèmes les plus importants et de voir si nous avons une idée sur la façon dont nous pouvons travailler dans les semaines qui viennent. S’agissant du Proche-Orient, ce qui est significatif c’est que nous avons une bonne analyse de la situation actuelle. C’est une situation qui a été faite successivement d’hésitations puis de blocages, et je voudrais appeler votre attention sur les risques de dérapage et de violence qu’elle recèle si elle devait perdurer. Cette inquiétude est française, et aussi, je crois, européenne. Il y a eu, depuis quelque temps, s’agissant des relations entre Israël et les Palestiniens, un certain nombre de progrès. Ce sont des progrès sympathiques et utiles, voire importants, dans la mesure où il y a une reprise de contacts. De ce point de vue, la rencontre entre le Premier ministre israélien et le président de l’Autorité palestinienne, la rencontre Netanyahou-Arafat, est un évènement dont nous ne sous-estimons pas la portée, à condition qu’il s’en déduise des progrès rapides sur les questions qui restent en suspens. Nous avons reçu à Paris un certain nombre de dirigeants de la région. Je recevrai David Levy à Paris au début de la semaine. Je me suis entretenu avec Warren Christopher. Dans tous les cas, j’ai tenu le même langage qui est fondé sur le respect des décisions prises à Madrid, à Oslo et à Taba et sur le respect des engagements pris par les parties quelles qu’elles soient. Je me félicite de constater que l’Union européenne, c’est-à-dire l’ensemble de mes collègues, partage à la fois cette analyse, cette inquiétude, cet espoir et cette demande.
Nous nous sommes entendus sur ce que j’appellerais en français les éléments de langage, sur ce que qu’on appellerait en anglais les « speaking notes », qui permettent d’acter notre position commune, proposée par la présidence irlandaise sur la base d’un texte que j’avais moi-même proposé à la présidence irlandaise hier. Une fois de plus la France cherche à faire en sorte, je crois avec succès, que l’Union européenne pèse de tout son poids au Proche-Orient, dans le sens de la paix.
La France, naturellement, multiplie les contacts pour faciliter la reprise de la négociation, comme le prouvent les multiples rencontres que je viens d’évoquer avec vous et lors des nombreux contacts que nous pouvons avoir par ailleurs. J’espère que cela pourra contribuer aussi à la reprise du processus de discussions de négociations entre Israël et les Syriens, avant que ce soit entre les Israéliens et les Libanais.
Voilà pour le Proche-Orient.
Comme je sais que vous allez m’interroger sur ce point, je vais donc l’aborder aussi. Nous avons bien entendu parlé aussi de la situation en Irak. S’il est vrai qu’il y a eu entre les membres de l’Union des analyses et des appréciations différentes à propos des incidents survenus au cours des derniers jours, j’ai eu l’occasion pour ma part de rappeler quelle avait été l’analyse de la France et quelles avaient été les décisions prises par la France. Je crois qu’on peut se féliciter que s’exprime un point de vue commun des pays membres de l’Union européenne sur des points très importants : d’abord, pour rappeler notre attachement à l’intégrité territoriale de l’Irak. Cela vaut pour les uns et pour les autres. Ensuite, pour manifester le souhait de l’Union européenne que la résolution 986 du Conseil de sécurité soit mise en œuvre dans les délais les meilleurs dès que la situation sur le terrain le permettra.
Mais qu’on ne saisisse pas ces évènements récents comme un prétexte pour en différer ou en reporter sine die l’application. C’est un point très important, parce que chacun connaît la situation dramatique des populations auxquelles cette résolution 986 est destinée à porter secours.
Nous avons parlé de la Bosnie-Herzégovine et nous avons écouté une communication de Carl Bildt qui a, vous le savez, l’entier soutien de l’Union européenne et qui fait en effet sur place un travail très remarquable au nom de la communauté internationale.
Il est bien que les élections aient lieu le 14 septembre, c’est-à-dire dans le délai prévu par les Accords de Paris. Il faut que les élections municipales aient lieu d’ici la fin de l’année. Il y a d’ailleurs un calendrier qui nous convient. Il faut aussi qu’on regarde l’avenir. De ce point de vue, j’ai eu l’occasion de rappeler, et je le refais devant vous, ce que sont les propositions françaises : nous proposons que soit décidée une période de consolidation de deux ans et que le contenu de cette période de consolidation, que le plan d’action en soit élaboré et adopté à l’occasion d’un comité directeur. Nous avons proposé la date du 16 octobre, en tout cas, le plus vite possible, de sorte que soit fixé le calendrier d’ensemble des réunions internationales propres à la mise en œuvre, la préparation des initiatives qui suivront l’achèvement de cette période le 31 décembre 1996. Ce sera à la fois la fin du mandat de l’IFOR et la fin du plan d’action civile qui y est associé.
Comme vous le savez, le Secrétaire d’Etat américain m’a donné à Paris son accord sur ce dispositif. J’ai demandé à mes collègues de l’Union européenne que l’on parvienne à fixer tout cela : le principe du plan de consolidation puis le calendrier de nos rencontres internationales dans les meilleurs délais. Ce n’est pas aujourd’hui qu’on doit normalement parvenir à cela.
Voilà les sujets que nous avons abordés. Je voudrais ajouter que nous avons évoqué la question très douloureuse de l’exploitation sexuelle des enfants. Vous savez que la France s’apprête à prendre des décisions de caractère interne et que, dans le même temps, avec nos amis belges, nous avons proposé notamment qu’une action européenne soit entreprise. Le ministre des Affaires étrangères belge en a parlé aujourd’hui et nous sommes convenus que, dans la perspective d’une réunion des ministres de l’Intérieur et des ministres de la Justice qui doit avoir lieu le 27 septembre, nous allions coaliser nos efforts de telle sorte que l’Europe fasse preuve sur ce sujet d’une grande détermination à Quinze sur le plan interne et bien sûr sur le plan international. Elle doit faire preuve aussi de sa détermination et de son efficacité.
Q. : Monsieur le ministre, cet après-midi le Secrétaire d’Etat américain, M. Christopher, a dit que si les autorités turques intervenaient militairement en Irak dans les jours qui viennent, pour des raisons de sécurité, cette intervention pourrait susciter une certaine compréhension. Il y a ceux qui interprètent cette déclaration comme un feu vert pour la création de leur zone tampon en Irak. M. Spring a dit qu’une telle intervention serait très dangereuse dans la situation actuelle en Irak ?
Hervé de Charette : Je suis plutôt du côté de M. Spring, si telles sont ses déclarations que je n’ai pas lues. Je l’ai rappelé tout à l’heure. Non seulement la France mais l’Union européenne, et d’ailleurs la communauté internationale, ont toujours marqué dans toutes les résolutions du Conseil de sécurité, l’attachement à l’intégrité territoriale de l’Irak. Ce qui vaut pour les uns, je l’ai dit à l’instant, vaut aussi pour les autres.
Q. : Monsieur le ministre, on voudrait vous poser une question sur le projet de déplacement de la Troïka au Moyen-Orient, en particulier en Israël. Apparemment d’après les comptes rendus qu’on vient d’avoir, il y a certaines nuances. Certains Etats membres et certains ministres, sont pour le maintien de la position bien connue : si on va là-bas, on va à la Maison d’Orient, et d’autres, notamment les ministres italien et britannique semblent considérer que ce n’est pas essentiel. Est-ce qu’il y a à votre avis une position commune bien nette et quelle est la position de la France ?
Hervé de Charette : Vous savez que sur cette question, l’Union européenne a été amenée à travailler, à réfléchir et à fixer sa doctrine. Elle l’a fait au mois de juillet. Ce n’est certainement pas dans un « gymnich » qu’on peut modifier cette position. Cette affaire de la Maison d’Orient est une affaire importante, complexe. Je voudrais saisir cette occasion pour rappeler l’importance que nous attachons au statut, que fait partie des questions qui doivent être abordées dans le cadre des négociations définitives entre Israël et la Palestine. Elles ne l’ont pas été encore, d’un commun accord d’ailleurs, et personne ne saurait en conséquence chercher à modifier de facto cette situation qui doit faire l’objet des discussions israélo-palestiniennes dans la phase finale des négociations. Il faut donc s’en tenir à ces principes simples. C’est dans ce cadre que se trouve posée la question de la Maison d’Orient. Qu’il y ait eu des discussions entre nous et qu’il y ait un échange d’idées, un échange de vues, n’empêche pas que nous avons fixé une doctrine qu’il faut appliquer…
Q. : Si votre collègue israélien refuse de vous recevoir, de recevoir la Troïka, êtes-vous prêts à aller jusqu’à une sorte de clash avec Israël ?
Hervé de Charette : Pourquoi dites-vous ces choses définitives ? J’ai sous les yeux la déclaration qu’a faite M. Spring. Je la trouve excellente. Elle est conforme à la doctrine que nous avons fixée. J’aurais l’occasion de parler de tout cela avec M. David Levy dans quelques jours.
Q. : Avez-vous convenu qu’il y aurait, lors d’un prochain rendez-vous formel des ministres des Affaires étrangères des Quinze, la nécessité de décider d’une date de cette Troïka ou laisse-t-on ouverte la porte ?
Hervé de Charette : Ce ne sont pas les ministres des Quinze qui fixent les dates de déplacement de la Troïka. C’est à la présidence de fixer la date de ces voyages.
Q. : Sur l’extension de la zone de non survol en Irak, y a-t-il un accord à Quinze ?
Hervé de Charette : Vous savez, non, et pour des raisons d’ailleurs fortes, c’est que la question de cette zone d’exclusion intéresse les pays directement concernés, c’est-à-dire les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et la France. On en a parlé. J’ai informé mes collègues, qui le savaient parce qu’ils avaient déjà été informés des décisions que la France avait prises à ce sujet. Cela n’a pas donné lieu d’ailleurs à des observations de quelque nature que ce soit.
Q. : Qu’est-ce que l’Union européenne envisage de faire concernant la prolongation du mandat de l’IFOR ?
Hervé de Charette : Le mandat de l’IFOR s’achève à la fin de l’année. Que faudra-t-il faire, le cas échéant, après le 31 décembre sur le plan civil, sur le plan de consolidation proposé par la France, sur le plan militaire ? C’est une autre question qui, comme vous le savez, n’a pas encore été abordée entre les parties, ni même au sein de l’Alliance. Elle reste donc une question ouverte.
Q. : Le ministre allemand de la Défense a déclaré que dans le cadre de l’Alliance atlantique il y avait une continuation de la présence militaire ?
Hervé de Charette : C’est possible, mais enfin, le fait n’est pas établi. Pour l’instant, comme vous le savez, le mandat de l’IFOR arrive à expiration le 31 décembre 1996. Ensuite, il faudra bien décider de ce que nous ferons, et nous verrons bien ce qu’on voudra faire les uns et les autres. Le cadre de cette discussion sera naturellement, au moins pour le principal, l’Alliance atlantique. Il faut noter au passage qu’il y a un certain nombre de pays qui ne font pas partie de l’Alliance, et qui sont présents sur le terrain. Exemple, la Suède, exemple plus visible encore, la Russie…
Q. : Monsieur le Ministre, je voudrais savoir s’il y a des contacts avec les Allemands pour établir si on peut envoyer la Brigade franco-allemande en Bosnie dans le cadre d’une prolongation de la mission ?
Hervé de Charette : Pour l’instant, nous n’avons pas encore examiné de façon officielle ce que serait la situation sur le plan de la présence militaire éventuelle après le 31 décembre 1996. C’est donc une question qui reste ouverte. Ensuite, si à cette question on répondait oui, il faudra voir les réalités. Le point que vous soulevez est une suggestion intéressante.
Q. : Est-ce que vous ne pensez pas que le plan de consolidation que vous proposez a nécessairement un volet militaire ? Comment concevez-vous dans le contexte actuel la consolidation de la paix sans volet militaire ?
Hervé de Charette : Votre observation n’est pas dépourvue de bon sens, mais vous m’interrogez sur les décisions qui sont prises, et je ne pourrai vous répondre car il n’y a pas de décision prise.
Q. : Sur le plan de consolidation, vous proposez de limiter à deux le mandat des élus ?
Hervé de Charette : La France maintient cette suggestion. A partir du moment où on se met à travailler sur le contenu d’un plan de consolidation, chacun peut y aller de ses propositions et de ses idées, et nous verrons bien. Beaucoup de questions se posent. Parmi elles, il y a cette question de la durée des mandats, et nous avons pensé qu’il serait sage de limiter à deux ans le mandat de ceux qui sont élus dans le cadre de la procédure actuelle, dont certains ont un mandat limité à deux ans – c’est le cas de la présidence – et d’en faire une donnée générale. Parce que je crois que cela contribuerait à conforter l’idée que ce qui se passe aujourd’hui, c’est une étape vers quelque chose de définitif. Je crois, entre parenthèses, que cela renforcerait la crédibilité des élections qui ont lieu aujourd’hui. Parce que personne ne pense qu’elles sont parfaites, qu’elles sont un modèle dont pourrait s’inspirer Alexis de Tocqueville. Personne ne le croit.
Chacun reconnaît bien volontiers que ces élections doivent avoir lieu. C’est notre responsabilité politique. Il y a de beaux esprits qui disent qu’il faut les reporter ad vitam aeternam. Nous pensons franchement qu’il est indispensable qu’elles aient lieu. En même temps, nous sommes, comme vous l’êtes vous-mêmes, vous qui observez, conscients des imperfections et des progrès souhaitables.
S’il y a des élections au bout de deux ans, alors on a vraiment un processus qui va dans le bon sens, et on peut espérer que les imperfections que certains auront pu noter dans ces élections – il vaut mieux des élections que pas d’élections du tout – auront été levées au moins partiellement – je l’espère sérieusement – deux ans plus tard. Voilà pourquoi une telle décision donnerait du prix, du poids, de la valeur à la qualité du processus démocratique mis en place par la communauté internationale en Bosnie-Herzégovine.
Q. : (Inaudible) sur le plan de consolidation.
Hervé de Charette : Je crois qu’il a toujours été bien accueilli. Je ne veux pas engager mes collègues, mais ce que je demande aujourd’hui c’est qu’on prenne la décision rapidement de passer à l’acte, de fixer une date, c’est-à-dire la date de ce comité directeur, et d’ici là de se mettre au travail pour élaborer ce plan. Et chacun pourra venir avec ses propositions et ses idées. Nous avons des idées, mais nous n’avons pas d’idées arrêtées, bien au contraire. Nous ne souhaitons pas que ce soit un plan français, nous voulons que ce soit un plan de la communauté internationale.
Q. : Est-ce que vous pensez que s’il y avait eu un M. PESC, il y aurait eu un peu moins de cacophonie sur l’Iraq par exemple ?
Hervé de Charette : Cacophonie ? Pourquoi parlez-vous de cacophonie ? Je ne trouve pas que la politique étrangère européenne – il n’y a pas de politique étrangère européenne au sens strict –, mais pour autant, il y a des signes qui sont finalement assez encourageants. Regardez dans le cadre de la Bosnie-Herzégovine. Un des sujets préférés de la presse est d’écrire que l’Europe y est nulle. Elle n’y est pas nulle. Elle est très présente, très active. Je suis frappé, à chaque réunion à laquelle je participe, autour de Carl Bildt généralement, de constater qu’il y a un large consensus, un accord quasi-total, de tous les ministres des Affaires étrangères européens, sur l’action qui est conduite. Ca prouve que ça va bien. Sur le Proche-Orient, je vous ai dit combien j’étais satisfait de voir que nous étions d’accord, les Etats membres de l’Union européenne, sur une analyse de la situation et sur l’ambition de l’Europe de peser dans le sens de la reprise rapide du processus de paix. Ce sont des éléments positifs. Alors vous allez me dire : « sur l’Iraq, vous n’avez pas dit tout à fait la même chose. » Sur l’intervention américaine en Iraq, nous n’avons pas eu la même interprétation. Cela peut arriver.
Q. : Mais vous ne vous êtes pas concertés avant ? Chacun est parti dans son sens ?
Hervé de Charette : Oui. La politique étrangère, voyez-vous, ça consiste rarement à réagir aux initiatives des autres. Sur l’initiative américaine, chacun avait son jugement. J’ajoute que les pays les plus concernés étaient évidemment la Grande-Bretagne et la France, puisque nous avons des avions. Ces différences qu’il y a eues entre les Etats membres et la France, je vous demande de ne pas en majorer la portée. Après tout, nos avions continuent à participer, et vont reprendre à partir de lundi les survols aériens dans les limites convenues auparavant. Ce sont des éléments qui sont finalement assez positifs. C’est un incident sur lequel, il est vrai, il n’y a pas d’accord parfait entre les uns et les autres.
Q. : Est-ce que vous avez abordé la loi Helms-Burton ?
Hervé de Charette : Pas encore, pas encore… Ce sera assez intéressant.
Q. : Quelle est votre position ?
Hervé de Charette : La position française est archi-connue. Elle n’est pas la seule d’ailleurs, je constate là aussi, jusqu’à preuve du contraire, que l’Union européenne a parlé d’une même voix, que ce soit par l’intermédiaire de la Commission, par l’intermédiaire de la présidence, pour regretter vivement, comme on dit en termes diplomatiques, ces deux initiatives unilatérales.
Q. : Est-ce que la date du 5 octobre, pour un sommet spécial, est définitive ?
Hervé de Charette : Nous n’avons pas encore parlé de cette question.
Q. : Comme la réunion est informelle, vous n’allez pas non plus l’entériner formellement. Vous pourriez peut-être dès maintenant nous dire…
Hervé de Charette : Informellement ce que je pense ? Si vous voulez demander sur la réunion a été convoquée, si la date a été fixée, très sincèrement, je n’en sais rien, à l’heure où je vous parle. Si elle a lieu, nous viendrons.
Q. : Est-ce que le président Chirac est libre le 5 octobre ?
Hervé de Charette : Il faudrait que je lui parle.
Q. : Est-ce que le sommet est nécessaire ?
Hervé de Charette : Oui, c’est un sommet que la France a demandé, dans la mesure où il sera consacré à la Conférence intergouvernementale, car nous souhaitons accélérer le processus de discussion de la Conférence intergouvernementale. Je vais d’ailleurs, je vous l’annonce, y consacrer tous mes soins dans les semaines qui viennent, puisque c’est une négociation dont j’ai la charge.
Q. : Est-ce une critique implicite à l’égard de M. Barnier ?
Hervé de Charette : Pas du tout. Non, rassurez-vous. Ce n’est d’ailleurs une critique implicite contre personne. Mais en c’est un fait que jusqu’à présent ça n’avance guère.
Q. : Le séminaire franco-allemand de Berlin, en octobre, ce sera vous ?
Hervé de Charette : C’est-à-dire, ce sera le ministre ? Oui, bien sûr.
Entretien du ministre des Affaires étrangères, M. Hervé de Charette, avec « Europe 1 » - 8 septembre 1996
Q. : Vous vous trouvez en Irlande où vous rencontrez les autres ministres des Affaires étrangères, au terme d’une semaine qui a été marqué par les évènements en Iraq et où on a vu la France afficher sa différence par rapport aux Américains. Du moins, est-ce le message que tout le monde a compris. Est-ce bien celui que vous avez voulu faire passer tout au long de cette semaine ?
Hervé de Charette : Oui, vous avez bien compris les choses. Nous sommes naturellement des amis. Entre nous et les Américains, il y a une très vieille et forte amitié, elle a un caractère historique, mais cela ne nous empêche pas, de temps en temps, d’avoir nos propres vues et nous avons pensé que les initiatives prises par les Etats-Unis ces jours derniers en Iraq auraient méritées davantage de concertations et délibérations.
Q. : Plus précisément, pourquoi la France a-t-elle refusé d’approuver l’action militaire des Américains en Iraq ?
Hervé de Charette : Pour des raisons simples. Il ne nous semble pas que les résolutions du Conseil de sécurité prises à la suite de la guerre du Golfe autorisaient une telle intervention militaire américaine. Nous ne pensions pas non plus que les évènements survenus en Iraq, c’est-à-dire l’intervention des troupes iraquiennes aux côtés d’une faction kurde dans une ville du nord iraquien, le justifiaient.
Q. : Autrement dit, vous n’émettez pas seulement des réserves, vous condamnez clairement le lancement des missiles par les Américains.
Hervé de Charette : Oui, mais n’employez pas des grands mots qui fâchent. Nous avons sur ce sujet une différence d’appréciation entre les Américains et nous.
Q. : Et en cas de nouveau lancement de missiles par les Américains, adopterez-vous la même position même s’il se confirme que les troupes de Saddam Hussein continuent d’avancer au Kurdistan ?
Hervé de Charette : Prenons les problèmes un à un. Si jamais de nouveaux évènements survenaient, nous les examinerions avec beaucoup d’attention et nous porterions un jugement sur eux en fonction des faits.
Q. : Mais, condamnez-vous la progression des troupes de Saddam Hussein au Kurdistan ?
Hervé de Charette : Pour l’instant, il n’y a plus de troupes iraquiennes au nord de l’Iraq. C’est un fait que toutes les indications que nous avons eues jusqu’à présent confirment. Les Iraquiens sont intervenus pendant deux jours pour permettre à l’une des factions kurdes de maîtriser la ville d’Erbil, puis ils se sont retirés.
Je crois que nous avons toujours, pas seulement la France mais l’ensemble de la communauté internationale, affirmé l’intégrité territoriale de l’Iraq. Cela veut dire qu’il n’y a pas, dans la communauté internationale, la volonté de séparer le nord de l’Iraq du reste de ce pays. Nous pensons tous que la stabilité dans cette région suppose que l’Iraq soit maintenu dans ses frontières.
Q. : Lorsque vous dites que l’intégrité de l’Iraq doit être respectée, cela veut dire en passant que vous désapprouvez la décision de la Turquie de créer une zone tampon à sa frontière ?
Hervé de Charette : Vous savez que dans cette partie nord de l’Iraq, à la frontière de la Turquie, il y a une zone de grande instabilité, parce que, non seulement, il y a des Kurdes en Iraq, mais il y aussi des mouvements kurdes dans la partie est de la Turquie. Cela provoque, comme vous ne l’ignorez pas, une guérilla, des incidents, des morts, des victimes, beaucoup de drames et donc nous comprenons que la Turquie veuille prendre les dispositions qui lui permettent d’assurer sa sécurité et sa stabilité.
Pour autant, il ne peut pas être imaginé que des troupes turques s’installent en Iraq. Je répète qu’il faut respecter l’intégrité territoriale iraquienne.
Q. : Vous venez de rencontrer vos collègues européens qui, eux, approuvent l’intervention américaine.
Hervé de Charette : Excusez-moi, vous ne pouvez pas dire les choses comme cela. Les points de vues des différents pays européens sont en réalité assez différents les uns des autres. Les Britanniques ont suivi de façon très claire la position américaine.
Q. : Les Allemands l’ont également approuvée.
Hervé de Charette : Les Allemands l’ont approuvé avec un certain nombre de réserves, l’Espagne a émis des réserves encore plus fortes. Bref, il y a toute une panoplie de positions, c’est un fait.
Q. : Cela fait beaucoup de divergences au sein de l’Europe.
Hervé de Charette : Non, sur ce sujet-là, il y a des différences d’appréciations. Je suis aujourd’hui dans une charmante petite ville d’Irlande, il fait un soleil radieux, le paysage est splendide, nos discussions démontrent au contraire qu’il y a de très grandes convergences entre les pays européens. Par exemple, s’agissant du processus de paix au Proche-Orient, sur la proposition que j’ai faite, nous sommes tombés d’accord sur un langage très conforme à celui qui a toujours été le nôtre en faveur du processus de paix et du respect des accords déjà passés à Oslo, à Madrid, à Taba. Il est nécessaire de faire une forte pression sur Israël pour que le processus de paix reprenne son cours normalement. Voilà un sujet majeur et il ne s’agit pas là d’un incident momentané mais d’un sujet historique d’une très grande importance, sur lequel les Européens sont absolument unanimes.
Q. : Puisque vous évoquez vous-même ce sujet, quand vous dites comme vous l’avez fait hier soir en Irlande qu’au Proche-Orient, après la poignée de main du Premier ministre israélien et M. Arafat, l’Europe doit renforcer son poids, est-ce que vous n’exprimez pas la même méfiance encore une fois vis-à-vis des Américains ?
Hervé de Charette : Non, pourquoi regardez-vous le monde en vous posant mille questions : ce que font les Américains, est-ce qu’on les suit… Ce n’est pas du tout comme cela que la position internationale de la France ou de l’Europe se pose !
Q. : Vous reconnaissez vous-même que c’est quand même le message que vous avez voulu faire passer cette semaine.
Hervé de Charette : Non, ce n’est pas comme cela qu’il faut voir les choses. Les Américains ont leur politique, c’est bien normal. Les Européens doivent avoir la leur. Bien souvent, elles convergent et d’ailleurs, s’agissant du Proche-Orient, après tout, que faisons-nous ? Les Européens comme les Américains veulent encourager, faciliter la reprise du processus de paix au Proche-Orient. Nous avons nos idées, nous les faisons valoir. Nous ne sommes pas à la traîne de qui que ce soit. En même temps, je crois que nous travaillons très souvent en pleine coopération.
Je vois bien autour de quoi vous tournez. J’ai reçu Warren Christopher, le secrétaire d’Etat américain à Paris jeudi. Nous avons eu cinq heures de discussion avec lui et ses collaborateurs. Je peux vous dire que cela a été des discussions extrêmement chaleureuses et amicales. Cette rencontre s’est passée de façon extrêmement positive en dépit du fait que sur l’Iraq, puisque, en effet, c’est le sujet qu’il faut évoquer, nous avons constaté que nous n’avions pas exactement la même analyse des choses.
Q. : En fait, ils pensent que le langage de la force est le seul langage susceptible d’être entendu par Saddam Hussein alors que vous ne le pensez pas, c’est de la divergence ?
Hervé de Charette : Non, ce n’est pas exactement cela. Un bombardement généralisé ne se justifiait pas.
Q. : Cela ne justifie pas non plus d’élargir les zones de surveillance ?
Hervé de Charette : Non
Q. : Puisque cette nouvelle émission s’intitule « C’est arrivé demain », j’ai envie de vous poser une dernière question, savez-vous demain avec qui vous allez discuter en Russie ?
Hervé de Charette : Oui, je vais aller au début du mois d’octobre en Russie où j’ai été invité en visite officielle par mon collègue russe, M. Primakov. C’est avec lui que je vais discuter des grandes questions qui sont sur la table. Puisque vous vous intéressez à demain, vous avez bien raison.
Q. : Monsieur le Ministre, ne faites pas semblant de ne pas avoir compris ma question.
Hervé de Charette : Je vais répondre. Les grandes questions qui sont d’actualité pour nous les Européens tournent autour de l’avenir de l’Europe. Nous allons dans les mois qui viennent avoir plusieurs chantiers : la monnaie unique, où vous savez que des décisions sont prises et le sont fermement ; la conférence intergouvernementale, c’est-à-dire l’ouverture de l’Union européenne à d’autres pays et la modernisation de nos institutions européennes pour qu’elles soient plus efficaces ; enfin, la sécurité en Europe qui concerne l’Alliance atlantique, sa rénovation, son élargissement et l’architecture européenne de sécurité, c’est-à-dire tout le dispositif qui va permettre que, pour la génération de demain, il y ait en Europe une atmosphère de stabilité, de sécurité et de paix.
Q. : L’hospitalisation de M. Eltsine n’est-elle pas un grand facteur d’incertitude pour les années à venir ?
Hervé de Charette : Oui, c’est pour cela que je reviens sur votre question. La Russie est-elle stable ? Observez d’abord qu’il y a eu une élection présidentielle qui a été un très grand évènement parce qu’elle était la première véritable élection démocratique.
Elle a permis aux Russes de faire un choix qui a été finalement assez clair, pour tourner la page du passé, c’est-à-dire du communisme et de l’impérialisme pour se tourner vers l’avenir et vers l’économie de marché, la démocratie etc… Il y a toutefois beaucoup d’éléments d’instabilité et d’incertitudes. Notre souhait est que M. Eltsine assume avec détermination et toute la force physique et personnelle possible son mandat et que la Russie puisse ainsi poursuivre cette route.
Q. : Pour le moment, vous ignorez toujours qui assurera l’intérim ?
Hervé de Charette : Pour l’instant, nous pensons et nous espérons que le président Eltsine continuera d’assumer la plénitude des fonctions qui sont les siennes.
Merci.