Interviews de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, à "El Khabar" et RMC Moyen-Orient le 21 avril 1998, sur le processus de paix au Proche-Orient et le terrorisme en Algérie.

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Circonstance : Réunion des ministres des affaires étrangères des pays du Forum méditérranéen à Palma de Majorque (Espagne) les 20 et 21 avril 1998

Média : El Khabar - Presse étrangère - RMC-Moyen Orient

Texte intégral

Entretien avec le journal algérien « El Khabar » (Palma de Majorque, 21 avril 1998)

Q. Avez-vous évoqué la question du terrorisme ?

R. Au cours de cette excellente réunion du Forum méditerranéen, nous avons parlé de nombreuses questions d'intérêt commun. Par exemple, du processus de paix et des propositions faites par les uns et par les autres pour le relancer. Nous avons effectivement parlé du terrorisme sous toutes ses formes. Nous avons procédé à des échanges d'informations. Le Forum n'est pas un organisme qui se substitue à ce qui se fait par ailleurs. Par exemple, lors du dîner d'hier, à la demande du ministre égyptien, M. Dini et moi-même, avons expliqué ce que fait le groupe de contact sur le Kosovo. C’est un exemple. Donc, ce Forum est très précieux parce que ces types d'échanges entre différents pays méditerranéens ne peut avoir lieu que là. Il a lieu dans une très grande franchise et un grand élan d’amitié.

Q. Qu’avez-vous décidé sur la question du terrorisme ?

R. Le terrorisme est l'une des questions abordées par le Forum. C'est d'ailleurs une question qui est abordée par de nombreuses réunions internationales, toujours dans les mêmes termes. C'est-à-dire que le terrorisme est condamné sous toutes ses formes. Dans le cadre du Forum méditerranéen, on retrouve la même préoccupation et la même condamnation.

Q. Peut-on avoir des précisions sur vos décisions en matière de terrorisme ?

R. Le but du Forum méditerranéen n'est pas de créer des mécanismes opérationnels dans quelque domaine que ce soit. Je ne vous parle pas spécialement du terrorisme, je vous parle en général. C'est une rencontre informelle, que tous les participants veulent garder informelle parce que cela permet de parler plus librement et de façon plus franche sur tous les sujets. Nous avons quand même malgré tout prévu à ce sujet des échanges d'information de façon à mieux cerner la menace terroriste. La lutte contre le terrorisme doit être un objectif général de tous les gouvernements de la planète.

Q. Est-ce que l'Union européenne peut faire quelque chose, en ce qui concerne le terrorisme en Algérie, par exemple ?

R. L'Union européenne a naturellement une politique très précise et hostile au terrorisme sous toutes ses formes. En ce qui concerne la question algérienne, cela a fait l'objet d'un dialogue entamé par la présidence britannique. Il faut commencer par le commencement, c'est-à-dire procéder à de meilleurs échanges d’informations.

Q. Qu’avez-vous dit sur le blocage du processus de paix ?

R. Les déclarations de l'Union européenne sont claires et nettes sur le sujet. Il faut empêcher l'asphyxie du processus de paix. Les présidences successives, en ce moment par exemple la présidence britannique, sont très dynamiques. La politique française, la diplomatie française est extrêmement mobilisée par cette question du Proche-Orient. Chacun le sait, chacun peut le constater. Mais, à Palma de Majorque, le cadre du Forum méditerranéen n'est pas un cadre de prises de décisions qui se substituerait à l'Union européenne ou à la Ligue arabe ou à d'autres organismes. Il s'agit d'un lieu d'échanges d'informations. C'est extrêmement intéressant parce que c'est le seul Forum dans lequel les pays européens méditerranéens se retrouvent entre eux. Et d'autre part, des pays importants de la rive Sud peuvent se voir sans formalisme particulier.

Entretien avec la radio « RMC Moyen-Orient » (Palma de Majorque, 21 avril 1998)

Q. La réunion ministérielle du Forum méditerranéen vient de s'achever. Quelle est votre appréciation globale ?

R. Je trouve que ce Forum est un cadre très propice à des échanges très directs, très amicaux, sans formalisme, et que c'est extrêmement utile. Par exemple, sur la question de la sécurité qui préoccupe naturellement les pays d'Europe et les pays de la Méditerranée, on s'aperçoit que les concepts et les préoccupations ne sont pas les mêmes et que souvent des projets qui sont considérés comme positifs et utiles au Nord sont considérés comme inquiétants ou source de malentendus au Sud.  Il faut donc en parler et de toutes les organisations qui existent, le Forum est le plus adapté, compte tenu de sa taille qui est optimum et de la façon dont les travaux sont organisés, c'est-à-dire que la place principale est laissée aux échanges spontanés. D'autre part, il faut continuer à faire vivre le processus de Barcelone qui concerne 27 pays et qui, de ce fait, est beaucoup plus lourd. On a vu, dans le passé, qu'il était handicapé par les conséquences de la situation au Proche-Orient. Pour le processus de paix, ce Forum est un cadre formidable pour imaginer des solutions et une dynamique permettant de dépasser ces blocages. C'est une excellente initiative qui a été prise à l'origine par l'Égypte soutenue par la France et je souhaite qu'elle se développe.

Q. L'asphyxie du processus de paix, selon vos termes, a dominé la conférence de presse. Comment peut-on trouver une solution avec l'entêtement du gouvernement israélien ? Y a-t-il d'autres manières de réagir si la réunion de Londres échoue ?

R. Cette question du processus de paix qui est en piètre état a en effet dominé la conférence de presse, à cause des questions. Mais cela n'a pas dominé les travaux parce qu'ici, toutes les instances de coopération méditerranéenne sont dominées par les problèmes suivants : on ne peut plus coopérer sur rien entre pays méditerranéens. Il y a beaucoup de problèmes à traiter intelligemment entre nous pour une coopération concrète. Sur le fond, il faut savoir que ce Forum poursuivra son activité et se réunira quel que soit le contexte du processus de paix, que nous souhaitons naturellement meilleur et positif. On ne peut pas tout bloquer quand il y a ce souci qui pèse sur nous.

En ce qui concerne le processus de paix proprement dit, la position française est bien connue et affirmée en toute occasion. Ce serait tragique de voir que l'asphyxie du processus, à laquelle nous assistons, à son terme, bloque tout et fasse disparaître tout espoir. C'est indispensable aussi bien pour les Israéliens que pour les Palestiniens et pour toute la région. Il est indispensable de trouver une perspective d'avenir ou quelque chose qui montre qu'on avance de nouveau, étape par étape vers une solution équitable pour tous. C'est le cadre fondamental et la politique de la France. La diplomatie française agit sur ce plan sans arrêt, constamment et à tous les niveaux. Nous avons de l'influence. Par rapport à cela, nous ne pouvons qu'être favorables à toute action, toute initiative, tout voyage, tout contact qui permet de débloquer les choses. Si la présidence britannique actuelle de l'Europe parvient à faire avancer les choses, tant mieux : nous sommes entre Européens sur une ligne très convergente. Cette diplomatie française est traditionnellement plus en avance, plus en pointe, sur un ensemble de concepts et nous avons vu que, ces derniers mois, peut-être d'ailleurs grâce a la pédagogie française, il y a eu des avancées, en ce qui concerne la cohérence de la position de l'Union européenne et son ambition, est de jouer un rôle à la mesure des moyens qu’elle met au Proche-Orient. Donc, il y a une bonne compréhension et une bonne complémentarité entre les actions des uns et des autres. Si la présidence britannique peut faire avancer les choses dans les jours qui viennent, tant mieux. Et si cela n'est pas le cas, nous continuerons. La question est toujours la même, la réponse est toujours la même. Nous continuerons, nous n'allons pas nous décourager. Nous faisons un tour d'horizon des questions qui se posent constamment car c'est un problème vraiment grave et que pour nous qui sommes à côté, nous avons, indépendamment de l'aspect humain, d'équité et de la justice, un vrai intérêt géopolitique, stratégique à ce qu'il y ait une paix juste au Proche-Orient, juste et durable. Donc, nous y reviendrons sans arrêt, que ce soit par le dialogue avec les Israéliens que nous poursuivons, quels que soient les désaccords sur tel ou tel point, le dialogue avec les Palestiniens, nos partenaires arabes, les États-Unis. Tous les moyens dont la diplomatie peut disposer pour agir seront mises en œuvre. En tout cas, nous ne serons jamais découragés.

Q. Vos interlocuteurs arabes, que ce soit ici à Palma ou à Paris, ont toujours évoqué la question du retrait israélien du Sud-Liban. Avez-vous eu l'occasion de discuter de ce sujet avec les Américains, étant donné qu'ils ont demandé aux Libanais de prendre en considération les propositions israéliennes ?

R. Nous avons des échanges avec les États-Unis sur tous ces problèmes, qu'il s'agisse du processus de paix ou des relations avec le Liban et la Syrie. C'est pour cela que des questions sont posées à ce sujet. Naturellement, quand on voit le gouvernement israélien reconnaître la résolution 425 alors qu'elle était auparavant contestée en tant que telle, il y a un progrès. Ce progrès permet-t-il d'avancer véritablement pour aboutir à une véritable solution acceptable par toutes les parties concernées ? C'est autre chose. Il faut voir qui il y a derrière. Un des ministres qui participait au Forum a dit que les déclarations israéliennes étaient la partie émergée de l'iceberg. C'est paradoxal de parler d'iceberg au Proche-Orient, mais il voulait souligner par là les conditions cachées. Or, les résolutions 425 et 426 disent qu'il n'y a pas de conditions. Donc, il ne faut pas négliger ce qui est manifestement sincère dans les déclarations israéliennes. Le ministre Mordechaï parle des problèmes que cela représente pour l'armée israélienne. En même temps, il ne faut pas bricoler une solution qui serait artificiel et fragile. Ce que nous souhaitons c’est saisir toute occasion qui peut se présenter pour aboutir à une vraie solution, si possible, qui convienne aux intérêts légitimes des Israéliens, des Libanais, des Syriens., On pourra dire que nous avons progressé au Proche-Orient vers plus de paix.

Donc, restons ouverts et ne fermons pas des portes a priori. Avançons avec prudence.