Interview de M. Jack Lang, membre du bureau national du PS, à RMC le 9 novembre 1999, sur la démission de Dominique Strauss-Kahn, la cohabitation et la préparation des élections municipales de 2001 à Paris.

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Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

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P. Lapousterle : Vous venez de Berlin, vous repartez pour Berlin, pour le dixième anniversaire de la chute du Mur. Un mot sur la politique française d’abord. Après la démission de D. Strauss-Kahn qui a eu des conséquences et des répercussions en France et dans le reste de l’Europe, pensez-vous, comme J.-P. Chevènement, qu’il aurait fallu que D. Strauss-Kahn résiste à la tornade médiatique ou a-t-il bien fait de démissionner ?

J. Lang : Je n’ai pas à donner de conseil rétrospectif à D. Strauss-Kahn. Il a agi en son âme et conscience et avec un certain courage. L’acte est accompli, inutile de commenter ou de gloser. Il s’est retiré du Gouvernement pour pouvoir mieux se défendre et pour ne pas handicaper le Gouvernement par une pression médiatique qui était réelle.

P. Lapousterle : Les ministres, doivent-ils, selon vous, partir au premier soupçon ?

J. Lang : Sûrement pas. Mais il y a au-delà de cela un problème général qui n’est pas réglé en France, c’est la question de la séparation des pouvoirs. Alors que c’est Montesquieu qui a inventé la séparation des pouvoirs, nous avons été collectivement incapables, depuis toujours, d’organiser un système constitutionnel qui la garantisse réellement. La séparation des pouvoirs entre l’exécutif et le législatif ; la séparation des pouvoirs entre l’exécutif et le pouvoir judiciaire. Nous y allons à tâtons, un peu à l’aveugle, avec des approximations, et parfois douloureuses pour nous.

P. Lapousterle : Puisqu’on parle de justice, est-ce que vous êtes en ce moment dans une disposition d’esprit favorable par rapport à la réforme Guigou et par rapport à la révision constitutionnelle, le 24 janvier prochain ? Avez-vous envie de la voter ?

J. Lang : Oui, je crois que les grandes lignes de la réforme Guigou sont bonnes. Certainement on peut ici ou là améliorer les choses, et je crois que chacun apportera sa pierre pour que ces projets soient aussi bons que possible. Je ne parle pas de la loi constitutionnelle qui, elle, n’est pas changeable puisqu’elle a été adoptée à une très large majorité par les deux Assemblées. Il serait logique que députés et sénateurs conforment, à Versailles, leurs votes avec leurs votes premiers dans chacune des Assemblées.

P. Lapousterle : Sur la cohabitation, trouvez-vous que le Président de la République a dépassé le trait ? Par exemple quand il a écrit une lettre sur le Pacs, disant que ce n’était pas une bonne formule ?

J. Lang : Ces épisodes de la cohabitation vous savez ! Cette cohabitation est beaucoup plus douce que celle que nous avons connue par le passé.

P. Lapousterle : Vous êtes plutôt optimiste sur la cohabitation, elle peut durer ?

J. Lang : Oui, parce que les personnages concernés, le Président et le Premier ministre, ont un sens élevé de l’État.

P. Lapousterle : Paris : j’ai bien noté que vous avez dit que ce n’était pas dans votre tête pour l’instant d’être candidat à Paris. Mais si des gens - vous savez comment c’est ?-, des amis, insistent ?

J. Lang : Pour l’heure c’est une question qui n’est pas dans ma tête.

P. Lapousterle : Si des amis insistaient cela pourrait rentrer dans votre tête ?

J. Lang : Ce qui compte c’est la conviction intérieure, la volonté, la détermination. Et puis c’est une question qui n’est pas d’actualité.

P. Lapousterle : Il y a dix ans le Mur tombait à Berlin. Est-ce le plus grand évènement de la deuxième moitié du siècle ? Est-ce qu’avec la chute de ce Mur, la suite a correspondu à ce qu’on pouvait attendre, ce jour-là, le 9 novembre 1989 ?

J. Lang : En effet, tout a basculé ce jour-là. L’Allemagne était blessée à mort, la nation coupée en deux, ce mur de béton qui déchirait tout un peuple. Et au-delà de l’Allemagne c’est l’ensemble de l’Europe qui était amputée d’elle-même par une de ces moitiés qui devaient vivre sous l’oppression communiste. Le 9 novembre a été comme une sorte de miracle, comme une sorte de moment merveilleux de libération.

P. Lapousterle : Où étiez-vous ce jour-là ?

J. Lang : J’étais à Blois où nous organisions une manifestation avec des intellectuels de toute l’Europe, sur le thème de « La création de la grande Europe. » Nous avons été surpris par l’évènement que personne n’attendait et qui a été une heureuse surprise, qui a, je crois, changé la face du monde.

P. Lapousterle : La suite a-t-elle été à la hauteur des espoirs ?

J. Lang : Ce jour-là et dans les temps qui ont suivi, la social-démocratie, c'est-à-dire le socialisme de la liberté, l’a emporté. D’un côté, contre le communisme stalinien, et de l’autre, contre le libéralisme sauvage. A Paris, en ce moment, se tient le congrès de l’Internationale socialiste, destiné à jeter les bases d’un modèle de civilisation qui encourage la création économique et qui, en même temps, donne à l’individu, à l’être humain, une aspiration au changement et à la justice sociale.

P. Lapousterle : Etes-vous satisfait - vous qui êtes président de la Commission des Affaires étrangères à l’Assemblée nationale - des efforts et des réussites des pays socialistes qui sont très largement majoritaires en Europe dans ce domaine là, à savoir dans le contrôle de la mondialisation ?

J. Lang : Je suis heureux que le socialisme démocratique ait conquis une bonne moitié de la planète, c’est une grande réussite historique. Et en même temps, parfois je me dis que ce socialisme démocratique, plein de bonne volonté, est parfois, à mon goût, un peu trop lyophilisé. J’aimerais qu’on y mette un peu plus de saveur, de piment, d’ambition au plan économique et social.

P. Lapousterle : Quoi par exemple ?

J. Lang : Peut-être que dans les textes qui nous réunissent…

P. Lapousterle : En ce moment à l’Internationale…

J. Lang : … en ce moment oui - que dans ces textes figurent davantage les classes populaires qui sont trop marginalisées dans les politiques menées ; les jeunes dont on ne dit pas un mot ; la culture et l’imaginaire qui constitueront l’économie de demain. Tous ces points mériteraient d’être mieux mis en valeur dans les textes comme dans l’action.

P. Lapousterle : Après la destruction du Mur de Berlin par les Berlinois, est-ce que d’autres murs existent ?

J. Lang : C’est certain. Nous allons célébrer aujourd’hui la chute du Mur de Berlin et j’ai participé activement à la préparation de ces cérémonies. Et en même temps, nous savons bien que d’autres murs existent : des murs de la ségrégation, le mur de l’argent, plus puissant que jamais !

P. Lapousterle : Signé Jack Lang : « Le mur de l’argent est plus puissant que jamais. »

J. Lang : Plus puissant que jamais, naturellement. Les forces capitalistes, les forces d’argent dominent un peu partout à travers le monde. C’est pourquoi je souhaite une social-démocratie vivante, active, créative, ambitieuse qui puisse donner aux peuples qui souffrent, qui sont opprimés, notamment dans le Tiers-Monde, un espoir. Cette liberté que nous avons arrachée les uns et les autres le 9 novembre 1989, qu’en avons-nous fait pour venir au secours de peuples qui sont soumis à l’oppression ? Je pense au peuple chinois, au peuple tibétain, je pense au peuple kurde, à certains peuples d’Afrique. Cette liberté n’est pas seulement pour nous, les Européens, elle est aussi pour les autres peuples au monde.

P. Lapousterle : Vous avez été dans l’appareil d’État, vous avez été ministre. Est-ce possible ?

J. Lang : C’est possible naturellement. Je crois qu’il faut que la politique soit au service de cette libération des peuples, des énergies, de la libération des talents. Il n’est pas acceptable que ce soit toujours la loi du plus fort qui l’emporte. C’est cela le sens du socialisme tel que je l’imagine. C’est faire que les peuples, les individus l’emportent sur les privilégiés qui détiennent trop souvent le pouvoir ici ou là dans le monde.