Texte intégral
Entretien au quotidien « Var Matin » - 6 février 1996
Q. : Faut-il attendre un reformatage important de la Marine ?
R. : Les changements géostratégiques intervenus depuis 1989 ont été très rapidement pris en compte par la Marine. Elle a entrepris, dès 1992, une importante réforme structurelle, baptisée « OPTIMAR 1995 ».
Cette réforme a été conduite à son terme en 1995, conformément aux prévisions. La Marine est centrée en métropole autour des capacités nécessaires à la mise en oeuvre des grandes fonctions opérationnelles retenues par le président de la République :
- la dissuasion, avec un pôle privilégié de regroupement à Brest ;
- la projection et l'action dont le pôle majeur est situé à Toulon ;
- elle assure comme par le passé, et sur toutes les mers et océans du globe, les missions de prévention qui jouent un rôle essentiel dans la gestion des situations potentielles de crise ;
- enfin, elle contribue largement à l'action de l'État en mer, au titre des missions de service public, dont la pérennité ne saurait être remise en cause.
La Marine est donc assurée dans ses fonctions majeures, mais elle est aussi concernée, comme l'ensemble de l'outil de défense, par les décisions qui seront prises par le président de la République et celles qui seront présentées au Parlement, au titre de la future loi de programmation militaire.
Les évolutions nécessaires seront également liées à la rénovation de l'industrie d'armement, et particulièrement de la direction des constructions navales, ainsi qu'à la transformation du service national en une conscription civique à laquelle, vous le savez, je suis très attaché.
Q. : Quelle serait l'évolution de ses missions ?
R. : Les missions de la Marine ne sont pas fondamentalement modifiées. Ce qui doit être pris en compte dans l'actuel contexte budgétaire, ce sont, d'une part, les capacités indispensables qui doivent être maintenues et, d'autre part, les conditions prévisibles d'emploi de nos forces. Je vous ai indiqué le noyau dur, dissuasion et action, qui dimensionnera la Marine de demain.
Il importe de prendre en compte le contexte général des opérations classiques du futur, l'Alliance atlantique, l'UEO ou des coalitions multinationales, afin d'éviter les redondances inutiles tout en assurant l'autonomie de décision du gouvernement. C'est bien la raison de l'effort continu dans le domaine du renseignement.
Il convient enfin de s'imprégner de la dimension européenne des engagements possibles et, à cet égard, la création de l'EUROMARFOR prend en Méditerranée une signification importante.
Q. : Le deuxième porte-avions à propulsion nucléaire a-t-il une chance d'être construit ?
R. : Aucune décision n'est à ce jour encore prise. Les études menées au sein du comité stratégique, que j'ai mis en place en juillet 1995, mettront en évidence la possibilité d'envisager ou non, pour des raisons aussi bien opérationnelles que budgétaires ou industrielles, la construction d'un deuxième porte-avions au cours de la prochaine programmation 1997-2002.
Q. : Le plan de charge de l'arsenal de Toulon ne sera-t-il pas menacé par la redistribution du travail dans les autres établissements de la DGA ?
R. : S'agissant de cette question comme de celle concernant les programmes, un important travail est en cours. Les réponses à ces questions sont liées à la future loi de programmation. Elles dépendront également des conclusions qui seront tirées du travail effectué actuellement sur la DCN.
Ce travail se déroule en trois phases :
- une première phase de clarification entamée le 12 septembre par la constitution d'un groupe de travail, qui doit me remettre un rapport-diagnostic, mardi 13 février ;
- ce rapport sera, dans la même journée, communiqué aux autorités hiérarchiques de la DCN, aux représentants du personnel et aux élus, ceci afin que puisse commencer une phase de concertation. Ces deux phases « clarification et concertation » sont indispensables, d'une part pour disposer de l'ensemble des éléments d'analyse, d'autre part pour que l'ensemble des personnes concernées par le sujet dispose des mêmes éléments ;
- il serait, en effet, illusoire de vouloir prendre ensuite des décisions sans avoir au préalable présenté, expliqué, disséqué les raisons qui les justifient.
Q. : La base de Nîmes-Garons serait-elle maintenue ou transformée en plate-forme opérationnelle ?
R. : Dans le cadre général de la réforme « OPTIMAR 1995 » déjà évoquée, la Marine a, d'une part, réduit le nombre de ses bases opérationnelles dans le sud de notre pays, naguère Ajaccio-Aspretto et en 1995 Fréjus-Saint-Raphaël et, d'autre part, diminué l'activité et le stationnement des avions à Hyères-Le Palyvestre, pour permettre en particulier un accroissement harmonieux du trafic civil.
La piste de Nîmes-Garons lui permet d'utiliser à pleine charge les « Atlantique » de patrouille maritime, ce qui n'est pas possible à Hyères, et d'entraîner les pilotes de porte-avions grâce à un dispositif spécial d'appontage simulé sur piste. La base met en oeuvre des « Alizé », de l'aviation embarquée indispensable à bord des « Foch » et « Clemenceau », des « Atlantique », des « N262 » de l'École des personnels volants. Elle dispose enfin d'installations récentes, tel le Centre d'analyse et d'instruction de la patrouille maritime.
Ces éléments donnent une visibilité positive du devenir de la base. Néanmoins, la quasi-totalité des sites militaires, je l'ai publiquement annoncé à plusieurs reprises, fait l'objet d'études en relation avec le resserrement global de notre dispositif militaire, de façon à faire des économies dans le soutien et l'entretien des forces, sans nuire à leurs capacités opérationnelles.
Q. : Le programme du NH 90 est-il irrévocablement maintenu ?
R. : Compte tenu des contraintes budgétaires actuelles, j'ai entrepris, dès mon arrivée au ministère de la Défense, un examen de l'ensemble des programmes d'équipements des armées. Les travaux du comité stratégique, que je préside, se poursuivent pour examiner le format de l'année future et la programmation qui pourrait conduire à ce format. À partir de ces travaux, je ferai des propositions au président de la République, qui seront examinées en Conseil de défense. L'ensemble de ces travaux donnera lieu également à un important travail de consultation des élus, à travers un débat d'orientation à la mi-mars, puis le dépôt d'une loi de programmation, prévue au mois de mai.
Les enjeux au programme NH 90 sont imposants, à la fois en termes opérationnels et financiers pour les armées, et en termes de conséquences industrielles, économiques et sociales. Ce programme fera donc l'objet d'un examen tout particulier dans le cadre que je viens d'indiquer.
Q. : Doit-on envisager une diminution des forces maritimes stationnées dans l'océan Indien ?
R. : La France est présente dans l'océan Indien depuis plusieurs siècles au travers de sa Marine, et pour ne parler que d'une époque récente, les forces navales permanentes ou occasionnelles ont, depuis le conflit du Kippour en 1973, connu un net regain d'activité, ponctué par des crises aiguës autour de la corne d'Afrique et des pays du Golfe. La voie maritime est vitale pour nos approvisionnements énergétiques et nous continuerons d'en assurer la protection lorsque c'est nécessaire. En toute hypothèse, un dispositif naval permanent, qui s'inscrit parfaitement dans sa fonction de prévention, est donc indispensable. Son volume doit en revanche être adaptable en fonction des situations.
Q. : À quelle date le retrait des forces engagées sur les sites nucléaires en Polynésie est-il programmé ?
R. : Le président de la République vient d'annoncer la fin de la campagne d'essais, et a rappelé à Washington, ces derniers jours, sa volonté d'aboutir rapidement à la signature d'un traité d'interdiction complète des essais nucléaires. Les atolls de Mururoa et de Fangataufa vont donc perdre leur statut de site militaire. Il reste de ma responsabilité le démontage des installations et la surveillance des sites. Ces opérations sont lourdes et doivent être conduites de façon rigoureuse. C'est la raison pour laquelle un délai d'environ deux ans est nécessaire pour mener en toute sécurité ces opérations.
Par ailleurs, l'atoll de Hao, distant d'environ 450 km, dispose d'installations qui appartiennent encore au CEP, et qui ont d'ores et déjà une utilité et un emploi à des fins civiles : aérodrome disposant d'une piste de 3 400 mètres, quai en eau profonde, production d'eau et d'électricité, infirmerie, hôpital. L'État maintiendra donc sa présence à Hao au-delà de 1998.
Q. : Doit-on envisager une réduction sensible des forces militaires françaises stationnées à Djibouti ?
R. : La présence française en République de Djibouti traduit la volonté de la France de s'engager sans délai à ses côtés en cas d'agression. Mais les forces françaises stationnées à Djibouti représentent aussi un ensemble immédiatement projetable et disponible au coeur d'une zone d'intérêt stratégique pour la France. Les forces françaises de Djibouti conserveront la place qui est la leur, dans notre dispositif outre-mer.
Q. : La question de la conscription et celle de l'évolution du service national en général ne mériteraient-elles pas d'être réglées par référendum à l'issue de la large réflexion lancée par le gouvernement ?
R. : La réponse appartient au président de la République. Pour le reste, je souhaite qu'un très large débat puisse conduire les Français à s'interroger non seulement sur l'avenir d'un service national rénové, mais au-delà sur un certain nombre de questions fondamentales, touchant à l'identité nationale, au pacte républicain et à l'apprentissage de la citoyenneté.
Q. : La France, très critiquée à cause des essais nucléaires, ne risque-t-elle pas de manquer de crédit pour être la « locomotive » du désarmement international ?
R. : La question n'est pas d'être la « locomotive » mais de peser à Genève, dans le cadre du CTBT. La position de la France a d'ailleurs été, depuis le début, d'une grande cohérence : c'est notamment parce que nous souhaitons signer ce traité que le président de la République a décidé, au mois de juin 1995, que soit menée une ultime campagne d'essais, afin de recueillir les données de simulation, qui nous permettront dans l'avenir de préserver l'efficacité de notre dissuasion nucléaire, sans avoir à faire de nouvelles expérimentations dans le Pacifique. La position française a d'ailleurs été clairement exposée dès le départ, avec un souci inégalé de transparence et de cohérence.
Allocution du ministre de la Défense à la Marine nationale, 7 février 1996, Toulon
Alors que nous sommes en pleine réflexion sur la redéfinition de notre outil de défense, je suis particulièrement heureux de pouvoir rendre visite aujourd'hui à la Marine. Cette visite inaugure celles que j'effectuerai dans le courant du mois de février dans les autres armées, la gendarmerie et la délégation générale pour l'armement.
Comme vous le savez, l'enjeu de la réforme en cours est double :
Il s'agit d'adapter notre outil de défense au nouveau contexte stratégique de l'après-guerre froide, et d'arrêter les choix en matière de dissuasion nucléaire, d'équipement des armées ou de format des forces. Cette profonde adaptation de notre outil de défense doit s'inscrire en cohérence avec notre volonté de promouvoir une défense européenne plus forte et plus solidaire au sein d'une Alliance atlantique rénovée.
Elle doit également s'inscrire en cohérence avec un esprit et une pratique interarmées. En effet, toute action militaire moderne conjugue et met en oeuvre les moyens des trois armées, qui associent, en parfaite complémentarité, leur organisation, la gestion de leurs moyens, leurs procédures et leurs méthodes de travail.
Elle est enfin conditionnée par l'évolution du service national en une véritable conscription civique et vous savez le prix que le président de la République y attache.
Le second enjeu, c'est de préserver l'efficacité de notre défense dans un contexte économique tendu, alors que tout doit être mis en oeuvre pour lutter contre les déficits publics, cause du chômage endémique. Le souci de garantir la pérennité de l'esprit de défense est incompatible avec l'approfondissement de la fracture sociale et de l'affaiblissement du sentiment national. Si l'exigence de solidarité ne l'imposait pas, il suffirait à lui seul à justifier la participation des armées à cet indispensable effort collectif de la nation.
Le président de la République n'a pas encore arrêté ses choix que, déjà, les journaux sont pleins de « révélations » plus ou moins vérifiées, que, déjà, les rumeurs – et par conséquent l'inquiétude devant l'inconnu – vont bon train.
Si je tiens à vous rencontrer aujourd'hui, c'est d'abord pour vous rassurer. Vous rassurer en premier lieu sur la méthode qui a été suivie :
- à chaque niveau de la réflexion, chaque armée a été représentée au plus haut niveau, au sein du comité stratégique ;
- les décisions qui seront prises n'interviendront pas brutalement, mais seront expliquées, au sein des armées, à l'usage de ce qui se fait déjà dans le domaine des industries de défense au travers d'une triple démarche, successive dans le temps : de clarification, de concertation et de décision. Je me rendrai moi-même, dans quelques semaines, et devant des auditoires interarmées expliquer les décisions qui auront été prises et les grandes lignes de la loi de programmation qui sera proposée au Parlement par le gouvernement ;
- en tout état de cause, je peux d'ores et déjà vous annoncer que la définition des taux d'activité et du rythme d'entraînement préservera le fonctionnement de la Marine, comme d'ailleurs celui des autres armées ;
- enfin, et j'insiste sur ce point, l'option de professionnalisation accrue des armées et la diminution prévisible des effectifs n'entraîneront pas de loi de dégagement des cadres.
Si je suis venu pour vous rassurer, je suis également et surtout venu pour vous écouter, pour recueillir vos impressions quotidiennes qui guideront le gouvernement et les états-majors pour la mise en oeuvre de la réforme. Soyez assurés que la dimension humaine de la redéfinition de l'outil de défense sera au coeur de mes préoccupations. J'ai pu apprécier, au fil des mois, la disponibilité et le dévouement des hommes et des femmes de la défense. J'ai pu également mesurer les contraintes particulières au métier des armes. Je veillerai donc très attentivement à ce que les attentes et les aspirations des personnels soient prises en considération.
Pour réussir le pari que constitue le renouveau de notre défense, le gouvernement a besoin du soutien et de la participation de l'ensemble de la communauté militaire. Nous avons, dans la Marine, j'ai pu encore une fois m'en rendre compte aujourd'hui, des hommes et des femmes sur lesquels nous pouvons compter. C'est donc en toute connaissance de cause que je peux vous dire ma confiance dans l'avenir et mon plaisir d'être parmi vous aujourd'hui.